Il n’avait pas été le seul à être surpris : tout le monde s’était tout à coup tu et tourné vers celui qui venait d’arriver sur la place. Ceux qui se trouvaient le plus près de lui s’étaient écartés. Peut-être par respect, probablement par crainte devant cette ardeur fébrile qui brillait dans son regard.
Il n’aurait pas dû se trouver là. Il devait à peine pouvoir se tenir debout… Pourquoi, même dans cet état, s’obstinait-il à faire foirer ses plans ? Il allait falloir agir vite et en improviser un nouveau. Mais Dimitri ne lui en laissa pas le temps.
– Il n’y aura plus d’exécution publique ! Ni aujourd’hui ni jamais ! cria Dimitri, la voix rauque.
Ces paroles suffirent à rompre le charme. Des voix outrées exclamèrent leur désaccord, des interrogations fusèrent, et très vite, la cacophonie régna à nouveau. Mart avait appris que dans ce genre de situations, c’était au non verbal qu’il fallait faire attention. Les villageois étaient fâchés ou perturbés, mais ils n’étaient pas téméraires au point d’agresser Dimitri. Ceux qu’il fallait protéger, c’étaient les condamnés. Les gardes n’agiraient pas de leur propre accord. Mart sourit. Il se trouvait à la meilleure place ; juste à côté de l’homme qui déciderait de la résolution de cette affaire.
Le chef du village fit glisser un doigt sur sa propre gorge, son regard déterminé braqué sur les gens d’armes derrière les condamnés. Les gardes avaient à peine dégainé leurs sabres qu’un coup de vent les propulsait déjà loin des assassins.
D’un bond phénoménal Mart quitta l’estrade pour se retrouver sur l’échafaud, à côté de ceux dont il allait prendre la défense. Il aurait préféré que cela se passe autrement, mais cela devrait faire l’affaire. Au pire, si tout échouait, on n’aurait pas à le traîner loin pour l’exécution…
– Tu sais que même si on les libère, il y a peu de chance qu'ils s'en sortent, qu’ils sont probablement déjà morts et que ce n’est que la magie qui les garde en vie ? demanda Thomas, sans arriver à détacher les yeux des petites flammes qui surfaçaient sur la croûte noire qui avait autrefois été la peu d’un homme.
– Je sais, répondit Cyril.
– Tu sais aussi qu’il y a probablement une bonne raison pour laquelle ces expériences ont été abandonnées et que ce souterrain est désert ? continua Thomas.
– Je sais, répéta Cyril. Et je te demande quand même de faire ton possible pour les sauver. Si tu n’y arrives pas, on pourra toujours leur donner le repos. Mais on ne peut pas les laisser comme ça.
– Bon, je vais essayer, mais je ne promets rien. Recule et prépare-toi au pire.
Cyril ne se fit pas prier et se mit derrière Thomas. Il eut un regard pour la porte ouverte sur le couloir et se dit qu’il devrait peut-être la fermer. Il n’en fit rien. Si personne n’était encore venu, on ne les dérangerait plus.
Il n’y avait pas grand-chose à voir, par-dessus l’épaule de l’Archimage. Enfin, rien de nouveau qui vînt perturber l’affreux spectacle que livraient les captifs. Cyril ne détourna pas les yeux. Il n’avait pas su les aider, la première fois. Il avait à peine eu le courage de les regarder. Maintenant qu’ils étaient encore plus amochés, il ne fuirait pas. Il verrait leur délivrance ou achèverait leurs souffrances au plus tôt si Thomas devait échouer. Il espérait vraiment qu’ils aient fait le bon choix. Il n’y connaissait rien en magie, mais même Thomas semblait peu familier avec celle-ci. Et si le but avait été de les laisser défaire ces sceaux ?
Le doute revint à la charge. Tout cela n’était peut-être qu’un piège, un stratagème des dissidents pour se défaire de l’Archimage. Une combine du roi pour se défaire d’un prétendant indigne... Peut-être Shalys elle-même avait-elle trempé dans la supercherie !
Cyril eut tout à coup la chair de poule. Des anneaux bleus étaient apparus autour des poignets de Thomas qui remuait les lèvres silencieusement. L’air vibrait de pouvoir. C’était donc si astreignant de briser ces sceaux ? À quoi pouvaient-ils bien servir ? Conserver la magie à l’intérieur des hommes ? Les protéger des expériences qu’on menait sur eux ? Ou bien s’agirait-il d’une sorte de sécurité ? Quelque chose qui les garderait de l’extérieur, au cas où on essaierait de « mettre un terme à l’expérience »…
Cyril n’en avait aucune idée. Lorsqu’il vit les runes constituant le sceau sur le torse calciné s’illuminer de bleu avant de disparaître, il se dit qu’il ne tarderait pas à le savoir. Son instinct lui soufflait qu’il n’apprécierait pas.
Il avait réussi. Les cordes étaient tombées et il avait poussé Mart à agir. Que ça lui plaise ou non, cette fois il ne se laisserait pas écarter. Les villageois étaient sortis de leur hébétude et la clameur avait pris de nouvelles proportions. S’il voulait se faire entendre, faible comme il était, il allait devoir donner plus que de la voix…
Les colonnes de flammes qui jaillirent de ses mains pour se perdre dans le ciel firent l’affaire. Le silence reprit ses droits.
– Comment osez-vous salir la mémoire d’Aren ? Vous, ses propres descendants, tueriez des hommes désarmés ? Des hommes qui ont coopéré lorsqu’on les a interrogés et qui se sont montrés repentants des erreurs qu’ils ont commises ?
Il allait enchaîner, mais une autre voix l’interrompit. Lorsqu’il leva les yeux vers le tribunal, Dimitri rencontra le regard d’acier du chef de village.
– À vous écouter, on croirait presque que nous sommes les coupables ici, et non ces assassins d’une nation ennemie qui ont pénétré sur notre territoire sans permission dans le but d’y conduire le plus lâche des actes : un meurtre en se présentant sous les traits d’un ami. Et si cela ne suffisait pas, ajoutons qu’ils ont bafoué la plus sacrée de nos traditions : la célébration d’Aren. Par leur faute, du sang a coulé un jour de fête. Qui ici est coupable de lâcheté, si ce n’est eux ?
– Ce que mon ami essaie de dire, c’est que les tuer ne ferait que salir vos mains. Les éliminer ne changera rien aux torts que ces hommes ont commis. La violence n'engendre que plus de violence. Ce n’est pas de la clémence ni même de la pitié que nous vous demandons. Punissez ces hommes en leur laissant une nouvelle chance. Imposez-leur de vivre en sachant que toute leur vie, ils ont servi un roi de paille, suivi les ordres d’un monarque qui n’a pas hésité un instant à leur confier une mission déshonorante et vouée à l’échec. Pensez-vous vraiment que c’est dans leur intérêt que l’homme qui a passé une journée entière aux portes de la mort, dans les plus horribles souffrances, essaie de vous empêcher de les exécuter ? Si quelqu’un devait chercher à se venger, ne serait-ce pas lui ?
Le silence durait toujours. Mart avait un peu forcé le trait quand même, mais ça faisait son effet apparemment… Dimitri ne se sentait pas d’y ajouter quelque chose. Il avait l’impression que ça manquerait de force et ne ferait que casser ce moment qu’ils avaient créé, là au milieu de cette foule excitée. Voilà ce que c’était que d’être des Élus ! Ensemble, ils feraient la différence. Ensemble, ils étaient capables de changer le monde.
– Alors quoi, on les laisse simplement s’en aller ? lâcha l’un des badauds, visiblement déçu de ne pas recevoir sa dose de sang.
Cela suffit à rompre le charme. Le beau discours fut oublié et la foule se pressa en direction de l’échafaud. Dimitri ne put que les regarder alors qu’il se faisait bousculer. Lorsque les premiers commencèrent à grimper sur la structure en bois, un coup de vent les balaya. L’air frais tira Dimitri de son état second. Il devait faire quelque chose, mais quoi ? Il ne saurait mieux argumenter que Mart n’avait déjà fait… Mais s’ils n’arrivaient pas à vite calmer cette foule, il y aurait des blessés.
– Marquez-les ! Appliquez-leur la marque sur le front. Tout Arenhien saura qui ils sont et ce qu’ils ont fait. Rien ne saura effacer le mal qu’ils ont commis, mais ils pourront encore y ajouter de bonnes actions. Marqués par la honte, ils auront l’occasion de laver leur honneur !
Il n’était pas fier de cette proposition. Cependant, si cette concession permettait de calmer les ardeurs, il y consentirait volontiers. Ce n’était pas injuste et devait parler au cœur des Arenhiens.
Si seulement ils avaient eu des oreilles pour l’écouter… Mais comme la vague de nouveaux assaillants, ses paroles furent balayées par le vent.
Une personne parmi celles qui entendirent Dimitri fut touchée par ce qu’il dit. Mais il était en fonction. Sa mission était de faire en sorte que l’exécution se passe sans accrocs. Si ce n’était pas là déjà un autre échec cuisant… Ne devait-il pas pour une fois essayer de conduire à bien l’affaire qui lui avait été confiée ? Suivre les ordres… C’était pourtant simple. Alors pourquoi voulait-il y déroger ? Il devrait juste arrêter les Élus et rétablir l’ordre. « Juste »… Comme si c’était si facile ! Et même s’il en avait été capable, aurait-il vraiment voulu le faire ? Il devait bien s’avouer que non. Mais s’il gaffait encore, ce serait fini pour lui. Peut-être d’ailleurs leur serait-il plus utile en jouant le bon petit soldat… On ne peut pas gagner toutes les batailles, celle-ci valait-elle vraiment le risque de se compromettre ?
Aux yeux de Dimitri et Mart, oui, visiblement. Furans souffla, dépité. Quoi qu’il fasse, il avait l’impression qu’il le regretterait. L’inaction cependant n’était pas une option. Il ne choisirait pas entre sa nation et ses nouveaux amis ; ces derniers voulaient que le bien de la première, il en était convaincu. Ce serait servir sa patrie, que de se rendre utile aux Élus. Restait à savoir comment exactement il allait pouvoir le faire… Le temps et les options étaient limités, il ne faudrait pas que la situation dégénère.
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