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tome 1, Chapitre 14 « Exécution » tome 1, Chapitre 14

Cyril s’autorisa un sourire : si l’alerte n’avait toujours pas été sonnée, cela signifiait que leur infiltration s’était déroulée convenablement. Le coup de la brume l’avait impressionné plus qu’il ne serait prêt à admettre. Les pouvoirs de Nix n’étaient pas aussi spectaculaires que les siens, mais elle possédait une maîtrise tout à fait enviable. Il devait également en être capable, mais l’idée de manipuler l’eau de façon à faire croire à une brume naturelle ne lui serait jamais venue…

Leur plan était simple, et c’était ce qui faisait sa force. Tant qu’ils ne se faisaient pas repérer, ils devraient réussir. La première étape était la plus risquée, et ils l’avaient déjà exécutée avec succès. Il avait finalement été décidé que seuls Cyril et Thomas pénétreraient les sous-sols. Galve et Nix resteraient dissimulés, à guetter leur retour… et prendre des mesures en cas d’échec. Ce dernier ordre n’avait pas fort plu à Galve. Celui-ci avait insisté pour les accompagner à l’intérieur, mais Thomas avait tenu bon. Alors, si aux premières lueurs de l’aube, ils n’étaient pas ressortis avec les sujets d’expérimentation, une comète s’écraserait sur le château.

Cyril fut à nouveau parcouru d’un frisson alors qu’il repensait au sourire forcé que lui avait adressé Nix avant de disparaître derrière son manteau de brume. Elle avait eu l’air de lui dire adieu. Pourtant, à eux deux, Thomas et lui formaient une super équipe pour combattre des mages. S’ils rencontraient quelqu’un, Thomas l’empêcherait d’utiliser sa magie, et Cyril lui enverrait un trait de glace. C’était infaillible !

Cyril craignait seulement qu’ils arrivent trop tard… Et si sa première intrusion avait alerté les sorciers ? Ne risquaient-ils pas alors de marcher droit dans un piège ? L’Archimage lui avait assuré qu’on ne les détecterait pas par magie, et la brume empêchait d’y voir à plus de deux pas, mais les chances qu’on les ait vu n’étaient pas nulles… Pire, Nix ou Galve pouvaient avoir décidé de les trahir. Peut-être même les deux. Et si c’était pour ça que Nix lui avait souri si tristement ?

– Ne panique pas, dit soudain Thomas, l’arrachant à sa paranoïa. Je n’ai pas voulu lever le sort parce que ça pourrait alerter le lanceur. Ta résolution est assez forte pour surmonter un sort de doute mineur, non ?

Cyril hocha la tête affirmativement. Sa résolution n’était pas en cause. Ses doutes eux ne se dissipèrent point : il y avait quelque chose d’extrêmement louche. Pourquoi y aurait-il un sort sur une entrée, qui plus est, une entrée de service, du château ?

Thomas, qui semblait lire ses pensées, répondit tout bas à cette question non formulée.

– Cette sécurité n’a peut-être rien à voir avec nous, mais ça ne me dit rien qui vaille. Reste vigilant.

« Reste vigilant ». Un bel ordre encore… La tentation du sarcasme était forte, mais Cyril résista. Le moment était mal choisi.

Pas un bruit ne perturbait la quiétude du château, à croire que la brume s’y était également infiltrée. Ce n’était pas le froid qui régnait à l’intérieur qui allait infirmer cette hypothèse. Cyril mit cela sur le compte du fait qu’ils se trouvaient dans les couloirs des serviteurs. Ceux-ci étaient mal éclairés et à peine chauffés. Heureusement il connaissait par cœur ces passages. Il avait épargné les détails du pourquoi à ses compagnons…

Le moment n’était cependant pas aux rêveries, et passer devant toutes ces portes closes ne lui fournissait plus aucune excitation. De la crainte plutôt. Si cette fois il se faisait prendre, les conséquences seraient bien plus fâcheuses.

Il y avait toujours des servants actifs, c’était inévitable. Ils avaient seulement choisi l’heure à laquelle il y en aurait le moins. Ils avaient tout planifié minutieusement, mais on n’est jamais à l’abri d’un hasard. Ce fut donc un grand soulagement de ne rencontrer personne. Et pourtant, Cyril n’arrivait pas à se défaire de ce sentiment dérangeant que quelque chose clochait. Était-ce encore le sortilège de doute, ou bien tout se passait-il réellement trop facilement ? Ils n’avaient fait que passer les murs, entrer dans le château et gagner l’escalier vers les étages inférieurs… Rien de spécial en soi. Il se faisait probablement trop de soucis. Tant mieux s’il n’y avait pas de difficultés.

Après tout, ce plan était le sien. Il avait été si sûr avant… Si certain de sa chance. Or la chance ne suffit pas toujours. Cette leçon, il l’avait apprise à grand prix. Cette fois, il avait dûment réfléchi. Cependant les doutes continuaient de le tarauder : et s’il s’était trompé ? N’aurait-il pas mieux valu simplement abandonner ces pauvres larrons à leur sort, ou les en délivrer promptement quoique finalement ?

– Tu es avec moi ?

Thomas était déjà trois marches plus loin. Il n’y avait que peu de lumière, alors Cyril ne distinguait pas son expression, mais le ton indiquait bien son inquiétude.

Cyril hocha la tête et suivit son camarade. Il ferait mieux de rester concentré, il ne manquerait plus que ça : faire échouer le plan par inadvertance…

******

Chacun de ses muscles était encore endolori ; et pourtant, Dimitri mettait un pas après l’autre, bien déterminé à empêcher l’erreur qui allait être commise. Il s’était fait une raison : ce n’était pas pour eux qu’il faisait ça. Le sort de ces assassins devrait lui être totalement indifférent. S’il s’en préoccupait, c’était pour lui. Par principe. Ou peut-être simplement par égoïsme. Par désir de se sentir utile, de faire quelque chose de bien.

Si pour Mart le mariage n’avait été qu’une excuse, il se rendait bien compte maintenant que l’acquisition de minerais rares l’avait été pour lui aussi. Il en avait simplement marre de se tenir à l’écart et de ne s’occuper que de ses affaires. D’après Thomas, ils étaient ceux qu’une vieille prophétie, dont seules quelques lignes persistaient, avait désignés pour « vaincre le mal dans le monde ». Enfants, ils y avaient cru à fond. Monstre après monstre, ils avaient cru accomplir leur destinée. Et le monde n’avait pas changé. Aujourd’hui, Dimitri était convaincu qu’ils avaient tout mal interprété. Ce n’était pas en massacrant des monstres ou en renversant des tyrans qu’ils allaient vaincre le mal. Ils ne le vaincraient sans doute jamais : rien ne vient à bout de la bassesse humaine. Il se devait cependant d’essayer. Et ce jour n’était pas pire qu’un autre pour commencer à se battre contre la société.

Son sourire se transforma vite en grimace de douleur. Si on lui avait dit qu’un jour il aurait ce genre de pensées, il n’en aurait pas cru un mot. Et pourtant, il entendait déjà la clameur de la foule s’approcher. Le procès prenait des allures de fête de village. Il allait s’occuper de chauffer un peu l’ambiance.

***

Mart se tenait à côté du chef du village, sur la petite estrade en face de l’échafaud. Les esprits étaient échauffés : on n’aimait pas particulièrement les Krondariens, en Arenhie, et encore moins les assassins. Alors si en plus ceux-ci tentaient leur coup un jour de fête… Le jugement serait vite bouclé s’il n’intervenait pas, et il ne doutait aucunement de la sentence qui serait prononcée. Personne n’en doutait, les grosses cordes pendaient déjà, leurs nœuds coulants n’attendant que de se refermer sur un cou.

Mart souffla, puis regarda les cordes osciller. Les hommes qui venaient d’être menés devant le tribunal ne tarderaient pas à monter sur l’échafaud, et bientôt leur corps se balancerait au milieu de la place. Il ne devrait rien y changer. Il était contre la peine de mort, mais ce n’était pas le moment de mener ce combat. D’ailleurs, si quelqu’un méritait ce sort, c’était bien ces hommes-là. Ils avaient failli tuer son meilleur ami. Dimitri… Il semblait prêt à tout pour sauver ces condamnés. Lui qui ne s’occupait jamais que de ses propres affaires… C’était pourtant à lui qu’ils avaient causé le plus de tort. Pourquoi tenait-il tant à ce qu’ils vivent ? Il avait parlé de leur offrir une chance de rédemption. Peut-être projetait-il ses propres fautes sur eux ? De quoi se sentirait-il coupable ? Ou alors se serait-il bêtement entiché de machin là, celui qui avait prétendu se nommer Sael ?

C’était sans importance. Si Dimitri était prêt à leur pardonner, qui étaient-ils pour les condamner ? Mart se leva. Les criminels montaient les escaliers. Bientôt, on leur passerait la corde au cou. Il les couperait avant que s’ouvrent les trappes. Il sentait le poids familier du boomerang dans sa main ; il ne raterait pas. Son discours était prêt. Il ne le rendrait pas populaire, mais les gens accepteraient sa décision. Il saurait les raisonner.

Un sourire confiant, à la limite de l’arrogance, étirait ses lèvres alors qu’il s’apprêtait à passer à l’action. Son geste resta cependant inachevé, et son visage se rembrunit : les cordes venaient de tomber en cendres.

*****

– C’est la première à gauche, murmura Cyril.

Thomas acquiesça silencieusement. Ils se trouvaient dans le fameux couloir. Le sort de doute le gardait toujours. Il n’avait à peine fait qu’effleurer l’esprit de l’Archimage, et pourtant celui-ci partageait l’inquiétude de Cyril. Contrairement à ce dernier, il savait que ce n’était pas un sentiment induit par magie. On ne le bernerait pas : son sentiment était bien réel et justifié. Il n’y avait plus personne ici, il en était certain. Rien d’humain du moins. Ce qu’il restait par contre, il n’arrivait pas à l’identifier. Et cela se trouvait juste derrière cette porte.

Il était prêt à tout lorsqu’il ouvrit cette dernière à la volée. Enfin, c’est ce qu’il pensait. L’énergie crépitant au bout des doigts, la vision bleuie par le pouvoir, il était prêt à neutraliser toute menace qu’il trouverait. Or il n’y en avait pas. Il n’y avait que les horreurs que Cyril lui avait décrites. Un hoquet d’horreur lui échappa malgré lui.

Ils étaient morts, ou du moins, ils auraient dû l’être. Ces choses qui gisaient là n’avaient plus rien d’humain. C’était à peine si on pouvait encore distinguer un membre ou un visage quelque part dans ces amas monstrueux.

Cyril le tira de ses observations macabres en le poussant de côté.

– Qu’est-ce que tu attends ? Fais quelque chose !

Thomas ne bougea pas. Il n’empêcha pas Cyril de se ruer au chevet des expériences. Les bras ballants, il le regarda geler les liens qui les maintenaient pour les briser. Un par un, il libéra tous les monstres. Ceux-ci n’esquissèrent pas le moindre mouvement envers eux. Ils se contentaient de respirer, de suer, de craquer, de brûler, de siffler, de se calciner, de se boursoufler, d’éclater, sans même remarquer qu’ils avaient été affranchis de leurs chaînes. Les corps bougeaient encore, mais comme Thomas l’avait deviné, leurs esprits avaient trouvé une échappatoire à ce cauchemar.

– On ne peut plus rien pour eux, on arrive trop tard. On ferait mieux de s’en aller d’ici. Toute cette histoire ne m’inspire rien de bon, répondit Thomas lorsqu’il sortit enfin de son mutisme.

C’était affligeant de voir Cyril s’affairer à côté… des choses. Et pour une fois, Thomas n’employait pas ce terme de façon moqueuse.

– Non ! Je leur avais promis. Tu dois pouvoir faire quelque chose. C’est par magie qu’on leur a infligé cet état. Regarde ces sceaux. Je suis sûr que tu pourrais les briser !

Son regard suivit la direction que pointait son ami. Il avait déjà remarqué les marques magiques, mais tout ce qu’il arrivait à en déduire était qu’ils servaient à sceller une liaison, à unir deux choses. Il n’était pas sûr de ce qui arriverait s’il les rompait. Qu’avaient fait ces sorciers ?

– Si vraiment il fallait intervenir, je préférerais encore prendre des précautions et les éliminer proprement. Ce qui est arrivé ici me dépasse.

Il était rare qu’il fasse de tels aveux. Il était sûr que si les circonstances avaient été différentes, Cyril en aurait jubilé. Cependant, en cet instant précis, l’effet fut tout l’inverse.

– Il faut essayer. On ne peut pas juste les abandonner… Pas encore une fois. S’il te plaît.

Thomas hésita, ce n’était pas souvent que Cyril lui demandait une faveur. Il n’était pas sûr des conséquences que cela aurait s’il accédait à sa requête. La chance existait qu’il sauve en effet ces pauvres âmes. Mais cette possibilité lui semblait vraiment minime, pour ne pas dire nulle.


Texte publié par Mart, 30 avril 2020 à 15h14
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