La nuit n’était pas noire mais grise. Le soir, la brume s’était levée du lac. Elle était à présent si épaisse que, même des remparts du château, les gardes ne voyaient pas les étoiles. C’était à peine s’ils pouvaient distinguer la prochaine torche de leur ronde. Tous les bruits semblaient distants, étouffés par l’épais manteau d’humidité.
C’était bien sa veine ; après cette histoire avec Cyril où il avait failli laisser sa peau, il s’était fait dégrader et vu assigner les rondes de nuit. Il ne manquait plus que ça : qu’en plus celles-ci fussent froides et désagréables.
Vraiment, il n’aurait jamais dû écouter son père. « Engage-toi », qu’il disait ! Ha ! Quelle blague ! Il avait fidèlement servi, jamais fait une chose de travers, il avait été promu, et une belle carrière s’annonçait. Mais non, une seule mésaventure, et tout était tombé en pièces. Dire qu’il se baladait encore là alors qu’il pourrait être en train de dormir d’un bon sommeil, exténué après une bonne journée de travail. Travail qu’il reprendrait avant l’aube, bien au chaud devant un four grésillant…
Tout à ses pensées, il ne remarqua pas l’extinction d’une torche. Lorsqu’il marcha ensuite dans une flaque, il se contenta de pester, sans se demander comment toute cette eau s’était retrouvée là, à une dizaine de mètres au-dessus du lac, sans qu’il y ait eu d’averse.
*****
– Tu sais, j’ai réfléchi cette nuit, et je pense qu’on devrait tous les deux rentrer à Krondar. Ce plan de double mariage n’a plus aucun sens si Tervos se tourne contre nous. On raccompagne Sael, enfin, Cal, et ses hommes. Tu l’as dit toi-même, ils ont coopéré pour les infos, ils pourraient très bien encore nous aider. Après la mission qu’ils ont reçue…
Mart secouait déjà la tête avant même que Dimitri ait terminé de parler. Ils étaient en train de déjeuner dans la petite chambre à l’arrière de la maison du guérisseur.
– Tu peux rentrer, mais tu sais bien que je n’en ferai rien. D’accord, on s’en fout du mariage, ce n’était qu’un prétexte, tu le sais dès le départ. Pour moi, il n’y a pas grand-chose qui a changé, à part que retrouver le livre est devenu plus urgent puisqu’on en veut à nos vies. Tu as failli mourir, avant-hier. Ce monde finira par avoir notre peau…
– Et si on disparaît alors qu’une guerre est sur le point d’éclater. Tu saurais vivre avec ça ? En sachant que tu aurais pu sauver des milliers de vies mais que tu as choisi de ne pas le faire ? insista Dimitri.
– On n’a pas notre place ici, déclara Mart. On n’aurait jamais dû arriver dans ce monde. Ce qui se passe entre Krondar et Arenhie n’est pas de notre faute. L’échec du mariage entre Shalys et Kiel aurait pu être un bon prétexte pour une guerre, mais ce n’en sera clairement pas la raison.
– Mais on s’en fout ! s’exclama Dimitri. On est ici et on a le pouvoir d’influer sur les choses. Si on peut empêcher une guerre, on doit le faire ! Tu joues au philosophe à déclarer que ce n’est pas à nous de décider, mais elles sont où, tes valeurs ? Tu veux fuir un conflit sous prétexte de nous mettre à l’abri, de nous rendre une vie normale… Et si on n’en voulait pas ? Tu y as déjà réfléchi, à ça ? Qui es-tu pour choisir à notre place ?
La tirade laissa Mart coi, et le silence se fit pesant. Aucun des deux amis ne touchait plus aux biscuits ni aux fruits qui traînaient sur le lit.
– Et pourquoi ne voudrais-tu pas revenir ? finit par reprendre Mart. Il n’y a rien pour nous, ici.
– Et qu’y a-t-il de plus pour moi là-bas ? Même, prenons qu’on réapparaît dans ta chambre. Qu’est-ce qui te dit que tes parents n’ont pas déménagé entre-temps ? Dix ans sont passés. Tout peut avoir changé. Au moins on sait ce qu’on a, ici.
– Et c’est quoi exactement ? Une réputation ? Des pouvoirs ? persifla Mart.
– L’un l’autre. Des occupations, un rôle… La prophétie parlait de temps noirs pour l’époque des hommes. On a transformé la Ramalac en beignets de poulpe, renversé un tyran, réduit en poussière un sorcier, libéré les montagnes sacrées… On a cru avoir rempli notre rôle. Et s’il y avait une raison à l’absence du livre sur l’autel ? Et si ce monde avait encore besoin de nous ? On ne peut pas fuir comme des lâches.
Le petit ricanement qui suivit sa théorie énerva Dimitri.
– Ce monde n’a besoin de personne, se moqua Mart. Cette prophétie, ce ne sont que des mots qu’un gamin a mis sur un rêve bizarre qu’il a eu. Il peut très bien avoir tout inventé même. Je ne crois pas aux prédictions, et encore moins aux raisons qui nous dépassent.
– C’est drôle, venant d’un mec capable de lever un ouragan en un claquement de doigts. Sinon, que le gamin en question soit actuellement archimage, ça ne veut rien dire ? Et le fait que la même prophétie circulait déjà dans un autre pays ? Des coïncidences, j’imagine.
Mart se leva et alla jusqu’à la porte. Dimitri crut qu’il sortirait sans un autre mot, mais il aurait préféré qu’il fasse ça.
– Je vais aller prendre un peu l’air. Repose-toi et reste bien dans ton monde de licornes et de bisounours. Moi, je retourne au Moyen Âge et à l’exécution publique des mecs que tu aurais voulu raccompagner.
La porte claqua, et Dimitri referma la bouche. Il aurait dû s’en douter, ce n’était que logique… Des assassins étrangers qui avaient pénétré illégalement le territoire et « perturbé » une fête locale. En y réfléchissant, il devait sûrement remercier Furans de ne pas partager leur échafaud…
Ce n’était pas juste. Il était sûr que ces personnes pouvaient être raisonnées. Ils n’avaient fait que suivre des ordres. La tentative d’assassinat ne les lui avait pas spécialement rendus sympathiques, mais d’une façon ou d’une autre, il était persuadé que ce n’étaient pas de mauvaises personnes. Cal lui avait semblé... intéressant. Peut-être simplement parce qu’il avait tenu tête à Mart.
Même s’il venait de se disputer avec ce dernier, il ne l’abandonnerait sous aucun prétexte. Mart n’avait peut-être pas l’habitude de s’enfermer dans une forge isolée pour éviter d’inconsciemment incinérer des choses, mais d’une certaine façon, il était plus seul que lui.
Mais pouvait-il vraiment comme lui fermer les yeux sur les problèmes de ce monde ? Il était encore affaibli et il risquait de se mettre tout le monde à dos ; et pourtant il n’arrivait pas à se résoudre à l’inaction.
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