L’eau était calme, et le vent presque aussi léger que les flocons qui tombaient partout autour de lui. Sa vue était limitée par la neige, mais ce qu’il voyait lui plaisait. Aussi loin qu’il regardait, il ne voyait que de la surface du lac, et le ciel qui se précipitait dedans.
Rien de consistant autour de lui. Rien de contraignant. Il se sentait libre. Mieux, il se sentait maître. Un autre n’y aurait peut-être vu qu’un désert, froid et hostile. Lui seul sentait toute la vie, ralentie par le froid, qui s’étendait sous lui. Un autre ne se tiendrait pas sur un bout de glace avançant tout seul sur l’onde…
Il n’y en avait pas, d’autre comme lui. Cyril en était bien conscient et en avait bien profité. Peut-être une fois de trop… Pas qu’il regrettât d’avoir séduit la princesse. C’étaient plutôt les conséquences qui en étaient fâcheuses. Mais qu’est-ce qu’il en savait, lui aussi, qu’elle avait déjà été promise au prince d’Arenhie ?
Qu’ils aillent se faire voir avec leurs pratiques moyenâgeuses ! Pourquoi étaient-ils si attachés à la virginité de leurs filles, ces pères et futurs époux ? Il ne faisait que rendre service à ces derniers en fait ! Après tout ce qu’il lui avait appris cette nuit-là, Shalys saurait bien mieux comment satisfaire le prince…
Il sourit en y repensant. Il ne savait pas ce qu’il perdait à attendre jusqu’au mariage, le bonhomme. La princesse s’était montrée une élève motivée.
Il perdit son sourire lorsqu’une bourrasque faillit le jeter à bas du radeau de glace. Non, pas une bourrasque. Le vent soufflait en continu, et bien trop fort pour être naturel.
Cyril souffla. Non content de lui faire des remontrances lorsqu’il serait arrivé, Mart gâchait déjà cet instant de quiétude sur le lac.
Une vague se leva sous le bloc de glace et le poussa en avant. Elle fila sans se briser. Il était attendu, autant ne pas prolonger l’attente.
Une demi-heure plus tard, il ne tombait plus que quelques flocons, et le vent était retombé aussi brusquement qu’il s’était levé. Cyril distinguait déjà au loin le bord du lac, mais c’était surtout le ciel qu’il scrutait. Il lui avait semblé apercevoir du mouvement, mais à cette distance, il était difficile de déterminer de quoi il s’agissait.
Et puis il le repéra. Un point rouge, d’abord lointain, grossissait rapidement. Il n’y avait pas de méprise possible, ce n’était pas un oiseau qui approchait.
Cyril agrandit sa plateforme de glace, sans ralentir pour autant. Quelques minutes plus tard, Mart se posait à côté de lui en repliant l’espèce d’éventail sur harnais qui lui servait à voler. Ils l’avaient nommé « cerf-volant » à une époque, mais l’engin n’avait plus grand-chose à voir avec la grossière toile qu’ils avaient tendue sur une croix en bois tant d’années auparavant.
Il sourit en repensant aux kilomètres qu’ils avaient parcourus avec leur ami ballottant au bout d’une corde. Le cerf-volant avait été leur manière de transporter Mart après le fiasco qu’avait été leur première rencontre avec des nains. Personne d’autre n’avait été blessé, mais les jambes de Mart avaient été écrabouillées dans un éboulement. Il était alors encore plus insupportable que d’habitude, mais ils n’avaient à subir sa bien-pensance que lors des pauses, quand ils le descendaient.
– Tu t’en es sorti alors, constata Mart.
– Comme toujours. Tu t’es inquiété pour moi ?
Ce n’était pas son sourire narquois qui ferait sortir son ami de ses gonds, mais il aimait bien le provoquer.
– J’aurais bien voulu voir ta tête au moment où tu écrivais ton message. Si tu souriais, ce n’est pas passé dans le texte.
Une grimace remplaça le sourire sur la figure de Cyril.
– J’avoue que j’ai eu plus chaud que je n’aime bien. Mais ça valait le coût.
– Ah oui, te mettre la royauté à dos pour séduire une jeune fille… Tu ne pouvais pas juste te contenter d’une courtisane, non, ça devait être la princesse ! Où serait le challenge sinon, hein ?
Cyril ne put s’empêcher d’avoir un sourire en coin. Il avait réussi. Et puis parler de Shalys rappelait de bons souvenirs.
– Ça te ferait du bien tu sais, de trouver quelqu’un, ou de juste tirer un coup…
– Un coureur de jupons suffit pour salir la réputation des Élus, merci !
– Y a pas de quoi. Tu te prends trop au sérieux. Laisse-toi un peu aller, profite de notre vie ici.
– Non. Il faut bien que l’un de nous trois reste sérieux. Vous avez peut-être renoncé, Dim et toi, mais moi non. Et un jour, je nous ramènerai à la maison.
Cyril n’insista pas. Ils l’avaient déjà eue, cette discussion. Mart ne l’admettrait pas, mais s’il tenait tant à revenir, c’était parce qu’il se sentait coupable, Cyril en était convaincu. Ç’avait été son idée qui les avait amenés là. Il ne serait jamais venu à l’esprit de Dimitri ou Cyril d’écrire dans ce maudit livre.
Ils avaient traversé le monde pour le retrouver et écrire leur retour, mais à l’autre bout d’Ictrear, ils n’avaient trouvé qu’un autel vide et le carnage.
– Bon, tu m’écoutes encore ?
Le présent et le visage sévère de Mart le rappelèrent de ses pensées.
– Oui, pardon, tu disais ?
– Comment comptes-tu t’arranger pour apaiser la colère du roi ?
– Tu ne penses pas qu’il risque de laisser passer l’incident, vu notre statut ?
Il savait lui-même qu’il se leurrait avec cet espoir, et sa voix manquait de conviction. Il s’attendait à la réponse de son ami, et en effet, celui-ci brisa ce qu’il lui restait de naïve espérance.
– Alors qu’elle était promise au prince du royaume voisin ? Je ne crois pas, non.
Cyril avait déjà subi pire que du sarcasme. Son ami le décevait, il l’avait connu plus imaginatif. Il se garda pourtant de lui en faire part. Peut-être que cette fois il avait exagéré…
Mart semblait être plongé dans ses pensées, alors le Don Juan décida de ne pas répliquer. Autant ne pas l’énerver encore plus en interrompant inutilement sa réflexion.
– Je vais aller informer Dimitri que tu es sauf, déclara Mart en relevant la tête. On décidera ensemble de la suite.
Cyril hocha la tête alors que son ami dépliait son planeur. Quelques secondes et une bourrasque plus tard, il était parti.
Il n’était plus qu’à une centaine de mètres du rivage. Rejoindre la forge irait vite. Il était content que Mart ait décidé de reporter la discussion. Dimitri l’avait toujours mieux soutenu.
***
Cyril venait à peine de sortir de sous les arbres lorsqu’il vit deux boules de feu grosses comme sa tête foncer vers lui. Il n’eut le temps que de se jeter à plat ventre dans la neige pour les éviter. Quand il releva la tête, ce fut pour voir un Dimitri fumant littéralement de rage venir vers lui.
– Reste par terre comme le ver que tu es ! Tu réfléchis un peu aux autres, parfois, avant d’agir ?
Là, Cyril ne suivait plus. Pourquoi Dimitri était-il aussi fâché ? Il se foutait bien de tout ce qui ne touchait pas ses activités, en général. Il aurait pu lancer une guerre mondiale que le forgeron s’en serait pas mal foutu. Justement, ç’aurait été pour lui une occasion d’augmenter ses ventes, peut-être de proposer d’autres choses à ses clients. À moins que…
– Tu voulais passer un accord avec les Aren ?
Cyril commençait à avoir chaud. La neige autour de lui avait déjà fondu, ses vêtements étaient trempés, et des gouttes froides lui tombaient dessus depuis les arbres. Il l’avait vraiment énervé.
– Bien sûr que je voulais un accord, tête de gland ! Mais quand commenceras-tu à te servir de ton cerveau ? Ce n’est jamais que le royaume le plus riche en minerais rares !
– Déjà que je ne m’occupe pas beaucoup de géopolitique, alors la géologie…
L’insolence, voilà bien une des choses que Dimitri détestait le plus. Il avait serré les poings jusque-là, il s’était retenu, mais ce vermisseau ne le méritait pas. Il ouvrit la paume, et l’air devint incandescent.
Un mur de glace s’opposa au jet de flammes, mais il le retarda à peine. Assez cependant pour que Cyril roule sur le côté et l’esquive. Lorsqu’il se releva, son sourire insolent s’était évaporé. Son bouc finement taillé et ses courts cheveux noirs ne gardaient aucune trace d’humidité, aussi secs que l’expression sur son visage. De l’eau flottait autour de lui en petites sphères.
Dimitri gardait celles-ci prudemment à l’œil. Il ne lança pas d’autre attaque, sa fureur était retombée. Ou plutôt, elle s’était refroidie en colère.
La tension montait, les deux adversaires ne se quittaient pas des yeux, et l’un d’entre eux aurait fini par ouvrir les hostilités, quand soudain ils entendirent un choc. Puis un autre. Et encore un, séparé du même intervalle. Un applaudissement lent, moqueur.
Les deux jeunes hommes se tournèrent d’un même mouvement pour voir le dernier membre de leur trio arriver.
– Ah mais ne vous gênez pas pour moi ! s’exclama Mart. J’adore voir mes deux meilleurs amis s’étriper. Ça promettait de devenir spectaculaire en plus !
– Pfff, le spectacle n’aurait pas duré bien longtemps si je m’étais vraiment lâché, rétorqua Dimitri. Nos pouvoirs sont peut-être égaux, mais pendant qu’il passe son temps à sauter tout ce qui bouge, j’affine le mien.
– Ha ! La brute parle de finesse maintenant ! moqua Cyril. Pendant que tu martèles de grossiers gourdins dans ton trou, je sculpte des roses de glace à la cour…
– Des gourdins ? rugit Dimitri. Des gourdins ? Tu veux que j’aille en chercher un ? Je me ferais un plaisir de te découper en petits morceaux avec !
– Allons, allons, rangeons les insultes et les menaces, intervint Mart. Nous avons un problème et ce n’est pas en nous chamaillant que nous allons le résoudre.
– Et comment proposes-tu alors qu’on répare sa connerie ? À ce que je sache, on n’a pas encore inventé le sort pour restaurer la virginité…
– Non, en effet. On ne peut pas effacer ce qui a été fait. Il faut qu’on trouve un moyen de retomber dans les bonnes grâces du roi.
– Ou alors on déménage ? proposa Cyril d’une petite voix. Le monde est grand…
– Hors de question ! lui répondirent les autres à l’unisson.
Dimitri et Mart se regardèrent, surpris d’être d’accord sur un point.
– On pourrait simplement le livrer, qu’il assume ses actes, proposa Dimitri.
– Ou alors on pourrait mettre en scène sa mort…
– Ou alors je me marie avec la princesse, laissa tomber Cyril.
Ses amis le dévisagèrent avec de grands yeux. Alors ça, ça ne lui ressemblait absolument pas. C’était à la fois contraire à ses habitudes et… intelligent. Mart l’aurait félicité, s’il n’y avait pas eu un souci :
– Ça ne règle quand même pas nos soucis avec Arenhie… En fait, accepter de te donner la main de Shalys équivaudrait presque à une déclaration de guerre de la part du roi Tervos.
– Pas si en échange l’un de vous épouse la princesse d’Arenhie, le contredit Cyril en souriant.
→ Laquelle des trois options choisiront-ils ?
1. Livrer Cyril pour essayer de revenir dans les bonnes grâces du roi.
2. Simuler la mise à mort de Cyril.
3. Ils optent pour le double mariage.
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