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tome 1, Chapitre 1 « Prologue : Abandonné de tous » tome 1, Chapitre 1

Par une froide nuit d’hiver, une figure encapuchonnée se frayait un chemin à travers la neige, sous le regard indifférent de la multitude d’étoiles scintillantes. Les flocons avaient cessé de tomber et tout était calme. Même le vent s’était tu, et les seules sensations qui restaient étaient le froid, son odeur, et son silence uniquement rompu par un pas léger et le ténu frottement de la cape sur la neige.

La cape lissait les traces de pas, les rendant plus discrètes, mais, dans le calme de la nuit et l’abondante lumière blanche des astres réfléchie à l’infini par le manteau qui couvrait le paysage, leur origine restait claire pour qui les aurait observées : les montagnes des Ombres.

Mais personne ne l’observait. Depuis longtemps déjà les yeux des sentinelles s’étaient fatigués de regarder les flancs montagneux. Depuis la Grande Paix il n’y avait plus de raison de s’en méfier. Encore loin de la silhouette, et pourtant déjà si terriblement proches, quelques lueurs jaunes s’échappaient d’auberges et tavernes. Mais aucun écho de leur gaieté ne venait l’importuner ou la soulager ; la neige étouffait tout.

Elle progressait lentement mais assurément. Son regard était perdu dans le vague à ses pieds, et son avancée presque automatique ; la beauté du moment lui échappait. Ses traits restaient dans l’ombre de sa capuche, mais si son pas régulier pouvait passer pour décidé, ses épaules courbées disaient une tout autre vérité sur ses émotions.

Ses bras étaient repliés sur son abdomen, comme si elle souffrait de maux de ventre ou cachait quelque chose dans les plis du rugueux tissu gris de sa cape.

Déjà elle approchait de la bourgade. Celle-ci n’était ceinte que d’une pauvre palissade, mais dans le mélange de la noirceur nocturne et de la lumière crue partout réfléchie, les pieux paraissaient particulièrement hauts et menaçants.

La petite porte d’accès était ouverte, et s’il y avait un garde, il ne se montra pas. La silhouette silencieuse et recroquevillée se glissa dans les rues désertes, incontestée.

Elle évita les grands axes : personne ne semblait vouloir s’y aventurer. Mais même à cette heure avancée de la nuit, un citoyen pouvait à tout moment décider de rentrer chez lui. Ce serait probablement en titubant, mais elle n’avait nulle envie de rencontrer un soûlard. Elle s’en tint donc aux rues plus modestes sans pour autant s’aventurer dans les plus petites ruelles qu’on devinait miteuses rien qu’à l’odeur de pourriture qui s’en dégageait.

Elle s’enfonça ainsi dans la ville, s’éloignant des remparts pour trouver les meilleurs quartiers. Ce n’étaient maintenant plus seulement ses épaules qui étaient courbées ; elle avançait le dos voûté, comme accablée d’un immense fardeau. Elle eut l’air de chanceler un moment, mais ce n’était en fait que le début d’un mouvement bien rythmé, balançant tout son corps de gauche à droite.

Elle continua d’avancer ainsi un moment, puis lentement reprit son pas normal. Elle n’alla pas beaucoup plus loin ; elle s’arrêta devant une maison de taille moyenne visiblement bien entretenue, sans pour autant jouir d’un luxe excessif. De la cheminée sortait de la fumée et à l’étage brûlait encore une lumière. Sans doute la maison d’un artisan et de sa femme. Elle ne pouvait espérer trouver un meilleur endroit.

Elle s’accroupit devant les marches et, lentement, écarta les bras. Bien emmitouflé dans le même tissu que celui de la cape se trouvait un nourrisson. Seul son petit visage joufflu n’était pas couvert, et ses traits étaient ceux d’un bébé dormant d’un sommeil bienheureux.

Elle se pencha au-dessus du petit garçon et l’embrassa une dernière fois sur le front, avec tant de douceur qu’elle l’effleura à peine plus lourdement qu’une brise chaude d’automne. Elle écarta sa tête de lui, une unique larme s’échappant dans le mouvement pour tomber comme une perle sur le tapis de velours de la neige, puis elle déposa son enfant sur les marches, se redressa, frappa énergiquement à la porte et s’enfuit.

Lorsque, quelques minutes plus tard, un robuste homme grisonnant vint ouvrir la porte, il ne vit rien. Il scruta la rue de gauche à droite, mais n’aperçut que des traces de pas sillonnant la neige. Il allait refermer la porte lorsque le froid réveilla le nourrisson et le fit pleurer. Le regard de l’homme se baissa un instant, tomba sur le tissu, en examina la fabrique, et se releva.

Les sourcils froncés, il referma la porte sur les pleurs du bébé. Il ne recueillerait pas d’enfant lors de la veillée mortuaire de sa femme.


Texte publié par Mart, 19 avril 2019 à 21h21
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