A chaque pleine lune, je ressens l'appel de la nuit. La première fois, j'ai trouvé cela étrange. Je n'avais pas encore compris les changements que cela impliqué dans ma vie. Je me berçais d'illusions, croyant qu'il me serait encore possible d'y échapper. Vanité de jeunesse...

Il a suffi d'une fois pour que je comprenne que je ne maîtrisais rien.

Je voulais la puissance, je l'avais.

Je voulais la jeunesse éternelle, il me l'avait promis. Mais ses promesses avaient un goût âcre qui me restait en travers de la gorge.

Comme il m'avait berné, avec sa voix douce et chantante, son apparence frêle, sa beauté changeante tour à tour féminine et masculine, voire même enfantine. Comment ne pas perdre toute sa volonté, toute sa raison face à l'éclat de ces prunelles d'encre où brillait l'intelligence ?

Regardez-le une seule fois, et vos désirs les plus fous, vos vices les plus sombres vous sembleront à porter de main. Alors sa voix apaisante semblable à un souffle s'insinuera dans votre esprit, prendra possession de vos pensées.

Un désir saisira votre corps et vous vous mettrez à prier pour que ce moment ne s'arrête jamais, tant l'extase du moment serait incroyablement intense.

La chute n'en sera que pire.

Alors quand sonna pour la première fois, l'appel de la lune, je sentis mon corps vibrer. Comme s'il m'était possible de résister, je le souhaiterais pourtant tellement, à présent. Alors je me glissais avec réticence dans mon lit. J'aurais voulu veiller autant que possible.

Je sentais le froid qui s'infiltrait à travers les fenêtres, elles-mêmes se recouvrant lentement de givre. Paralysé par la vague glacée, je n'osais bouger.

Le feu, dans ma cheminée paru soudain enfler, pour devenir de gigantesques flammes dansantes. J'aurais presque pu croire apparaître des visages qui me narguaient, avant de disparaître. L'enfer brûlant s'invitait chez moi et malgré cela, je ne ressentais que le froid qui enserrait mes membres tétanisés.

Avec grâce, il s'avança. Majestueux, dans ses habits noirs, il me toisait d'un air narquois. Pourtant, en cet instant où le temps s'était suspendu, je le désirais et je le haïssais à la fois.

Qu'importait son apparence, sa beauté restait la même. Une beauté inhumaine, capable de berner n'importe quel esprit faible que nous étions et que nous sommes.

-Bien le bonsoir, mon très cher jouet.

J'ai su à ses premières paroles que ce n'était que le début de mon supplice et que tous les mois, il reviendrait à moi, pour torturer mon corps et mon esprit. Et je le hais de toutes mes forces, sans pourtant oser rêver de ne plus être en sa présence.

Tel sera ma punition pour avoir vendu mon âme à un démon.

***

On peut avoir beaucoup, mais cela n'est jamais assez, on en veut toujours plus. Malvis faisait partit de ces gens. Il voulait tant de choses : l'immortalité d'abord, le pouvoir ensuite. Un pouvoir qu'il étendrait sur chaque habitant de sa planète. Tant que sa satisfaction ne serait pas assouvie, il n'y aurait aucun de répit pour ses gens. Après tout, ils n'étaient qu'un tas de fainéants peureux qui fuyaient devant les sorciers.

Malvis avait tout donné pour posséder une puissance magique supérieure à celle de n'importe quel être humain et il l'avait gagné. De même, lui seul avait acquit le pouvoir de vivre éternellement en restant jeune. Ce rituel, il l'avait arraché à un démon. C'était une de ses grandes victoires.

Oui, dans son monde, Malvis était le plus fort. En contre-partie, le démon ne lui avait demandé qu'une chose. Une seule : toutes les nuits de pleine lune, le seigneur de la magie lui appartenait. L'humain avait accepté. Évidemment, puisqu'il était humain et que lorsqu'il désirait quelque chose, il ne supportait pas d'attendre. Jamais il ne pourrait échapper à Ditzel, le démon.

Mais avant même que se lève la lune, il sentait l'appel et se voyait contraint de s'endormir. Ainsi, il était vulnérable, car il ne se réveillerait pas en cas d'attaque. Tel était son talon d'Achille, mais personne ne le savait. On le craignait suffisamment pour ne pas entrer dans sa chambre.

Alors que se fermaient ses yeux, il se sentait plongé dans l'infinie noirceur, guidé vers celui à qui il avait lié son âme. Avant même de le voir, sa présence était perceptible pour lui. Le démon apparaissait n'importe où, se jouant de Malvis. Se sachant tout puissant, il en profitait pour le tourmentait encore et encore.

Avec le temps, on aurait pu penser que son esprit se serait forger une carapace pour résister. Il n'en était rien. La difficulté l'en empêchait, même s'il continuait à essayer de se protéger du mieux qu'il pouvait.

Certes, il ne criait plus, ni ne pleurait, subissant stoïquement les assauts du démon. Néanmoins, le seigneur de la magie sentait son esprit vaciller à chaque pleine lune. Le prix à payer s'avérer plus élevé qu'il ne l'aurait cru. Vanité humaine...

Perdu dans le vide, l'attente se faisait longue alors même que ses yeux ne pouvaient percer les ténèbres. De même, aucun son ne résonnait en ce lieu. Il n'y avait rien, pas d'odeur, pas de chaleur, ni de fraîcheur...

Seul existait le vide que Ditzel manipulait à la perfection. Tous ses sens étaient trompés par le jeu du démon, qui ne daignait toujours pas se montrer. Tapi dans l'ombre, il se gorgeait de sa peur, mets délicat sans doute pour son palais de connaisseur.

Au début exaspéré, à présent Malvis se rongeait les sangs. Il en venait toujours à espérer que cela se fasse le plus vite possible. Pouvoir affronter le monstre en face, lui paraissait moins désagréable que de se triturer l'esprit avec des pensées cauchemardesques et chaotiques.

-Malvis...

Un chuchotement suivit qu'un ricanement. Est-ce que cela serait rapide ou au contraire long ?

Un souffle chaud lui caressa la nuque le paralysant. Tous les muscles de son corps se contractèrent.

-Je suis là !

Il sentit un glissement humide dans son cou, suivit par une brûlure vive sur sa peau. La salive du démon faisait office d'acide sur le pauvre humain démunie qu'il était. Un liquide chaud coula le long de son cou. Sans un esquisser le moindre geste, Malvis su qu'il saignait.

Le contournant, la créature des ténèbres se présenta à lui. Ditzel possédait un visage opalin balayé par de longues mèches aussi sombre que de l'encre, d'apparence juvénile avec ses joues rebondies et imberbe. Seuls ses yeux aux éclats écarlate renseignaient sur le véritable âge du démon. Son corps était svelte, musclé et aussi imberbe que son visage.

Mais tout n'était qu'illusion puisqu'il pouvait changer d'apparence à volonté. Malgré cela, il se présentait continuellement de la même façon devant l'humain. Il était un éternel adolescent à l'air méprisant et fier de lui. Malvis s'était demandé s'il cherchait à lui renvoyer sa propre image. La crainte l'avait ensuite contraint à mettre ses interrogations de côté.

-Je t'ai manqué ?

Le seigneur de la magie ne répondit pas. Il ne voulait pas troubler l'état de concentration dans lequel il était. S'il laissait la peur l'envahir alors cela serait encore pire. Sa connaissance des nuits de pleine lune lui avait permis d'organiser une contre-attaque ou tout du moins une défense suffisante.

Ditzel s'avance doucement de lui et fit passer sa main à proximité de son corps sans le toucher ou même l'effleurer. Tout sourire le démon tenta de le regarder dans les yeux, mais aussitôt Malvis baissa la tête soumit.

Avec une vitesse et une force démoniaque, l'être des ténèbres planta une de ses griffes dans la poitrine de l'homme qui bascula lourdement et se retrouve allongé dans le vide. En l'espace d'une seconde, le démon s'était installé à califourchon sur sa taille.

D'un geste précis, il entailla le torse de son jouet à l'aide de son index. Malgré la vive douleur qui le parcourait, le seigneur de la magie ne dit rien, se contentant de serrer les dents.

Tout sourire, le démon plongea une main experte dans ses entrailles pour en retirer un cœur battant. Le bruit que l'organe produisait résonné dans le vide, créant un effet assourdissant. Le monstre le caressa du bout de ses griffes, avant le lécher délicatement le sang qui le recouvrer, tout en soupirant de plaisir.

Ils restèrent ainsi un instant, avant que Ditzel ne se lasse.

-Ça suffira pour le moment, je ne peux pas n'avoir que les bons côtés.

Le démon replaça violemment l'organe dans la cavité, avant de refermer la plaie avec des coups de langue d'une délicatesse et d'une lenteur appliquées. Peu après, se formait des cloques saignantes et purulentes sur le torse de l'homme qui supportait l'horreur sans un mot.

A la vu ce spectacle, l'être des ténèbres entreprit de s'amuser en crevant les boursouflures du bout de ses griffes acérées. L'humain émit un grognement de douleur pour le plus grand bonheur de son tortionnaire, qui se rapprocha de lui.

Se saisissant de son menton, il entreprit de lui ouvrir la bouche de force. Fermant les yeux, Malvis se laissa faire.

-Tu as faim, c'est ça ? Laisse-moi te nourrir.

L'être des ténèbres plongea sa griffe dans sa bouche pour le gaver. L'humain avait déjà résolu d'avaler tout ce que lui donnerait le monstre. Le tout était de ne pas y penser. Ne pas penser, même lorsque la douleur se faisait vive. Surtout quand la douleur se faisait vive.

Le bout pointu causait déjà des ravages, déchiquetant les chairs profondément jusqu'à attendre le fond de sa gorge. Ceci fait, il sentit qu'on le forcer à avaler et malgré la difficulté que cela représentait, il dut s'y résoudre.

Ditzel dans un éclat de rire ressortit de la bouche, ses griffes couvertes de sang et d'autres substances indéterminés. Il les lécha lentement, prenant le temps de savourer.

-Tu aimes quand je m'occupe de toi, non ? C'est bien. Comme tu es sage, tu seras récompensé.

C'était une nouvelle terrifiante pour le seigneur de la magie.

Sans un mot, le démon l'embrassa. Il sentit sa langue s'infiltrer dans sa bouche pour y déposer de la salive, sur ses plaies à vif. Elle s'y attarda longtemps pour qu'il consente à en avaler. L'étreinte de l'être des ténèbres se fit plus forte, l'empêchant de respirer.

Ne parvenant pas à tenir bon, en désespoir de cause, Malvis essayer d'avaler de l'air et manqua de s'étouffer avec le liquide qui lui couler dans la gorge. Il le sentit brûler son intérieur comme son cœur à chaque battement envoyé des messages de douleur dans tout son corps à cet instant même.

Lorsque le démon se redressa, il se souleva et tourna la tête sur le côté, toussotant et crachant du sang mêlé à la salive du monstre. Un flot de liquide vermillon s'échapper de sa bouche martyrisée. Il le sentait dégouliner, dans le creux de son cou. Ce geste fut accueilli par un gémissement de plaisir de son tortionnaire.

-Bon jouet ! le félicita-t-il.

L'humain sentait une douleur puissante se diffuser dans tout son corps, à tel point qu'il en venait à ne plus vraiment savoir d'où elle provenait. Chaque inspiration, chaque battement de son coeur n'étaient que souffrance. Pourtant, il savait que ce n'était que le début.

Les mains du démon se posèrent sur cou avec délicatesse. Il les sentit caresser sa peau doucement, mais la suite serait pire. Les griffes se plantèrent dans sa chair et la déchirèrent lentement, rendant le spectacle encore plus savoureux.

-Est-ce que tu aimes ?

Trop abruti par la douleur, Malvis ne put répondre. De toute façon, il n'en ressentait aucune envie. Néanmoins, il savait que cela pouvait être risqué. Ditzel pourrait avoir envie de se venger.

Un souffle glacial rongea les os du seigneur de la magie. En un clin d'œil, il s'éveilla dans sa chambre dans un lit poisseux de sueur, et d'autres liquides. De la bave séchée ornait son menton et s'était taillé un chemin dans son cou. Son cœur battait à tout rompre. La douleur persistait et en se relevant un minimum, l'humain aperçu des marques sur tout son corps. Des souvenirs de son voyage, qui s'effaceraient lentement.

L'enfer existait, il avait un nom : Ditzel. Sur cette pensée, trop affaibli par sa folle nuit, il sombra dans l'inconscience.