Après le dîner, Déborah empila les assiettes et se dirigea avec vers l’évier pour les nettoyer. François l'arrêta.
-Laissez, je m'en occuperais, tout à l'heure. Vous êtes toujours mon invité !
-J'ai bien envie de rendre service aussi, déclara-t-elle avec un sourire.
-Vous me sauvez la vie hier, et maintenant, vous venez pour faire la vaisselle à ma place. J'espère que vous ne rendez pas ce genre de service à tous les gens sinon, vous n'aurez bientôt plus de vie privée.
-Juste aux clients spéciaux, murmura-t-elle.
-Spéciaux ? Et comment fait-on partie de ces clients spéciaux ?
Elle lui sourit.
-Il faut se montrer agréable et savoir faire bon accueil, au policier qui vient vers vous.
-C'est assez simple à mettre en pratique si c'est une policière aussi belle et gentille que vous.
Pourquoi rougissait-elle ainsi ?
-Je fais juste de mon mieux pour faire mon métier. Personne n'a de traitement de faveur.
-Je m'en doute bien. C'est juste que…
-Que ?
-Oubliez, c'est ridicule.
Elle le fixa et il détourna le regard, gêné.
-Vous savez, je pense que j'ai déjà entendu beaucoup de choses alors si vous voulez m'en parler, vous pouvez le faire.
Il se pencha vers le frigo qu'il ouvrit pour en tirer le paquet de la pâtisserie, qu'il posa sur la table. A nouveau, il se tourna pour récupérer des assiettes, dans le meuble, que Déborah disposa devant eux.
-Je vous trouve vraiment très jolie dans cette tenue, lâcha-t-il brusquement.
Cette phrase touchante et maladroite la fit sourire. Au moins, il reconnaissait ses efforts pour se mettre en valeur.
Elle repensa à Romuald, il lui avait toujours fait ce genre de compliment, la trouvant magnifique, là où elle se voyait très banale. Enfin, ça, c'était avant. Depuis quand ne lui avait-il pas dit qu'elle était belle ? Elle n'y avait pas prêté attention, mais la mage n'en avait pas la moindre idée.
En même temps, aurait-elle eu envie de porter cette robe pour lui ? Sûrement pas. Elle aurait pris son jean et un pull noir, pour aller le voir. De toute façon, il n'y faisait guère attention. Alors pourquoi s'embêter…
-Merci beaucoup, François.
Elle lui sourit et pendant l'espace d'un instant, ils restèrent figés sans un dire un mot. Pourtant Déborah ne ressentait pas de gêne… Elle se sentait bien avec lui, comme en confiance.
-Si nous entamions le dessert ? A moins que vous ne vouliez un peu de café avec ?
-Commençons par le dessert. Nous aurons le temps ensuite, pour prendre un café.
Elle jeta tout de même un coup d'oeil à sa montre, mieux valait ne pas recommencer ce qu'elle avait fait la veille. Dormir pourrait être une bonne idée si elle voulait être performante au boulot.
Il ouvrit la boite.
-Ce gâteau est vraiment très beau.
-J'espère que le goût sera au rendez-vous. C'est un simple fraisier.
-Parfois les choses les plus simples sont les meilleures.
-Oui, mais il faut aimer les fraises.
-J'adore les fraises et tous les fruits rouges.
-Enfin, j'espère que ça sera bon, quand même, c'est un peu tôt pour les fraises.
François prit un couteau pour couper le glaçage blanc et rose. Celui-ci s'enfonça dedans, lentement, soulignant la présence des fruits dans le gâteau, plus difficile à découper. Il lui en servit une petite part.
-Merci beaucoup.
Il en fit de même pour lui.
-Goûtons !
Ils en prirent un petit morceau dans leur cuillère et la portèrent à leur bouche.
La crème était douce et fraîche, la génoise moelleuse et les fraises croquantes. Le tout était plaisant en bouche.
-Remarquable, murmura François. Je crois que je n'en ai pas mangé de meilleur… Je vous remercie pour cette découverte.
-Je n'ai pas fait grand-chose, je suis juste allée à la pâtisserie.
-Non, mais vous avez pris de votre temps pour. C'était très gentil.
Ils se regardèrent en silence. Il était vraiment touchant.
-J'ai pu avoir mon après-midi de demain.
-Vraiment ?
Son interlocuteur eut un large sourire.
-Oui. J'ai pu obtenir un repos.
-Du coup, est-ce que vous me feriez le plaisir de m'accompagner ?
-Bien sûr. Si je me suis débrouillée pour avoir mon après-midi, c'était pour vous accompagnez.
Il parut vivement touché.
-Je me propose de venir vous chercher. Nous pourrions aller au musée de la mer, puis nous irons faire un tour sur la plage ?
-Cela me paraît être une bonne idée. Aurez-vous déjeuné ? Sinon je peux…
-Ne vous en faites pas pour moi, je me débrouillerais.
Elle avait pressentit qu'il allait à nouveau lui proposer de l'inviter au restaurant. Mais elle ne voulait pas qu'il se donne cette peine. Après tout, elle n'était qu'une amie. Pas besoin d'en faire tant pour elle.
-Très bien, nous prendrons un goûté ensemble, décida-t-il.
Déborah lui sourit. A croire qu'il voulait vraiment lui offrir quelque chose. Ce n'était pas vraiment dans ses habitudes d'accepter ainsi une invitation, aussi rapidement. En même temps, ça faisait longtemps qu'un homme ne l'avait pas invité en tête à tête.
-Ce n'est pas obligée…
-C'est pour vous remercier de me servir de guide.
-D'accord. J'accepte cette excuse.
-Comme si on avait besoin d'excuse pour inviter une personne qu'on apprécie.
Cette phrase fit battre son coeur un peu plus fort. Elle avait beau se dire qu'il ne fallait pas s'emballer ainsi. Le temps passant lui montrait qu'elle s'attachait de plus en plus à lui.
-Je n'en ai pas l'habitude, murmura-t-elle brusquement.
-Votre petit-ami ne vous emmène pas au restaurant ?
Cette phrase seule, lui fit monter les larmes aux yeux.
-Excusez-moi.
Elle se leva et gagna l'entrée pour ouvrir la porte de la chambre. Mais plus grand qu'elle, François la rattrapa. Posant doucement les mains sur ses épaules, il l’incita à revenir vers lui. Sans un mot, elle se laissa faire.
-Pardonnez-moi. J'ai vraiment manqué de tact. Je n'aurais jamais dû poser une question pareille.
Sans un mot, elle vint se blottir contre son torse.
Déborah n'avait aucune idée de ce qu'elle faisait, mais cela lui faisait un bien fou. Alors elle resta là, sans bouger, la tête posée contre sa chemise.
-Je suis célibataire, murmura-t-elle.
-Je regrette, lui souffla François. Je n'avais aucun droit de vous poser de telles questions. J'ai juste pensé que…
En même temps, elle ne lui dit rien au sujet de Romuald et de leur relation qui était devenue de plus en plus triste. Ce soir, la mage n'avait pas envie d'en parler. Alors elle murmura juste quelques mots.
-Disons que ma dernière relation s'est terminée de manière un peu…
Un peu quoi ? Décevante ? Désagréable ?
Et maintenant, que faisait-elle ? Elle pleurnichait dans les bras d'un homme marié. C'était elle la plus puérile des deux.
Il passa les mains autour de ses épaules pour l'enlacer. Face à la douceur de ce geste, elle retint son souffle.
Une méchante petite voix, en elle, lui souffla : tu es contente, tu as eu ce que tu voulais ? Tu n'aurais pas pu laisser ce pauvre homme tranquille. As-tu pensé à sa femme ?
La vérité, c'est qu'elle s'en fichait pas mal en cet instant. Elle était juste contente qu'il la prenne dans ses bras. C'était agréable de sentir un corps chaud contre le sien, et de savoir que la personne n'allait pas s'énerver pour un « oui » ou pour un « non » dans le seconde qui suivait.
Reprenant ses esprits, elle recula.
-Je suis vraiment désolée. Je n'aurais jamais dû faire ça. Je vais partir…
-Non, restez !
Cette phrase dit avec un tel aplomb la surprit. A croire qu'il avait vraiment envie qu'elle reste.
Il lui prit la main et la ramena à la table.
-Je vais vous servir un café bien chaud. Ca vous fera du bien.
Elle se laissa faire et s'installa sans un mot. Il posa une tasse fumante devant elle, avec un sourire. Déborah le lui rendit.
Il prit place face à elle, et paru hésiter sur la conduite à tenir. Il avança les doigts vers sa main et la frôla avant de faire marche arrière. C'était comme s'il s'était rendu compte que les choses étaient trop importantes pour eux deux. Elle le comprenait et ne fit rien pour le retenir.
Il lui plaisait, elle ne pouvait plus le nier à présent. Seulement, la mage savait que leur histoire était déjà vouée à l'échec. A quoi bon tomber amoureuse d'un homme avec lequel elle ne pourrait jamais être. Ils ne vivraient pas ensemble et elle ne se réveillerait pas dans ses bras, le matin.
A croire qu'elle n'avait juste pas envie d'être seule, après avoir quitté Romuald… Pour cela, était-elle prête à sauter sur le premier venu ? Sauf que François n'était pas le premier venu. C'était un homme intéressant et cultivé, avec lequel elle prenait plaisir à échanger. Ce n'était pas son physique qui lui plaisait, mais son esprit.
Il n'avait rien du charme un peu sauvage de son ancien amant. Lui paraissait plus classique pour ne pas dire coincé. Seulement, il était doux et prévenant avec elle, des qualités plus qu'apprécié.
-Je suis désolée...commença-t-elle.
-Non, c'est ma faute. J'aurais dû me douter qu'il n'y avait personne d'autre. Cela explique ce que vous faites là, avec moi.
-Je ne cherche pas à vous séduire.
-Grand dieu, je n'ai jamais pensé à une chose pareille. Seulement que vous auriez sûrement préféré être avec votre compagnon qu'en ma compagnie.
Avait-elle envie d'être avec Romuald en cet instant ? Elle en doutait.
-Si vous voulez m'en parler vous pouvez.
Déborah prit une grande respiration.
-Que dire ? Nous avons passé sept années ensemble, ça ne s'efface pas d'un revers de la main.
-Je comprends.
Il parut réfléchir.
-Je ne suis marié que depuis cinq ans, avoua-t-il.
Devant sa mine piteuse, Déborah eut envie d'éclater de rire.
-Je pensais que vous vous étiez marié plus jeune, avoua-t-elle.
-Non à vingt deux ans. Enfin, j'ai rencontré Anne-Laure lorsque j'en avais vingt et un.
La mage écarquilla les yeux. Après avoir compté mentalement, elle s’aperçut que François n'avait que vingt-sept ans. Elle le croyait plus âgé, voir même plus âgé qu'elle. Cependant, elle ne fit aucun commentaire.
-Ca vous choque ? Vous trouvez cela sans doute très jeune ?
Elle secoua la tête.
-Je suis… Enfin j'étais avec Romuald, depuis mes vingt-trois ans.
Il se fixèrent un instant en silence. Ils se ressemblaient plus qu'ils ne voulaient se l'avouer.
-Je n'ai pas connu des millions d'hommes, déclara soudain avec un sourire Déborah.
-J'ai jamais pensé une telle chose. Moi non plus…
Elle pouffa devant son air offensé. Il était si attachant.
La mage laissa glisser son regard sur la pièce pour changer de sujet et quitter cette situation inconfortable. Ses yeux s'arrêtèrent sur un jeu de carte sur le meuble. Elle se leva et s'en saisit, il portait le logo de l'hôtel.
-C'était dans la chambre, lorsque je suis arrivée, expliqua François. Sûrement un moyen de faire de la publicité.
-Savez-vous jouer aux cartes ?
-Je connais quelques jeux, avoua-t-il.
-Savez-vous jouer au « payez-moi » ?
Il fronça les sourcils.
-J'avoue mon ignorance.
Elle ouvrit la boite en carton et en tira le jeu de carte.
-Que diriez-vous d'apprendre avec moi ?
-Pourquoi pas…
Déborah rapprocha sa chaise de la sienne et commença à lui expliquer les règles du jeu. Il l'écouta avec attention, posant parfois des questions sur ce qu'il devait faire dans une situation en particulier. Après avoir mémorisé la façon de jouer, ils commencèrent une partie.
Le temps fila et ils purent terminer la cafetière, avant de se rendre compte qu'il était peut-être temps de se séparer. Tout deux avaient beaucoup rit, et leur discussion leur avaient appris à mieux connaître l'autre.
-Je ferais mieux d'y aller sinon je vais encore finir par dormir dans votre chambre, murmura-t-elle.
-Ce n'est pas très grave, j'ai un deuxième lit, autant qu'il serve.
-Je m'en voudrais d'abuser de votre hospitalité chaque nuit. Ca ne serait pas très sérieux.
Ils rirent encore, avant de se diriger vers la porte.
-J'espère que vous n'aurez aucun souci pour rentrer, murmura François.
-Ca ira, ne vous en faites pas. De toute façon, nous nous revoyons demain après-midi. Si vous voulez aller quelque part en particulier, dites-le moi.
-Je n'y manquerais pas. Je vais réfléchir à tout ça.
Ils hochèrent la tête en même temps et se mirent à rire.
Déborah ouvrit la porte et sortie dans le couloir obscure. Actionnant l'interrupteur, elle ramena la lumière dans les lieux.
-A demain, François. Passez une bonne nuit.
-Vous aussi, Déborah.
Brusquement, elle s'avança, se mit sur la pointe des pieds et déposa un doux baiser sur sa joue.
-Dormez bien, murmura-t-elle alors qu'il rougissait.
-Oui. Ne vous faites pas trop de soucis…Je… Ca devrait aller.
-Alors à demain.
-A demain.
Elle lui sourit avant de tourner les talons, et de quitter les lieux. Il la suivit du regard, comme s'il n'avait pas envie de la voir partir. Ce n'était pas normal de se sentir aussi triste alors qu'il ne la connaissait que depuis la veille.
Comment avait-il pu s'attacher à quelqu'un en aussi peu de temps ? C'était impensable.
Déborah regagna sa voiture en se maudissant pour sa bêtise. Encore un peu, et elle l'embrassait sur la bouche pour lui dire « bonne nuit ». Mais quelle idée stupide !
Elle mit le contact et enclencha la marche arrière. Dire qu'elle le revoyait le lendemain… Pas sûr que se soit la meilleure des idées. Enfin, la mage verrait comment les choses se dérouleraient. Ca ne servait à rien de se faire un film pour ce qui se passerait demain.
Déborah quitta le parking non sans avoir jeté un coup d'oeil à la fenêtre de la chambre de son compagnon, avec un sourire. La soirée qu'elle venait de passer, lui restait en mémoire et elle devait avouer qu'elle en était plutôt heureuse. François était un homme charmant.
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