L'espace d'un instant, ils se fixèrent en silence. Il devait se demander ce qu'elle faisait là devant sa porte. Déborah se rendit compte que comme c'était elle qui était venu le voir, il serait peut-être bon de lui faire part des raisons de sa visite. Avec un sourire, elle prit la parole.
-Bonsoir. Déborah Aubry, police. Je suis venue voir comment vous alliez après tout ce remue-ménage ?
-Bonsoir. François Berald. Je…
Il hésita.
-Je vais bien…
Il avait clairement, l'air plus touché qu'il ne voulait l'avouer.
-Vous n'êtes pas blessé ?
Il secoua la tête.
-Je n'ai pas vraiment compris ce qui s'était passé. Mais…
Il hésita.
-Est-ce que je peux vous offrir un café ? Après avoir passé du temps dans le froid, ça ne peut que vous faire du bien. A moins que vous deviez repartir rapidement ?
-Non, j'en ai terminé pour cette nuit.
Pourquoi donc lui répondait-elle ainsi ? Normalement, elle aurait juste s'assurer qu'il allait bien et repartir. Mais ce soir-là, en particulier, la mage n'avait aucune envie de se retrouver seule dans son appartement à ressasser des idées noires. Elle savait bien qu'elle allait penser à Romuald. Même si elle savait qu'elle aurait dû en parler à son supérieur, elle hésitait toujours. C'était si difficile.
La voix de son interlocuteur la ramena à la réalité.
-Formidable, entrez donc.
Il ouvrit la porte en grand, puis déclara à voix basse :
-Au cas où vous vous poseriez la question, je suis marié. Vous ne risquez rien, déclara-t-il. Je cherche juste quelqu'un pour discuter un peu.
Elle sourit. La jeune femme ne s'imaginait pas risquer grand-chose en sa compagnie. Cet homme avait l'air plutôt gentil. En même temps, elle-même ne cherchait rien d'autre que d'oublier cet incident et ne pas penser à son compagnon. Peut-être aurait-elle dû dire ex-compagnon… Aujourd'hui plus que jamais, elle ressentait le besoin de s'éloigner. Déborah ne pouvait pas continuer comme ça, elle n'en avait plus la force.
-Je n'ai pas peur. En plus, je suis armée, ne put-elle s'empêcher d'ajouter, pour détendre l'atmosphère.
Elle entra dans la chambre et fut accueillit par une bonne odeur de café. Enfin, elle arriva plutôt, dans une petite entrée qui desservait deux pièces de petite taille sûrement les toilettes et la salle de bain. Un lit se tenait dans un renfoncement. Il gagna la pièce principale, composé d'une table ronde sur laquelle, il avait posé sa valise, un lit deux personne et un minuscule bureau.
Déborah l'observa alors qu'il se tournait vers le coin cuisine : il y avait là tout le nécessaire pour se préparer un repas et le conserver. Il ne manquait que le four, mais étant donné qu'ils étaient dans un hôtel cela restait correct. Ouvrant un placard, il en tira deux tasses.
-Petit, moyen, grand ?
-Petit, si je veux espérer pouvoir dormir un peu cette nuit, déclara-t-elle avec un petit sourire.
-Avec du sucre ?
-Jamais.
Il lui tendit la tasse.
-C'est assez rassurant, vu que je n'en ai pas. Il aurait fallu que je descende à l'accueil, en chercher.
-Je le bois comme ça, depuis mes vingt ans et je ne suis pas prête de changer. Le sucre dénature totalement le goût du café.
Il eut un petit sourire en l'entendant parler.
-Ma femme noie sa tasse sous le sucre, cela donne une bouillie infâme. A ce niveau-là, ce n'est plus du café, c'est du sucre au goût de café.
François détourna le regard. Pourquoi parlait-il de ça maintenant ? Peut-être parce que la revoir en train de faire ses gestes, l'énervait au plus haut point.
-Enfin ne parlons pas de chose qui fâche, se reprit-il.
Déborah resta debout, avec sa tasse à la main et fixa son regard sur la fenêtre, qui donnait sur un petit balcon. La voyant faire, son interlocuteur s'excusa.
-Désolé.
Il referma la valise et la posa sur le lit.
-Je n'ai pas encore eu le temps de m'installer.
-Vous restez longtemps ?
-Une petite semaine. Je suis là, pour une formation professionnelle. Une semaine par mois, pendant six mois à un an. Mais je ne me plains pas. C'est un bon moyen de m'aérer l'esprit.
-Quitter une grande ville pour une petite comme la nôtre doit être plaisant… hasarda-t-elle.
-Ce n'est pas tant la ville, que certaines personnes que j'essaie de fuir.
Il piqua sa curiosité, mais elle ne connaissait pas assez pour oser lui demander de qui il s'agissait.
Voyant son regard, dirigé vers l'extérieur, il se positionna près de la porte-fenêtre.
-Vous voulez admirer la vue, d'ici ?
Elle acquiesça.
Ils étaient au dernier étage et elle pouvait contempler le petit jardin et plus loin, autour de l'hôtel, des bois. Entre ville et forêt, au moins la brochure ne mentait pas là-dessus. Passant sur le balcon, elle y aperçut une petite table rectangulaire en métal ainsi que les deux chaises qui allaient avec. Ce devait être bien le matin, de pouvoir se faire des têtes à têtes, en regardant le soleil se lever. Évidemment, le fait d'être au mois de février, rendait l'endroit moins attractif.
-Ca doit être agréable d'être ici, à deux, pour prendre son petit-déjeuner.
Pourquoi parlait-elle de chose comme ça, à un inconnu ? Elle était venue voir comment il allait, pas raconter des banalités. Peut-être parce qu'elle pensait encore à Romuald ? En tout cas, pour le moment, ce n'était pas avec lui qu'elle avait envie de prendre un repas. Quel crétin !
-Enfin en été, bien sûr.
-Oui, la saison s'y prête peu pour le moment. On verra ce qu'il en sera en juin.
-Vous descendrez encore dans cet hôtel ?
Pourquoi poser des questions aussi stupides ?
-Pour le moment l'environnement n'a pas l'air mal. A moins que vous sachiez des choses qui me sont inconnues et pourraient me faire renoncer à cette idée ?
Elle secoua la tête, avant de rentrer à l'intérieur alors que l'autre fermait derrière elle.
-De ce côté-là, tout va bien. Le suspect a été appréhendé, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles.
-Tant mieux alors. Vous pouvez vous asseoir, à moins que vous n'ayez pas le temps…
Il y avait une pointe de regret dans la dernière phrase.
-J'ai tout le temps nécessaire. Je ne suis plus en service. Je doute que nous discutions jusqu'à l'heure de ma prise de poste…
-J'en doute aussi.
Il prit place en face d'elle. L'espace d'un instant, ils se contemplèrent en silence.
-Au fait, vous n'avez pas trop mal ? Je n'ai pas compris ce qui s'est passé… L'espace d'un instant, vous me parliez et celui d'après, vous aviez l'air de souffrir alors…
Ca, c'est la faute aux conneries de Romu, pensa-t-elle.
-Ce n'est rien. Je vais bien. Disons que j'ai essuyé un tir.
Un tir magique, même.
De la surprise était lisible sur le visage de son interlocuteur.
-Mais comment…
-Ce n'est rien, je vais bien, le rassura-t-elle.
Soudain, il parut se rendre compte de quelque chose, et blêmit.
-Mais alors, j'aurais pu être touché aussi ? Sans vous… Vous m'avez sauvé la vie.
Déborah leva la main, pour le rassurer.
-Ce n'est rien. C'est passé.
-Non… Vous êtes une héroïne ! Si vous n'aviez pas été là…
Troublé par la révélation, il buta sur les mots. Trop d'émotion semblait se battre en lui, la peur pour sa vie, la joie d'être sein et sauf, le respect pour la personne qui n'avait pas hésiter à le protéger.
-J'ai un petit garçon, vous savez, finit-il par lâcher. Si jamais je venais à mourir qu'est-ce qui se serait passé pour lui…
Il paraissait sincèrement perdu.
Sensible à sa détresse, Déborah posa sa main sur la sienne pour le rassurer.
-Vous ne seriez pas mort ! Vous auriez sûrement été un peu sonné, mais vous ne seriez pas mort.
A la vérité, elle n'en savait rien mais autant ne pas l'inquiéter plus que de raison. Tout cela devait déjà être éprouvant pour lui, qui s'était retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment.
Pour finir de le convaincre, elle donna un argument clé.
-Vous voyez, moi-même, je ne suis pas morte.
Il hocha la tête.
-Mais comment ?
C'était là que ça se corsait. Elle n'était vraisemblablement pas en face d'un mage.
-J'avais un gilet pare-balles.
Autant aller au plus simple, c'était toujours la meilleure des excuses. Son bouclier magique était sa plus grand protection, mais elle ne pouvait en parler.
-Vous devez me trouver ridicule avec mes questions.
Déborah secoua la tête.
-Non, c'est normal de vous inquiéter. Qui s'attendrait à tout cela en se rendant simplement dans un hôtel ?
Il hocha la tête.
-La zone est sûr à présent, déclara-t-elle avec un sourire.
François parut rassuré, l'espace d'un instant.
Le silence s'installa entre eux, sans être pesant. La mage prit une gorgée de son café, brûlant.
-Je peux vous demander quelque chose ?
-Bien sûr, allez-y.
Elle se demanda de quoi il pouvait bien avoir envie de lui parler.
-Vous m'avez parlez de la plage, est-ce que vous pourriez me montrer le chemin pour s'y rendre ?
Il se retourna pour fouiller sa valise à la recherche d'une carte routière qu'il étala sur la table devant elle. Aussitôt, son regard se posa sur la ville.
Lui prit sa chaise, et l'avança vers elle, pour se placer à son côté. Déborah posa le doigt sur le papier et suivit la route en lui expliquant la démarche à suivre. Il l'écouta consciencieusement. Posant parfois des questions sur le paysage ou sur les meilleures heures pour profiter de la mer.
-Le tout, c'est d'espérer qu'il ne pleuvra pas le jour où vous déciderez de faire cette sortie.
-Ca sera sûrement mercredi puisque l'après-midi, il n'y a pas de formation. On se croirait revenue à l'école.
Elle sourit à cette remarque.
-Dommage que mon petit garçon ne soit pas là, je suis sûr qu'il aurait apprécié la ballade. C'est un ange, toujours calme et gentil. Je peux vous montrer une photo si vous voulez ?
Elle accepta avec joie, et il tira de son portefeuille, non pas l'habituel photo d'identité, mais une où il tenait un enfant aux cheveux châtain clairs, en bataille, dans ses bras. Le garçon avait un petit sourire, et son visage disparaissait derrière ses lunettes rondes de couleur bleutées.
Déborah sentit son coeur se figer à cette vision. Sans doute parce que depuis plusieurs mois déjà, elle ressentait le besoin d'avoir un bébé. Évidemment, elle n'en avait parlé à personne, et surtout pas à Romuald. Il était clair que dans leur situation actuelle, ce n'était pas le moment. Ils avaient essayé avant qu'il ne soit blessé, sans avoir de résultats. A présent, ils ne tentaient plus leur chance.
Elle aurait voulu le voir se ressaisir rapidement, pour enfin pouvoir fonder la famille dont elle rêvait tant. Mais les choses n'allaient pas dans son sens. Son compagnon s'enfonçait de plus en plus, et elle avait même abandonnée l'idée de vivre avec lui, pour regagner son petit appartement. Au moins, là-bas, la mage était tranquille.
Bien sûr, elle aurait pu lui faire part de ses envies, mais connaissant Romuald, il aurait tout de suite, répondu qu'il était d'accord, tout en continuant à faire n'importe quoi à côté. Résultat, elle n'aurait eu aucun soutien et un problème supplémentaire sur les bras.
Autant en avoir un enfant, seule, dans ces cas-là. Mais cela n'aurait rien de simple. Déborah avait peur de se lancer dans cette entreprise. Le mieux aurait été que Romuald se fasse soigner, et accepter de perdre de la mobilité. Ensuite, ils auraient pu construire leur famille et être heureux. Un doux rêve qui n'arriverait jamais.
Elle n'aurait sûrement pas d'enfant cette année. Il suffisait juste de se faire à cette idée, ensuite, les choses irait mieux. Il n'y aurait plus qu'à voir où elle en serait l'année suivante.
-Je suis désolé. Je vous ennuie avec mes histoires de famille.
Déborah revint à la réalité.
-Non, ce n'est rien. C'est juste… Une période un peu difficile pour moi.
Elle se reprit.
-J'aimerais avoir un petit garçon aussi mignon que celui-ci. Quel âge a-t-il ?
-Deux ans.
La mage lui rendit la photo. Cet homme semblait clairement attaché à son enfant. Elle aurait aimé voir autant d'enthousiasme chez Romuald. Mais il fallait croire que la seule chose qui le rendait euphorique à présent, c'était un tube de médicament.
-Il n'y a pas de raison. Vous aussi, vous aurez de très beaux enfants, plus tard.
Elle haussa les épaules. Elle commençait à en douter fortement, pourtant un seul lui aurait suffit.
-Toutes les conditions ne sont pas remplies, soupira-t-elle.
-Les conditions ne seront jamais toutes remplies, lui avoua-t-il sur le ton de la confidence.
Surprise, elle releva les yeux vers lui. Il était plus proche d'elle qu'elle ne l'aurait pensé à première vue, seulement cela ne la dérangeait pas.
-Il vous en manquez ?
Le visage sérieux, il hocha la tête.
-Puis-je vous demandez ce qui vous manquez ?
François baissa les yeux, le visage soudain grave.
-C'est si stupide, que vous me rirez sûrement au nez…
-Je ne ferais jamais ça.
Elle était sincère.
-Je ne veux pas avoir l'air de me plaindre, mais c'est sans doute ce que je vais avoir l'air de faire…
-Vous savez, je peux tout entendre. Je vois pas mal de bizarrerie dans mon métier, donc je doute d'être choquée.
-Très bien. J'aurais sans doute choisi quelqu'un d'autre comme mère pour mon fils.
Déborah ouvrit de grands yeux. C'était si inattendu. Elle avait du mal à comprendre la situation de François.
-J'ai fais un mariage arrangé, expliqua-t-il. Ma femme est, disons, assez spéciale… Si jamais vous allez à la préfecture, et que vous voyez une blonde décolorée, tout de rose vêtu, hurler après les gens, vous saurez que c'est elle.
Déborah ne put s'empêcher de rire, devant cette image. Il se mit à rire avec elle.
-Je suis désolée, mais c'est si inattendu…
-Non, mais je vous comprends. Enfin toujours est-il que j'aurais préféré quelqu'un d'autre. Mais je devrais sûrement éviter de me plaindre comme ça. Je suis ridicule.
Elle avait du mal à imaginer cet homme qui paraissait si sérieux avec une femme qu'elle imaginait assez proche d'une poupée mannequin.
-Disons que nous sommes trop différents. Nous n'avons pas les mêmes buts, pas les mêmes envies, pas les mêmes façons de vivre et nous sommes forcés de cohabiter. Bien évidemment, nous n'avons pas non plus les mêmes avis sur l'éducation des enfants.
-En effet, c'est plus gênant.
Autant avoir un enfant seul dans ces cas-là. D'ailleurs, elle s'imaginait mal ce qu'il pouvait ressentir. Après tout, elle n'avait pas eu à vivre ça. Mais être marié à quelqu'un avec qui l'on avait aucun point commun ne devait pas être simple.
-Mais parlons d'autres choses. Je ne vais pas vous embêter plus longtemps avec mes histoires.
-Ca ne me dérange pas, le rassura-t-elle.
-Je ferais mieux de noter la route à prendre pour aller jusqu'à la plage...
Il se leva, et chercha un carnet dans sa valise. En posant une pile de livres sur le lit, il en fit chuter un. Alors qu'il allait se pencher pour le ramasser, Déborah s'en était déjà saisie et lisait la quatrième de couverture.
-S'il vous tente, vous pouvez le prendre.
-Vraiment ? Mais qu'est-ce que vous lirez, durant votre séjour ?
-Je l'ai déjà lu. Je me suis trompé en faisant ma valise. J'étais un peu précipité par le temps et du coup, j'ai pris un tas de livres que j'avais déjà lu… A ce propos, si vous pouvez me conseiller une librairie, dans le coin, je suis preneur.
Déborah redressa la tête et posa le livre sur la table.
-Si vous aimez les romans policiers, je peux vous en prêter.
Pourquoi venait-elle de dire ça ? Ce n'était pas comme s'ils allaient se revoir, à moins que…
-Vraiment ? J'avais un peu peur que vous trouviez ça, irréaliste compte tenu de votre métier.
Elle lui sourit.
-Ca fait du bien, des fois, un peu d'irréalisme. Parce que si le roman racontait une journée au travail, ça ne serait pas des plus passionnants. Surtout, s'il y avait une description précise des papiers et des statistiques à faire. On peut facilement y passer plusieurs heures.
-Je m'en doutes.
-Un chapitre sur l'ordinateur qui ne veut pas s'allumer ou ensuite, qui ne veut pas enregistrer les informations comme on lui demande, ça ne serait pas très intéressant. En plus, je n'imagine même pas le nombre de page pour que les personnages arrivent à boucler l'enquête.
Il lui sourit.
-J'aime votre façon de penser. Si vous repassiez demain soir, je nous préparais un repas.
Il s'interrompit.
-A moins que vous ne préfériez que je nous allions au restaurant ?
Était-elle en train de recevoir une invitation d'un homme qu'elle ne connaissait que depuis quelques heures et marié de surcroît ? En toute logique, elle aurait dû le remercier et simplement refuser. Aussi fut-elle surprise lorsqu'elle s'entendit répondre.
-Ce serait avec plaisir.
-Pour le restaurant ?
-Pour le dîner. Je vous aiderais à le préparer si vous voulez.
-Ne vous donnez pas cette peine. J'adore cuisiner. C'est moi, qui le fait à la maison. Je préfère autant que possible que ma femme reste loin de la cuisine. Elle n'y provoque que des catastrophes.
-J'aime aussi beaucoup la cuisine, et cela fait longtemps que je n'ai pas eu l'occasion de faire des plats originaux.
Il fallait avouer que Romuald restait toujours dans les classiques, et pas n'importe lesquels : les siens. Au moins, il lui préparait des repas. Seulement, il détestait tout ce qui était épicé et la plupart des légumes. Ce qui restreignait les choix.
-Alors retrouvons-nous demain pour le dîner. Est-ce qu'il y a des produits auxquels vous êtes allergique ou que vous n'aimez pas ?
-Pas spécialement.
-Que souhaiteriez-vous manger ?
-Surprenez-moi, déclara-t-elle avec un petit sourire.
Il hocha la tête.
-Est-ce que 18h00, ici vous conviendrez ?
-D'accord. Je prendrais le numéro de l'hôtel pour si j'ai un empêchement de dernière minute, mais normalement il ne devrait pas y avoir de problème.
François baissa la tête.
-Si je vous gêne ou que vous me trouvez trop intrusif, n'hésitez pas à me le dire, je ne me vexerais pas. Je comprends que vous ayez une vie ou des personnes à retrouver…
La seule personne qu'elle avait, elle la verrait bien suffisamment au travail, demain. Si jamais, il apprenait que quelqu'un l'avait invité, Romuald lui ferait sûrement un scandale. Mieux valait donc ne rien dire.
Jusque-là, elle ne lui avait jamais rien caché. Seulement, c'était lui qui avait commencé en ne répondant que de manière évasive à ses questions sur sa santé, et en lui mentant sur le nombre total de comprimés qu'il prenait. Il y avait aussi eu les bouteilles d'alcool qu'elle avait trouvé dans sa voiture. Toute cette situation la fatiguait.
En étant ici, et en ayant une conversation normale, la mage se rendait compte de combien elle était lasse. Elle ne pouvait plus supporter ça. Elle ne pouvait plus porter Romuald à bout de bras. Il était temps que les choses cessent. Il lui fallait prendre une décision, même si elle était difficile.
Son interlocuteur avait dû sentir son malaise, car il prit la parole.
-Vous voulez un autre café ? Vous avez peut-être faim ? J'ai ramené une part de flan, avant de remonter dans ma chambre, au cas où j'aurais faim dans la soirée.
Et lui, il était si gentil avec elle, pourquoi ? Il ne s'intéressait sûrement pas à elle, en tant que femme, puisqu'il avait déjà une famille. Alors, il intéressait à elle, en tant que personne.
-C'est la vôtre, je ne voudrais pas vous voler votre gâteau.
-Me voler mon gâteau, répéta-t-il en riant. Je vous l'offre avec plaisir.
-Je ne peux pas accepter.
Il réfléchit, avant de déclarer avec un sourire.
-Coupons-le en deux alors.
Déborah se mit à sourire à son tour. A croire que la bonne humeur de François était communicative. Avant d’acquiescer, face à sa proposition.
Étrangement, elle passait une bonne soirée, avec un inconnu, et elle espérait que c'était le cas pour lui aussi. Vu ses tristes pensées, elle ne devait pas être une très bonne compagne.
-Je vous ramènerais un dessert pour demain, si vous voulez. Je ne sais pas si j'aurais le temps d'en faire un, mais je connais une très bonne pâtisserie. Qu'aimez-vous ?
-Mon désert préféré, c'est la tarte aux citrons meringués. Mais ça n'est peut-être pas à votre goût…
-Je l'adore aussi.
-Vraiment ?
Elle hocha la tête, en signe d'approbation.
-Il faudrait qu'on en fasse une, ensemble, un jour…déclara brusquement François, avant de se sentir gêné par ses paroles.
Il sortit une assiette du petit réfrigérateur et la posa sur la table. Une fois, ceci fait, il chercha un couteau et sépara la part en deux. En le voyant faire, Déborah replia la carte, pour ne pas la salir.
-Je n'ai même pas noter l'itinéraire, soupira-t-il. Je veux faire trop de choses à la fois.
La mage le rassura d'un sourire.
-Mangez donc. L'itinéraire ne changera pas entre temps.
Ils se mirent à rire tout les deux, avant de dévorer ensemble leur morceau de flan. Le désert était sucré et sentait bon la vanille. Il faisait plaisir à déguster. Évidemment, ce n'était pas un gâteau venant d'un palace, mais contre toute attente, il se révélait délicieux. Ou alors, c'était parce qu'elle riait aux histoires que lui racontait en même temps, François.
Il lui parla de son enfance et des bêtises qu'il faisait avec son frère. Des jeux qu'ils s'inventaient dans l'immense cour de leur maison familiale, où ils se persuadaient qu'il existait un passage pour un autre monde. De son père très sévère qui ne supportait pas d'entendre parler de choses irréelles. De son frère qui avait grandis trop vite, pour le laisser dans son innocence.
-C'était lui qui devait l'épouser à la base. Mais il fréquentait déjà quelqu'un. Connaissant mon père, il n'aurait pas accepté de refus. Alors, j'ai dit que je voulais absolument épouser cette femme que j'avais vu une fois et pour laquelle, je n'éprouvais aucun intérêt. Comme j'avais l'air enthousiaste, mon père a accepté. Ainsi, mon frère a pu épouser la femme qu'il aimait.
Déborah fut vivement touchée par son histoire. C'était si aberrant de ne pouvoir épouser la personne que l'on souhaitait à notre époque.
-Moi, je n'ai pas grand-chose à raconter en comparaison. Je suis fille unique. Mon père est décédé lorsque j'étais enfant, et je suis restée seule avec ma mère. Mais je n'ai pas à me plaindre, c'est une bonne mère. Un peu collante parfois, mais toujours présente. J'ai aussi une tante qui me faisait plus office de grande sœur, et qui a vécu quelques temps avec nous, pour faire ses études, avant de rejoindre Deulse. Je n'ai pas grand-chose d'autres à ajouter.
-Et vous êtes policière…
-Et je suis policière.
Il la fixa quelques instants sans rien dire.
-Comment en êtes-vous venu à exercer cette profession ?
Elle ne pouvait lui dire que c'était parce qu'elle était environnementaliste, et que ce métier lui offrait un moyen d'utiliser ses pouvoirs à bon escient. Elle avait toujours voulu que sa magie serve à quelque chose.
-J'avais juste envie d'aider mon prochain.
Au moins, elle ne mentait pas sur ce point.
-C'est une belle mission. Vous êtes très courageuse. Aujourd’hui, vous m'avez sauvé la vie. Rien que pour ça, je vous dois beaucoup.
Déborah se sentit gênée, elle ne voulait pas qu'il s'imagine qu'il lui devait quelque chose. D'ailleurs, elle espérait qu'il ne se sentait pas obligé de l'inviter.
-Je n'ai fais que mon travail.
-Et je vous en remercie.
Elle attendit quelques instants.
-Ne vous sentez pas obligé de m'inviter, parce que je vous ai protégé…
Il la rassura.
-Ce n'est pas le cas. C'est juste que vous m'êtes sympathique et je ne connais personne ici, alors j'aimerais sincèrement vous revoir pour discuter.
François paru hésiter.
-Je n'ai aucune mauvaise intention…
Elle ne pu s'empêcher de rire devant sa mine déconfite.
-Je vous imagine tellement mal, avoir de mauvaises intentions.
Il rougit. C'était bizarre de le voir réagir ainsi à ses propos. Ne sachant que dire, il décida de détourner la conversation.
-Je… Voulez-vous un autre café ?
Déborah lui sourit.
-Même si ce n'est pas sérieux, oui, j'en veux bien un autre.
De tasses de café en discussion, ils ne virent pas le temps passer. A chaque fois qu'un sujet se tarissait l'autre relançait la conversation. C'était presque comme s'ils se connaissaient depuis toujours. Ils riaient ensemble, n'hésitant pas à partager des anecdotes qui leur étaient arrivés ou dont il avait été témoin.
A un moment, sans savoir pourquoi François lança un regard rapide à sa montre, et fut surprit par ce qu'il vit. Comment le temps avait-il pu passer aussi rapidement, sans qu'il s'en rende compte ? D'ailleurs, il n'était pas le seul à n'avoir rien vu.
Relevant la tête, il planta son regard dans celui de la jeune femme qui lui faisait face.
-Il est déjà trois heures du matin.
Elle le fixa l'espace d'un instant, en pensait qu'il plaisantait.
-Pardon ?
-Il est trois du matin.
Déborah écarquilla les yeux.
-C'est impossible…
-Je suis aussi surpris que vous.
Elle se leva.
-Je ferais bien de rentrer. Le temps de trouver un taxi et d'arriver chez moi, je ne sais pas quelle heure, il sera.
François se leva à son tour.
-Si vous voulez, vous pouvez rester passer la nuit, ici.
Elle le contempla surprise.
-Pardon ?
-Il y a un deuxième lit.
C'est vrai, elle était passée devant en entrant. Mais elle l'avait complètement oublié.
-Je vous déposerais demain matin à votre travail, comme ça vous ne serez pas en retard.
C'était une belle proposition. Ils n'auraient même pas à partager la même pièce puisqu'une porte pouvait les séparer. Pourtant, Déborah hésitait encore. Comment s'était-elle retrouvée dans cette situation aberrante ?
-Sinon, je prends la voiture et je vous dépose chez vous.
La mage secoua la tête. Elle se sentait mal à l'idée de le faire ressortir à cette heure pour la raccompagner jusque chez elle. Encore plus, parce que c'était elle qui était venue le voir.
-Non, vous avez aussi besoin de sommeil. Je vais rester, ici.
Il hocha la tête, mais ne put cacher le léger sourire qu'il avait en cet instant.
-Si vous voulez vous servir de la salle de bain. Il y a des serviettes et je veux vous prêter du gel douche.
-Ne vous embêtez pas, je prendrais celui de l'hôtel.
-Bien.
Ils restèrent à se fixer en silence, l'espace d'un instant. La situation était devenue un peu gênante depuis que la mage avait accepté de rester. Forcement, pour l'instant, ils étaient habillés, mais ils n'allaient pas se coucher comme ça. Il faudrait donc qu'ils se croisent en tenue un peu plus décontractée.
Déborah décida de ne plus y penser. Ce n'était pas le moment de se prendre la tête sur des choses si futiles. De toute façon, quel était le pire qui pouvait arriver ? Qu'il vienne la retrouver dans son lit au milieu de la nuit ? Elle y croyait peu.
-Je vais mettre le réveil pour demain, proposa François, histoire de s'occuper les mains et la tête par la même occasion. Je commence à neuf heures et vous-même ?
-Si vous pouvez me déposer à huit heures et demi ça sera bien.
-Bon, si je mets le réveil à sept heures, ça devrait aller ? La nuit sera courte.
-Alors autant en profiter !
Il la regarda sans comprendre.
-Pardon ?
Se rendant compte de la bêtise qu'elle venait de dire, Déborah se reprit.
-Je veux dire autant se dépêcher de se coucher, pour dormir le plus possible.
François secoua la tête.
-Ha oui, bien sûr. Où avais-je la tête ?!
Il posa le réveil sur la table de nuit.
-Vous voulez prendre la salle de bain, en premier ?
-Il vaut mieux que se soit l'inverse, puisque vous retournez dans cette pièce.
-Euh… Oui, vous avez raison.
Il fouilla dans sa valise et en tira une trousse de toilette ainsi que des vêtements de nuit. Leurs regards se croisèrent. Visiblement, il était gêné. Déborah lui sourit tentant de le rassurer.
-Ne vous en faites pas. Je ne vous en veux pas. C'est à moitié ma faute.
François secoua la tête.
-Ce n'est pas ça. J'ai peur que vous me trouviez ridicule si je vous en parle.
-Bien sûr que non. La personne qui est ridicule ici, c'est moi, qui me suis laissée abandonner là, en pensant que je trouverais un taxi en plein milieu de la nuit.
Après, c'était surtout parce qu'elle s'était disputée avec Romuald qu'elle était restée ici. Sinon, elle serait rentrée tranquillement chez elle. Romuald… Il serait sûrement fou de rage, s'il venait à savoir où elle avait passé la nuit. Nul doute qu'il ne supporterait un pareil affront. Monsieur voudrait venir s'expliquer pour ne pas perdre la face.
Déborah savait déjà qu'elle ne lui dirait rien. Depuis sa blessure au genou, il avait aussi une blessure à l'égo et se sentait menacé par n'importe quel homme qui approchait sa petite amie. Peu importe que se soit une personne du troisième âge ou un adolescent, il ne devait avoir qu'un seul but, la séduire. Elle était donc condamnée à éviter la moitié de la population pour lui faire plaisir. Chose qu'elle refusait.
-C'était gentil de votre part, vous vouliez vous assurer que j'allais bien. Vous auriez pu rentrer sans vous en soucier. Enfin tout ça pour dire que j'ai plus de raison de me sentir bête que vous.
-Pourquoi vous sentir bête ?
-C'est à dire…
A nouveau, il rougit.
-Disons que je ne me suis jamais montré en vêtement de nuit, devant quelqu'un d'autre que ma femme. Du coup, est-ce que vous voulez-vous que je repasse mes vêtements dessus pour ne pas vous paraître inconvenant ?
Déborah se retint de rire. Pour lui, ce devait être important.
-Ne vous en faites pas. J'ai déjà vu tellement pire. En plus, imaginez que moi, je n'ai même pas de pyjama.
Il ouvrit la bouche et la referma, surprit.
-C'est vrai, je n'avais pas pensé à ça. J'aurais sûrement dû me taire. Votre situation doit être plus difficile que la mienne.
A nouveau, la jeune fille eut envie de rire.
-Tout ira bien. Il n'y a pas de souci à se faire. Après tout, nous sommes tous deux adultes.
Il hocha la tête avoir de quitter la pièce. La mage le trouvait plus attachant que ridicule. Sans être dans une attitude de séduction, il s'inquiétait de la gêner par sa tenue alors qu'il ne s'agissait que d'un simple pyjama.
Étrangement, cet homme la touchait. Il était gentil, et prévenant avec elle. Cela faisait longtemps que quelqu'un ne s'était pas montré aussi à l'écoute avec elle.
Évidemment, Romuald aurait trouvé mille raisons de se moquer de lui. Mais elle préféra chasser l'image de son compagnon de son esprit. Elle le reverrait bien assez tôt le lendemain. D'ailleurs, Déborah s'interrogeait sur l'état dans lequel il serait. Sobre, elle espérait sinon la journée allait rapidement s'étirait en longueur.
François revint timidement dans la pièce, dans un pyjama à rayure grise. Il rougit légèrement en croisant son regard.
-Ne vous en faites pas. Il n'y a rien d'inconvenant.
Il hocha la tête mal à l'aise.
Sans savoir pourquoi, elle s'approcha de lui et lui déposa un baiser sur la joue. Il sentait bon le savon.
-Bonne nuit, François.
-Bonne nuit, Déborah.
Elle ferma ensuite la porte avant de se diriger dans la salle de bain. Elle se dévêtit et plongea sous le jet d'eau brûlant. La soirée ne s'était pas déroulée comme elle l'avait imaginé. Au moins, elle était sortie de sa routine.
La mage soupira et coupa à l'eau à regret. Pour ne pas prendre froid, elle enveloppa son corps d'une douce chaleur. Elle se saisit ensuite de ses sous-vêtements qu'elle frotta avec du savon pour les nettoyer, avant de les rincer et de les essorer. Ensuite, elle se servit de ses pouvoirs pour les sécher. Au moins, elle aurait quelque chose de propre à se passer sur le corps.
Déborah quitta la salle de bain, sans prendre la peine de remettre son pantalon qu'elle déposa au pied du lit. Elle éteignit la lumière, quitta son t-shirt, et s'enfonça dans le moelleux du lit. Fatiguée, la jeune femme ramena les couvertures sur elle. Il était temps de se reposer un peu.
Ses pensées allaient à François si proche et si loin d'elle en même temps. Une simple porte les séparait physiquement, mais mentalement, c'était un homme marié, aussi charmant soit-il. Quant à elle, à l'heure qu'il était, on aurait pu considérait qu'elle était encore en couple avec Romuald. Nul doute que celui-ci n'est rien compris, lorsqu'elle avait dit qu'elle désirait tout arrêter. Il allait encore falloir qu'elle règle ça.
Dire qu'elle avait accepté une invitation à dîner d'un homme, dont elle partageait actuellement la chambre. Tout ceci devenait de plus en plus complexe, elle décida de laisser le tout de côté pour se reposer pendant quelques heures. Elle en aurait sans doute besoin, pour affronter le lendemain.
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