Elle pleurait. Mon Aleya pleurait. Ma précieuse amie avait été blessée par un gamin, légèrement plus vieux que nous, qui lui avait dit de vilaines choses à propos de sa famille. Oui, sa famille était pauvre, mais non, elle n’avait pas été vendue à ma mère pour être une esclave. Elle allait devenir guérisseuse, elle bénéficiait d’un apprentissage incroyable, et surtout, elle allait être une magnifique sorcière, tout comme moi. Ensemble, nous allions être les deux sorcières les plus grandes que l’histoire ait jamais portées. C’est ce que je lui disais, sans cesse, parce que notre rencontre pour moi était un signe du destin.
Je l’avais trouvée tremblante de sanglots dans un recoin de notre maison et je la consolais, passant ma main sur son dos, recoiffant sa chevelure qui d’année en année devenait plus longue et plus belle. Mes mots doux ne suffisaient pas à calmer ses pleurs. Alors, je lui montrai un bout de tissu que je manipulai entre des cordelettes de chanvre pour en faire une réplique humaine de ce Morpik, en exagérant la panse que le garçon avait déjà bien trop grasse pour son âge. Mon Aleya rit de son rire d’hirondelle.
J’aurais dû m’arrêter là. J’aurais dû ne rien lui montrer d’autre. Mais j’étais jeune, j’avais besoin qu’elle m’aime et qu’elle m’admire alors, je suis allée plus loin.
— Tu vois, ça ? C’est un cheveu de Morpik.
Je l’épinglai sur la poupée, et je murmurai la formule consacrée en langue ancienne.
— Voilà, maintenant, c’est comme si c’était lui. Essuie tes larmes, je vais te montrer quelque chose de très dôle !
Je la pris par la main, et de l’autre, elle sécha ses pleurs, puis nous nous rendîmes sur la place principale du village qu’était encore Nebol. Là, Morpik et sa bande avaient toujours un mauvais coup à y faire. L’affreux était en train d’éclater de rire à une moquerie douteuse dirigée à l’encontre d’un autre garçon qui ne méritait pas un tel traitement. Nous ne nous approchâmes pas. J’attrapai un bras de la poupée et j’en fichai l’extrémité, ce qui devait être un poing, dans sa figure. Aussitôt, le vrai Morpik reproduisit le geste dans l’incompréhension la plus totale. Je recommençai. De nouveaux cris de peur, plus angoissés, et ses amis décampèrent en le laissant seul. Aleya éclata de rire tandis que je continuai, ridiculisant le garçon en le faisant danser comme un fou et je ne terminai que lorsqu’il était essoufflé, en nage et qu’il avait beaucoup trop peur pour faire autre chose que de rentrer chez sa mère, en larmes.
Quand la rumeur de cet incident se répandit dans le village, ma mère me chauffa les oreilles, sachant très bien que j’en étais la responsable, mais je n’en avais cure : j’avais défendu mon amie et son honneur. J’étais une sorcière du bien, non ? Cela ne faisait pas de moi une sorcière noire !
Je pensais simplement avoir rendu service à une amie, partager un nouveau secret avec elle. En réalité, j’avais montré à Aleya que notre don pouvait nous servir à nous imposer aux autres humains.
Extrait du journal d’Iwona, année soixante-huit, neuvième lune, dixième jour.
Furieux, Hansel tirait son ami avec force et ne ralentissait pas sa marche, même s’il entendait Gretel peiner derrière lui. Les talons de Gretel s’enfonçaient dans la boue, et les flaques dans lesquelles Hansel le forçait à marcher éclaboussaient ce qu’il restait de sa robe en piteux état. Mais Hansel n’y pensait même pas. Tout ce qu’il avait en tête, c’était d’arriver à ce fichu cabaret. Il ne prit même pas la peine de rentrer par la porte de derrière, comme il en avait l’habitude, et claqua la porte principale avec fracas. Les discussions et les rires se turent brusquement, même la pianiste interrompit son jeu. Tous les regards étaient braqués sur Hansel, qui tonna :
— La Grusha !
La patronne apparut de derrière la petite scène et, les mains sur les hanches, fit simplement d’une voix trop doucereuse pour être maternelle :
— Qu’est-ce que tu fais là, mon petit ?
— Et lui, qu’est-ce qu’il faisait dehors ?
Il tira Gretel qui se cachait derrière lui, et l’assistance eut un souffle étonné. Dans une robe déchirée, trempée et bouseuse, Gretel tentait de retenir le corset qui menaçait de tomber de sa poitrine alors que ses cheveux d’ordinaire gracieux tombaient devant ses yeux, parsemés de terre mouillée. Il baissait la tête, honteux, ses joues pâles s’empourprant derrière la couche de maquillage qui coulait de son visage.
— Galya ! rugit la matrone. Tu sais combien coûte…
— Et vous, la coupa Hansel, vous savez qu’il y a une sorcière qui tue les filles, dehors ? Comment osez-vous l’envoyer dans la rue au beau milieu de la nuit, dans une tenue pareille ?
Toute l’affection qu’il avait pu avoir pour cette femme s’envola alors qu’il l’observait. Un air mauvais sur le visage, elle regardait son employé de bas en haut, l’analysant comme on détaille un animal que l’on souhaite acheter sur un marché aux bestiaux. Hansel avait été naïf d’avoir cru à une once de gentillesse de la part de la Grusha. Peut-être était-ce parce qu’il était énervé, mais à ce moment il ne voyait que ce qu’il y avait de plus méprisable en elle et en oubliait la femme qui leur avait tout de même ouvert sa porte, dix ans plus tôt. Elle était avare, cupide et n’avait vu qu’en Gretel l’amas d’argent qu’elle pourrait se faire en l’exploitant. Quant à Hansel, il n’avait son affection que parce qu’il ressemblait à ce fils qu’elle avait perdu au court d’un hiver meurtrier.
— Comment pouvez-vous le traiter ainsi ?
La Grusha croisa les bras sur sa poitrine opulente.
— Il n’a pas à se plaindre, il est nourri et il a un toit. Il est incapable de faire autre chose que ça de toute façon.
Hansel reprit bruyamment sa respiration, et alla pour s’avancer mais une main faible lui attrapant le poignet le retint. Misérable, Gretel le priait de ses yeux verts et brillants de honte de rien faire de stupide. Parce que Gretel le lui avait demandé, il retint sa colère de s’abattre sur cette femme.
— Je vais vous rembourser sa dette, quitte à venir vous ramener la tête de la sorcière tout fraîche sur votre comptoir.
Hansel entraîna plus doucement Gretel jusqu’à l’escalier, et grimpa à l’étage. Il poussa la porte de la chambre de son ami et lui glissa :
— Change-toi et prend le nécessaire. On s’en va.
Gretel acquiesça tout doucement, presque effrayé, et toute la colère d’Hansel fondit d’un seul coup. Gretel avait l’air pitoyable, sa belle fierté l’ayant complètement quitté. Hansel s’approcha de lui et abaissa son visage en face du sien. Ses doigts partirent caresser avec une tendresse affectueuse et rassurante la joue froide du blond.
— Eh, Gret, ne t’inquiète pas. On va s’en aller d’ici, tu n’auras plus à faire ça.
Gretel ne répondit rien, évitant son regard. Hansel passa la main dans ses cheveux blonds, retirant la pince qui tenait encore avec un équilibre fragile. Le reste des mèches claires tombèrent devant son visage.
— On va nettoyer tout ça, d’accord ?
Gretel hocha de nouveau la tête, puis se laissa faire alors que son ami l’emmena dans la salle de bains heureusement vide. Hansel vérifia la température de l’eau en trempant les doigts dans l’étuve, puis intima d’une voix douce à Gretel d’y aller. Après une caresse, il sortit de la pièce le temps que son ami se déshabille, puis lui rapporta son déshabillé aux couleurs chatoyantes. Lorsqu’il revint, il constata que Gretel, dans la large étuve, serrait ses jambes contre son torse et avait caché son visage dans ses genoux. Sur le sol, la robe dépenaillée gisait comme un cadavre. Hansel s’agenouilla près du grand bac et de sa large main caressa lentement les cheveux de Gretel, sales, avant de se saisir du savon pour les laver. Avec toute la douceur dont il était capable, il étalait la mousse sur le crâne de Gretel sans que celui-ci ne fasse autre chose que de trembler en sanglotant.
Hansel se jura que son ami n’aurait plus à vivre cette situation plus longtemps.
Après avoir demandé à son ami de s’habiller chaudement, Hansel l’avait emmené dehors. Dans une enveloppe qu’il avait glissée dans la poche intérieure de sa veste, ils avaient rassemblé leurs économies. La Grusha ne les avait pas retenus, et de toute façon Hansel aurait forcé le passage. Seulement, au beau milieu de la nuit, il maudissait son accès de fureur de ne pas lui avoir fait réfléchir à un endroit où aller. Gretel, dont il tenait fermement la main dans la sienne, ne disait rien et se laissait faire. Il avait les yeux rougis et le teint pâle, et Hansel craignait qu’il n’attrape quelque chose avec le vent froid de la nuit passant dans sa chevelure encore mouillée.
Hansel ne connaissait personne susceptible de les accueillir au beau milieu de la nuit, et il ne voulait pas dépenser leurs maigres économies dans une chambre d’hôtel. Mais plus ils restaient dans ce froid glacial et plus Gretel risquait d’attraper une maladie… Plusieurs lieux d’accueil lui passèrent dans la tête, l’église, le vieux médecin du village Umny Druzhel ou chez son fils Maluka. Mais sur un coup de tête, il prit la direction de la forêt.
Hansel sentit son ami se tendre et pour la première fois depuis longtemps réentendit le son de sa voix.
— Où est-ce qu’on va ?
— Chez Peon.
Quelque part, il savait qu’il devait rapporter les événements à Peon Krasny. Il devait le mettre au courant et au plus vite. Suivant son instinct, il dépassa le quartier des scieries pour s’enfoncer dans les bois sombres. L’appréhension gagna Gretel.
— T’es sûr que…
— Non. Mais on y va.
Gretel frissonna. Il n’aimait pas la forêt, dans laquelle il s’était égaré dix ans plus tôt après avoir perdu sa famille, dans l’incendie qui avait ravagé leur ferme. Il avait depuis pour ce lieu une crainte innommable.
— Ne t’inquiète pas, répéta Hansel pour la centième fois.
Peu importe combien de fois il le dirait, il protégerait son ami quoiqu’il arrive.
Gretel tremblait. Il s’efforçait de ne pas regarder les ombres menaçantes que découpaient les arbres dans la puissante lueur du clair de lune. De toutes ses forces, son regard était fixé sur Hansel, qui avançait devant lui, ses pensées étaient tournées vers la paume chaude qui maintenait la sienne prisonnière. Hansel était là. Tout irait bien.
Mais ses membres lui semblaient trop frêles pour vraiment être soumis à sa volonté. Il les sentait frissonner de froid, de frayeur et de fatigue. Malgré la confiance inaltérable qu’il avait en Hansel, il commençait à croire qu’ils étaient effectivement perdus.
— Ah ! fit soudainement le grand brun.
— Quoi ? demanda Gretel, la voix cassée.
— J’ai vu Predan, on ne doit pas être loin.
— Predan ?
— L’un des loups de Peon. Allez, courage !
Gretel vit en effet qu’un loup noir et massif leur ouvrait désormais la route et les guidait à travers les bois sombres. Et si c’était un leurre ? Et si c’était la sorcière qui leur avait envoyé ce loup pour les amener directement chez elle ? Malgré ses craintes, il garda le silence et continua de suivre son ami.
Tout irait bien, Hansel était là.
— Je peux savoir ce que tu fais en pleine nuit dans la forêt, espèce d’idiot dégénéré ?
Peon avait moyennement apprécié de retrouver son élève au beau milieu des bois. Après avoir fait rentrer les deux garçons dans son humble demeure, qui était bel et bien une cabane en bois, il s’acharnait depuis à leur faire une leçon de morale des plus acerbes. Certes, les loups n’étaient plus aussi menaçants qu’avant, mais il restait beaucoup de dangers qu’il avait assez expliqué en long, en large et en travers à Hansel. Ce serait bien beau qu’il perde la vie avant même d’arriver jusqu’à la sorcière ! Tout son plan tomberait à l’eau ! Heureusement pour lui que Predan était dans le coin !
— Et tu peux me dire qui c’est, lui ?
Le protecteur désigna du menton Gretel, qui se faisait le plus petit possible dans le fauteuil où Hansel l’avait presque installé de force.
— Si justement vous m’aviez laissé en placé une, je vous aurais expliqué !
Peon croisa les bras sur sa poitrine, un air vexé sur le visage.
— Très bien, je t’écoute !
Hansel soupira, prit une longue respiration et expliqua ce qu’il s’était passé. Que Gretel avait été victime de la sorcière quand il passait heureusement par hasard dans le coin, qu’ils avaient quitté l’établissement de La Grusha où ils résidaient et qu’ils étaient venus directement ici.
— Attends un peu, fit Peon à la fin de son récit. Il s’est fait attaquer par la sorcière ? D’accord, il est assez beau, mais la sorcière attaque des filles.
— Mettez-lui une robe, du maquillage et coiffez-le, je vous assure qu’il fait bien illusion. D’ailleurs, la Grusha l’a bien compris.
Peon fronça les sourcils avant de comprendre ce que le jeune homme sous-entendait.
— D’accord, ton ami est une… fille de la Grusha. Et la sorcière l’a pris pour cible.
— Voilà.
Peon s’approcha de Gretel et s’accroupit devant lui. Malgré les petites rides qui commençaient à marquer le coin de ses yeux, ses prunelles avaient quelque chose de brillant.
— Tu as vu quelque chose ?
Gretel ferma les yeux, puis tourna la tête, refusant de répondre.
— Il a vu une sorcière, soupira Hansel, ce qu’on sait déjà.
— J’ai besoin de précisions, répondit sèchement Peon. Comment était-elle habillée, sa voix, tout.
Gretel fit un grand effort pour remobiliser les souvenirs qu’il tentait d’effacer depuis plusieurs heures. La voix tremblante, il brisa le silence et souffla enfin :
— Des mains ridées, des ongles longs, un sourire de démente et un vieux manteau noir qui lui couvrait tout le corps. Je n’ai rien vu d’autre.
Peon se releva, le regard toujours rivé sur Gretel, avant de le tourner au fond de la pièce. Suivant le mouvement des yeux, Hansel sursauta : l’homme en noir qui était présent sur l’estrade le premier jour était là, et il ne l’avait même pas vu ! C’était pourtant le même, avec un regard doré et des mèches grises parsemant sa chevelure noire.
— T’en penses quoi ? lui demanda Peon.
L’homme en noir haussa l’un de ses sourcils. Peon acquiesça. Face à cet échange muet, la curiosité d’Hansel s’éveilla.
— Eh ! Qu’est-ce que vous venez de vous dire, là ?
— Tu sauras plus tard. En attendant, file te coucher, tu as un entraînement demain.
Le ton de Peon ne laissait pas place à la discussion. Hansel soupira, puis se tourna vers Gretel. Hors de question qu’il aille se coucher en laissant son ami. Certes, il était en sécurité avec Peon et ses loups, mais Hansel avait ce bizarre sentiment de devoir qui l’envahissait sans arrêt. Il devait protéger Gretel. Celui-ci leva ses grands yeux verts vers lui et ils échangèrent un long regard, puis Gretel finit par se lever et le suivre. Peon et son acolyte les saluèrent avant de partir dans une discussion à moitié muette.
Les deux jeunes hommes entrèrent dans l’autre pièce, plus petite, de cette cabane qui n’en avait que deux. Elle ne disposait que deux lits, dont l’un était occupé par quelqu’un. Une forme fine et longiligne, qui releva la tête quand la porte se referma. Sa particularité capillaire frappa les garçons : il avait les cheveux entièrement blancs. Ses traits fins donnaient l’impression qu’il ne devait pas être beaucoup plus vieux qu’eux.
— Ah, salut Hansel. B’nuit.
Le jeune homme se recoucha et s’endormit aussitôt. Les deux amis se regardèrent, surpris.
— Tu le connais ? demanda Gretel.
— Euh… non… enfin, je crois pas…
Après avoir regardé l’inconnu dormir, Hansel regarda l’autre lit, et s’aperçut qu’il était de petite taille. Il haussa les épaules.
— Tu n’as qu’à dormir, j’suis pas fatigué.
Gretel lui envoya un coup de coude, exaspéré.
— Prends-le, Peon va te tuer si tu ne dors pas.
— Hors de question, tu as besoin de repos.
— Toi aussi.
— Moins que toi !
— Hé là, les mômes ! hurla Peon de l’autre côté de la porte. Moins fort ! Si vous préférez, vous pouvez toujours aller dormir dehors, ça vous fera les pieds !
Hansel et Gretel se regardèrent, interdits, avant de pouffer de rire.
— Je savais pas qu’il avait un caractère de cochon, chuchota Gretel.
— Et encore t’as rien vu… Bon allez, prends le lit.
Gretel soupira.
— D’accord, mais tu dors avec moi.
Hansel haussa les sourcils, et osa affronter le regard déterminé de son ami. Enfin, il retrouvait cette lueur farouche qui avait disparu pendant plusieurs heures. Un sourire fendit son visage.
— Ça marche.
C’est en revenant tranquillement du village, à pieds, la matinée bien entamée déjà, qu’Olovoska se rendit compte de l’étrange aura qui prenait place autour de la cabane de Peon. Silhouette noire toujours dans l’ombre du chasseur, il était ses yeux, ses oreilles, et sa méfiance toujours aux aguets le rendait indispensable pour l’homme en rouge. Plus qu’un bras droit, plus qu’un simple acolyte, il était son compagnon. Dans tous les sens du terme. Il partageait avec lui plus d’intimité qu’une meute de loups pouvait le faire entre tous ses membres.
Il décelait une présence ennemie qui rôdait, et il détestait ça. Ce lieu était un sanctuaire et personne n’avait le droit de le souiller. Avec attention, il ralentit l’allure, se fit toute ouïe afin de percevoir les plus infimes indices de cette présence mais, malgré tout son talent, il ne parvint pas à localiser avec précision la menace. Il serra les dents. Se sentait impuissant. Et abhorrait ce sentiment.
En arrivant près de la demeure, Predan, massif loup noir qu’on avait toujours connu flanqué à Peon depuis son enfance, était assis sur le perron, droit dans toute sa magnificence, à l’affût lui aussi. Il échangea un long regard plein d’intelligence avec le nouveau venu, et tous deux n’eurent pas besoin de mot pour se comprendre. Predan aussi avait senti la menace, et lui non plus n’était pas en mesure de faire quoique ce soit.
— Il faut en parler à Peon, souffla l’homme en noir en approchant.
Le loup baissa la tête. Leur maître devait déjà le savoir, de toute manière.
Gretel se réveilla après ce qui lui sembla être une éternité. Lorsqu’il ouvrit les paupières, le soleil déjà bien haut vint agresser ses prunelles, et le jeune homme se rendit compte qu’il avait presque gâché sa journée. Il se leva d’un bond, cherchant ses chaussures, puis stoppa net tout mouvement en réalisant qu’il ne connaissait absolument pas cet endroit. Il fallut un effort de la part de sa mémoire pour se souvenir des événements de la veille. Il n’était plus chez la Grusha : il était chez Peon, le chasseur en rouge, il était en sécurité chez cet inconnu parce qu’Hansel l’y avait emmené. Et Gretel donnait son entière confiance à son ami, depuis que leurs chemins s’étaient rencontrés et sans doute pour l’éternité.
Les bruits de dehors attirèrent son attention et comme un chat, Gretel s’étira pour voir ce que c’était. Il traversa la pièce à vivre pour passer par la porte d’entrée et rester sur le perron, regardant ce qui se passait un peu plus loin. Peon reprenait énergiquement Hansel et lui expliquait pour la millième fois comment tenir une arbalète et Gretel, un instant un peu décontenancé, finit par sourire. Il s’assit sur le perron de bois de la demeure, à côté d’un loup blanc qui semblait regarder la scène avec attention lui aussi, puis émit un rire quand le protecteur qualifia son ami d’andouille empotée. En prenant ses genoux dans les bras, il posa le menton dessus pour pouvoir lutter contre le vent frais de l’hiver. Le loup blanc, comme ayant deviné ses pensées, vint se coller à lui et partager sa chaleur. Gretel passa un bras autour de son encolure et perdit ses doigts dans sa fourrure, étrangement à l’aise. C’était bizarre, de se sentir comme chez lui chez un inconnu, juste parce qu’un loup vint se blottir contre lui, juste parce que les échanges entre Peon et son ami étaient tels qu’ils en devenaient comiques. Juste parce qu’il n’avait aucune obligation d’un seul coup. Personne sur le dos. Une dette qui s’était estompée dans l’incertitude de l’avenir.
Les pensées de Gretel s’assombrirent. Certes, il était à l’abri ici, mais pour combien de temps ? Il lui faudra bien retourner au village, et qui sait si la Grusha n’était pas de taille à engager des hommes de main pour le menacer et le forcer à la rembourser coûte que coûte ? Gretel eut un frisson qui cette fois n’était pas dû au froid.
— Ton ami est vraiment drôle.
Gretel sursauta et se retourna. L’homme qui venait de lui adresser la parole s’installa à ses côtés, tranquillement. C’était le même que la veille, qui parlait avec Peon, et à la lumière du jour, Gretel le trouva encore plus charismatique. La bizarrerie de ses cheveux, noirs semés d’argent, attirait plus encore le regard.
— Olovoska, se présenta-t-il avec un sourire. Et toi ?
Gretel glissa sa main dans celle qui lui était tendue.
— Gretel.
— Atypique pour un jeune homme, commenta Olovoska en levant les sourcils.
Gretel évita son regard et ne répondit rien. Ce prénom était une volonté de sa mère, qui avait insisté pour que son dernier enfant le porte. Qu’importe si c’était un garçon. Elle avait déjà eu huit fils avant lui, et ne désirait qu’une fille… Gretel s’empêcha d’y penser, sachant inévitablement que ses souvenirs allaient lui montrer des images de l’incendie qui lui avait tout pris.
— Tu n’as pas à t’inquiéter. Hansel a déjà supplié Peon pour que tu restes ici le temps de sa chasse. Mais de toute façon, Peon n’est pas du genre à mettre les gens dans le besoin dehors.
La fierté de Gretel s’enflamma.
— Je ne fais pas la mendicité.
— Peut-être. Il n’empêche que tu as une dette sur le dos et que la seule chose qui empêche la Grusha de la réclamer, c’est qu’elle ne sait pas où tu te trouves.
Avant que Gretel ne lui demande comment il savait tout ça, Olovoska lui envoya un sourire énigmatique et continua :
— J’ai fait un tour en ville ce matin.
Il tapota son dos, puis se releva en lui disant :
— Essaie de te rendre utile et Peon râlera moins. Si c’est possible.
Puis il s’en alla comme il était venu, en disparaissant derrière la maison. Le loup blanc poussa le visage de Gretel de son museau et amusé, le jeune homme reprit ses caresses, sans pour autant arrêter de penser à son avenir immédiat.
Toute la rage d’Hansel était canalisée par l’entraînement auquel il était soumis. Sans ça, le jeune homme aurait sans doute été directement dans la forêt pour aller demander des comptes à cette sorcière, puis s’en aller quérir sa récompense avec la tête du monstre sous le bras. Il en avait assez de cette menace qui pesait sur Gretel. Et il avait les moyens, enfin, de la faire disparaître.
Ils avaient difficilement tenu une conversation, depuis qu’ils étaient arrivés chez Peon, mais Gretel évitait le regard du grand brun, tout comme Hansel évitait sa présence. Il savait que Gretel restait contre cette expédition, et Hansel lui était encore en colère contre ce qui lui était arrivé. Son frère avait failli disparaître en un clin d’œil, et lui aurait été incapable de le protéger ! Qui plus est, la prochaine pleine lune approchait et Peon craignait que la sorcière ne revienne faire une autre victime. Cette équipée devait se faire, et mieux Hansel s’entraînait, plus vite il pourrait partir faire sa mission.
La veille de son départ, Peon imposa au jeune homme une bonne nuit de sommeil, lui-même s’était couché très tôt, partageant son lit avec le loup blanc. Mais Hansel, après s’être retourné des milliers de fois dans le noir, luttant contre ses draps, avait fini par les jeter et s’était levé. Ses yeux habitués au peu de clarté de la pièce virent que le lit de fortune installé pour Gretel était vide lui-aussi. Il redouta un instant de devoir affronter son regard émeraude plein de tristesse, hésita à se recoucher mais mordit sa lèvre, haussa les épaules et se rendit discrètement dans la seconde pièce de la petite cabane.
Son ami était bien là, assis dans le fauteuil à bascule près du poêle, les yeux fixés sur la petite bougie qu’il avait allumée afin de ne pas rester dans le noir. Il avait l’air tellement plus frêle que d’ordinaire qu’Hansel en fut troublé. Quand les yeux de Gretel rencontrèrent les siens, ils étaient, comme le craignait le jeune homme, pleins de mélancolie.
— Tu devrais dormir, chuchota-t-il.
Hansel haussa encore les épaules, signe qu’il n’avait rien à répondre, et vint s’asseoir à même le plancher près du vieux poêle, vers lequel il tendit les paumes pour les réchauffer.
— Je n’y arrive pas.
Gretel soupira et du coin de l’œil, son ami le vit dégager son front de ses cheveux blonds. Il se leva, puis de sa démarche légère et feutrée se dirigea vers le coin cuisine de la cabane de Peon. Depuis qu’ils vivaient ici, soit une bonne petite semaine, Gretel s’était accoutumé aux lieux en s’occupant des tâches ménagères et tout ce en quoi il pouvait être utile. Il savait donc où chercher pour obtenir ce qu’il voulait. Ses fines mains attrapèrent une tasse, puis des petites boîtes en fer où Peon gardait ses herbes, en mirent un peu au fond d’une casserole usée dont il fit bouillir l’eau au-dessus des flammes qu’il raviva. Hansel le regarda, sans rien dire, tenir le manche, consciencieusement, et, quand les bulles atteignirent une taille respectable, il versa l’eau brûlante dans la tasse préparée à cet effet. Lorsqu’il revint vers Hansel, il la lui tendit sans un mot. Le brun fronça des sourcils.
— Un mélange de plantes que Peon utilise pour dormir, expliqua Gretel. Tu devrais avoir sommeil avec ça.
Hansel hocha la tête, marmonna un « Merci » et s’appliqua à boire le breuvage, qui descendit le long de sa gorge en un sillon brûlant. Malgré son scepticisme, les effets des plantes firent leur apparition quelques minutes plus tard et il prit congé de son ami. Il fit semblant de ne pas voir le sourire déchirant de tristesse que lui envoya Gretel avant de quitter la pièce.
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