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tome 1, Chapitre 21 tome 1, Chapitre 21

Sarah ne laisse rien au hasard. De la couleur de la chemise à celle du fond de teint qu'elle étale sur ma peau d'une main de maître en passant par le choix du jean, elle assortit tout. Et avec goût en plus, je me trouve plutôt beau gosse. Qui aurait cru que le rose pâle m'irait si bien ?

Malgré tout, elle n'est pas satisfaite du résultat ; il manque la touche finale, un accessoire qui sublimerait son travail. Elle va jusqu'à fouiller ma chambre à sa recherche. Mes quelques foulards de soie ne lui plaisent pas. Trop petit bourgeois de province à son goût. Dommage, avec la saison, ils auraient été parfaits pour ne pas prendre froid, les soirées restent encore très fraîches.

Elle opte pour un blouson de cuir, puis recule pour contempler son œuvre, autrement dit : moi. Un sifflement appréciateur lui échappe, pourtant, elle n'est pas encore satisfaite. Les béquilles gâcheront le blouson, il faut autre chose.

Tout à sa fouille méthodique — elle attaque mon bureau — elle m'avoue avoir rêvé bien des fois de relooker Cléandre, ou plutôt de lui « redonner l'éclat » de leur rencontre. La curiosité me dévore, qu'entend-elle par là ? Elle ne tarde à me l'apprendre : au Cléandre de la photo. Mais il a toujours refusé de repasser les anciens habits qu'il garde pourtant rangés dans un carton sous son lit.

Nous échangeons un regard presque complice. Elle comme moi les avons découverts. Elle comme moi avons questionné Cléandre à leur sujet. Par contre, au contraire de moi, Sarah sait qu'il les enfile parfois pour aller au Del'Asève. C'est pour ça qu'elle me pomponne depuis deux heures déjà : elle espère le trouver pimpant et faire de nous un couple parfait, au moins visuellement.

Je l'observe vider les tiroirs de mon bureau un à un. Elle m'impressionne vraiment. Comment fait-elle pour s'oublier ainsi à mon profit ? Elle a beau vouloir le bonheur de Cléandre, aller jusqu'à s'occuper du look de son rival, c'est juste... énorme.

– Sarah... Du fond du cœur, je dois te...

– Mais tu as des lunettes ?!

– Non. Enfin, oui, mais je les mets jamais...

– Elles sont absolument parfaites ! Et cette forme est sublime, j'adore les demi-cerclages ! Mon Dieu, tu vas être tellement canon ! Si tu étais un cœur à prendre, je te sauterais dessus, et pas juste pour oublier ma peine !

– Il va se foutre de moi, grommelé-je.

Elle lève les yeux au ciel, m'assure que non : il me trouvera sans aucun doute à son goût. Comment lui dire que je ne faisais pas référence à mon physique, mais à ma superficialité ? Je l'entends déjà ricaner en apprenant que depuis des mois, je laisse mes lunettes au placard sous prétexte que je préfère les cerclages pleins ?

D'autorité, elle me les installe sur le nez, puis me tire hors de ma chambre. Nous croisons ma mère dans le couloir. Surprise, celle-ci me demande aussitôt des explications. Vais-je sortir avec cette jeune fille alors que Cléandre a quitté sa petite amie pour moi ? Gêné au plus haut point, je lui résume la situation. Plus les secondes passent, plus les yeux de ma mère s'arrondissent. Elle murmure un ces jeunes, ils sont incompréhensibles, puis conclut la conversation en nous ordonnant de monter dans la voiture : elle nous conduira à ce fameux bar.

Un sourire amusé étire mes lèvres lorsque ma mère gare à proximité du bar, puis coupe le contact. Nul doute qu'elle va observer toute la scène, c'est certain. Peut-être qu'elle fera irruption en mode « maman monstre » si jamais Cléandre se comporte mal ! Même les vigiles du Del'Asève ne pourront pas l'en empêcher !

Mon amusement s'évanouit dès que je me retrouve face aux dits vigiles. Ils me dévisagent, scannent ma tenue avant de secouer la tête : je n'entrerai pas. Je reste fier : Sarah m'avait prévenu. Je me demande toutefois comment elle va se débrouiller pour les faire aller chercher Cléandre. Va-t-elle les charmer ? Les menacer ? Au vu de son gabarit, j'opterais pour la première option.

Ce qu'elle ne fait pas. Poings sur les hanches, elle leur demande juste de prévenir Cléandre Terrasève que Nathéo Da Sousa veut le voir. Leurs yeux me balayent derechef, puis l'un des deux disparaît à l'intérieur. Tout simplement.

Alors il est là. Il est vraiment là. Soudain, l'appréhension m'enserre le cœur. Et s'il ne voulait pas me voir ? Si mon silence radio depuis deux jours l'avait convaincu d'abandonner ? Je n'aurais jamais dû venir.

Mais au moment où je vais tourner les talons, ou plutôt les béquilles, la porte s'ouvre. Mon cœur s'arrête. Le vigile réapparaît, une silhouette le suit. Mon cœur s'emballe. L'homme en costume reprend sa place et dévoile un jeune homme plutôt agréable à regarder... mais ce n'est pas Cléandre. C'est son cousin, le foutu Clarenz. La déception me dévaste.

À mes côtés, Sarah se fige. Elle semble aussi surprise que moi.

– Cléandre n'est pas là ce soir ?

Il nous étudie sans un mot pendant de longues secondes. Impassible. À croire que c'est de famille...

– Si, si, il est là. Mais vous devriez... passer à un autre moment. Ou plutôt aller le voir chez lui demain soir.

Les larmes me viennent. Je venais chercher une preuve de son amour, je ne récolte que l'inverse.

– Il ne veut pas me faire entrer, c'est ça ? Tu t'es trompée, Sarah. Je ne suis pas si spécial que ça.

– Nathéo, je suis désolée, je pensais vraiment...

– Vous montez pas la tête, il sait même pas que vous êtes là, l'interrompt Clarenz. Sincèrement, demain, ce sera mieux. Là, c'est vraiment un mauvais timing.

– S'il n'a pas expressément refusé de me voir, alors fais-moi entrer. Maintenant !

– Ce n'est pas une bonne idée.

Ses traits restent lisses, vides d'émotion. Est-il seulement humain, ce type ?

– Je te demande pas ton avis, m'énervé-je, buté. Je veux le voir, j'en ai besoin !

– C'est à tes risques et périls. Mais soit. Par contre, je ne peux pas te faire entrer Sarah. Il réprouverait.

Sarah le rassure aussitôt : elle n'avait pas l'intention de venir. Elle a épuisé son stock de sympathie pour moi et commence à avoir envie de me secouer. Tout l'amour qu'elle porte pour Cléandre ne suffirait pas à l'empêcher de me coller des baffes si je continue à me comporter de la sorte.

Elle est vexante, je ne vois vraiment pas ce que j'ai fait de mal cette fois !

La main de Clarenz se referme sur mon bras, puis il m'entraîne à l'intérieur à sa suite sans cesser de me répéter que c'est une mauvaise idée et qu'il est encore temps de changer d'avis. Au début, écrasé par le fast des lieux, je prête peu d'attention à ses élucubrations. L'endroit ressemble à un théâtre que l'on aurait aménagé en bar huppé. Devant nous se dresse une scène drapée de rouge. Des balcons et des loges percent le mur d'en face sur au moins quatre étages. Partout où ils se posent, mes yeux découvrent des dorures, des statues et de riches tentures.

Le cousin me guide jusqu'à une arrière-salle d'où s'échappe un chant grivois à faire rôtir un ange sur place. Un rideau entre les doigts, il se tourne une dernière fois vers moi, me propose encore de faire demi-tour. Je refuse ; je veux voir Cléandre.

– OK, tu l'auras voulu, murmure-t-il.

Pendant un instant infime, je crois le voir pincer les lèvres, puis il me fait entrer. De stupeur, je lâche mes béquilles face au spectacle qui s'offre à moi : le chanteur, lequel n'est autre que Cléandre, se déhanche sur une table. Nu comme un ver.

– Mais que...

– Je t'avais prévenu. Il est pas au mieux de sa forme. Estime-toi heureux, t'as échappé au strip-tease. Il est vraiment pas doué pour ça.

– Mais il est complètement bourré !

– Ha, oui. Complètement, je confirme. Y a rien à en tirer ce soir. Heureusement qu'il chante juste, sinon ma soirée serait un calvaire.

Clarenz a raison, mon ex-amoureux secret chante juste. Et très bien, même ! J'étais loin de lui imaginer une voix si claire ! J'étais aussi très loin de l'imaginer jouer avec son sexe en interprétant une chanson grivoise. Que dois-je faire ? L'interpeller ? M'enfuir en douce et venir le voir chez lui demain soir, comme si de rien n'était ? Il ne nous a pas encore vus après tout.

– Clé ? Ton Nathéo est venu te voir.

Ses yeux lavande se braquent aussitôt sur moi. Sa voix meurt dans sa gorge. Il cligne plusieurs fois des yeux avant de descendre — ou plutôt de tomber — de la table pour venir vers nous d'une démarche hésitante.

- Nath ? Mais qu'est-ce que tu fais ?

– Je... je ne fais rien ?

– Là ? J'ai oublié là. Je crois que j'ai trop bu.

– Je confirme, souffle Clarenz.

Arrivé à notre niveau, Cléandre chancelle. Il s'appuie sur son cousin, relève la tête, prêt à parler, mais se fige. Sans rien dire. Comme si son cerveau avait cessé de fonctionner.

– Cléandre, tu vas bien ?

– J'ai envie de vomir.

Clarenz bondit aussitôt sur le côté. Hélas, je n'ai ni sa rapidité ni sa souplesse. Et mes béquilles sont au sol. J'ai tout juste le temps de fermer les yeux avant que l'estomac de Cléandre ne décide de se vider... sur moi.


Texte publié par Carazachiel, 6 novembre 2019 à 13h05
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