– C'est plutôt canon chez toi ! Et tes plantes vertes sont vachement belles ! Celles de ma mère sont en train de crever. Elles crèvent à chaque fois en fait, je sais pas pourquoi elle persiste à en acheter. Et puis...
– Tu parles toujours autant ?
Cléandre soupire, puis pose mon sac sur une des chaises de son salon. Je retiens un ricanement. Pour qui ne connaît pas Jared, ce moulin à paroles peut être impressionnant. Alors que mon meilleur ami s'évade pour visiter les autres pièces, non sans s'extasier de tout et surtout de n'importe quoi, mon amoureux secret m'installe sur le canapé.
– Finalement, je ne sais pas qui de lui ou de ta mère est le pire.
Je ricane encore.
– T'assumes toujours pas ta vanne de l'autre fois ?
Il grimace, hausse les épaules puis, après avoir jeté un coup d'œil vers le couloir — sans doute pour voir si Jared revient ou non —, se penche pour m'embrasser. Je crois que je ne me lasserai jamais de ses baisers. Toujours doux, toujours tendres. Et au contraire de ceux de Sarah, ils ne traduisent pas une envie pressante de me déshabiller. Même si l'une de nos soirées de la semaine a fini de cette manière.
Pas chez moi, bien entendu, j'avais encore bien trop mal à la cheville. Et puis, tenir tête comme ça à ma mère a achevé Cléandre ; sitôt allongé, sitôt endormi. À son réveil, ennuyé, il m'a avoué avoir parlé sans réfléchir, comme il le faisait beaucoup avant. Avant quoi ? De ça il n'a pas voulu parler. Le questionner me démangeait, alors, pour penser à autre chose et ne pas encore me faire taxer de « lourd », je me suis blotti contre lui, heureux de constater qu'il ne me repoussait pas. Très vite, nos corps et nos esprits se sont échauffés. Nous étions bien, seuls dans la maison. Et au moment où mon amoureux secret s'emparait du présent de ma mère, un faux mouvement a calmé nos ardeurs en une fraction de seconde.
Les deux jours suivants, la douleur ne se calmait pas, à tel point que ma mère m'a gardé à la maison et songeait à me ramener aux urgences. Au final, elle m'a juste conduit chez le médecin traitant, lequel m'a prescrit des antalgiques plus puissants. Pas mal de mes amis sont venus me voir. Pas Cléandre ; sa présence n'aurait pas été justifiée. Par contre, il n'a cessé de m'envoyer des SMS pour prendre de mes nouvelles. Il s'est même créé un compte sur une messagerie instantanée ! Et j'ai obtenu le précieux Graal, son compte Facebook : Kanaclé Terrasève. Je n'avais aucune chance de le trouver par hasard celui-là...
Le week-end, à mon grand dam, Jared a pris le relais. Pendant presque 48 heures, il m'a tenu compagnie. Si au début j'étais contrarié, mon humeur s'est vite arrangée en découvrant les Mims 4 cachés dans son sac à dos ! De franches parties de rigolades, surtout avec certains packs additionnels ! Ceux-là, je n'aimerais pas que mes parents tombent dessus.
Le dimanche soir, Cléandre a enfin pu revenir chez moi en toute discrétion ! Et miracle entre les miracles : ma mère a su se tenir tranquille ! Pas d'allusion, pas de boîte de préservatifs posée sur la table du salon — par contre, ma table de nuit en renfermait, ainsi que des tubes de lubrifiants... originaux — pas de questions déplacées, rien ! Elle n'a même pas cherché à savoir si nous étions désormais ensemble. Elle devait en être persuadée, et ça m'arrange bien ; je me vois mal lui expliquer la situation : nous sommes amants en secret parce que Cléandre a une petite amie officielle et puis il refuse de faire son coming out alors qu'il l'a déjà fait, mais dans une autre ville. Elle nous ferait interner, pour sûr !
Dans l'intimité de ma chambre à coucher, nous nous sommes découverts. Tous mes regrets de n'avoir pu conclure dans la voiture se sont évaporés, car ces baisers empreints de tendresse, ces caresses, cette complicité naissante et cette sensualité, je ne les aurais pas eus. Je me serai contenté d'une bonne partie de jambe en l'air un peu sauvage, sans sentiments, sans réel échange, sans savoir si je devais le déplorer ou non.
Alors que notre première fois... je ne l'oublierai jamais. Un nouveau Cléandre s'est révélé à moi. Attentionné, presque amoureux et surtout, surtout, pleinement offert. Mon seul regret — car j'en ai tout de même un — ma cheville m'a empêché de prendre les rênes. J'aime diriger, j'aime contrôler. Et là, impossible.
Le souvenir rosit mes joues, me donne chaud, sentiment accentué par les lèvres de Cléandre dans mon cou... mais bientôt interrompu par une voix nasillarde demandant s'il peut se servir dans le frigo. Après un sursaut, mon bel amant acquiesce à voix haute.
Une idée germe dans mon esprit : me débarrasser au plus vite de Jared. J'adore mon meilleur ami, mais là, il empiète sur mon précieux temps de tête-à-tête avec mon cher angelot. Sauf que je ne peux pas le mettre à la porte. Tout d'abord, mes béquilles se trouvent trop loin, Cléandre a bien pris soin de les poser hors de portée. Ensuite, nous devons travailler notre exposé d'anglais. Après le retour de Sarah — et d'âpres négociations —, mon meilleur ami a rejoint notre groupe, de quoi m'effarer autant que me faire bouillir.
Effarer parce que je crains qu'il ne commette une bourde avec Cléandre, une bourde qui pousserait mon beau blondinet à mettre fin à notre relation secrète. Bouillir parce que les moments avec mon Capuche préféré sont rares et que Jared va tenir la chandelle. Même s'il ne m'ignore pas comme je m'y attendais, être relégué dans le rôle du pote sympathique n'a rien d'agréable. Sans parler de Sarah... la voir se pendre à son bras, à son cou, tripoter ses mains ou encore ses cheveux m'a rendu fou. Il l'a deviné sans peine, au hasard d'un couloir, il m'a glissé à l'oreille que je devrais être plus discret si je voulais que ça dure entre nous. La facilité qu'il a de passer de l'ami à l'amant me déstabilise.
– Qu'est-ce que vous fabriquiez ?
– Quoi ? Nous ? Mais rien voyons, on est juste ami !
Du coin de l'œil, je vois un Cléandre atterré se passer une main sur le visage. Mon empressement à répondre était peut-être un tantinet étrange. Toutefois, si Jared me dévisage d'un air incrédule, il n'ajoute rien. Le calme avant la tempête. Je le connais, d'un moment à l'autre, il va nous lâcher la bombe qu'il prépare depuis quelques jours. Mon silence l'intrigue, pire, il l'obnubile. Jared veut savoir.
– Je parlais juste du fait que vous n'avez pas sorti l'exposé, ni vos ordis, ni rien en fait.
– Ha, oui...
Cléandre se gratte la nuque, visiblement en quête d'une excuse, quand mon ami s'enquiert de but en blanc.
– Au fait, il représente quoi ton tatouage ?
– Mon tatouage ?
Jared pointe l'index sur sa nuque.
– On en voit un bout, là. C'est un elfe? Une fée?
– J'ai une tête à me faire tatouer une fée sérieux ?
– Oui, avec tes mèches rouges et ton visage délicat, ça t'irait très bien. Ou alors une licorne, j'ai vu que tu adorais les licornes, continue Jared sans prêter attention à l'expression désespérée de Cléandre.
Voilà une bonne occasion d'agir en héros et de le tirer de ce mauvais pas !
– C'est un scorpion, dans le style un peu tribal. Et il a un autre tatouage sur les côtes.
– Tiens donc, et par quel miracle es-tu au courant de ça ?
Ma carrière de héros s'achève sitôt commencée. Heureusement, celle de mon amant semble avoir de plus beaux jours devant elle :
– Ne me dis pas que tu ignores que ma copine et ton meilleur ami ont fini bourrés chez moi il y a quelques jours ? Ils n'ont rien trouvé de mieux que de s'introduire dans ma chambre en pleine nuit. Et je dors à poil. Pour la licorne, figure-toi que ça devait être mon troisième tatouage.
– Et pourquoi tu ne l'as pas fait ?
L'espace d'un instant, je crains le désormais habitue tu parles trop Nathéo. Pourtant, il se contente de lever les yeux au ciel avant de répondre :
– J'étais quelqu'un d'autre il y a quatre ans, ça ne me correspond plus vraiment maintenant.
– T'as des photos ?
Quatre ans. Cléandre devait avoir tout juste seize ans quand il s'est fait tatouer alors. Il nous dévisage un long moment tour à tour, avant de se lever et d'aller chercher un cadre qu'il balance sur la table. Celui avec le garçon frisé et la fille aux longs cheveux lisses. Je n'avais pas remarqué, l'autre jour, la manière démente dont ses yeux ressortent. Les prunelles lavande pétillantes d'une joie que je rêve d'y observer, un léger trait noir soulignant ses yeux. Je ne peux retenir un sifflement appréciateur.
– Tu étais canon là-dessus ! Enfin, tu l'es toujours, et...
Encore une fois, j'ai l'impression de nous trahir, alors je tente de rattraper le coup comme je peux.
– Je veux dire, d'un point de vue purement subjectif, tu es beau. Mais je te drague pas, rassure-toi !
– Tu ne le dragues pas ? C'est nouveau, ça ! s'exclame Jared.
Les yeux clos, je prends une profonde inspiration pour servir un bon gros mensonge à mon meilleur ami. Je me sens un peu coupable, mais c'est pour la bonne cause.
– Je me suis pris un râteau.
Les yeux de mon ami s'écarquillent de stupeur juste avant de se plisser de suspicion.
– Et je peux savoir ce qui t'a empêché de m'en parler ?
– Je...
– Je lui ai demandé de ne rien dire pour ne pas alarmer Sarah.
La pertinence de l'argument m'échappe, tout comme à Jared qui lèvre un sourcil. Manifestement, Cléandre n'est lui-même pas convaincu ; il hausse les épaules et secoue la tête en murmurant « je sais pas » lorsque je lui adresse un regard interrogatif.
– À mon avis, c'est tout l'inverse. Vous sortez ensemble.
Cléandre se crispe, je ferme les yeux. Grillés. Nous sommes grillés.
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