– Cléandre, tu as des capotes ?
Son corps cesse d'onduler contre le mien. Il penche la tête de côté. Puis il me demande de fouiller dans le vide-poche pendant que lui explore la portière. Rien. Il passe sur la banquette arrière pour vérifier sous les sièges. Rien non plus. Il revient à côté de moi, vide sa sacoche sur le siège. Rien non plus. Mes dents maltraitent ma lèvre ; j'ai tellement envie de lui...
– Au pire...
J'hésite à formuler ma pensée. Ma mère m'a toujours mis en garde là-dessus : pas de sexe sans protection.
– J'ai fait un test y a pas longtemps, alors si tu es clean, on peut...
– Je suis clean. Mais c'est non. Hors de question. Je ne suis pas du genre à faire confiance sur parole.
Il a raison, je le sais, mais je ne peux m'empêcher d'être vexé.
– Dis tout de suite que je mens !
– C'est pas une question de mentir. J'ai déjà eu un rapport à risque, pour ma première fois d'ailleurs. Je ne referai pas la même connerie deux fois. Alors, même si c'est frustrant, c'est non.
Une moue de déception froisse son joli visage. Ses épaules s'affaissent. Son front vient taper le volant et déclenche le klaxon. Cléandre se redresse aussitôt, puis se tourne à demi vers moi.
– Putain, la prochaine fois, prévois capote et lubrifiant !
– La prochaine fois ? Tu me laisses une autre chance ?
Ma question lui fait l'effet d'un électrochoc. Il secoue la tête. L'excitation s'éteint dans ses prunelles, remplacée par cette tristesse qui me glace le cœur. Même sa voix me semble morne.
– Cléandre, je suis désolé, je...
– Ne le sois pas, c'est sans doute mieux comme ça.
Un frisson le parcourt, il s'enveloppe de ses bras. Le geste dévoile un second tatouage que je n'avais pas remarqué jusque là. De la taille d'une demi-paume, logé à quelques centimètres en dessous de son aisselle. Son aspect ressemble aux inscriptions présentes sur les mangas de Jared.
– C'est un junki ?
– Pardon ?
– Ton tatouage, c'est un junki ? Il veut dire quoi ?
Ses yeux s'arrondissent, puis se plissent. Sa bouche passe par les mêmes mimiques ; j'ai du me tromper de mot. Et je passe pour un imbécile, encore une fois. Mes joues cuisent. Pour reprendre contenance, je m'occupe de ramasser son pull.
– Les lettres japonaises, ça s'appelle pas comme ça ?
– Ha... oui, c'est un kanji.
– Et ça veut dire quoi ?
– Rien qui te concerne.
Son ton sec ne fait qu'attiser ma curiosité. La marque m'attire comme un aimant. Si petite, mais réalisée avec une finesse extrême. Tout comme son scorpion. D'ailleurs, la pointe des pattes et celles de cette lettre japonaise — ou de ce mot ? – se terminent avec les mêmes empattements.
– C'est la même personne qui a fait tes deux tatouages ?
– Oui. Rappelle-moi ton adresse s'il te plaît ?
– Faudrait que tu me donnes le nom de ton tatoueur, c'est un travail extraordinaire !
– Je sais. Ton adresse ?
Il ne veut pas en parler. Je devrais me taire, mais ça exacerbe ma curiosité. Alors j'insiste. Je me moque même un peu de lui ; un tatouage, ça n'a rien de tabou de nos jours, c'est même plutôt sexy, alors pourquoi il éviterait le sujet ? J'émets ensuite des hypothèses sur la signification du Kanji. Amour ? Maman ? Paix ?
Cléandre redémarre en silence. Il subit ma pluie de questions, je le vois et pourtant, impossible de m'arrêter. En réalité, je meuble le silence. J'ai peur du silence, peur de ce qu'il pourrait dire si je lui en laissais l'occasion. Je lui ai promis de le laisser tranquille s'il lâchait prise. Il a lâché prise, et ça n'a servi à rien. Ça me mortifie. Je tenais ma chance et je l'ai gâchée bêtement avant même de me rendre compte que si j'avais été un peu plus patient, il me serait tombé dans les bras, j'en suis sûr. Il n'aurait pas cédé si facilement s'il n'était pas sensible à mon charme. Sa petite amie ne parlerait pas de regard langoureux.
Lorsqu'il s'engage dans ma rue, je panique. Dans quelques mètres, tout sera définitivement fini ! Je m'agrippe à son bras, je vais même jusqu'à laisser courir mon index sur ce minuscule tatouage, puis sur les pinces du scorpion, bien content qu'il n'ait pas pris le temps d'enfiler son pull.
– S'il te plaît, dis-moi ce que ça veut dire ? Et qui te l'a fait ? Je le trouve super beau, je me ferai bien faire le même !
D'un coup de volant brusque, il gare la voiture sur le trottoir.
– Descends. Tout de suite.
– Quoi ? Mais c'est pas ma maison !
– Tu sais pas t'arrêter, Nathéo. Tu parles à tort et à travers, tu comprends très bien quand tu vas trop loin, mais tu t'en fous. Ce tatouage, c'est le prénom de mon ex. Et je n'ai pas envie d'en parler avec toi parce que ça ne te regarde pas. Tu m'avais promis que tu me lâcherais, aie la décence de tenir ta promesse !
Encore une fois, je suis coupable de ses larmes.
– Je...
– On se voit demain en cours, descends de cette voiture avant que je te foute dehors !
– Cléandre, tu as l'air tellement triste, j'ai juste envie de t'aider ! Il y a quelque chose de brisé en toi, je veux t'aider à le réparer !
À ma grande surprise, sa colère retombe aussitôt. Du bout des doigts, il caresse ma joue.
– Ce n'est pas réparable. Pars, Nathéo... s'il te plaît.
Le cœur en miette, je ramasse le T-shirt qu'il m'a prêté ce matin. Au lieu de l'enfiler, je le lui tends ; il n'aura sans doute pas envie de me reparler après ça. Il me surprend une fois de plus, me conseille de le garder, de le laver et de venir lui rendre demain, en classe d'anglais. La même salle que pour le Santa. Mon esprit s'emballe déjà : il ne peut s'agir d'une simple coïncidence ! c'est forcément un signe, un pas que fait Cléandre vers moi pour... pour quoi, en fait ?
– Nathéo Da Souza !
L'intervention de ma mère éparpille mes pensées fébriles et je passe le quart d'heure suivant assis sur une chaise de cuisine, la tête basse, à l'écouter m'inonder de reproches : elle s'est fait un sang d'encre, j'aurais dû lui passer un coup de fil. Ou au moins un SMS. Puisque je ne sais pas me comporter en adulte responsable, je ne sortirai pas avant fin février. Presque deux mois, c'est interminable ! Je m'insurge : en plus, le chargé de TD d'anglais va nous donner un travail de groupe à faire !
Soudain, je n'entends plus ma mère. Elle continue de parler, bien sûr, mais une idée vient de germer. Une idée génialissime : et si je m'arrangeais pour être dans le groupe de travail de Capuche ? Mieux, si je m'arrangeais pour que lui se retrouve dans le même groupe de travail que moi ? J'aurais ainsi une plus grande marge de manœuvre que le rendu de son T-shirt. Je dois juste trouver comment faire.
Ma mère récupère mon téléphone portable, deuxième punition selon elle, et m'envoie dans ma chambre. Qu'à cela ne tienne, ma tablette possède les mêmes applications que mon smartphone. Quelques tapotements plus tard, je discute avec Jared sur messenger. Je lui expose mon plan, lui explique sommairement que Cléandre s'avère bien plus intéressant que Sarah et qu'il devient ma nouvelle cible. Mauvaise idée selon lui, cette histoire va me retomber sur le coin du nez. Je balaie ses doutes et, après plusieurs heures de négociations, je le rallie enfin à ma cause.
Notre plan est simple : déterminer quel sujet plaira le plus à Cléandre et s'y porter volontaire avant lui.
Plus facile à dire qu'à faire ! Seul dans ma chambre, allongé sur mon lit et occupé à ricaner avec Jared, le plan me semblait sans faille. Nous avons juste oublié un menu détail. Très léger. Trois fois rien. Le professeur n'a préparé aucun sujet. Assis sur son bureau et en attendant que tous les élèves — dont le responsable de mes maux de ventre — arrivent, il nous explique que nous devrons former des trios — nous sommes 27 —, puis nous devrons monter un dossier sur une association humanitaire, et, enfin, nous passerons à l'oral devant tout le monde.
Le désespoir m'envahit. C'est foutu. Je ne vois pas du tout comment faire. Les groupes commencent déjà à se former. Jared cherche un troisième membre pour le nôtre, de quoi me déprimer davantage. Plutôt que d'assister au désastre, j'enfouis ma tête dans mes coudes.
Le brouhaha me berce, je m'endormirais bien : je n'ai rien de mieux à faire. Quelqu'un se laisse tomber à mes côtés, me secoue. Une fois, deux fois. Un grommellement m'échappe :
– Quoi ?
– Sarah n'est pas là. Tu as deux secondes pour rejoindre Capuche pendant que moi je rejoins Elisabeth et Tom avant lui. Comme ça, vous formerez un groupe.
– Je...
– Grouille ! Et oublie-pas que tu me devras une faveur !
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