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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

– Nathéo, tout le monde t'attend bon sang, t'es où ?

Où je suis ? Excellente question. Il y a dix minutes, j'arpentais la rue de la liberté, une rue que je connais à la perfection. Sauf que j'ai fait l'erreur de m'engager dans une ruelle et à présent, me voilà perdu. Impossible de retrouver mon chemin. Tout ça à cause de Thibaud Potivier, mon chargé de TD d'anglais ; il a eu la merveilleuse idée d'organiser un secret santa.

Nous devons échanger les cadeaux aujourd'hui, au cours de 15 h. Il est 14 h 59, je suis à un quart d'heure des facs et je n'ai pas le moindre truc à offrir. D'où ma présence au centre-ville dans l'espoir de dénicher un cadeau pas trop cher, néanmoins pas trop mal.

À ma décharge, j'ai hérité du garçon le plus insipide qui soit, l'asocial en titre de la classe : Capuche, autrement nommé Cléandre. Une espèce de type qui revêt en permanence des vêtements sombres et se cache sous une capuche -d'où son surnom. D'ailleurs, malgré les nombreuses remarques des profs et des autres élèves, il ne l'enlève jamais. L'irrespect total. Un jour, il a trébuché sur un sac. Sa capuche a glissé et nous a révélédes cheveux blonds parsemés de mèches pourpres. Je n'ai pas eu le temps de voir son visage, mais la rangée de piercings étincelants à son oreille droite ne m'a pas échappé. Un mec tape à l'œil caché dans des fringues informes. Franchement bizarre.

Si il a attiré l'attention les deux premières semaines, il fait désormais partie du décor. Jamais absent, jamais un mot plus haut que l'autre, à l'écoute du prof... mais toujours sous sa capuche. Un type qui agit de la sorte doit avoir une sorte de secret honteux. Je suis sûr qu'il possède un visage disgracieux, une vilaine cicatrice, quelque chose qui le rendrait plus que désagréable à regarder.

Il m'énerve, je ne le supporte pas. Et surtout, je me demande ce que Sarah lui trouve. Haaa, Sarah... la cause de mes regards vers Capuche ; je ne le regarde pas, lui : je la regarde, elle. Sa petite amie, toujours collée à lui, une fille rayonnante au sourire dévastateur. J'en connais plus d'un — et plus d'une — de notre promo qui se damnerait pour un sourire de Sarah. Je n'ai jamais vu couple plus mal assorti que ces deux-là... La belle et la bête, à n'en point douter. Suis-je jaloux ? Parfaitement, et ce depuis la rentrée !

J'ai repéré Sarah dès son entrée dans l'amphithéâtre, le premier jour de classe : une démarche sensuelle, de longs cheveux auburn lisses qu'elle avait noués en queue de cheval haute, un visage fin et ovale à peine maquillé, de grands yeux noisette rieurs. Si seulement j'avais pioché son prénom... Elle, je saurais quoi lui offrir. Un pendentif, une paire de boucles d'oreille, une écharpe soyeuse... un baiser.

– Dis, Jared, t'aurais pas une idée de cadeau ?

– Bah... un piercing... ou un Sweat-shirt à capuche, ricane mon meilleur ami. Mais magne-toi, le prof te donne une demi-heure avant de débuter le secret santa. Si t'es le seul à rien offrir, tu passeras pour un radin auprès de Sarah.

– Un piercing ? Mais quel genre ?

– J'ai entendu Sarah dire qu'il aimait les scorpions une fois.

– OK, j'vais chercher ça. Je serai là dans une demi-heure, si je retrouve mon chemin.

- Nath ?

– Ouais ?

– Ton Téléphone fait GPS, non ? Donc, trouve une bijouterie et magne-toi !

Je me sens un peu idiot de ne pas y avoir songé. Pendant que je règle mon GPS, mes pensées s'égayent : la vie est tout de même mal fichue. Devoir offrir un cadeau au petit ami de son crush, quel manque de chance.

Mes jambes me mènent au pas de course vers une librairie que je connais bien. De là, je retrouve un petit magasin qu'un de mes ex m'a fait découvrir — il voulait absolument un pendentif tribal — et m'y engouffre. Mes yeux parcourent les présentoirs. Des pendentifs Elfes, des Fées, des signes tribaux ou encore des salamandres. Des bagues du même style, des piercings aussi, par dizaine. Comme le temps me manque pour fureter, j'interpelle la Vendeuse. Elle se fait un plaisir de me présenter deux modèles. Le moins cher fera l'affaire.

Mon entrée dans la salle de classe mériterait de figurer parmi les moins discrètes : la porte, ouverte avec un peu trop d'entrain de ma part, rebondit contre le mur pour me revenir en pleine face. Un juron m'échappe tandis que je donne un coup de pied dans la traîtresse qui revient heurter le mur avec fracas. Mes joues cuisent lorsqu'une vingtaine de paires d'yeux se braquent sur moi. Après avoir grommelé des excuses et à la demande de Thibaud, je scrute la salle à la recherche d'une place libre.

Et là, ma journée s'illumine. Je me sens soudain léger, chanceux, comme si l'Univers m'offrait un cadeau de Noël en avance. Mon secret santa pourra faire tout ce qu'il ou elle veut, rien ne me fera autant plaisir que de voir Sarah me faire signe de la rejoindre. Sur sa gauche, son imbécile de petit ami, toujours dans sa capuche, dort sur la table. La place à sa gauche est libre.

Frissonnant de bonheur, je me faufile jusqu'à elle, lui glisse un " bonjour" enjoué auquel elle répond d'un sourire lumineux. Me voilà comblé pour la fin de l'année !

– Eh bien, j'ai cru que tu ne viendrais jamais !

– Tu... tu m'attendais ?

Elle hoche la tête, ses cheveux défaits ondulent.

Mon sac s'échoue au sol au moment ou je m'échoue sur la chaise, puis je me tourne vers elle. Mon cœur se serre de la voir de si près. Ses cils interminables battent avec lenteur, sa bouche rosée remue, mais mon cerveau anesthésié par sa beauté refuse de l'écouter. En douceur, sa main se pose sur mon épaule, me secoue.

– Nathéo ?

Elle connaît mon prénom ! Joie ! Bonheur, je peux mourir heureux !

– Nath, tu vas bien ?

– Oui, oui, pardon, j'ai couru pour venir, je suis un peu essoufflé, c'est tout.

– C'est vrai que tu es tout rouge... mais tu es mignon quand même.

Elle me trouve mignon et ne se gêne pas pour me le dire en présence de son amoureux. Enhardi, je me recoiffe d'un geste assuré avant de me pencher vers elle.

– Je suis rouge parce que tu me troubles, Sarah.

Ses joues se colorent à leur tour, ses lèvres s'entrouvrent. La danse de ses cils s'accélère, puis elle lâche, dans un souffle.

– Je crois bien que c'est réciproque...

La proximité de Capuche me stresse autant qu'elle me donne des ailes. La sueur inonde mon front. Après avoir avalé ma salive avec difficulté, j'essuie une main moite sur mon pantalon. La sienne glisse sur la table, s'approche de moi.

– Nathéo...

Mon cœur menace d'exploser, tous les étudiants nous entourant disparaissent. Ne reste que nous deux, ses doigts fins, les miens qui partent à leur rencontre. Nos yeux ne se lâchent plus. En même temps que nos mains, nos corps réduisent la distance qui nous sépare. Ses lèvres m'appellent...

Enfin, nos peaux se frôlent. Je frissonne, elle aussi. Nos bouches ne sont plus qu'à quelques centimètres l'une de l'autre.

– Nathéo, le prof vient de t'appeler.

Sarah recule comme si on l'avait giflé, mon corps se fige. Je n'ose plus bouger ni parler. Cléandre s'est redressé et semble nous observer. Je ne peux en être sûr ; je ne vois pas ses yeux, mais sa capuche est tournée vers nous.

Son index se pointe vers Thibaud. Sa copine se recroqueville sur sa chaise, sans doute honteuse d'avoir été surprise à deux doigts de le tromper. Et lui ne lui accorde même pas un regard. Je meurs d'envie de lui dire qu'il ne la mérite pas, au lieu de ça, je lui jette le paquet contenant le piercing — raison pour laquelle le prof m'interpellait — avant de me renfoncer sur ma chaise pour lui montrer ostensiblement à quel point il m'indiffère. Je refuse même de répondre à ses remerciements. Cet abruti a interrompu un moment primordial.

Lorsque ma Sarah reçoit à son tour un paquet, je réalise qu'elle n'a pas offert le sien. Tous les espoirs sont alors permis : et si elle était mon secret santa ? Commence alors une attente aussi angoissante que grisante. À chaque prénom appelé, je frémis, redoute de recevoir un cadeau empoisonné. Empoisonné car il ne viendrait pas de ma si jolie voisine de table.

Au terme de plusieurs minutes interminables, je jette un regard vers Sarah, aussitôt rongé par la jalousie. Penchée sur Cléandre, elle admire avec lui le scorpion que je viens de lui offrir. Cette jalousie fond comme neige au soleil lorsqu'elle se tourne vers moi :

– Tu as tellement bien choisi Nathéo, tu as bon goût !

La tentation de flirter est trop forte pour que je puisse y résister.

– C'est pour ça que je suis sous ton charme, Sarah.

Ses yeux s'écarquillent, elle bafouille, s'excuse et se lève soudain. Elle demande au prof si elle peut aller aux toilettes et détale aussi vite qu'elle peut. Je me sens mal, je n'aurais jamais dû la charmer alors que Capuche nous regardait.

Pourtant, à ma grande surprise, celui-ci ne réagit pas. Il ne m'insulte pas, ne me lance aucun regard noir. Non, il retourne juste le scorpion entre ses doigts et murmure un " bien choisi". Puis il rabat sa capuche. Comme ça, sans prévenir. J'en reste bouche bée.

J'imaginais un garçon affreux, au visage disgracieux et parsemé d'acné, mais devant moi se trouve un jeune homme aux traits délicats. Perturbé, j'avale une fois encore ma salive avec difficulté. Cléandre, bien plus que Sarah est tout à fait à mon goût. D'un geste précis, il décroche une de ses boucles, un anneau, pour le remplacer par le scorpion. Il lui sied à merveille !

Non, impossible, je dois rêver !

Lèvres pincées, je me détourne pour m'enfermer dans mes pensées. Je suis amoureux de Sarah, la simple vu de ce visage ne peut pas ébranler à ce point mes sentiments. Pourtant, je me sens retourné.

– Nathéo ?

Et le voilà qui m'appelle d'une voix chargée de douceur, comme si je n'étais pas assez chamboulé comme ça ! Mon ton se fait bourru :

– Quoi, qu'est-ce que tu me veux ?

Un frisson le parcourt, il contient un mouvement de recul avant de se rapprocher de moi en empruntant la chaise de Sarah.

– Qu'est-ce que... tu...

– Je ne vais pas te manger...

Ses yeux me transpercent. Deux magnifiques iris bleu lavande pourtant ravagés par une tristesse infinie en désaccord total avec le sourire dessiné sur ses lèvres. Pas juste de la peine d'avoir été rabroué, non, c'est bien plus profond que ça. Comme si tout son être est englué dans un accablement débordant par ses yeux. Il est malheureux, profondément malheureux.

Mon cœur se compresse ; je veux savoir à quoi il pense. Et soudain, un désir me submerge, celui de faire disparaître à jamais cette lueur de son regard. Un autre naît, celui de rester à ses côtés, de lui parler, d'apprendre à le connaître. De m'excuser aussi...

– Pardon, je.... j'ignorais que tu...

– T'en fais pas, mais si tu n'acceptes pas mon cadeau, ça va devenir gênant. Je suis ton secret santa, Nathéo.

Je déglutis une troisième fois avant de baisser les yeux sur sa paume tendue sur laquelle trône un paquet brillant. Comme je ne bouge pas, il s'empare de ma main. Mon corps frémit, mes joues rougissent. Je crois que je suis à deux doigts de soupirer de bonheur.

– Pas trop déçu ?

– De quoi ?

– Que je ne sois pas Sarah ?

Sarah ? Plusieurs secondes me sont nécessaires pour me souvenir de qui il parle. Quelle honte !

– Hein ? Non, pas du tout ! Au contraire je... je me trompais tellement sur toi tu es... solaire en fait tu...

Je me tais aussitôt. Bravo, Nathéo, tu es en train de flirter avec le petit ami de ton crush. Crush avec lequel tu viens de flirter aussi, ce que Capuche n'ignore pas.

Mais il me surprend encore. Son index crochète mon menton. Avec une lenteur insupportable, il se penche sur moi, dépose un baiser sur le coin de mes lèvres.

– Joyeux Noël, Nathéo.


Texte publié par Carazachiel, 21 février 2019 à 13h43
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