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J'entendis un grognement près de moi et cela me fit tourner le regard. Trois paires d'yeux me dévisageaient tandis qu'un glapissement de tristesse envahissait mes oreilles. Je me levai. Je n'avais pas contrôlé le sommeil qui m'avait capturé ici. J'étais venu dans ce lieu car c'était bien le dernier dans lequel mes frères d'armes me chercheraient. Je n'avais pas besoin de leur aide. Je voulais rester seul avec ma peine. La créature à mes côtés se coucha avec lenteur, ses deux pattes avants m'entourant comme un mur protecteur.

« Merci Cerbère, tu es gentil. Mais toute l'affection que tu me portes ne le remplacera pas. Tout cela ne me guérira pas. »

Il gémit à mes paroles, frottant une de ses grosses truffes contre mon bras. Des larmes commencèrent de nouveau à couler sur mes joues sans que je puisse les arrêter. Non...stop...STOP !

****************

« Pharaon, allez viens !

- Non ! Tu me gonfles là ! »

Le Spectre du Basilic soupira et afficha un visage vexé. Il s'assit près de moi sur les marches menant au palais des Enfers, me fixant sans relâche jusqu'à ce que je me tourne vers lui. Je ne pus retenir un claquement de langue. Il savait toujours comment me faire réagir. C'était terriblement pénible.

« Quoi à la fin ? Claquai-je d'un ton rude.

- Moi rien, mais toi par contre..., ronronna mon ami, laissant volontairement sa phrase en suspens.

- Je n'ai rien, ne t'inquiète pas. Tu fais toujours une montagne d'une taupinière.

- Que je ne m'inquiète pas ? Tu es mon meilleur ami, alors comment ne pas m'inquiéter pour toi ? »

C'était bien cela le problème, notre amitié trop grande à mon goût. Je rêvais de plus, sans vraiment espérer ni faire le premier pas. Je fermai les yeux quelques secondes afin de retenir une nausée de dégoût envers ma propre lâcheté. Je ne ferais jamais rien pour changer notre situation, je ne voulais pas détruire ce qui nous unissait. Je ne voulais pas perdre la seule chose qui me guérissait de la douce folie qui menaçait de me submerger. Pour ne rien laisser paraître, je me levai.

« Dépêche-toi, le Seigneur Hadès nous attend. »

Ma cape voila mon surplis, ajoutant une couche à l'armure qui déjà protégeait mon être.

****************

Je m'écroulai par terre, tremblant, la gorge nouée par des milliers de sanglots. Je désirais le retrouver, être de nouveau dans ses bras pour ne plus sentir le chagrin me dévaster. Pour que sa chaleur me fasse oublier encore une fois que nous étions des Spectres, des guerriers, destinés à nous battre dans un cyle sans fin. Vie, après près.

Je sentis une douce main se poser sur mon épaule. Je n'avais pas besoin de me retourner pour voir qui se tenait dans mon dos. Mais je le fis quand même pour me jeter dans ses bras, nous faisant tomber sur les dalles dures. Je serrai mes poings sur le torse de mon supérieur, malmenant sa chemise noire. Une douce caresse dans mes cheveux brisa mes barrières et j'éclatai en sanglots.

« Pleures, murmura l'homme. Pleures mon ami, tu verras comme cela libère. »

Je laissai s'écouler toute ma tristesse, toute ma rage envers moi-même. Je laissai tout tomber, tout ce que j'avais tenté de cacher en moi pour paraître fort. Alors que tous pleuraient autour de moi, je m'étais interdit cela, pour les soutenir et les réconforter. Mais maintenant, je ne tenais plus. J'avais besoin de me libérer.

« Je sais que ça fait mal et je m'inquiétais pour toi, continua sa voix du Juge contre qui je me serrai plus fort encore.

- Pourquoi ? Demandai-je entre deux sanglots.

- Tu étais le plus proche de lui. »

La main dans ma chevelure descendit vers mon menton pour me forcer à lever le visage. Mon regard noyé de larmes se plongea dans le sien. Le chagrin que j'y lus me perça le cœur.

« Perdre un être cher est une chose terrible, je le sais mieux que quiconque. Et j'ai agis comme toi au début. Je voulais être celui sur les qui les autres pouvaient se reposer. J'ai passé deux semaines dans le temple du Sagittaire à rester avec Aioros. Aiolia serait mort une seconde fois si son frère l’avait rejoint trop tôt. Je ne pouvais que faire cela pour honore sa mémoire. Durant des heures, j'ai écouté pleurer Dokho et Aphrodite. Je ne ressentais rien, j'avais tout enfoui en moi. Ma libération n’est venue que bien trop tard, je le regrette amèrement. J’ai eu le temps de me détruire.

- Comment cela s'est-il passé ? » Questionnai-je sans l’imaginer une seconde en proie à une telle détresse.

****************

Alors que le Juge venait de finir sa séance d'entraînement matinale, il regarda le ciel encore sombre. Le soleil allait se lever dans à peine une heure. Il aimait être au Sanctuaire. Le soleil caressait agréablement sa peau, le vent soufflait dans ses cheveux et séchait sa sueur. Cela lui faisait oublier un temps son chagrin.

Alors qu'il allait retourner aux Enfers, il sentit une présence terrifiante dans son dos. À peine se retourna-t-il qu'un violent coup de poing l'envoya voler au bout des arènes. Il se releva, massant douloureusement sa mâchoire alors qu'un filet de sang coulait de sa lèvre fendue. Heureusement, la puissance de l’homme qui se tenait devant lui n’excédait pas la sienne, il n’avait donc pas percuté les murs de pierre, au risque de se casser quelque chose.

« Loki, marmonna-t-il sombrement. Tu m'excuses, mais je n'ai pas le temps de m'amuser à me battre ce matin. »

Alors qu'il lui tournait le dos, il eu tout juste le temps d'esquiver une nouvelle attaque, qui détruisit cette fois une partie des gradins. Sa force était réellement effrayante, mais pas pour le Juge, qui en avait combattu d'autres de sa trempe. Cependant, il laissa la colère éclater en le foudroyant du regard, hurlant d'une voix pleine de reproches :

« T'es malade ou quoi !

- Voyez qui parle ! Beugla celui qui venait de tenter de l'assommer à grand coup de Cosmos.

- LOKI ! »

Les deux hommes tournèrent la tête pour voir arriver, essoufflés, Aphrodite et Kanon. Le Chevalier des poissons se précipita vers le Spectre tandis que le dragon des mers rejoignait le double de son frère. Le temple des Gémeaux devait être bien petit pour trois personnes… Athèna avait-elle perdu la raison pour offrir à un corps de chair à la seconde personnalité dévastatrice de Saga ?

« Rhadamanthys, est-ce que tout va bien ? Demanda le jeune androgyne, visiblement très inquiet.

- Oui, ne t'inquiète pas, le rassura-t-il en stoppant sa main qui voulait essuyer le sang sur son menton.

- Loki, es-tu devenu totalement fou ? S'exclama Aphrodite d'un ton furieux.

- Pourquoi tu es en colère contre moi et pas contre lui ? Se défendit ce dernier.

- Parce que lui n'a pas essayé de te déboîter la mâchoire !

- Mais…

- Ça suffit maintenant ! » Le coupa Kanon.

Il était rare de le voir s'énerver de la sorte. D'ordinaire il était un de ceux qui restaient le plus calme dans une situation comme celle-ci. Il se tourna vers le Juge pour prendre la parole, semblant contenir son agacement avec difficulté. La sagesse et les enseignements de Saga avaient porté leurs fruits sur l'impétueux dragon.

« S'il ne l'avait pas fais, je ne me serais pas privé de t'en donner une Rhada, crois moi, gronda-t-il.

- Kanon !

- Aphro, il a le crâne tellement dur qu'il faut taper dessus pour faire rentrer quelque chose !

- De quoi parlez-vous tous ? » S’impatienta le Juge dont les affaires se faisaient de plus en plus pressantes.

Kanon fut obligé de retenir Loki pour ne pas qu'il se jette sur lui tandis qu'Aphrodite soupirait. Étant le plus doux, ce fut lui qui prit la parole en plongeant un regard tendre dans celui de son ami des Enfers, posant sa main sur son bras.

« Nous sommes inquiets pour toi, lui dit-il d'un ton très calme, mais terriblement triste.

- Pourquoi cela ?

- Rhadamanthys, s'il te plaît, regardes toi. Tu n'es plus l'homme que nous avons connu et que nous aimons. Tes yeux sont vides, ton Cosmos décline. Tu fais semblant d'être fort mais je sais qu'en toi se battent haine et chagrin. Laisses les sortir.

- Mais de quoi parles-tu enfin ? » Questionna le Juge, complètement perdu.

Il ne semblait sincèrement pas comprendre pourquoi ses trois amis se mettaient dans un tel état pour lui.

« AIOLIA ! »

Loki avait hurlé ce prénom dans l'espoir de le faire réagir. Et ce fut le cas. Il trembla, et des milliers de souvenirs envahirent sa mémoire. Son amant, son amour, son meilleur ami, la personne la plus importante de sa vie était… morte…

****************

J'avais écouté le récit avec intérêt et j'avais senti la main dans mon dos se serrer. Les yeux du Juge ruisselaient de larmes. C'était la première fois que je voyais que derrière son surplis, il était humain. Je ne l'avais jamais connu autrement que comme un supérieur lointain, froid et terriblement sérieux dans son travail. Alors voir sa carapace se briser comme cela m’effrayait. Si lui perdait le contrôle, moi je ne pourrais jamais parvenir à le reprendre.

« Et après ? Demandai-je, hésitant.

- J'ai pleuré dans les bras d'Aphrodite et Saga, m’avoua-t-il. J'ai pleuré durant des jours entiers la mort de l'amour de ma vie. Sans lui, mon existence avait perdu tout son sens. Aiolia était tout pour moi. Lorsque Shion m'a averti qu'il avait eu un accident de voiture, j'ai cru que mon cœur allait s'arrêter. Durant les trois mois de son coma, je n'ai pas quitté l'hôpital, j'étais sans cesse à son chevet. Je m’excuse d’ailleurs pour tout le travail que tu as dû faire à cause de mon absence, rajouta-il, un léger sourire sur les lèvres. Aioros était là tous les jours, mais il repartait le soir. Nous restions tous les deux sans parler, juste à le regarder, chacun lui tenant une main. Puis une nuit... »

****************

Le Juge n'arrivait pas à fermer l'œil malgré sa fatigue. Chaque jour il priait Hadès de ne pas lui prendre son amant. Mais il savait que cela ne dépendait pas de son Dieu et que les Moires n’écouteraient pas ses demandes. Il avait passé la soirée, après le départ d'Aioros, avec Dame Perséphone qui était venue lui rendre visite. Elle lui avait rapporté que tout le monde s'inquiétait beaucoup pour lui aux Enfers, et également que son époux avait fais enfermé Minos et Eaque pendant deux jours dans leurs demeures afin d'éviter qu'ils ne viennent tout ravager à l'hôpital jusqu'à le trouver.

Cela avait fait rire le Juge, mais lors du départ de la divinité, il avait lu dans son regard de la tristesse. Et depuis, il était effrayé, comme une proie aux aguets. Depuis, il avait un très mauvais pressentiment. Alors qu'il piquait du nez, il sentit la main du Chevalier serrer légèrement la sienne. Il sursauta et s'aperçut qu'Aiolia avait ouvert les yeux. Des larmes de soulagement roulèrent sur ses joues.

« Bonjour mon amour, bienvenue dans notre monde, lui dit-il avec un sourire en lui caressant la joue.

- Je...suis...désolé..., murmura difficilement le Lion.

- Pourquoi donc ? »

Il ne reçut aucune réponse et commença à paniquer.

« Aiolia ? Aiolia ! AIOLIA ! »

Mais il était trop tard. Ses yeux était vides de toute expression. Ses doigts ne serraient plus les siens. Le bruit de la machine près du lit interpella les infirmiers qui tentèrent de réanimer le jeune homme sans succès. Alors, le monde de Rhadamanthys, Spectre de la Wyvern et Juge des Enfers, s'écroula devant ses yeux. Il ne percevait plus l'agitation autour de lui. Pas plus qu’Aphrodite et Saga, arrivés en urgence après un appel du médecin, de même qu'Aioros. Il ne fit pas plus attention lorsque le Chevaliers des Poissons lui prit la main pour le faire sortir de la chambre. Plus rien n'avait d'importance. Il était vide de toute émotion.

****************

Mon cœur se serra en entendant comme le Chevalier du Lion était mort. Il avait été un homme très respecté aux Enfers, il s'entendait avec tout le monde et son décès les avait tous chamboulé. Mais personne n'avait su exactement comment cela s'était produit. Maintenant que je le savais, je me sentais encore plus triste pour le Juge. Il avait vu mourir son amant sous ses yeux, il lui avait même parlé. Après tous nos efforts, après la fin d’une guerre dévastatrice et un nouveau commencement, la mort venait encore faucher nos frères et nos compagnons.

Dans une futile tentative pour consoler le Spectre, je me pelotonnai avec douceur dans ses bras. Il passa les siens autour de moi et me serra contre lui de toutes ses forces, pleurant dans le creux de mon cou. Lorsqu'il prit la parole, ce fut d'une voix brisée par les larmes.

« J'ai tellement enfermé mes émotions que je n'ai même pas pleuré le jour de son enterrement. Tout comme toi. Et je l'ai regretté. Je suis venu lui demander pardon juste après l'incartade avec Loki. J'ai pleuré toute la journée sur sa tombe, jusqu'à ce que la nuit ne m'emporte dans un profond sommeil. »

Il me fit reculer et plongea son regard douloureux dans le mien.

« Je suis sûr que tu ressens la même chose que moi. Libères toi, tu as le droit de pleurer un amour mort. C'est humain.

- Le Rhadamanthys d'avant n'aurait pas dis ça, osai-je dans un sourire maladroit.

- Mais il n'existe plus. Aiolia m'a rendu mon humanité. Et pour cela je lui serais éternellement reconnaissant. »

Je me levai d'un mouvement sec pour courir là ou avant, Eurydice se trouvait. Dans ce champ de fleurs au milieu duquel une tombe blanche trônait. Dès que je la vis, je ne pus me retenir et m'écroulai devant, pleurant toutes les larmes de mon corps. Je savais que j'allais devoir apprendre à vivre dans lui. Mais je n'en avais pas la force. J'allais devoir demander de l'aide. Mais ce n'était pas une honte.

Pharaon était humain, et il pleurait la mort de Sylphide.


Texte publié par Loune, 3 février 2019 à 00h33
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