Arrivés devant le bâtiment, ils échangèrent un regard avant d'entrer. Dvan fit un signe de tête à la jeune femme qui lui paraissait brusquement plus fragile. Il ne pouvait même pas l'aider autrement qu'en étant présent. En effet, il ne savait des faits de la veille que ce qu'elle lui avait raconté. Il n'en avait pas été le témoin direct et l'on ne risquait pas de lui accorder du crédit.
Après, il se doutait que Lynette ne pouvait raconter les choses comme elle s'était passée. Surtout parce qu'elle incluait une goule. Ça et, aussi parce qu'un type avait fini à moitié dévorée. Ça ne passerait sûrement pas aux yeux des autorités.
Le géant poussa la porte et la tint, pour la laisser passer. Elle se glissa délicatement dans la bâtisse. De dos, la jeune fille lui paraissait encore plus frêle. Il sentit son coeur se serrer à l'idée de l'épreuve qui l'attendait. Sans un mot, il la suivit, alors qu'elle alla se poster devant le comptoir.
-Bonsoir.
Un homme leva ses yeux vers elle, avant de remonter ses lunettes sur son nez. Son regard allait de la jeune fille, au géant se tenant derrière elle. Il ne savait pas s'il devait être attendri par ce visage digne d'une poupée ou effrayé par le colosse qui l'accompagnait. Finalement, il fixa son attention sur la demoiselle, vision beaucoup plus réjouissante, en cette froide soirée d'automne.
-Bonsoir. Que me vaut le plaisir de cette visite ?
Lynette prit une grande inspiration.
-Je suis venue…
Sa voix mourut dans sa gorge.
Dvan aurait aimé faire quelque chose pour l'aider, mais ne savait que faire. Il préférait éviter de la toucher, surtout en public dans un espace confiné.
Elle se reprit.
-Je suis venue signaler la disparition de mon père…
Il y eut un blanc.
-Vous êtes sûr qu'il a vraiment disparu ?
Lynette s'était attendu à tout sauf cette question.
-Il n'est pas revenu à la maison hier soir, murmura-t-elle du bout des lèvres.
-Et il ne pourrait pas se trouver ailleurs ?
L'homme hésita à parler, comme s'il ne pouvait pas formuler ce genre de demande devant une jeune fille.
Elle secoua la tête.
-Mon père était là, chaque soir et nous dînions ensemble.
Sa voix s'était faite plus froide.
-D'accord. Attendez-là, je vais voir si quelqu'un peut prendre votre déposition. Le monsieur est avec vous ?
-Oui.
-Vous êtes ?
-Son employé.
L'autre eut une drôle d'expression, avant de se reprendre et de se dire qu'il était sûrement l'employé du père et non de la fille. Comme si une femme pouvait avoir besoin d'employé.
-Je vais prendre votre nom et votre prénom, ainsi que votre métier. Enfin, non, vous n'en avez sûrement pas.
Lynette se retint. Elle aurait voulu lui dire qu'elle était gardienne de cimetière comme tous les membres de sa famille, mais cela n'aurait pas joué en sa faveur, aussi le plus naturellement du monde, elle déclama son identité.
-Très bien, installez-vous, ici. On viendra vous chercher.
Lynette le salua d'un geste de la tête, avant d'aller s’asseoir sur les bancs prévus à cet effet. Dvan la suivit en silence. Elle était pâle et paraissait prête à éclater en sanglot, cependant elle tenait bon. S'il avait été seul, il aurait pris sa main dans la sienne pour la réconforter.
Le silence les entourait, oppressant.
-Ne t'en fais pas, je suis là, laissa soudain échapper le géant.
Elle retira ses lunettes, passa la main sur son visage, comme pour se donner plus de contenance. Finalement, elle le regarda et lui sourit. La jeune femme avait vraiment de beau yeux marron foncés. Presque noir. Il n'avait jamais pris le temps de les regarder, seulement là, c'était comme une révélation. Il sentit son coeur se mettre à battre plus fort. Pourquoi lui faisait-elle cet effet-là ? Et surtout pourquoi maintenant ?
Dvan reporta son attention vers le guichet. Personne paraissait presser de venir s'occuper d'eux. Si cela n'avait été que lui, il aurait pris son mal en patience, mais l'agacement le gagner en sentant Lynette si fragile à son côté.
Un homme arriva, entre deux âges, il paraissait être l'exemple parfait de ce qu'on aurait appelé une personne banale. Il vit qu'ils étaient les seuls présents, mais prit quand même plaisir à déclarer :
-Mademoiselle Milunka Lynette.
Avec un signe de tête, la jeune fille se leva.
L'autre paru satisfait de ne pas la voir le corriger sur sa civilité.
-Suivez-moi.
Dvan toujours sur les talons, elle emboîta le pas au policier.
Il les conduisit dans un petit bureau, les laissa entrer, avant de fermer la porte.
-Asseyez-vous, déclara-t-il, en désignant deux pauvres chaises qui paraissaient avoir vu des jours meilleurs.
La géant espéra que la sienne supporterait son poids. S'il commençait à casser le matériel public cela ferait mauvais effet.
-Alors que me vaut le plaisir de votre visite.
-Je viens déclarer la disparition de mon père, déclara Lynette d'une voix atone.
-Très bien. Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ?
-Hier soir.
-C'est un peu tôt pour déclarer une disparition.
-Mon père rentre chaque soir à la maison, pour dîner avec moi.
-Savez-vous pourquoi il est sorti ?
-Non, je ne savais même pas qu'il était sorti.
-Expliquez-vous, j'ai du mal à vous comprendre.
Lynette reprit son souffle.
-Hier, je suis sortie pour aller acheter de quoi à nous faire à manger. Quand je suis rentrée, il n'était pas là. Je me suis inquiétée, mais je pensais qu'il allait rentrer. Le matin, il n'était toujours pas là. Je n'ai rien dit pour ne pas inquiéter les gens.
-Qu'est-ce que vous entendez par les gens ?
-Ceux qui le connaissent. Nous étions en pleine cérémonie, il fallait respecter la peine de la famille.
-Cérémonie ?
-Pardon. Mon père est fossoyeur et gardien de cimetière. Il y avait un enterrement ce matin.
L'autre nota consciencieusement ce qu'elle lui disait.
-Très bien. Où aurait pu aller votre père ?
-Je ne sais pas.
Le regard du policier se tourna vers Dvan.
-Et lui, c'est ?
-Un employé de mon père.
Évidemment, elle ne pouvait pas dire qu'il était son employé.
-Il a un nom l'employé ?
-Dvan Jarosla.
-Vous avez des papiers ?
Le géant retint un soupir et sortit le carnet officiel que sa sœur lui avait donné. Le policier lui arracha des mains et regarda son identité, avec attention.
-Résident du Saint-Empire, hein ? Qu'est-ce qui vous amène si loin de votre beau pays ?
-Je cherchais du travail…
-Il n'y a pas dans le Saint-Empire ?
Dvan comprit que de toute façon, quoi qu'il fasse, il aurait toujours tord.
-J'aime voyager… Je ne pensais pas que c'était un problème…
-Ca n'en est pas un, tant que vous respectez la loi.
-C'est le cas.
-Bien !
Le policier trancha.
-Où étiez-vous hier, lors de la disparition ?
-Je creusais une tombe donc probablement à l'intérieur du trou.
-Ca vous amuse ?
-Pas le moins du monde. Mon employeur a disparu et je risque de perdre mon travail, en quoi cela serait-il amusant ?
L'autre lui lança un regard soupçonneux, avant de reporter son attention sur Lynette.
-Avec qui vivez-vous ?
-Mon père et notre employé.
-Je vois. Du coup, vous êtes seule avec…
Son regard se posa sur Dvan et celui-ci fut heureux pour une fois, d'être défiguré. Sinon on aurait pu croire qu'ils s'étaient débarrassés du père ensemble, pour pouvoir être tous les deux. Ca n'avait pas de sens, mais certains auraient pu le penser.
-Mademoiselle, vous feriez mieux d'aller chez un membre de votre famille. Vous avez bien un oncle ou…
-Ma seule famille, c'est mon père.
-Et nous allons le chercher. Seulement, il faut penser à vous maintenant. Trouvez un gentil mari pourrait être la solution. Il s'occupera de vous. Une femme de votre condition ne peut pas rester seule, avec… Un inconnu…
Dvan serra les poings. Il avait envie de dire que l'inconnu était justement dans la même pièce. Mais son souci premier, c'était Lynette. Au fond, il n'en avait que faire qu'on lui casse du sucre sur le dos.
-Je ne peux pas. Je dois m'occuper du cimetière, murmura-t-elle la jeune femme, la main crispée sur sa jupe.
-Vous feriez bien de vendre la propriété dès que vous le pourrez et de vous installer chez votre époux… Avec votre joli visage, ça ne devrait pas être difficile de trouver. Par contre, il faudrait retirer ses lunettes.
-Je ne vois rien sans mes lunettes.
-Qu'avez-vous de si important à voir ?
Il approcha sa main, du visage de la jeune fille. Aussitôt, Dvan bondit et lui saisit le poignet.
-Personne ne touche la fille de mon employeur sans son autorisation.
Le géant dû se contenir pour ne pas lui broyer le bras. Pourtant, il resta cordial, et le relâcha sans lui faire le moindre mal.
-Je vois que vous avez un protecteur efficace. Dommage qu'il ne puisse pas vous protéger de lui-même…
Dvan lui lança un regard noir. Ce type avait-il perçu les sentiments qui l'habitaient ?
-Enfin, réfléchissez quand même mademoiselle Milunka. Je pense avant tout à votre avenir. Il ne faudrait que vous vous retrouviez compromise, même si ce n'est que dans l'esprit des gens. Il ne fait pas bon pour une jeune fille de vivre avec un homme célibataire…
Lynette releva la tête en souriant.
-Je vous remercie pour votre sollicitude, monsieur. Mais dès que mon père reviendra tout ira mieux, n'est-ce pas ?
L'autre paru décontenancé.
-Il faut vous faire à l'idée que peut-être nous ne le retrouverons pas. Enfin nous ferons quand même notre possible, avec les informations fournis.
A nouveau, il lui fit répéter tout ce qu'il voulait savoir avant de la raccompagner.
-Vous, je vous ai à l'oeil, déclara-t-il à Dvan, avant de le laisser partir.
Le géant lui répondit avec un haussement d'épaule. Il n'était pas venu pour faire du tort à qui que se soit. S'en était presque risible que les gens se méfient de lui, alors qu'il ne faisait de mal à personne.
Ils quittèrent les lieux en silence, gardant une distance raisonnable entre eux, pour que personne n'y trouve à redire. Après tout, ils seraient seuls bien assez tôt.
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