Alors que Dvan passait son manteau, la jeune femme, elle, restait assise. Il lui jeta un regard interrogateur.
-Désolée. Je dois attendre encore un peu, avant de sortir.
-Pourquoi donc ?
-Venez, je vais vous expliquer.
Elle lui fit signe de la suivre, et passa à son tour son manteau sur sa robe.
-Tous les lundi et les jeudi, Joyar vient nous apporter les corps pour la fosse commune. C'est à nous de les mettre dans les cercueils et de les enterrer. Aujourd'hui, nous devons aussi poser la dalle et la stèle que ces crétins de tailleur de pierre nous ont livré en retard.
-D'accord.
-Venez, je vais vous montrer l'atelier.
Le géant la suivit, notant mentalement tout ce qu'elle lui disait. Il n'avait nul doute qu'elle s'y connaissait. Elle avait vu faire son père et savait tout du métier. Il était impressionné par cette petite jeune fille.
Ouvrant la porte, elle l'invita à entrer. Ensuite, Lynette se dirigea vers la lampe à huile qu'elle alluma. La prenant en main, elle la porte jusqu'à une petite table, devant laquelle un tabouret attendait d'accueillir ceux qui auraient voulu écrire. Un livre assez épais était posé là.
En y regardant mieux, le géant en discerna d'autres posés sur une étagère.
-Vous voyez ici, c'est le registre. On note les enterrement de chaque personne et la date. Ca c'est parce qu'au bout de cinq ans, on doit creuser pour déterrer le corps et le mettre à l'ossuaire.
Elle tourna les pages pour lui montrer.
Dvan se mordit les lèvres. Devait-il lui dire la vérité ?
-En général, c'était moi qui m'en occupais pour aider mon père.
-Je…
Le géant baissa la tête.
-Je suis désolé…
-De quoi ?
-Je suis trop bête…
-Qu'est-ce que vous voulez dire ?
-Je ne sais pas lire, ni écrire.
Elle lui lança un sourire tendre.
-Avez-vous déjà appris ?
-Non…
-Alors, c'est normal. Ce n'est pas une connaissance qu'on a, à la naissance. Ca s'apprend. Je pourrais vous aider, si vous le souhaiter.
Il la regarda. Elle était sincère. Il n'y avait aucune trace de moqueries dans ses paroles.
-Oui. Mais si jamais, je n'y arrive pas…
-Ne partons pas défaitiste, avant d'avoir commencé. Après tout, je pourrais aussi être un très mauvais professeur.
-J'en doute fort.
-C'est gentil.
-C'est sincère.
Elle lui montre un autre coin de la pièce.
-C'est ici que nous stockons tout ce qui concerne la marbrerie et la pierrerie.
Il avisa quelques morceaux de bois sur le mur d'en face.
-C'est pour monter les cercueils. Il faut faire attention à toujours en avait suffisamment d'avance. Je les recompte chaque jour, pour ne pas me faire surprendre. Lorsque le stock est bas, j'en recommande de nouveau.
Dvan contemplait tous ceux-ci, avec un air sérieux.
Lynette lui montra la dalle au sol.
-C'est ça, qu'il faut poser.
Sans attendre, le géant la souleva.
-Attendez, c'est très lourd.
L'autre lui répondit, le plus calmement du monde.
-Ca ira. Où dois-je la mettre ?
Elle le fixa, étonnée.
-Vous arrivez à la soulever comme ça ?
-Disons que j'ai certaines capacités spéciales, depuis que mon régime alimentaire à changer…
Il restait toujours vague sur le sujet, sans doute pour ne pas l'effrayer.
-Venez !
Le géant la suivit alors qu'elle ouvrait le chemin, lanterne à la main. Avec la rapidité de quelqu'un habitué à faire le chemin, la jeune fille le mena jusqu'à la tombe.
-C'est ici.
Dvan fut surpris de voir que quelqu'un avait recouvert le cercueil avec de la terre. A présent, il était invisible. Ceci réglait par la même occasion le problème de l'invité indésirable. Celui-ci était passé inaperçu.
-Qui a rebouché le trou ?
-Moi.
Cette réflexion prit le géant au dépourvu. Il ne s'était pas attendu à ce que cette fille si menu, au visage de poupée, pellette la terre.
-En temps normal, mon père l'aurait fait, mais là…
-Tu...Tu aurais dû me demander !
-Mais vous deviez partir… Je voyais mal vous demander de vous occuper de ça, avant. Cela aurait vraiment été déplacé.
Dvan soupira.
-Heureusement que je reste alors...
Lynette lui lança un petit sourire avant de détourner la tête, en rougissant. Elle avait vraiment l'impression de réagir d'une façon stupide lorsqu'elle se trouvait face à lui. Heureusement, il ne paraissait pas l'avoir remarqué.
-La dalle se pose dessus pour recouvrir la tombe.
-D'accord.
Il posa le bord du rectangle de pierre sur le sol et accompagna sa descente, jusqu'à ce qu'il repose sur le sol.
-Est-ce que ça va ?
Lynette fit le tour de la tombe, examinant le tout avec attention. Elle finit par hocher la tête.
-C'est parfait.
Ce simple constat le fit sourire, plus qu'il ne s'en serait cru capable.
-Maintenant la stèle. Il va falloir creuser un peu, pour ensuite planter un morceau en terre. Pour finir, il reste à reboucher et vérifier que ça ne bouge pas. Surtout, il ne faut pas hésiter à tasser.
Dvan l'écouta attentivement. Il ne prenait aucun de ses conseils à la légère.
-Allez chercher la stèle, je vous ramènerais les outils.
-Je peux m'en occuper, objecta-t-il.
-Je ne suis plus une petite fille, j'arriverais bien à porter une pelle, ironisa-t-elle, avant de disparaître.
Il n'y avait pas à dire, il la trouvait exceptionnelle. Au lieu de se morfondre comme cela aurait pu être le cas, elle prenait à coeur de s'occuper de la gestion de ce cimetière. La jeune fille avait les connaissances nécessaires et il était clair qu'elle aidait déjà son père, plus que les autres auraient pu le croire.
Sur cette pensée, Dvan revenu à l'atelier, souleva la pierre gravée. Lui-même était surpris de la facilité avec laquelle il réussissait à soulever des objets lourds. Il avait toujours été fort. Mais depuis sa transformation, il puisait dans des ressources insoupçonnées.
De retour, devant la tombe, le géant s’aperçut que Lynette avait ramené une pelle et l'avait posé sur le sol. Posant son chargement, il s'en saisit et attendit le retour de la jeune fille pour avoir son aval. Elle ne tarda pas, un maillet entre les mains.
-Au cas où, murmura-t-elle seulement.
-Où dois-je poser la stèle ?
-Vous permettez ?
Elle tendit le bras, pour qu'il lui remette l'outil. Sans un mot, il le lui tendit.
Fixant le sol avec attention, elle y planta la pelle.
-Voilà, normalement vous pouvez creuser entre ici et le rebord. Ca devrait être bon.
-Merci.
Ils échangèrent leurs places.
-Par contre, fait bien attention de ne pas racler la dalle avec la pelle.
Dvan dû avouer qu'il n'y avait pas pensé à ça. Il avait vraiment besoin de ces conseils.
Pendant ce temps-là, Lynette se pencha sur la stèle.
-Ne creusez pas trop profondément. Disons qu'il faut recouvrir la pierre jusqu'ici.
Du doigt, elle lui montra la distance.
-D'accord.
Avec un sourire, la jeune femme se positionna près de lui.
-Quelqu'un vient, lui souffla-t-il.
Aussitôt, elle se retourna vers la grille, mais ne vit personne.
-Vous pouvez l'entendre ?
-Oui. Il ne devrait pas tarder. Un chariot tiré par un cheval, c'est ça ?
Elle hocha la tête.
-Ca doit être Joyar. Je vais aller le voir. Vous pouvez venir si vous voulez.
Dvan secoua la tête.
-Je vais m'occuper de la stèle avant.
-D'accord.
Une charrette fit son apparition sur le chemin et Lynette se dirigea rapidement vers elle. L'homme s'arrêta près de l'atelier et descendit de son attelage avec le sourire aux lèvres. Il avait visage ridé et le crâne dégarni, preuve de son âge avancé.
-Bonsoir, ma Lynette ! Tu es seule, ce soir ?
-Bonsoir Joyar ! Tu es en retard !
-Si peu.
Elle fronça les sourcils.
-Je t'attends depuis un moment.
-Tout de suite, les grands mots ! Où est ton père ? Je ne l'ai pas encore vu.
La jeune fille déglutit difficilement, avant de se reprendre.
-Je ne sais pas.
-Bon, tu le salueras de ma part.
-Je n'y manquerais pas.
Joyar parut décontenancé l'espace d'un instant, de se retrouver seul face à ce petit bout de femme, qui pourtant avait l'habitude de ce travail.
-Alors qu'en est-il pour aujourd'hui ? lança-t-elle.
Elle le contourna pour soulever la bâche, qui protégeait les corps.
-Toujours aussi sérieuse, ma grande. Tu as de la chance, y en a pas beaucoup cette semaine. Euh…
Il se retourna pour fixer les corps emmaillotés dans des draps.
-Cinq.
-Très bien.
L'homme monta à l'arrière du chariot, gêné pour décharger. Il avait l'habitude de le faire avec le père de Lynette. D'ailleurs, celle-ci avait disparu. Elle réapparut rapidement, en poussant une brouette.
-Qu'est-ce que tu fais avec ça ?
-Y a qu'à mettre les corps dedans. Ca sera plus simple pour les transporter.
-Tu ne manques pas d'idée, toi !
Il rit, ce qui fit froncer les sourcils à la jeune fille.
-Il faut bien que je compense mon manque de force, marmonna-t-elle.
-Enfin ma belle, tu devrais laisser les hommes faire ça.
-Et que ferais-je en attendant ?
-Tu devrais laisser leur chance à ces garçons qui te tournent autour.
Elle soupira.
-« Ces » ? Étrangement, je n'en vois aucun.
-Tu sais très bien de quoi je veux parler… Tu ne laisses sa chance à personne.
-Comment le pourrais-je quand nos intérêts ne concordent pas ? Ma vie, c'est ce cimetière. S'ils ne le comprennent pas, je ne peux rien pour eux.
-Mais tu dis ça, juste parce que tu n'as connu que ça. Une fois sorti d'ici, je suis sûr que tu pourrais avoir une belle vie.
-Mais enfin, pourquoi ne pourrais-je pas avoir une belle vie, ici ?!
-Lynette, trouver quelqu'un qui acceptera de travailler ici, ce n'est pas une chose facile. En plus, ce n'est pas parce qu'il acceptera de travailler ici, que tu devras l'épouser par dépit.
La jeune fille secoua la tête, elle n'avait qu'une envie mettre fin à cette conversation qui l'épuisait d'avance.
-Au fait, nous avons un nouvel employé.
-Ha bon ? Ton père ne m'a pourtant rien dit.
-Ca date d'hier.
L'autre ne posa pas de question supplémentaire, semblant trouver la réponse satisfaisante.
-Où est-il ?
-Là-bas, avec la stèle.
Lynette désigna Dvan du doigt, qui était occupé à soulever la pierre pour la planter dans le sol.
-Que… C'est une vrai force de la nature, ce type !
-Oui, tu veux que je l'appelle pour les corps, soupira la jeune fille.
-Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi tu ne l'as pas fait avant…
Elle aurait voulu lui dire qu'elle aussi était capable de s'occuper de ce cimetière.
-Ton père l'a trouvait où, cet employé mystère ?
-C'est lui qui est venu à nous.
-J'aurais pas pensé que ça pourrait intéresser quelqu'un… Où vit-il ? Il n'est pas du coin, je ne l'ai jamais vu, ici.
-Il vit ici, avec nous.
Avec moi, ne put s'empêcher de penser Lynette. A cette évocation, elle sentit son coeur battre plus rapidement.
-Vraiment ?! Ton père devrait faire attention.
-Pourquoi donc ?
-Enfin accueillir un inconnu sous son toit alors qu'il a une magnifique petite fille. C'est dangereux. Fait très attention, à toi.
La jeune fille leva les yeux au ciel.
-Il n'est pas comme ça.
-Évidemment, ma belle, toi, tu es toute innocente. Toujours prête à faire confiance à n'importe qui. Tous les hommes ne sont pas dignes de confiance.
Ca y est, me voilà stupide, en plus du reste…
La réflexion lui était venue aussi rapidement, qu'elle bouillonnait à l'intérieur.
-Dvan !
Elle se tourna vers lui en souriant, et lui fit un signe de la main. L'autre comprit aussitôt et s'approcha en abandonnant sa pelle.
-Il va s'occuper de décharger les corps.
Puisqu'apparemment, je n'en suis pas capable, ajouta-t-elle mentalement.
Le géant s'approcha, en silence.
-Bonsoir, grogna-t-il, avant de se saisir des trois corps restant d'un coup.
Joyar le fixa sans dire un mot.
-Allez les mettre dans l'atelier.
-D'accord.
Dvan partit avec son chargement sans rien ajouter de plus.
-Il est étrange, lui chuchota le vieil homme.
-Quoi ?
-Il est pas causant, et puis, c'est quoi cette coupe de cheveux ?!
-On ne peut pas juger quelqu'un sur son physique, soupira-t-elle.
-Il a quoi au visage ?
Lynette lui fit signe de se taire.
-Ce n'est vraiment pas poli.
-Il ne nous entends pas.
La jeune fille préféra ne pas répondre.
-Enfin, Lynette ne me dit pas que tu as envie d'épouser un homme comme ça, juste parce qu'il accepter de travailler dans ce cimetière.
Cette remarque la blessa profondément.
-De toute façon, le mariage n'est pas à l'ordre du jour pour le moment !
-Réfléchis-y quand même…
Dvan revint et se saisit des corps dans la brouette avant de repartir avec, sans un mot.
Joyar le fixa tout du long.
-J'en parlerais avec ton père, lundi prochain, soupira-t-il.
Lynette se demanda ce qu'il pouvait avoir envie de lui raconter. En un sens, elle lui en voulait de juger Dvan seulement sur son physique. Il était si gentil avec elle, la jeune fille n'avait pas honte de penser qu'il était sûrement le meilleur homme qu'elle est rencontrée.
Le pire, c'était que le géant avait sûrement entendu toute la conversation. En cet instant, elle n'avait qu'une envie, courir vers lui, pour le prendre dans ses bras. Bien sûr, elle n'en ferait rien. Ce n'était pas le moment, et jamais elle n'oserait.
-On verra la semaine prochaine, déclara-t-elle avec un grand sourire.
Joyar remonta dans sa charrette, l'air contrarié.
-Comme tu dis. Mais Lynette, ne lui fait pas ce genre de sourire, il pourrait se méprendre sur tes intentions.
Si seulement, c'était aussi simple, soupira en elle-même, la jeune femme.
-Mais arrête… On se revoit lundi.
Elle lui fit un signe de la main et il fit repartir son cheval.
Lynette le fixa alors que Joyar disparaissait au loin.
Dvan vint se placer à son côté.
-Évidemment, vous avez tout entendu, l'interrogea-t-elle.
-Je ne peux le cacher.
-Je suis désolée.
-Il n'a pas tout à fait tord…
La jeune femme se saisit de la brouette et la poussa jusqu'à l'atelier.
-Ne remettez pas l'idée du mariage sur le tapis. Ou alors épousez-moi, que je sois enfin tranquille.
Cette déclaration inattendue, eut au moins le mérite de laisser Dvan bouche bée. Il se reprit.
-Je vais terminer avec la stèle.
-Très bien, je vous rejoints, tout de suite.
Lynette s'arrêta une fois à l'intérieur de l'atelier, alors qu'elle était sûre qu'il ne pouvait plus la voir. Que lui était-il passé par la tête pour dire de telles choses ? Est-ce que c'était juste parce que Joyar l'avait poussé à bout ou alors…
Il n'avait pas tord sur un point. Elle ne voulait comme époux qu'une personne qui accepterait de rester travailler ici, à son côté. Le géant avait choisi de rester avec elle, et de travailler ici. Est-ce que cela voulait dire qu'il s'intéressait un tant soit peu à elle ?
Pourquoi l'espérait-elle tellement ?
Reprenant son souffle, Lynette entreprit de calmer son pauvre coeur. Ce genre de comportement ne lui ressemblait pas. Le cimetière était toujours passé en priorité pour elle. Le mariage venait bien après. Elle voulait être là, pour aider son père. Sans elle, il serait seul.
Elle ne voulait pas. Non, elle ne pouvait pas quitter la résidence familiale. Son parent en avait conscience et ne lui avait jamais fait la moindre remarque. La jeune fille lui en était d'ailleurs plus que reconnaissante. Ils n'abordaient pas le sujet ensemble. Ou alors, il ne l'avait pas vu grandir au fil des ans.
Brusquement, Lynette se dit qu'elle aurait aimé pouvoir lui présenter Dvan. Son coeur se serra à cette pensée. Elle posa la main sur son buste, comme si ce simple geste pouvait la rapprocher de son père. Tout l'amour qu'elle avait pour lui, en cet instant, lui donna la force de se reprendre et quitter l'atelier.
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