Lorsqu'il eut terminé de se battre avec le peigne, Dvan le reposa là où on lui avait indiqué. Il retourna s'asseoir sur la couverture. Dans l'autre pièce, il entendait Lynette s'affairait pour se préparer un repas. Il aurait voulu pouvoir la rejoindre, au lieu de rester dans son coin, mais il n'avait pas trop le choix. Elle vivait le jour et lui, la nuit.
Le géant s'interrogea : elle était fatiguée, avait perdu son père et pourtant elle se levait comme tous les matins. Bien sûr, la jeune fille n'avait pas le choix. Elle devait s'occuper du cimetière. Cependant, il ne pouvait s'empêcher d'admirer son courage.
Qu'aurait-il fait dans sa situation ? Il se rendit compte que l'idée n'était sans doute pas la bonne. S'ils avaient perdu leur père, Rosa et lui, en aurait été soulagé. S'il avait perdu Rosa… Il n'alla pas jusqu'au bout de sa pensée. L'idée d'être seul avec son géniteur, le dégoûtait au plus haut point.
On frappa doucement à la porte.
-Oui ?
La jeune fille entra. A nouveau, deux nattes encadraient son visage arrondit. Elle paraissait presque plus jeune.
-Est-ce que ça vous dérange de la prendre avec vous ? On ne sait jamais ce qui pourrait arriver.
Elle désigna la créature lovée devant la cheminée.
-Non, pas de problème. Tu comptes en faire quoi ?
Lynette hésita.
-Je ne sais pas vraiment encore… Disons que j'aurais des scrupules à la renvoyer. Elle m'a quand même sauvé de cet homme…
Sa voix se brisa à la fin de la phrase.
Il hocha la tête.
-Tu es en sécurité, à présent.
A nouveau, il aurait voulu entourer ses épaules menues avec son bras. Mais il n'en fit rien, craignant trop de l'effrayer. Dvan se souvenait encore de certaines paroles de sa sœur, qui même si elle l'avait blessé, lui avait permis d'y voir plus clair.
Rosa lui avait expliqué que parfois, elle avait du mal à supporter le moindre contact physique avec un homme, lui y compris, même si elle savait que jamais il ne lui aurait fait du mal. En un sens, le géant aurait voulu qu'elle lui dise sur le moment, pour ne pas rester à souffrir en silence.
A présent, il avait peur d'effrayer cette jeune fille. En même temps, était-il vraiment innocent lorsqu'il la regardait ? Dvan repensa à sa longue chevelure. Mieux valait se concentrer sur d'autres choses.
Son regard se posa sur la goule. C'était le plus important pour le moment.
-Merci.
-Merci de quoi ?
-Je ne sais pas. D'être là.
-Je ne pourrais pas vraiment être ailleurs pour le moment.
-Et bien, de dire des choses gentilles.
-En quoi, c'est gentil ? J’énonce juste la vérité.
Elle le regarda en silence, avec un petit sourire.
Dvan ouvrit la bouche et la referma brusquement.
-J'allais l'appeler, mais je ne connais toujours pas son prénom.
-Je doute qu'elle nous en fasse part d'elle-même. On devrait peut-être lui en donner un nous-même, comme ça, elle saura lorsqu'on lui parle.
-Quel prénom choisir ?
-Mercy, déclara sûr d'elle, Lynette. C'est un remerciement que je lui adresserais à chaque fois pour m'avoir sauvé.
-Très bien.
-Je vais la prévenir.
La jeune fille s'approcha de la goule avant de s'arrêter à une distance raisonnable pour la fixa. Elle posa la main sur son coeur et déclara :
-Lynette.
Ensuite, elle pointa le doigt vers la créature et dit :
-Mercy.
La goule la contempla, pencha la tête sur le côté et l'imita. Elle posa une main sur elle et poussa une sorte de grognement, mélanger à des cliquetis.
-Euh… Désolée, je ne vais pas être capable de reproduire ce son. Du coup, si je dis Mercy est-ce que ça t'ira ?
A nouveau, elle refit les mêmes gestes. La créature paru septique, mais ne dit rien.
-Est-ce que ça t'embêterait d'aller la chambre avec Dvan ?
Aussitôt, la goule tourna les yeux vers le géant.
-Je crois qu'elle a compris que c'était vous, approuva avec un sourire Lynette.
-Mercy, viens !
Dvan lui fit signe et la créature arriva en marchant à moitié debout, à moitié à quatre-pattes.
La jeune fille revint vers eux.
-J'aimerais bien lui donner des vêtements. Elle doit avoir froid, ainsi.
-Je pense pas que les goules en portent. Enfin, je ne me suis jamais posé la question.
Lynette réfléchit quelques instants, avant d'ouvrir l'armoire. Elle fouilla dedans, cherchant vers le fond et en tira une chemise de nuit.
-C'était à moi, avant.
-Vu la taille, j'aurais deviné.
-J'ai quand même grandi depuis…
Sans savoir pourquoi la jeune fille se mit à rougir.
-Mercy, tu veux essayer ça ?
La goule sentit le tissu, tout en paraissant s'interroger sur le rôle de cette chose qu'on lui tendait.
-Il faut que tu passes ta tête par cette ouverture et les bras dans l'autre. Essaye, ça te tiendra chaud.
Lynette imita le geste, sous le regard sceptique de la créature. Finalement, celle-ci accepta d'essayer le vêtement. Dvan aurait d'ailleurs parié que c'était plus pour faire plaisir à la jeune fille que par intérêt.
Un fois habillée, elle fit un tour sur elle-même, comme si la goule vérifiée que la tenue ne gênait pas trop ses mouvements. Une fois, cela fait, elle s'installa sur la couverture.
-Je crois que tu as réussi, souffla Dvan.
-J'aurais aimé lui donner des bas et des souliers, mais je n'en ai pas.
-En même temps, je crois qu'il ne faut pas en faire trop d'un coup.
-Peut-être. Mais j'ai froid pour elle.
Le géant se mit à rire.
-Elle est sûrement plus résistante que les humains.
-Ça je n'en doutes pas.
Lynette resta encore quelques instants silencieuses. C'était comme si elle profitait de la présence de ses deux étranges invités. En vérité, elle n'avait aucune envie de se retrouver à nouveau seule, même en les sachant si prêt. Seulement chaque chose avait une fin.
-Je vais me préparer pour la cérémonie de ce matin. Vous feriez mieux de vous reposer.
Elle les quitta à regret.
***
Dvan s'allongea à nouveau. Il ne dormait pas. Il n'en avait pas l'envie, se contentant de ressasser les mêmes choses dans son esprit. La goule, elle sommeillait paisiblement sur sa jambe et ne semblait pas prendre en compte de froid qui se dégageait de lui.
En tendant l'oreille, il pouvait entendre ce qui se disait au dehors. Ce n'en était que plus frustrant. Il savait Lynette seule, à y affronter n'importe qui, alors que lui restait au chaud dans la chambre.
Deux voix se mêlèrent bientôt à celle de la jeune fille. A son ton, il comprit tout de suite combien elle était contrariée. Il y était question d'un retard de livraison, et apparemment les deux hommes n'en avaient pas grand-chose à faire. Ils avaient plutôt l'air de prendre la situation à la va-vite. Ce ne fut pas le cas de Lynette qui s'empressa de leur rappeler leur quatre vérité.
Dvan l'admira. Elle lui paraissait si différente de la fille qu'il avait rencontré la veille. Mais cela ne devait être qu'une façade. Se plonger dans le travail pour mieux oublier ses problèmes. De toute façon, elle n'avait guère le choix puisque l'enterrement devait se faire.
Après le départ des deux hommes qui ronchonnèrent dès qu'ils furent hors de porter de ses oreilles, il épia la jeune fille. Chacun de ses pas, le faisait sourire. Il l'imaginait courant dans un sens puis dans l'autre, pour que tout soit parfait. Si seulement, il avait pu faire plus pour l'aider…
Enfin, ce soir, il quitterait ce lieu. Sans savoir pourquoi cela lui serra le coeur. Ou plutôt non, il savait très bien pourquoi : il ne voulait pas la laisser. Pour une fois que quelqu'un avait l'air d'avoir besoin de lui. Et aussi, elle ne paraissait pas avoir peur de lui, comme c'était le cas avec beaucoup d'autres personnes…
C'était dur de se l'avouer, mais il voulait rester ici. Seulement, jamais Dvan aurait osé le formuler à la jeune fille. Si jamais elle le repoussait que ferait-il ? Est-ce que son coeur le supporterait ?
C'était tellement stupide. Il parlait quand même de quelqu'un qu'il avait rencontré la veille… Il ne pouvait même pas dire qu'elle lui avait ouvert la porte de sa maison, puisqu'il était entré seul. Après tout, peut-être, n'attendait-elle que de le voir partir ? Surtout après ce qu'il lui avait fait.
C'était toujours si difficile pour lui de planter ses crocs dans le cou d'un être humain. Il en choisissait volontairement des mauvais pour se donner bonne conscience. Mais elle dans tout ça, que lui avait-elle fait ? La jeune fille lui avait tendu la main et en remerciement, n'avait obtenu que de la souffrance. Le géant avait bien remarqué la façon dont elle avait frissonné au souvenir de ses dents sur sa chair.
Comme les autres, il avait été sans pitié et l'avait blessé. Il repensa à ses sous-vêtements déchirés. Valait-il mieux que cet homme ? Lui voulait profiter de son corps. Lui avait profité de son sang. Seulement, avait-il eu le choix ?
Quittant ses sombres pensées, il entendit des gens approcher. Lynette les accueillit avec des paroles douces et polies, parlant d'une voix posée. Peu lui rendirent le respect qu'elle leur donnait. Tous paraissaient dans une sorte de bulle, murés dans la tristesse, ils n'étaient plus capables de s'intéresser aux autres. Elle ne s'en formalisa pas, prenant son rôle à coeur.
Dvan entendit des pleurs, des murmures désapprobateurs, des discussions sur l'avenir… Pas de doute la famille du défunt était arrivé. Peu après la cérémonie commença, alors que tous se taisaient et qu'elle n'était troublé que par le froissement du tissu, qu'on utiliser pour tamponner ses yeux.
Le géant s'interrogea : s'il venait à mourir, qui serait présent ? Rosa ne le saurait sûrement pas de suite. Après tout, s'il était voué à se transformer en tas de poussière à sa mort, il était probable que personne ne le sache. Il n'y aurait donc pas de cérémonie ou de gens pour le pleurer.
Il revint au temps présent. Ce n'était guère le moment pour s’apitoyer sur son sort. Mercy se retourna dans son sommeil et vint se blottir contre lui. Du coup, il aurait au moins une goule pour le regretter.
Dvan posa gentiment la main sur les cheveux filasses de la créature. Celle-ci ouvrit les yeux, méfiante. Il lui sourit et elle cligna des paupières comme si elle tentait de comprendre ce qu'il voulait.
-Repose-toi. Tu es une gentille…
Il marqua une pause comme s'il chercher le mot le plus adapté.
-Une gentille goule.
Elle bailla et posa la tête sur son genou. La pauvre paraissait vraiment en manque d'affection.
Le peu qu'il savait d'elle, lui venait des légendes. Mais il savait qu'en général, ces créatures vivaient en meute. Se retrouver seule pour elle devait être la pire des choses.
Que ferait-il lorsqu'il partirait ? Lui proposerait-il de le suivre ? Il aurait aimé, mais cela aurait été cruel pour elle. Ici, elle serait au chaud et proche d'une source de nourriture quasi intarissable. Il n'allait pas piller les tombes des cimetières de chaque ville qu'il visiterait pour la nourrir. Ca risquerait rapidement de poser problème.
Dehors, la cérémonie semblait avoir pris fin. Certains s'attardaient pour discuter, mais la plupart des gens avaient quitté les lieux. La fraîcheur de l'automne devait les pousser à regagner leurs logis plus vite que prévu.
Dvan entendit que l'on posa des questions à la jeune fille sur l'absence de son père. Elle répondit qu'un air gêné que celui-ci s'était blessé et ne pouvait quitter le lit à cause de douleur. Il devait dormir profondément à l'heure qu'il était parce qu'elle ne l'avait pas entendu depuis la veille. Le géant admira sa façon de parler. Elle restait vague et ne faisait que prétendre savoir où était son père, en le situant lors de leur dernier entrevu.
Il n'imaginait même pas la volonté qu'elle devait avoir pour ne pas se mettre à pleurer devant eux et tout leur avouer. Seulement, après cela, la question de pourquoi on ne lui avait rien fait à elle reviendrait sûrement et si elle parlait de son tortionnaire, il faudrait expliquer où il était passé. Le silence s’avérait la meilleure des options.
Une fois que tout le monde eut disparu, Lynette regagna la maison. Il l'entendit s'affairer près de la cheminée, avant de partir vers le coin cuisine. Elle fit chauffer de l'eau avant de se servir une tasse de tisane.
Le géant contempla la fenêtre le jour disparaissait. Il souleva délicatement Mercy pour dégager sa jambe et quitta le lit de fortune. Après avoir hésité, il tira le rideau et se plaqua au mur, pour voir s'il s'était trompé. Pour son plus grand bonheur, Dvan vit que ça n'était pas le cas.
La bonne nouvelle, c'était qu'il pouvait à nouveau circuler librement. La mauvaise, c'était que cela voulait aussi dire qu'il était temps pour lui de quitter les lieux et cela lui serrait le coeur.
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