Une fois à l'intérieur, Dvan prit bien garde que la petite silhouette qui le suivait comme une ombre, entre à son tour. Il ne pouvait pas l'abandonner. Seulement, il aurait souhaité qu'elle finisse de manger le morceau de cadavre qu'elle tenait toujours entre ses mains. Il n'avait plus qu'à surveiller qu'elle ne le laisse pas traîner. Mieux valait éviter que la jeune fille tombe là-dessus. Il trouvait déjà ça suffisamment dérangeant pour ne pas le faire partager à d'autres.
L'atmosphère était douce à l'intérieur. Il retira ses bottes pleines de boue et se dirigea machinalement vers la cheminée. Le bois commençait à être largement consumé et il ajouta une large bûche, pour qu'elle dure jusqu'au lendemain.
Cela fait, il rangea la clé, avant d'oublier et de repartir avec. Ensuite, Dvan entreprit de se débarrasser de la terre. Il espérait ne pas en avoir dans les cheveux et secoua la tête. En aucun cas, il n'aurait voulu salir les jolies couvertures que Lynette avait accepté de lui prêter.
Sa chemise semblait avoir été épargnée par la terre, mais ce n'était pas le cas de son pantalon. Chose qui le gênait. Il n'avait pas son sac et donc aucun change. Mais il ne pouvait pas le retirer pour dormir puisqu'il serait dans la même chambre que la jeune fille. Ce n'était pas un comportement à adapté.
En désespoir de cause, il s'assit et commença à frotter le tissu pour retirer toute trace de boue. Ca serait toujours mieux que rien. Demain, lorsqu'il retournerait chercher ses affaires, il en profiterait pour passer des vêtements propres.
Une fois qu'il eut terminé de faire ce qu'il pouvait, il se tourna vers la goule. Celle-ci s'était à nouveau endormie devant la cheminée. Dvan s’approcha sans faire de bruit et l'examina. Le morceau de corps avait disparu. Sans doute, l'avait-elle englouti.
Il n'avait aucune idée de la quantité et du nombre de repas qu'elle faisait par jour, ou plutôt par nuit. Pour le moment, elle avait l'air repue. Ce genre de créature n'attaquait pas les humains normalement. C'était ce qu'on lui avait dit. Seulement, celle-ci l'avait fait. Il ne put s'empêcher de se demander pourquoi.
Après tout, elle était seule, ce qui n'était pas censé être courant, d'après les légendes. En même temps, là, c'était la réalité donc qui pouvait dire ce qui était logique ou non dans le comportement d'une goule.
Il soupira. Ca ne servait à rien de rester là. En silence, il ouvrit la porte de la chambre. De la où il se trouvait, il écouta la respiration de la jeune fille. Elle dormait. Dvan s'approcha et la contempla. Son visage paraissait paisible, mais ce n'était qu'une facette. Il imaginait à peine ses tourments intérieurs. Si seulement, il avait été là, plus tôt ou lieu de faire le con sur la falaise.
Il repensa à la famille qui pleurait et à l'adolescente qu'on lui avait balancé dans les bras. Dans ce cas, c'était elle qui aurait pris. Est-ce que ça aurait été mieux ? Sûrement non. Elle aussi méritait de vivre une vie paisible.
Prenant l'une des couvertures, Dvan l'étala sur le sol. Ensuite, il se saisit de la deuxième et la posa au pied de l'autre. Son lit de fortune était prêt. Il hésita à se coucher. Après tout le géant avait promit de prévenir Lynette lorsqu'il aurait terminé sa tâche, si elle était éveillée. Ce qui n'était pas le cas.
Il la laissa donc tranquille. Elle avait besoin de se reposer. Plus que lui, c'était une certitude. Il s'allongea quand même sur la couverture et se couvrit avec l'autre. Le froid lui laissa un peu de répits. Etait-ce dû à son changement d'état ? Il se creusa la tête pour savoir s'il avait moins souffert de la fraîcheur des nuits, depuis qu'il avait quitté Rosa.
Pourquoi fallait-il toujours qu'il se perde en veine réflexion dès qu'il avait l'occasion de se reposer. Ici, personne ne viendrait s'attaquer à lui, alors il pouvait se détendre. Pourtant, il n'y parvenait pas.
Dvan écouta le bruit de la respiration de la jeune fille et se concentra sûr. Cette présence le rassurait. C'était stupide de se dire qu'à son âge, il avait peur de dormir seul. Enfin, tout du moins, il parvenait pas à s'endormir comme s'était le cas avant. Peut-être cela venait-il du fait qu'il n'était plus accablé par le travail ?
Il ferma les yeux. Aujourd'hui, le géant rejoignit le monde des rêves plus facilement. Etait-ce dû à la présence apaisante de Lynette ou au fait que son corps était fatigué d'avoir creusé ?
Ce qui le réveilla se fut le bruit de la jeune fille qui se levait de son lit. Elle était en train de rabattre la couverture sur les draps lorsqu'il ouvrit les yeux. Tournant la tête vers elle, il la regarda faire. Elle était si menue, mais possédait néanmoins des formes féminines. Quel âge pouvait-elle avoir ? Il l'ignorait, mais ne se voyait pas lui poser la question. Hors de question de se montrer intrusif.
Lynette se retourna et sursauta.
-Pardon, s'excusa-t-il.
-Je ne savais pas que vous étiez réveillé. Je suis désolée, je ne le voulais pas.
-C'est rien. Contrairement à toi, je peux rester allonger toute la journée.
Elle hocha la tête avec un petit sourire.
-Il fait jour, lui souffla-t-elle.
C'était étrange. Pourquoi lui disait-elle cela ?
-Il vaut mieux que vous restiez ici.
-Ne t’inquiète pas, ça ira. J'ai l'habitude.
Elle s'assit sur le lit.
-Oui, c'est vrai. Je suis stupide. C'est juste que je m’inquiète un peu. Je ne voudrais pas qu'il vous arrive malheur.
Elle détourna le regard, en sentant le rouge lui monter aux joues. Pourquoi lui racontait-elle de tels bêtises ?
La jeune fille préféra changer de sujet.
-Est-ce qu'hier, vous avez pu…
Dvan se redressa.
-C'est fait, pas besoin d'avoir peur.
Elle hocha la tête.
-Merci beaucoup, monsieur Dvan.
Il fronça les sourcils.
-Monsieur ? Pas besoin d'être aussi solennelle. Tu peux m'appeler Dvan.
-D'accord. Dvan.
Il lui sourit.
C'était si étrange d'utiliser son prénom. Mais tout était chamboulé depuis hier.
Son regard se posa sur lui. Il était si proche et pourtant elle n'avait pas peur. C'était étrange. Mais en même temps, il n'avait pas eu de geste déplacé envers elle. Enfin… Le souvenir fit jour dans son esprit. Ce moment, où il avait posé ses lèvres sur son cou.
Lynette chassa cette pensée qui revenait sans cesse depuis la veille.
Apercevant les vêtements que le géant n'avait pas retiré, elle l'interrogea sur le sujet :
-Vous n'avez pas retiré votre chemise ?
-Hein ? Ha, ça ! Non. Je n'allais quand même pas me déshabiller dans la chambre d'une dame.
En vérité, Dvan craignait qu'elle puisse voir ses cicatrices si jamais il retirait son haut, et ça, il ne le souhaitait pour rien au monde. Après tout quelle autre figure pourrait-elle montrer que celui du dégoût ? Rien que son visage amoché que l'on pouvait deviner sous ses cheveux, ne faisait que le desservir.
-Vous auriez pu.
-Je doute que se soit bien accueillit.
-Mais vous ne me ferez pas de mal, non ?
Il y avait une pointe d'appréhension dans sa voix.
-Bien sûr que non. Je ne ferais jamais rien sans l'accord de la personne.
-Merci.
Elle se releva, et se dirigea vers la bassine dans laquelle elle versa un peu d'eau.
-Et avec mon accord que feriez-vous ? laissa-t-elle échapper.
Lynette fut la première surprise par son impertinence. Pourquoi lui demandait-elle ceci ? Plus important, qu'allait-il lui répondre ? Elle avait envie qu'il caresse encore son cou avec ses lèvres.
Retirant rapidement ses lunettes, elle les posa sur le meuble. Ensuite, elle plongea les mains dans l'air froid et s'aspergea le visage, pour se rafraîchir. Ses joues rouges la brûlaient. En cet instant, la jeune fille était contente de tourner le dos à Dvan, ainsi, il ne la verrait pas, aussi gênée.
-J'en dis qu'il voudrait peut-être mieux éviter de faire ce genre de remarque lorsqu'on se trouve seul avec un homme inconnu.
Il avait raison. Elle en était parfaitement convaincue. D'ailleurs, comment pouvait-elle se comporter comme ça ? Jamais elle ne l'avait fait, avant. Alors pourquoi ? La réponse s'imposa rapidement dans son esprit, parce que c'était lui.
Dvan se leva.
-Je vais sortir le temps que tu te prépares.
-Attendez !
Elle se précipita vers lui.
-Je vais vérifier que le soleil n'entre pas.
-Tant que les rayons ne me touche pas personnellement, ça fera l'affaire.
Elle hocha la tête.
-Je préfère quand même regarder avant.
-D'accord.
Lynette se précipita dans la pièce principale, faisant sursauter la goule qui dormait devant l'âtre.
-Ce n'est rien, souffla-t-elle, tout en se demandant si la créature pouvait la comprendre.
Elle fit le tour du lit de son père et tira le rideau. Il n'était pas assez large pour couvrir toute la fenêtre, mais permettre au moins, à Dvan de pouvoir sortir sans risque. Enfin, tant qu'il restait de ce côté de la pièce. On ne pouvait pas tout avoir.
Il faudrait aussi, qu'elle s'occupe de la goule. Elle ne pouvait pas la laisser devant la cheminée, nue. Encore plus, si des gens venaient pour visiter le cimetière. La meilleure chose serait de la mettre dans la chambre, elle aussi.
Lynette jeta un coup d'oeil, au-dehors. Le jour se levait. Elle dut se retenir pour ne pas courir vers la tombe, de peur que le cadavre s'en soit extirpé pendant qu'ils dormaient. C'était impossible et elle en avait bien conscience.
Après un dernier tour d'horizon, elle ouvrit la porte à Dvan.
-C'est bon, mais restez de ce côté.
-Ne t'en fais pas, je ne vais pas me mettre en danger, inutilement.
-Oui, bien sûr. Je suis bête.
-Non, seulement inquiète. Mais j'en ai vu d'autres. Ce n'est pas maintenant que je vais mourir.
Elle hocha la tête. De quoi devait-elle avoir l'air à être aussi anxieuse ? Surtout lorsque l'on savait que cet homme quitterait la maison le soir-même. Cette pensée lui noua les entrailles. Elle n'avait pas envie de le voir partir mais ne voyait pas comment l'en empêcher. Après tout, il avait sûrement une vie. Vie qui ne l'incluait pas.
Pour le moment, il était temps pour elle de se préparer et de cesser les vains soupirs et autres marques de tristesses. Cela ne l'aiderait pas. Seulement, elle avait terriblement peur de se retrouver seule. Son père lui manquait et l'idée de ne plus jamais le revoir lui faisait monter les larmes aux yeux. Etait-il encore en vie ?
A nouveau, elle se concentra sur l'instant présent. Quittant ses vêtements, elle passa un morceau de tissu humide sur son corps pour le débarrasser de la saleté accumulée. Ensuite, elle enfila une nouvelle tenue.
Lynette se sentait un peu mieux, par rapport à la veille. Sans savoir pourquoi le fait de se changer lui avait apporté un certain réconfort.
Une fois prête, elle ouvrit la porte. Dvan attendait toujours les yeux dans le vide.
-C'est bon.
Il hocha la tête et retourna s’asseoir sur la couverture.
-Vous pouvez prendre mon lit, si vous voulez.
-Ne t'en fais pas. Ca ira.
-D'accord.
Dénouant ses cheveux, elle passa délicatement le peigne entre ses mèches, pour les démêler. Le géant la contempla. Ses gestes répétitifs avaient un côté apaisant et il ne se lassait pas de la regarder faire.
Elle se retourna et surprit son regard.
-Je pourrais vous le prêter après pour vos cheveux.
-Ca ira.
-S'ils s’emmêlent trop, il faudra couper, annonça-t-elle d'un air sévère.
-Bon alors d'accord.
Elle lui tendit et il la contempla. Il ne s'était pas aperçu que sa chevelure était aussi longue. Cela lui donnait un air plus sérieux que ses tresses. Pour tout dire, il la trouva très jolie.
Dvan détourna le regard.
-Posez-le là, lorsque vous aurez terminé, déclara-t-elle en désignant le meuble. Je vais y aller. Reposez-vous un peu.
-Ca ira.
Il la regarda quitter la pièce, alors que ses mèches s'agitaient à chacun de ses pas. Cela avait un côté attirant qu'il ne pouvait nier. Mais il aurait mieux fait de se concentrer sur ses propres boucles, qui avait visiblement envie de vivre leur vie.
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