Dvan souffrait. Il souffrait terriblement. Tout n'était que douleur et il n'avait pas la force de faire le moindre mouvement. Seul et sans défense, il allait sûrement mourir ici, oublié de tous. Il ne savait même pas ce qu'il pouvait avoir fait pour mériter ça.
Brusquement, le garçon perçu un changement à la lisière de sa conscience. Sans doute, une illusion crée par son esprit, pour mieux le torturer en lui faisant croire que l'espoir existait encore. Mais en vérité, l'espoir n'était plus depuis longtemps déjà. Si ce n'était depuis cette terrible nuit, où son corps avait gagné ces horribles cicatrices, ça l'était depuis que sa sœur devait quitter chaque soir leur petit logement, gagnant la rue et le mal qui y régnait.
Au bord de l'inconscience, il perçut des bruits de pas. La porte s'ouvrit. Etait-ce encore ce fou qui venait le malmener ? Dans son état, il lui serait difficile de se protéger. Seulement en avait-il encore envie ? Il n'aspirait qu'à la délivrance, pour que ses tourments prennent fin à jamais.
-Dvan…
Il crut entendre qu'on l'appeler, mais ne répondit pas, il ne s'en sentait pas la force.
Quelqu'un se pencha sur lui, passant la main sur son front. Il frissonna sous l'effet de la caresse. La personne s'assit à même le sol et souleva sa tête pour la poser sur ses genoux, avec une douceur qui lui paraissait irréel tant il souffrait.
-Sortez et fermez la porte, déclara la voix.
-Mais madame, Monsieur le gouverneur a insisté pour…
-C'est dangereux pour vous, alors que moi, il ne me fera pas le moindre mal.
L'autre paru hésiter, avant de consentir à se retirer.
-Dvan, mon chéri, je suis désolée. Tout est de ma faute. Mais je ferais tout, pour toi. Ne l'oublie jamais.
-Rosa…
Sa voix n'était qu'un souffle.
Au moins, il ne mourrait pas seul.
-Dvan, je vais te donner à boire, ça va t'aider à aller mieux. Mais pour ça, il faut que tu te relèves.
Il l'entendit et la comprit, mais il mit du temps à réagir, tant il se sentait faible. Finalement, avec moult précautions et l'aide de sa sœur, le géant parvint un trouver une position semi-assise. Il aurait tant voulu pouvoir lui parler, essayer de comprendre ce qu'il s'était passé. Mais il n'était clairement pas en position de le faire.
-Bois, tu vas voir, ça va te faire du bien.
Elle porta une bouteille à sa bouche, mais il avait tant de mal à la soulever qu'elle laissa le liquide, couler lentement, entre ses lèvres. Il était chaud et agréable. Se fut avec un réel plaisir, qu'il le sentit glisser dans sa gorge.
Petit à petit, la souffrance se faisait moins présente. La soif ne le tirailler plus, et la douleur qui lui déchirait l'estomac devenait de plus en plus faible. Dvan se redressa, et saisit la bouteille, pour avancer goulûment le reste. Il se sentait plus fort, comme il ne s'était jamais senti. Il avait l'impression qu'il pouvait tout faire, que son corps le supporterait sans peine.
Le vide dans le contenant le rappela à la réalité. C'était horrible de voir ses forces déclinaient de nouveau. Il avait encore soif. La douleur se rappela à lui, le terrifiant. Le garçon ne voulait pas revivre ça.
-Encore, réclama-t-il.
-Non, lui répondit une voix ferme. Je ne peux pas t'en donner plus.
-J'en ai besoin.
-Non, c'est juste ce que ton corps te fait croire, mais ce n'était pas le cas.
Ses yeux se tournèrent vers sa sauveuse.
-Rosa.
C'était bien elle. Il n'eut aucune peine à la reconnaître, mais eut le souffle coupé en la découvrant. Il la discernait sans peine et son visage ne disparaissait plus dans une sorte de floue artistique. Elle était vraiment magnifique. Depuis quand avait-elle changé à ce point ? Elle n'était plus une enfant, mais une femme à la beauté impressionnante.
Ses grands yeux noisette, étaient bordés de longs cils, sa peau pâle lisse et douce comme une pêche, ses longs cheveux bruns aux reflets auburn, qui encadrait son visage en forme de coeur… Rien paraissait laissé au hasard, et tout semblait être fait pour la rendre la plus attirante possible.
Son ossature mince, et sa taille fine ne faisaient que mettre en valeur le reste de ses formes. Elle semblait si douce et délicate. Une jolie fleur que l'on ne pouvait que prendre plaisir à contempler.
-Rosa, c'est toi ?
-Oui. Qui voudrais-tu que se soit ?!
Il se retint de lui demander quand elle avait changé pour devenir aussi désirable. La rage céda rapidement le pas à la surprise. Il repensa à tous ses hommes qui avaient voulu la posséder. N'avaient-ils eu aucune honte ? Prenaient-ils plaisir à abîmer une si belle personne, dans l'espoir que les autres ne puissent plus percevoir sa lumière, et d'être le seul à l'avoir ?
-Qu'est-ce que tu regardes comme ça ?
Il baissa la tête mal à l'aise. Il ne parvenait pas à soutenir la puissance de ses iris.
-Tu es très belle…
Elle soupira.
-Tu ne vas pas t'y mettre, toi aussi. On croirait que tu ne m'as jamais vu…
Pressentant le sujet épineux, il préféra fixer le sol.
-Ne me dis pas que tu voyais aussi mal que ça ?!
Il hocha la tête, doucement.
Elle le prit dans ses bras.
-Tu aurais dû m'en parler…
-A quoi bon…
Ils restèrent silencieux, l'espace d'un instant.
Dvan sentit son regard errer sur la bouteille vide. Si seulement, elle pouvait être pleine. Il en voulait encore. Chassant cette pensée, il se reprit et se concentra sur sa sœur pour éviter de penser à la faim et la douleur qui l'avait habité.
-Rosa ? Qu'est-ce qui se passe ?
Elle hésita.
-Je ne comprends pas ce que je fais ici. Qu'est-ce qui m'arrive ? Tu le sais, n'est-ce pas ?
Comme elle ne répondait pas, il reprit à nouveau la parole :
-Est-ce que tu m'as fait quelque chose ?
S'en fut trop pour elle, et des larmes se mirent à couler de ses yeux.
-Pardonne-moi. J'ai vraiment fait n'importe quoi, petit frère. C'est à cause de moi que tu te retrouves enfermé, là. J'ai fait mon possible pour te venir en aide, mais j'ai vraiment eu du mal à le convaincre. Il t'aurait laissé mourir, Dvan.
-Doucement.
Il passa la main délicatement dans les cheveux de sa sœur.
-Explique-moi depuis le début.
-Le début…
Elle jeta un regard vers la porte.
-Je manque de temps…
Surprenant l'expression apeurée sur son visage, il serra les poings.
-Qui crains-tu comme ça ?
Prenant une grande inspiration, elle se lança.
-Ne t'en fait pas. Je m'occupe de tout.
-De qui as-tu peur ? Je ne laisserais pas quelqu'un t'effrayer ainsi !
Elle lui sourit.
-C'est pour toi que j'ai peur Dvan. Moi, ça va. Je me débrouille. Tu me connais, j'y arrive toujours.
-Je ne veux pas que tu es peur pour moi. Je…
-Laisse-moi parler. Laisse-moi essayer de t'expliquer.
Ils s'entre-regardèrent.
-La nuit où j'ai disparu. Un homme est venu me sauver. Il ne l'a pas fait par bonté d'âme. Non, il avait un but tout autre : il voulait faire de moi son épouse.
Dvan se mit à rire.
-C'est quoi cette connerie ?
Elle lui fit signe de se taire.
-Ce n'est pas drôle. Il est sérieux. Il ne m'a sauvé que pour ça. Pour me sauver, il m'a changé.
-Changé ? Comment ça changé ?
-Il m'a fait exactement ce que je t'ai fait, en pensant t'aider.
Le garçon fronça les sourcils. Les révélations étaient tellement soudaines. L'air sérieux de sa sœur, lui fit bien comprendre qu'il se passait quelque chose de grave.
-Qu'est-ce que…
-Je t'ai transformé, Dvan. Tu n'es plus humain. Je ne le suis plus non plus.
A nouveau, elle se tourna vers la porte anxieuse.
-Quoi ? C'était impossible.
-Ta vue s'est amélioré ?
-Oui.
-Tu allais mal, jusqu'à ce que je t'apporte du sang à boire.
-Du sang ?
Il sentit un frisson lui parcourir la colonne vertébrale.
-Oui, à présent, tu ne pourrais plus rien manger d'autres. La nourriture dont tu as l'habitude n'apaisera plus jamais ta faim, pire, elle te rendra malade si tu en manges.
Le visage de Dvan se décomposa au fur et à mesure du récit de sa soeur.
-Tu ne pourrais plus sortir à la lumière du jour, sans risquer ta vie. Tu appartiens désormais à la nuit.
-Mais pourquoi tu m'as fait ça ? s'écria-t-il d'une voix plus forte qu'il ne l'aurait souhaité.
-Parce que…
Elle le fixa de ses yeux remplie de larmes.
-Parce que je pensais que ça guérirait tes cicatrices.
Inconsciemment, son regard erra sur les boursouflures de chair qui couvrait sa main.
-Mais on s'en fiche de ça. Sérieusement, est-ce que je me suis plaint une seule fois de ses foutues brûlures ?
-Non, mais je sais qu'elles te font encore souffrir. Que crois-tu que je ressens lorsque tu sursautes la nuit ? Que tu gémis parce que quelque chose à touché ton bras ? Ou que tu t'es retourné sans faire attention ?
Il la fixa, gêné.
-J'ignorais que…
Elle baissa les yeux aussi.
-Les bons côtés, c'est que tu sera beaucoup plus fort, le temps n'aura plus d'emprise sur toi et tu resteras en vie à jamais.
-En tuant d'autres gens, pour se faire ? Je refuse.
-Dvan !
-Je ne suis pas comme ça.
-Tu n'es pas obligé de les tuer…
Ils restèrent silencieux.
-Ne me dis pas que c'est ça ton rêve ?!
Elle secoua la tête.
-Non, mais je ne peux plus rien y faire.
Prenant ses mains dans les siennes, elle posa son front dessus.
-Pardonne-moi, petit frère, je voulais t'aider, mais je n'ai réussi à rien. Je ne voulais que ton bonheur et je ne fais que ton malheur.
Il ne dit rien, mais l'attira contre lui. Il ne supportait pas de la voir dans cet état. Lui-même la connaissait trop pour savoir qu'elle n'avait pas agit pour lui nuire. Dvan se mordit les lèvres pour ne rien dire de méchant, l'accabler n'aiderait personne.
-Tant que nous sommes ensemble, lui murmura-t-il à l'oreille.
Elle baissa les yeux.
-Mon chéri, je vais devoir y aller.
-Pourquoi ?
Elle hésita.
-Il ne veut pas que je traîne…
-C'est qui ce « il » ?
-Je t'expliquerais, lorsque je reviendrais. Je t'apporterais bientôt à manger. Tu verras, ça va passer et bientôt, tu te sentiras mieux.
Il refusa de la lâcher.
-Rosa, si tu avais des problèmes, tu m'en parlerais ?!
Elle eut un pâle sourire.
-Oui. Sans doute.
A nouveau, elle le prit dans ses bras et le serra fort contre elle. Plongeant son nez dans ses cheveux, il se gorgea de son odeur. Il ne voulait pas qu'elle le quitter. Alors, garder le plus de souvenirs de sa présence, lui paraissait important.
-Je reviens vite, murmura-t-elle.
A regret, il la laissa disparaître, le laissant seul avec la peur. La peur de cette faim dévorante qui menaçait de lui faire perdre la tête. Cette envie de sang… Il ne s'imaginait pas pouvoir la supporter toute sa vie. Sa vie… Il ne savait même pas combien de temps cela représenterait.
Désespéré, Dvan s'avachit contre le sol. Il ne savait plus quoi penser, plus quoi croire. Il voulait juste que les choses redeviennent comme avant. Ils n'avaient rien, mais c'était toujours mieux que sa situation actuelle.
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