Sur les routes décembre 1930
Le moteur du camion crachotait, les freins crissaient à chaque virage aussi ample soit-il. Par chance les routes du New Jersey ne présentaient pas de difficultés majeures. Elles étaient plates, et régulières afin de déverser facilement les richesses de la ville de New York à cet état frontalier vivant dans son ombre.
Même si le conducteur n’était pas trop gêné du fait de son expérience, ça demeurait tout de même un sacré changement de passer d’une Chrysler Six à un White tad 3. Le choix du vagabond aux noms multiples ne reposait pas sur un manque de moyen.
Ce modèle d’utilitaire commençait à se faire vieux. En revanche il disposait d’un plateau de transport à l’arrière de la cabine, c’est-à-dire une simple plate-forme sans cloison, ni bâche. Si bien que la marchandise embarquée était visible aux yeux de tous. Et c’était justement tout l’intérêt. Tout le monde pouvait constater de ses yeux la nature des biens transportés.
Ca semblait étrange de la part d’un contrebandier. Une autre bizarrerie était à ajouter au crédit du vagabond. Il ne trimbalait pas d’alcool, et pas uniquement dans les cas présent. Il devait bien être le seul dans ce pays et cette branche à refuser ce produit.
Le vagabond n’avait pas d’ambition ou plus exactement une particulière : survivre. Or il avait vu naitre les pillards détroussant voir tuant les bootleggers. Ensuite étaient apparu les grands réseaux, qui écrasaient impitoyablement la concurrence. Par conséquent le vagabond exposait sa marchandise afin d’éviter les ennuis avec ses confrères.
Quant aux autorités il était facile de s’en défaire. Un petit détour ou un billet glissé discrètement suffisait généralement. Bref le vagabond s’était trouvé une sorte d’équilibre. Il traçait la route tranquillement la nuit tombée sachant, que rien ne perturberait son voyage.
En fait si puisqu’il se gara au bord de la route. Une envie de pisser ne se contrôlait pas. Tout en se soulageant dans ce chemin désert il se rendit compte à quel point son existence actuelle lui plaisait. Depuis combien de temps n’avait-il pas joué du flingue ? Désormais il gagnait sa vie sans risque en faisant ce qu’il aimait : voyager.
Le vagabond reboutonna sa braguette, et retourna vers son véhicule. C’est alors qu’au milieu de sa vie de rêve apparut un cauchemar. Son aspect se limitait à un homme de petite taille à l’air fatigué. Ses vêtements eux aussi avaient souffert. S’en était dommage de voir un costard de cette qualité si mal traité.
Un personnage dans cet état n’aurait pas dû être une source d’inquiétude. Sauf qu’il pointait une arme sur le vagabond. Ce dernier sous une sorte de réflexe professionnel s’interrogea sur l’origine de cette présence soudaine. Il se trouvait au beau milieu d’une plaine n’offrant pas la moindre cachette. La réponse ne fut pas longue à venir. Elle sonnait comme une mauvaise blague. L’autre homme s’était forcément caché dans les marchandises maintenues par des cordages sur le plateau du White tad 3. Ainsi le vagabond avait véhiculé depuis New York son futur assassin.
« Les clés du camion. » Exigea-t-il.
Le ton employé était net. Il n’hésiterait pas à tirer si nécessaire. Par conséquent le vagabond sortit lentement les clés de sa poche, et les lui tendit.
L’autre homme débuta son approche sans quitter son otage du regard, ni baisser son arme. Il serait difficile de le surprendre. Seulement le vagabond avait-il le choix ? Face à la main tendue il ne fit rien. Ainsi il capta l’attention de son agresseur d’une manière différente. Le vagabond était prêt à tout faire pour survivre y compris d’aborder un domaine lui étant inhabituel comme le dialogue.
« Ce n’est pas nécessaire de me tuer. Regardez les alentours. Il me faudra des heures pour trouver une bagnole, ou un téléphone. »
« Ton flingue. »
Quel intérêt d’exiger l’arme de quelqu’un qu’on compte abattre ? Le vagabond obtempéra avec soulagement. Mais le plus satisfait restait l’autre homme dispensé d’avoir à appuyer sur la gâchette. S’il était capable de tuer, en revanche il n’aimait pas le faire. Il rangea les deux armes dans sa veste, puis s’installa le plus naturellement du monde dans la cabine coté passager. Le vagabond comprit le message se mit devant le volant.
« Où on va ? »
On aurait dit un taxi s’adressant à un client. Toute la tension était retombée entre ces deux hommes. S’en était ubuesque.
« Je m’en fous. » Balança l’autre homme froidement avant de se reprendre un peu. « Tu t’appelles comment ? »
« Ned. »
Un temps de réflexion avait précédé la réponse, comme si son prénom lui était inhabituel. L’autre homme décida de ne pas lui en tenir rigueur. Lui aussi prenait ses précautions en gardant les armes sur lui.
« Moi, c’est Vito. »
Le timbre de sa voix s’était un peu adoucit. Toutefois Ned comprit que son passager ne désirait pas causer d’avantage. Alors il démarra en silence, et tant qu’à faire reprit la direction initiale.
Dans un premier temps Vito s’étira autant que l’habitacle le lui permettait. Toutes ses longues heures dans l’armoire l’avait engourdit. Il voulait s’assurer d’être suffisamment loin de New York où on le croyait mort. Il devait bien çà à Sal. Alors que dans le sous-sol Vito s’apprêtait à dégainer, il avait tiré en l’air. Ensuite Red Head l’avait dissimulé dans le meuble. Quant à l’absence de cadavre, Sal s’était sans doute débrouillé d’une manière ou d’une autre.
L’élément qui intriguait réellement Vito, était l’indulgence de son confrère. Ils étaient de simples amis auxquels on rend un service de temps à autres. D’un autre coté ils avaient toujours gardés le contact toutes ces années. Et puis il y avait leurs communautés respectives sans oublier leurs tempéraments. Sal était un teigneux. Vito lui était plus réfléchit.
Peut-être était-ce cela au fond : la difficulté de conserver une amitié en de telles circonstances. Ca collait bien avec Red Head. Il ne lâchait jamais l’affaire.
Vito sentait la fatigue venir. Il jeta alors un coup d’œil à Ned. Obnubilé par sa conduite il semblait avoir oublié la présence de son passager. Et dire qu’il venait de frôler la mort. Drôle de type. Pourtant l’italien se sentait en confiance. Il n’émanait aucune agressivité chez lui.
Par conséquent les paupières de Vito commencèrent à se fermer. Le sommeil ne vint toujours pas. D’autres questions trainaient encore dans son esprit. Si Sal ignorait l’identité précise de sa cible, c’est qu’il s’agissait d’un contrat. Or il bossait pour Lepke. En quoi l’existence de Vito gênait les gold dust twins ?
A vrai dire seuls les castellammarais avaient des raisons de lui en vouloir à cause de cette foutue guerre. Or les mustache pepes les commandant évitaient tout contact avec les juifs comme Lepke. La seule exception à cette règle au sein de la mafia était Luciano. Et il se trouvait être dans le camp de Masseria. Décidément cette affaire demeurait obscure. Il valait mieux prendre un peu le large en attendant d’y voir plus clair.
Ned était en vue de sa destination : la ville de Newark. Il ralentit un peu, et se remémora l’adresse. Tant qu’il était dans les détails techniques, il observa son passager. Il s’était endormit ! Cet homme paraissait fatigué mais tout de même. Ned profita de l’occasion, et glissa subrepticement sa main dans la veste afin de récupérer son arme. Ensuite il la rangea sagement sur lui. Être désarmé le mettait mal à l’aise. Il le serait sans doute encore plus, s’il avait su que Vito feignait le sommeil. A vrai dire sa main était juste sur son colt prêt à servir.
Ce n’était plus nécessaire, puisque Ned avait passé le test haut la main. Peut-être que cette rencontre aboutirait quelque part ?
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