Détroit mai 1930
C’était une petite caricature dans les dernières pages du journal. Les personnages possédaient des grosses têtes et il y avait des inscriptions explicatives comme dans les dessins destinés aux enfants. Un bonhomme à casquette se trouvaient à gauche avec un petit drapeau où il y était marqué : frontière canadienne. A l’autre bout il y avait une représentation quasiment similaire à une différence près qu’on y lisait frontière américaine.
Une cascade remplie de caisses et de bouteilles séparait les deux personnages. Il y était inscrit Détroit River. Le garde-frontière canadien demandait à son confrère américain si tout allait bien. Ce dernier lui répondait qu’il se la coulait douce. Juste en bas du coté américain un troisième homme dans une barque remplit de bouteilles buvait au goulot de l’une d’elle tout en disant :
« Oh oui ça coule bien. »
Les mains froissèrent le journal, puis s’arrêtèrent en chemin. Son propriétaire n’en avait pas encore finit. Il tendit la page concerné à l’autre étal.
« Regardes comment ils voient Détroit ! »
Son confrère ne put retenir un petit sourire face au dessin.
« C’est la réalité après tout. »
L’autre reprit son journal d’un geste rageur. Il ne disposait d’aucune réplique à l’attention de son contradicteur. Pourtant à première vue le poissonnier avait tort. Le quartier de West Vernor-Lawndale était si paisible avec ses bâtisses anciennes et spacieuses, et ses petits commerces de quartiers. On se serait cru dans un petit village fantasmé des temps anciens et non dans une grande ville rongée par la violence et la corruption.
En ce jour là la fréquentation était correcte sans être envahissante. Elle se limitait juste à des femmes et éventuellement quelques hommes avec leurs paniers en quête de leur repas du soir.
Will un sourire figé sur le visage écouta ou plutôt entendit la femme lui raconter sa vie, tout en lui emballant du calamar. C’était le prix de sa tranquillité retrouvée ou plutôt de la menue monnaie. Le véritable prix datait d’avant.
On ne quittait pas facilement du purple gang du moins vivant. Le marin à défaut d’une grande intelligence, bénéficiait d’un pragmatisme à toute épreuve. Qu’est-ce qu’il était au sein de cette bande ? Un outil, un outil de transport plus exactement.
Alors il vendit son bateau au purple gang. En fait la manœuvre se rapprochait plus d’un cadeau si on regardait de prêt le prix proposé. C’était justement le véritable prix de sa liberté. La liberté, c’est bien beau mais il faut bien gagner sa vie. N’ayant pas les moyens de s’installer autre part, il avait ouvert ce petit commerce notamment grâce à ses relations dans le milieu de la pêche. De toute façon il ne se voyait plus naviguer dans les environs tant que le purple gang y rôdait encore.
Ce changement de carrière allait de pair avec un certain ennui. Will cherchait des clients potentiels à haranguer. En fait il tentait plus de tuer le temps que de remplir le tiroir caisse. Cette activité n’était pas son point fort de toute façon. Les marins n’étaient généralement pas de grands causeurs sauf avec un coup dans le nez à la rigueur.
C’est alors qu’il le remarqua. Ce quadragénaire était mâte de peau mais pas assez pour être un mexicain de Corktown. Il s’agissait donc d’un sicilien de l’extrême est de la ville. Sa tenue comportait un beau manteau gris croisé avec chapeau assortit, et des gants en cuir noir. En tant que membre d’une minorité il héritait alors du titre de parvenu au lieu de bourgeois.
En fait ce qui retenait vraiment l’attention de Will était l’homme l’accompagnant. Également de type méditerranéen il se contentait juste d’un costume de couleur sombre. A vrai dire son apparence importait peu. Tout reposait sur son attitude. Il se tenait toujours derrière l’homme au manteau gris en marchant presque au pas et le regard à l’affut. Un garde du corps ! Or quelle genre de personne disposait d’un garde du corps ?
La réponse était aussi évidente que le gang d’appartenance de ces deux hommes. Une seule organisation criminelle de la ville avait survécu à la déferlante du purple gang : la famille Milazzo, qui subsistait retranchée dans le quartier sicilien. C’était un peu l’irréductible village gaulois.
Soudain un client sortit Will de ses pensées. D’ailleurs pourquoi les avait-il eu ? Il n’était plus de la partie et certainement pas nostalgique sur ce point. Désormais loin de l’esprit du marin les deux mafieux s’assirent à une table en terrasse d’un petit restaurant non loin de l’étal. L’homme au manteau gris se chargea de passer la commande.
Il s’exprimait d’une manière polie et simple à la fois avec un léger accent. Son garde du corps bien qu’il demeure muet, se relâcha un peu. Visiblement ils ne préparaient rien de sérieux. Malgré tout Will ne parvint pas à totalement à les ignorer. A croire qu’il disposait d’un don de prescience.
La scène se déroula très vite et sans aucun accroc comme une chorégraphie savamment répétée. Tout commença par une détonation, et l’explosion de la tête de l’homme au manteau gris. A partir de cet instant le garde du corps avait perdu. Pourtant il ne se jeta pas à terre, ni tenta de s’enfuir. Que se soit par fierté mal placé, instinct, ou tout simplement bêtise, il dégaina. A peine amorça-t-il son geste qu’une balle l’atteint au bras, comme si les tireurs connaissaient d’avance sa réaction illogique. Presque instantanément deux autres projectiles touchèrent l’abdomen et la poitrine.
Will avait suffisamment assisté à des mises à mort pour comprendre que c’était finit. Sans réfléchir il détourna le regard des deux cadavres au profit des tueurs. Les deux hommes brandissaient à première vue des fusils de chasse. Des chapeaux et des foulards dissimulaient leurs visages. Pas de cris ou de grands de gestes de leur part suite au carnage. Ils tournèrent les talons et courrirent d’un pas assuré jusqu’à une voiture avec la porte-arrière ouverte.
Leur départ de la scène fut comme le coup de rideau final où les spectateurs s’expriment enfin. Des cris de terreur, des « police » suivirent. Rien de bien original en somme. Au moins ces réactions demeuraient compréhensibles. Pas comme le vendeur avec son journal, qui malgré la mort des deux hommes, songeait uniquement à son rôle de je-sais-tout râleur.
« C’est encore le purple gang. Et la police ne va rien faire. » Commença-t-il à crier à a volée.
« Non. » Murmura Will.
Ce n’était pas leur style. Pas assez spectaculaire, trop propre, et trop anonyme. Le jeu se complexifiait. D’abord apeuré Will finit par sourire intérieurement. Il n’était plus des leurs après tout. S’ils s’entretuaient, c’était une bonne chose à présent.
C’est ainsi que mourut Gaspar Milazzo parrain de la mafia de Détroit né en 1887 à Castellammare del Golfo. Il fallait aussi signaler Sasa Parrino, son protecteur et homme de confiance. Une confiance plutôt mal placée visiblement.
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