New York avril 1930
Les surnoms étaient une institution dans le gangland. Après tout n’était-ce pas le cinquante-deuxième état ? En tant que nation il avait bien le droit de fournir une nouvelle identité à ses citoyens.
Certains sobriquets étaient des insultes comme Bugsy pour Benjamin Siegel. D’autres inappropriés comme The Polack pour Joe Saltis, qui n’était pas d’origine polonaise.
En ce qui concerne Giuseppe Masseria son surnom de Joe the boss était à la fois respectueux et adéquat. Frankie Yale et Arnold Rothstein n’étant plus de ce monde, Masseria était donc ce qui se rapprochait le plus d’un leader au sein du milieu new new-yorkais.
Avec ses cinq cents recrues, sa bande se trouvait être numériquement parlant la plus importante de la ville. Comme si ça ne suffisait pas, deux des quatre autres familles de la mafia new yorkaise étaient sous sa coupe.
Quant au personnage en lui-même il était sujet comme bien d’autres à un étrange phénomène apparu avec l’invention de l’impitoyable photographie. Avant les gens importants étaient tous beaux, et élégants. Il suffisait par exemple de se reporter aux portraits de Napoléon. Il y était toujours dans des poses majestueuses, et le regard altier.
Masseria lui était un petit homme aux membres courts et au ventre proéminent. Sa tenue paraissait à première vue de bonne qualité. Seulement entre le veston déboutonné, le col défait, et les tâches douteuses sur la chemise, la mise en plis était quelque peu gâchée.
L’expression une rose sur un tas de fumier trouvait son parfait contraire avec cet homme vautré sur ce magnifique fauteuil en velours noir. Masseria but son verre de vin d’une traite comme s’il craignait que le liquide ne s’en échappe.
« Pas mauvais hein Charlie ? » Dit-il d’une voix forte proche d’un cri.
« Oui. Il est bon. » Admit un homme de taille moyenne d’environ trente ans au teint mate et aux cheveux frisés en reposant son verre.
Il portait un costume marron assez élégant. Son accent des rues faisait en quelque sorte contre-poids. Surtout il y avait son visage avec ses cicatrices et sa paupière droite du haut fermée en permanence. Ces marques confirmaient que malgré leurs différences respectives, Charlie Luciano exerçait bien dans la même branche que Masseria.
Lui son surnom de Lucky sonnait comme une injustice. S’il était devenu l’un des plus brillants gangsters de sa génération, il le devait à sa détermination, son intelligence, son sens de l’organisation, et bien d’autres choses. En tous cas certainement pas au hasard. Il était né en Sicile à Lecarafriddi autant dire nulle part, puis avait débarqué avec sa famille et pas grand chose d’autre à New York.
La seule fois où il avait d’une certaine manière eu de la chance dans sa vie, était lors d’une fameuse « ballade en voiture ». On l’avait enlevé, torturé, puis jeté à la mer. Ensuite il avait été retrouvé à Huguenot Beach à peine vivant. Suite à cette expérience malheureuse, on le désignait étrangement comme un chanceux.
« Bon passons aux affaires. » Enchaina brutalement Masseria ayant largement dépassé ses compétences diplomatiques. « T’as les renseignements ? »
Luciano sortit un papier de sa veste, se leva, et marcha jusqu’à Masseria, qui de son côté ne fit même pas l’effort de se redresser. Il ne fallait pas oublier, qui était le second de l’autre. Comme si son petit manège ne suffisait pas, il arracha des mains la feuille avant de la déplier. Il s’agissait d’une carte de New York assez succincte où était seulement mentionné les sites importants, un document de touriste en somme.
Il y était rajouté au crayon des petites croix. Elles se situaient toutes à Brooklyn et dans le sud de Manhattan. Masseria parcourut le document attentivement avant de reprendre la parole :
« Ces putains de castellammarais sont bien implantés. »
C’est ainsi qu’on nommait les membres de la famille Shiro. Parce que la plupart d’entre eux étaient orginaires d’un petit village de Sicile Castellammare del Golfo. Ils comptaient parmi les deux clans mafieux n’étant pas inféodés à Masseria. Si l’autre la famille Profaci reclue à Staten Island ne présentait pas un grand intérêt, la Shiro était tout le contraire. Elle grandissait, et s’enrichissait comme le démontrait le document.
Masseria ne demanda pas à son bras droit l’origine de ses informations. Il le savait doué pour ce genre de chose. Luciano était un entrepreneur de talent, et cela exigeait de disposer d’un bon carnet d’adresses.
« Qu’est-ce que t’en penses ? » Ajouta Masseria.
Il n’apporta aucune autre précision. La brillante cervelle de Luciano avait sans doute déjà tout compris. Masseria était un conquérant. Il ne créait pas de réseaux ou de business. Il se les accaparait ou plutôt les fédérait comme il aimait le dire. C’est d’ailleurs ainsi que Luciano avait intégré son groupe.
Avec ses trois partenaires il s’était bâtit une organisation à la mécanique bien huilée.
Frank Costello graissait les pâtes des autorités, Meyer Lansky gérait les finances, et Benjamin Siegel se chargeait comme on dit pudiquement de la sécurité. Quant Luciano il supervisait l’ensemble, et s’occupait des relations avec les autres gangs.
Leur fameuse bande dites des quatre comprenait toutes sortes d’activités dont un trafic d’alcool de grande qualité. Malheureusement ils disposaient tout au plus d’une centaine d’hommes. Par conséquent Luciano dut plier l’échine devant Masseria. Toutes ces structures, ces procédés, et ces relations pour finalement céder face à la simple force du nombre. Malgré tout Luciano croyait encore en la puissance de la rationalité. Si bien qu’il déclara :
« Une guerre ralentirait nos affaires. Déjà que...»
« Et la guerre les castellammarais l’encaisseraient comment ? » Coupa Masseria.
Ses paroles avaient perdues l’arrogance précédente au profit d’une froideur menaçante. Luciano comprit, qu’il s’était un peu trop éloigné de son rôle.
« Mal, très mal.» Répondit-il à mi-voix. « Ils pourraient ne pas s’en relever. »
« Voilà ce que j’aime entendre. »
Tout était dit. Peu après Luciano laissa Masseria s’empiffrer. Cet estomacs sur patte n’était bon qu’à çà. En fait Masseria fit une chose, qu’il pouvait se permettre uniquement une fois seul : douter.
Lors de ses débuts dans la mafia il avait tué et évincé son capo, c’est-à-dire le chef de la famille auquel tout mafieux jurait une fidélité absolue lors de son intronisation. Par conséquent Masseria ne croyait pas en un quelconque code d’honneur. Pouvoir, puissance, prospérité voilà ce qu’il recherchait. C’était un des rares points communs entre Luciano et lui. Justement écraser les castellammarais lui rapporterait-il de quoi compenser les pertes liées à ce type d’opération ? Peut-être pas. A en juger d’après les renseignements de son subordonné, la famille Shiro représentait un gros morceau.
Logiquement Masseria aurait dû renoncer selon le principe du coût et du profit. Sauf qu’une grande différence le séparait du Luciano. Lui il savait que même la plus épaisse des liasses de billets, n’arrêtait pas une balle. Il y avait aussi son appetit insatiable, et qui devait l’être. Si on se satisfaisait de sa situation, si on se relâchait l’espace d’un instant dans l’univers impitoyable de la pègre, cela signifiait très souvent la mort.
Alors Masseria écrasait, dominait, dévorait. C’était une brute, mais une brute rusée à sa manière. Même si ses talents se limitaient à frapper, il savait le faire de différentes façons. Son clan demeurait le plus fort. C’était un fait. Il suffisait que le camp en face le réalise à son tour. Une démonstration de force au lieu d’un conflit ouvert, voilà qu’elle était la solution.
Toutefois un problème demeurait. Ce qui avait fonctionné avec la bande des quatre, ne marcherait peut-être pas face aux castellammarais. Certains principes et codes régissaient la mafia. Même s’il les méprisait, Masseria lui-même était obligé de les prendre en compte tout comme les dirigeants des autres familles afin de préserver l’unité dans leurs rangs. Car le picciotto et le soldate de base eux y croyaient. Donc une attaque aussi réduite soit-elle envers le clan Shiro, serait perçut comme une offense, une affaire d’honneur ne pouvant se laver que par le sang.
Même s’il ne disposait pas d’un réseau aussi étendu que son second, Masseria n’était pas ignorant pour autant. Ca faisait plus de vingt ans qu’il arpentait les bas fonds des États-Unis. Forcément il s’y connaissait sur son fonctionnement et sa composition. Alors il se fit songeur, et une solution lui apparut.
Au même moment dans des logements moins prestigieux de la ville deux truands rêvaient eux aussi d’ascension. Tout comme un policier de Chicago, qui s’imaginait mettre à terre le plus célèbre des caïds d’Amérique. A Détroit au contraire un matelot doublé d’un contrebandier ne demandait qu’à quitter toute cette violence. Ailleurs un homme changeait constamment d’identités et sillonnait inlassablement les routes en quête d’indépendance. Même lui allait comme les autres subir les conséquences de la décision de Masseria.
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