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tome 3, Chapitre 7 tome 3, Chapitre 7

New York mai 1929

Coney Island à la pointe sud de Brooklyn était le paradis à l’usage du new new-yorkais ordinaire ou du moins son anti-chambre. Une petite plage et des attractions bon marchés, c’était le rêve pour qui n’avait pas trop de moyen.

En tous cas des gens y trouvaient leur bonheur. Un bonheur se limitant à l’obtention d’une peluche après une partie de chamboule-tout ou au goût sucrée d’une barbe à papa. Un bonheur bon marché et limité dans le temps, dont le simple citoyen devait se contenter.

En son centre se tenaient des stands thématiques de plus ou moins bons goûts (surtout moins). Une diseuse de bonne aventure avec une décoration gitane et ésotérique, un stand de tir à la carabine faisant dans le western où les cibles étaient des bisons et... des indiens (que du bon goût)......

Ce rassemblement de décors rappelait un peu un studio de cinéma. Justement quelqu’un y jouait un rôle, celui du gamin bondissant et un peu distrait percutant accidentellement un passant. Il était tellement adorable que le passant en question lui pardonna, et le laissa partir avec son porte-feuille préalablement subtilisé.

En digne gamin des rues Brad subsistait ainsi. Il connaissait bien son affaire depuis le temps. Se dénicher un coin discret entre deux boutiques, sortir les billets, jeter le reste, et se dégoter un autre pigeon. Tiens celui-là avait un sac. C’était plutôt rare. Généralement les gens ne s’encombraient pas ainsi lorsqu’ils venaient se distraire à Coney Island. Brad n’avait pas encore la carrure nécessaire pour effectuer un vol à l’arrachée. Toutefois le porteur du bagage semblait fatigué. Ça méritait réflexion. Il le suivit discrètement.

Une fois derrière il observa son éventuelle victime plus attentivement. Son pas était lourd, et ses bras ballants. Il émanait de lui une odeur de sueur. Tout cela sentait la nuit blanche. Dans cet état le temps qu’il réagisse, Brad se serait déjà faufiler vers un endroit sombre.

Alors que le jeune voleur se rapprochait du sac il aperçut un autre détail révélateur. La main tenant son objectif présentait des marques, et pas n’importe lesquelles : des écorchures à la base des doigts. Son propriétaire avait visiblement donné du poing et pas qu’un peu. Brad leva alors les yeux, et ne releva aucune marque de coup. Cet homme avait donc cogné sans rien se prendre. A cela se rajoutait sa mine renfrognée, le genre à défoncer le premier venu pour un simple regard de travers.

Instinctivement Brad recula. Il se redonna du courage avec des « il ne te rattrapera pas. » et des « il est pratiquement endormit. ». Des efforts bien inutiles. Puisque son pigeon posa le sac au pied d’une sorcière en bois à la sortie du train fantôme, et continua son chemin. Comment pouvait-on abandonner son bagage de la sorte surtout dans une zone si fréquentée ? A vrai dire Brad ne se posa même pas la question. Quand on jette des graines aux oiseaux ils ne se demandent pourquoi, ils se contentent d’en profiter. Le gamin des rues réagit pareil. Il embarqua d’un geste vif le sac. Au vue de sa taille, le poids était conséquent. Il y avait donc bien un profit à la clé.

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New York était divisé en cinq boroughs : Manhattan, Bronx, Queens, Brooklyn, et Staten Island. L’ordre pouvait diverger sauf pour le premier et le dernier. En effet Manhattan hébergeait la mairie, le Tammy Hall, Broadway, Wall Street... Quant à Staten Island, elle avait peu de population, peu d’activité, peu distraction, peu en général. A part de la tranquillité voir de l’ennui on n’y trouvait pas grand chose. Même la pègre était imprégnée par la monotonie de l’endroit. La famille mafieuse Profaci y régnant faisait dans la neutralité discrète, et se contentait de ses petites affaires.

Bref seules les personnes en quête d’une vie longue et creuse y habitaient. Saut Alan qui lui était là sous la contrainte. Il habitait dans un lotissement plutôt aisé. Hélas on l’avait installé dans un petit studio au-dessus d’un garage. Il s’agissait de son logement de fonction. Quant à la fonction ou plutôt ses fonctions elles allaient de gardien, jardinier, chauffeur.... à tout ce qui était possible en échange d’un maigre salaire.

Était-ce là une situation normale à quarante ans passé ? Alan ne s’angoissait plus à ce sujet. Il était bien trop occupé à examiner une fois encore l’arme, qu’il venait de dénicher. Il préférait des modèles plus imposants. La frayeur provoquée par leurs simples masses, dispensait de faire parler la poudre, enfin la plupart du temps.

Il ne fallait tout de même pas se montrer ingrat. Ce Smith & Wesson avait été un allié efficace à Chinatown, pas comme son partenaire incapable de regarder devant lui. Alan n’avait rien trouvé de mieux que ce jeunot à grande gueule. Mais comme jadis son plan avait finit par fonctionner au prix d’un peu d’improvisation.

C’est sûr qu’il était loin de son légendaire braquage du défilé. Alan et son équipe s’en étaient pris à une petite banque de quartier le premier juin, c’est-à-dire le jour du grand défilé annuel de la police. Par conséquent les membres des forces de l’ordre étaient moins nombreux à patrouiller. Ce fut un vrai succès. Hélas si Alan était à la fois créatif et réactif, il excellait beaucoup moins dans le domaine du recrutement. L’un de ses hommes avait finit par balancer toute la bande.

Il en résulta treize longues années. Treize longues années enfermé dans une cellule. Treize longues années à ne plus pouvoir faire de coups. Treize longues années sans gagner un rond. Treize longues années à perdre ses contacts dans les bas fonds. Treize longues années empêchant de dénicher un travail à part ce demi-esclavage actuel à Staten Island.

Puis ces treize longues années se révélèrent bénéfiques. Un employeur qui l’avait viré à cause d’elles, finit toujours à cause d’elles par lui proposer un coup. Un kidnapping ! Rien n’était plus foireux que çà. Car le kidnapping se composait en deux parties : l’enlèvement et la remise de la rançon. C’est de ce dernier point, qu’émanaient toutes les emmerdes. Pour récupérer l’argent des proches de la victime, un rendez-vous était nécessaire. C’était comme annoncer un braquage à l’avance. Qui ferait une chose aussi stupide ? Une personne n’ayant plus grand chose à perdre.

Alors Alan recruta deux novices, et monta l’opération. Contre toute attente elle fonctionna de bout à bout deux morts et quelques coups de feu mis à part. Red Head, qui regardait de sa voiture la silhouette d’Alan au travers des rideaux, en était même admiratif. Il fallait l’admettre : Alan aurait gagné sans l’action de dernière minute de Sal. Entre le stress et la fatigue il n’avait même pas eu d’idée précise en ouvrant le sac. Il songeait vaguement à se servir afin de compenser son échec. Et c’est alors qu’eut lieu la grande révélation : le sac ne contenait que du papier !

Red Head retrouva alors un peu de bon sens. Il n’était pas en état d’user de cette information convenablement. Par conséquent il déposa le prétendu argent comme convenu, et prit le temps de récupérer un peu. Si Mickey n’avait pas l’intention de payer, pourquoi avoir réclamé l’aide des gold dust twins ? Peut-être voulait-il malgré tout laisser une chance à son fils ? Cette hypothèse vola en éclat le lendemain avec le retour de Kévin. Ses ravisseurs l’avaient déposés devant une cabine téléphonique du nord de Manhattan.

Si les kidnappeurs avaient rendus l’otage, cela signifiait que la tromperie sur la rançon ne leur était pas destinée. Alors qui était le pigeon dans cette histoire ? Complétement acculé Mickey finit par révéler la vérité entre deux frappes de chaussette de sable. Pressé par des problèmes de trésorerie, il avait eu l’idée de simuler une perte d’argent dont ses racketteurs seraient en partie responsable. Leur boulot n’était-il pas de gérer ce genre de chose ? Ainsi l’homme d’affaire espérait obtenir une sorte de réduction des charges.

Ce projet était tout de même un peu bancal. En revanche le complice de Mickey s’était montré assez fin. Parmi tous les trainards de Coney Island, l’un d’eux se serait bien chargé du bagage abandonné. Il n’était donc même pas nécessaire d’envoyer quelqu’un prendre la fausse rançon histoire de donner le change.

Ainsi l’affaire ne se limitait pas à mater quelques trouble-fêtes. Face à cette complexité Sal préféra contacter Lepke de nouveau. Au passage il prétexta avoir eu des soupçons afin d’expliquer sa découverte sur le contenu réel du sac.

Le verdict de son chef le conduisit alors à Staten Island. Mickey était un bon bourgeois. Sa mort risquait de faire tâche. Et en plus il rapportait du fric. Pourtant quelqu’un devait payer afin de préserver les apparences, que les gold dust twins ne paraissent pas faibles aux yeux des autres gangs.

Donc le rôle de Mickey fut tût. Alan se retrouva ainsi le seul instigateur d’une véritable demande de rançon. Était-ce juste ? Red Head s’en moquait bien. Ce qui comptait, c’était les intérêts du gang, vu qu’ils étaient liés aux siens.

La cible se trouvant dans un territoire contrôlé par la mafia, Lepke voulait un travail rapide et discret. D’ailleurs par le biais de ses relations il fournit à son subordonné une arme à cet effet. Une arme que Sal n’aurait jamais imaginé avoir un jour entre ses mains : un fusil springfield M1903, une arme de guerre usée par les troupes américaines durant la der des ders.

Il aligna tranquillement le viseur sur la tête d’Alan. L’excellente précision de l’arme ferait le reste. Soudain Read Head eut une hésitation. Les armes d’épaule lui étant peu familières, il s’était préalablement exercé dans un endroit isolé. Il avait alors constaté le principal défaut du springfield : son système de levier à culasse réduisant considérablement la cadence de tir.

Donc s’il ratait, Sal n’aurait sans doute pas une seconde chance. Alors il baissa son arme jusqu’au niveau du torse. Au moins la cible y était plus vaste. Il prit une profonde expiration, puis appuya sur la gâchette. Alan tomba.

La surprise, les cris, et la peur viendraient d’abord. Bien après les occupants de l’habitation songeraient au sort de leur employé-larbin, et contacteraient les secours. Étalé par terre Alan attendait le début de la représentation, tout en sachant que ses chances d’assister au dernier acte étaient minces. Il ne paniquait pas vraiment. Après tout il connaissait les risques : la taule ou une balle. Expérimenter l’autre possibilité lui donnait au moins l’impression de ne pas tourner en rond.

Red Head lui ne s’intéressait pas au spectacle. Il rangea rapidement son arme, et démarra son véhicule. Il avait repéré un petit coin tranquille pour dormir jusqu’au passage du premier ferry du lendemain. Staten Island ne disposait d’aucun pont. Était-ce surprenant ?

De l’armement militaire, une préparation, des repérages, Sal était bien loin de ses deux premiers meurtres à bout portant. L’univers chaotique et violent dans lequel il évoluait, était entrain de perdre son premier qualificatif.


Texte publié par Jules Famas, 25 juillet 2019 à 21h24
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