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tome 2, Chapitre 5 tome 2, Chapitre 5

New York novembre 1927

Il n’existait pas que des quartiers malfamés à New York. Yorkville à l’est de Central Park était un endroit tout à fait respectable où logeaient des membres des classes moyennes. C’était un monde bien différent du sud de Manhattan.

Les poêles à charbon individuels cédaient la place à des radiateurs reliés à un système central, et le téléphone collectif du rez-de-chaussée devenait individuel. Parfois il est facile de passer d’un monde à un autre. Dans un de ces immeubles modernes et sans histoires, il suffisait d’ouvrir une porte.

Au lieu d’une cave obscure ce club de jeu clandestin était installé dans un appartement du troisième étage. Même si le New York bourgeois et le New York délinquant s’y rencontraient, les barrières sociales perduraient. La clientèle se limitaient essentiellement à des allemands et des irlandais. Alors que les employés eux étaient issues des communautés nettement moins prestigieuses.

Deux exceptions demeuraient parmi les clients. En tant qu’ancien membre du service d’ordre Double disposait d’un passe-droit. Il buvait un verre à la cuisine à l’américaine réaménagé en bar. Cet endroit constituait un peu son havre de paix. Il n’y avait pas ses confrères braillards et aucun client lui adressait la parole. De plus on y servait un véritable alcool d’exportation et non une saloperie fabriquée artisanalement ou coupée. Dans ce domaine là les inégalités sociales subsistaient également.

Son compagnon et élève lui ne savourait pas à cette quiétude. Sal préférait observer. Des tapis verts pour les dés, des tables de poker avec un croupier en costume, ça le changeait des trottoirs et des arrière-salles de bar. Une fois cet examen effectué il en revint à son collègue. Double se machonnait la langue n’osant ou ne sachant pas comment aborder le sujet. Il fallait reconnaitre que le courant passait mieux avec Vito. Malgré tout Sal ne regrettait pas son choix d’avoir finalement suivi Double.

Les siciliens étaient les pires au niveau du communautarisme du moins chez les truands. Vito en tant que napolitain pouvait espérer gravir quelques échelons dans le gang de Yale. Mais Sal lui était condamné à végéter. Du fait de son expérience Double l’avait comprit plus rapidement, et s’était déniché un poste stable ailleurs bien avant le départ de Sal. Le vieux vétéran s’était attaché au jeune loup depuis leur livraison mouvementée. Alors il l’avait introduit dans le groupe.

« Tu penses à Little Augie (surnom de Jacob Orgen) hein ? » Demanda ou plutôt affirma Sal.

« Mouais. » Marmonna Double en esquissant un petit sourire en coin comme si se faire démasquer ainsi lui plaisait. « Et aussi à cet enfoiré de Lepke. »

« C’est vrai qu’il a bien baisé tout le monde. » Enchaina Sal à la fois dégoutté et admiratif en songeant au personnage.

« C’est ce qu’il croit. »

Cette dernière phrase jeta un froid. Désormais le stade de la simple discussion amicale était dépassé.

« On est vraiment entrain de parler de çà ? » Dit Sal avec gravité.

« Et pourquoi pas ? »

« Justement pourquoi ? Tu veux faire comme ces italiens que tu dénigres tout le temps, prêts à s'entretuer parce que l'un n'a pas salué l'autre de la bonne manière. L'honneur, et la vengeance ne sont que des conneries ! On fait des affaires un point c'est tout. Et les nôtres tourneront toujours avec ce nouveau patron. »

Brusquement au milieu de toute cette tension, Double poussa un léger ricanement.

« J’ai deux fois ton expérience et ton poids. Et pourtant t’ose me parler comme çà. Voilà ce que j’aime chez toi : ton audace et ton ambition. Des choses que j’avais perdu en court de route à me contenter de cogner des minables contre quelques billets. Et puis à ton contact je me suis réveillé. Little Augie s’en est même rendu compte. Il comptait virer Legs Diamond. Ce mec n’a jamais été fiable de toute façon. D’ailleurs il ne cherche pas à prendre sa revanche. Bref je devais prendre sa place voir plus. Finalement Lepke arrange mes affaires. Au lieu de numéro deux je vais devenir numéro un. »

Sal se détendit un peu. En plus de le rassurer cet objectif purement pragmatique l’intéressait.

« Comment tu comptes de débarrasser de Lepke ? Il est malin. Et il y a ce colosse, qui le colle en permanence. »

« En plus il connait bien l’organisation de notre gang. » Rajouta Double affichant un air satisfait malgré ses propres dires. « C’est d’ailleurs grâce à çà, qu’il a pu prendre le pouvoir. Donc il verra venir une attaque de l’intérieur sauf si c’est toi. »

Sur sa lancée Double ne prêta même pas attention à l’air surpris de son interlocuteur, et poursuivit.

« T’es dans la cour des grands depuis peu de temps. Lepke ne sait pas que t’es capable d’appuyer sur une gâchette. Avec ton aide je peux les surprendre Gurrah et lui.»

Sal partagea enfin le sourire de son confrère. Il l’avait bien sous-estimé. Son savoir-faire ne se limitait pas qu’à tirer et à cogner. Forcément ses guerres des gangs passées, avaient inculqué à Double quelques tactiques. Sal était prêt à partir le pistolet au poing. Sauf que suite à son passage chez Yale puis Little Augie, il s’était un peu assagit. Alors il réclama une dernière précision.

« Une fois que t’as le trône, tu géreras comment les affaires de Little Augie ? C’est plutôt un truc de Shtadlan (magouilleur en yiddish). Et t'en es pas un. »

« On verra bien. »

Ainsi son plan s’arrêtait juste à la prise de pouvoir. Le visage de Sal en perdit son sourire, puis se crispa. On aurait dit un enfant entrain de bouder. Cette réaction interloqua Double mais pas autant que la suivante.

« Connard ! » Cria Sal juste avant que son lüger perfore le ventre de son complice.

Legs Diamond disposait d’un autre surnom : le pigeon d’argile, directement issue de sa prétendue capacité à tout encaisser. Apparemment Double ne disposait pas du même don. Cette seule et unique balle suffit à le clouer au sol.

A la fois par sécurité et par besoin de se défouler, Sal lui mit trois autres balles cette fois-ci dans la tête. Était-ce parce qu’il était rouge de colère ou que la face de Double n’était plus qu’un amas de sang ? En tous cas Sal venait d’être baptisé dans les bas fonds. Désormais on le nommerait Red head.

Cette action était tellement surprenante au vue de l’endroit, que l’étonnement l’emporta sur la panique. Seuls quelques cris de terreurs fusèrent çà et là. L’homme de main chargé de filtrer les entrées ne se débrouilla pas si mal face à cet imprévu. Il dégaina un browning « baby » un petit pistolet discret convenant parfaitement à ce club, et le pointa sur le tueur.

« Lâches ton arme ! » Ordonna-t-il en essayant de cacher sa nervosité derrière le volume sonore.

« Je bosse pour les gold dust twins. » Dit Red Head d’un timbre bien plus net que celui de l’homme de main, auquel il n’accorda même pas un regard.

Il fallait donner le change, faire croire qu’il contrôlait parfaitement la situation. Le tandem formé par Lepke et Gurrah était désigné depuis peu par les termes gold dust grâce à sa prospérité soudaine et twins par ironie du fait de leur disparité physique. Les bruits circulaient vite au sein de la pègre. Depuis leur coup d’éclat au dépend de Little Augie tout le monde savait, qu’il valait mieux avoir les gold dust twins dans la poche. Et cela servirait de bouclier à Sal.

« Ranges ton flingue. » Ordonna un homme à la fine moustache à l’homme de main tout en s’approchant du cadavre.

Face l’horreur de la scène il affichait juste une petite moue de contrariété comme si quelqu’un avait renversé le contenu de son verre sur le parquet. Il couvrit soigneusement la tête du défunt avec sa veste avant de s’adresser à la volée.

« Nous fermons plutôt ce soir. »

Les clients ne se firent pas prier. Il n’y avait pas d’inquiétude à avoir à leur sujet. Dénoncer ce meurtre à la police aurait été admettre leurs présences dans un endroit interdit. Or qu’est-ce qui avait le plus de valeur aux yeux de ces bons bourgeois ? La mort d’un inconnu ou leurs réputations ?

Red head lui aussi rengaina finalisant ainsi cette exécution effectuée au final dans les règles de l’art. Si les gangsters italiens se muaient en ombres furtives lors de leurs meurtres, leurs confrères juifs eux avaient une toute autre approche. Ils voyaient plutôt l’assassinat comme un investissement, une démonstration de force, une façon de marquer son territoire.

Fine moustache tira le téléphone jusqu’au bar avant de s’adresser cette fois-ci à Sal :

« Appelez Lepke pour qu’il règle tout çà. Comme j’ai abrégé cette soirée, je veux également une compensation. »

Il s’exprimait calmement se contentant juste de faire les gros yeux en signe d’agacement. Rien n’était à craindre de sa part, si on cédait à ses exigences somme toute raisonnables. Tout en fournissant le numéro de Lepke à la standardiste, Red head jeta un dernier regard au cadavre. Étrangement il n’éprouvait presque aucun remord.

Pourtant à défaut d’être un ami, Double était au moins un camarade. Sans oublier qu’il lui avait mis le pied à l’étrier. Seulement il avait tellement joué avec les nerfs de Sal en cette soirée. Suite à sa prise de pouvoir Lepke craignait des dissidences de la part des séniors du gang, Double y compris. Alors il chargea Sal un petit jeune prometteur et proche de ce vétéran de s’assurer de sa fidélité. Cette tâche ne l’enchantait guère. Alors il crut naïvement pouvoir la traiter différemment. Si son mentor montrait effectivement des signes de rébellion, Sal espérait l’orienter sur la voie de la sagesse ou en dernier recourt le prévenir afin qu’il disparaisse dans la nature.

Double lui offrit une alternative merveilleuse. Ils allaient devenir les rois ! Mais dès que Red Head creusa un peu le rêve se brisa. La stratégie de Double était brouillonne, et n’arrivait pas à la cheville de celle de Lepke. Lui avant même d’avoir tirer le premier coup de feu, il avait déjà tout soigneusement préparé. Il faisait indéniablement un meilleur chef que Double. Et Sal voulait être bien dirigé. En conclusion Double était responsable de sa propre mort.

« Bonsoir c’est Sal. » Dit Red Head dès qu’il reconnut la voix monocorde de son chef.

« Double ? » Demanda-t-il de but en blanc.

« Liquidé. »

Les précisions sur le mobile étaient superflues. Lepke après un léger silence reprit la parole.

« T’as fait le bon choix Sal. »

Cette phrase contenait une certaine ambiguïté. Lepke se doutait-il des hésitations de son subordonné ? Red Head avait certainement joué plus gros, qu’il ne le croyait. En tous cas dans les bas fonds tout le monde allait bientôt savoir, qu’il était capable d’appuyer sur la gâchette même si la cible était dangereuse. Qui sait un bigshot (tueur d’élite) venait-il peut-être de voir le jour ?


Texte publié par Jules Famas, 28 mars 2019 à 09h27
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