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tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

New York novembre 1922

En pleine nuit sur une route paumée de Long Island à l’est de New York, deux hommes fixaient l’horizon.

Ce n’étaient clairement pas d’autres amateurs de hijacking. Ils se tenaient bien en évidence au bord de la route. Or même Matthew et Hank malgré leurs capacités limitées s’étaient dissimulés préalablement. Etaient-ils en panne ? Leur voiture garée sur le bas coté ne montrait visiblement pas de signe de défaillance. Une rencontre restait la dernière possibilité. Le plus massif des deux le confirma en regardant sa montre. Un rendez-vous aussi tard dans un lieu si retiré, ne suggérait rien de bien honnête.

« Ils ne sont pas en retard. » Lui dit son complice agacé par ce geste déjà effectué plusieurs fois.

« Et ils n’ont pas intérêts à l’être. »

Cela jeta un froid. Car le colosse était à la hauteur de ses menaces.

« Tiens les voilà. » Déclara l’autre en désignant les phares au loin.

S’il se réjouissait de cette entrée en scène à point nommé, le colosse lui demeura de marbre et descendit même sa main vers son arme. Il avait trop de vécu pour être en mesure de se relâcher durant un travail. Et puis cette histoire ne lui plaisait pas. Ce n’était que du bricolage à ses yeux. Comme si le trafic d’alcool avait de l’avenir ! Cette foutue loi ne durerait pas. Ça relevait déjà un miracle que son application tienne depuis deux ans.

D’ailleurs les vrais gangsters ne s’y intéressaient pas. Pour preuve le bootlegger (trafiquant d’alcool) ayant requis leurs services, n’était qu’un petit grossiste de Brooklyn dénommé Coleman n’ayant probablement jamais volé un dollar auparavant. Il planquait quelques caisses dans son entrepôt, puis les revendaient dans son quartier. Tu parlais d’une affaire !

Le camion s’approchait à une vitesse modérée et de manière fluide. Au moins ils disposaient d’un chauffeur compétent. Une fois le véhicule arrêté il en bondit pratiquement du coté passager un petit homme au teint foncé.

« Salut Vito. » Lui dit Sal en lui serrant la main.

Double lui restait en retrait à les observer. Comme ils se ressemblaient. Pas physiquement. Sal était de taille moyenne, et plutôt pâle. Leur similitude reposait sur la tenue vestimentaire. Costumes trois-pièces, chapeaux à ruban, chaussures bien cirées. On aurait dit des mondains.

A ses débuts Double avait connu Monk Eastman le premier caid juif de New York. Que se soit ses vêtements, sa façon de parler, tout en lui sentait la rue. Il fallait se rendre à l’évidence cette époque était révolue. Double finit tout de même par aller à la rencontre de ses complices d’un soir toutefois en rechignant un peu. Il avait l’habitude de bosser qu’avec des gens de sa communauté.

Dans sa Russie natale vu le peu de considération que les autorités tsaristes accordaient aux citoyens de confession juive, ces derniers se débrouillaient entre eux dans un bon nombre de domaines. De part son gabarit Double avait rapidement intégré une milice locale, et ne s’était jamais réellement consacré à d’autres activités. C’est donc à tout juste vingt ans et déjà baigné dans la violence, qu’il débarqua dans la très délinquante New York. Comment n’aurait-il pu ne pas mal tourner ?

Vito ne remarqua même pas ce ressentit, trop impatient de conclure cette affaire avec son pote. Sa rencontre avec Sal avait été fracassante au sens littéral du terme. Gamins ils faisaient partie de bandes rivales. Au début en bon fils obéissant Vito avait appris à mépriser ces sales juifs. Puis de voir Sal et ses confrères soi-disant si abjects se défendre avec tant d’ardeur, donna au jeune italien une autre perspective.

D’ailleurs c’était son truc à Vito de dénicher des opportunités comme un pari fructueux, ou une partie de cartes avec un pigeon. Certes ça ne rapportait pas des masses. Mais tant que cela le dispensait de travailler comme un forcené. A sa vivacité d’esprit il manquait encore un côté posé pour pleinement mériter le qualificatif d’intelligent. Le temps s’en chargerait peut-être.

« Une ford T, non ? » Dit l’italien en désignant la voiture sur le bas-côté. « Ce n’est pas très puissant. »

« Et increvable. » Répliqua froidement Double.

Désireux de vite faire l’impasse sur sa gaffe, Vito désigna le dernier membre du groupe, qui s’était fait discret.

« Voilà Joe. C’est un des chauffeurs de la boite de Coleman. »

La vision de cet homme au regard fuyant, conforta Double dans son appréhension.

« Vous êtes armés ? » Crut-il alors nécessaire de demander.

En guise de réponse Vito releva sa veste, tout content d’exhiber son nouveau jouet : un browning, le dernier modèle dit M1922. Cela tira une nouvelle grimace à l’ancien milicien. Il s’agissait d’une arme de touriste. Un pistolet facile d’accès, léger, et avec un chargeur important. Par contre si ça s’envenimait un peu et qu’il fallait insister, sa mécanique risquait s’enrayer. Double comme pour sa voiture lui s’orientait vers le classique et le solide à savoir un lüger P08. Sal se fiant à son expérience l’avait imité dans ce choix.

« Et toi ? » Ajouta-t-il à l’attention de Joe.

« Je ne fais que conduire. » Répliqua brièvement le chauffeur mal à l’aise.

Décidément ses origines italiennes ne le lâcheraient jamais. Coleman s’était dégotté une grosse commande d’alcool. Vue la somme en jeu il ne voulait pas risquer une autre tentative de vol. Alors il décida d’embaucher des gros bras pour assurer la sécurité du transport. Et évidemment le rital de service devait en connaitre.

Joe s’était alors adressé au moins bas du front parmi les membres de l’ancienne bande de son enfance à ne s’être toujours pas rangés. Vito faisant surtout dans les petites combines, connaissait assez peu d’hommes de main. Alors il avait cherché en dehors de son cercle habituel. Sal sentant un gros coup à ne pas foirer avait à son tour contacté un gars expérimenté pour les chaperonner. C’est ainsi que le recrutement s’était conclut.

Étrangement la réponse de Joe rassura Double. Lui au moins reconnaissait ses limites, pas comme ce macaroni avec son flingue d’amateur. Cette présentation maladroite étant achevée, il était temps de se mettre au travail. Vito regagna le camion. Tandis que Double au volant de sa ford ouvrait la marche. L’arrivée au point de rendez-vous se fit sans encombre. De toute façon quel aurait été l’intérêt de les attaquer le camion encore à vide ?

Un signe de bon augure se manifesta. Le bateau arriva dans les temps avec un éclairage réduit. Sans doute des habitués de la contrebande ? Du fait de sa rentabilité Coleman avait énormément peaufiné son trafic ces derniers temps. Face à l’ampleur de la tâche Vito et Joe décidèrent de prêter main-forte aux marins canadiens pour ranger les caisses d’alcool dans le camion. Quant à Sal, le quatrième membre du groupe lui signala de rester à ses côtés près de la voiture. Pour Double un mensch (homme en yiddish) digne de ce nom, ne se salissait pas de cette manière. Et puis il avait un truc à dire à son complice.

« Tu sais, ils ont besoin de bras dans les clubs de jeu de Rothstein. Je peux te recommander, si tu veux. »

« Ouais je verrais. »

Le manque d’enthousiasme contenu dans la réponse étonna le vétéran. Il lui proposait tout de même d’entrer au service du Fixer. Ce type n’était pas n’importe quel caïd. Le Tammany Hall (club du parti démocrate de New York) lui mangeait dans la main. Double eut alors intérieurement la réflexion que tant d’autres ont déjà eu et auront encore : ha les jeunes de maintenant !

Une fois la marchandise transvasée Vito tira un peu la gueule en direction de ses confrères juifs du fait de leur absence de participation. Mais il n’insista pas. Ce n’était pas le moment. Il restait encore le chemin du retour. Serait-il aussi tranquille qu’à l’allée ?

La réponse eut lieu environ une heure plus tard. Il faut reconnaitre que le début de l’assaut ne fut pas trop mal ficelé. Quant à la suite….

Brusquement les pneus de la ford éclatèrent à cause d’un tapis de clous posés en travers de la route. Ses réflexes et la chance permirent à Double de contrôler son freinage. Joe assura encore plus. Malgré la lourdeur de son véhicule il le stoppa à temps, et évita la crevaison ainsi que le carambolage.

Les passagers n’eurent pas l’opportunité de féliciter les conducteurs. Les assaillants du fait de l’environnement désertique, s’étaient couchés sur les abords de la route. Ils n’eurent donc pas trop de chemin à faire pour rentrer en scène. Sur la gauche du convoi une ombre pointa un fusil sur la voiture. A l’arrière un autre homme brandit une arme de poing sur Vito tandis que ses deux complices munit à vue d’œil de gourdins s’approchaient du chauffeur. En même temps sans la moindre discipline ils ordonnèrent à leurs cibles de descendre. Cela ne pouvait que mal finir.

Au sein de l’équipe adverse tout naturellement Double réagit le premier.

« Bouge pas. » Murmura-t-il à son passager dont il connaissait l’impulsivité. « Regardes dans le rétro. Sur la droite celui au flingue. Dès que je tirerai sur le connard à la carabine tu sors, et tu t’en occupes. »

« Compris. » Articula péniblement Sal la main déjà sur son arme.

Bloqué dans son élan il sentait des tremblements venir. La situation n’avait rien à voir avec ses petits combats de rue et autres larcins. Là il jouait sa vie. Au même instant le pauvre Vito ne bénéficiait pas d’un allié expérimenté à ses côtés. Par conséquent il prit l’initiative.

« Recules le camion. » Gueula-t-il d’abord à Joe.

Puis la menace de l’arme poussa l’italien à ne pas attendre le suivi de son ordre. Il dégaina, et tira au travers de la porte. C’était un geste maladroit et irréfléchi. Heureusement la faible distance lui permit tout de même de toucher sa cible. Cette action surprit tout le monde son auteur compris. L’expérience de Double joua encore en sa faveur. Il profita de la diversion pour entrouvrir la portière et faire feu à son tour sur le détenteur de la carabine.

Sa balle passa à côté. Son ennemi quelque peu dépassé s’emmêla avec son arme. Le second coup de feu échoua à son tour. Le fusil maitrisé, son possesseur prit la pose. Enfin le lüger fit mouche. Cette simple blessure à l’épaule empêcha la riposte.

Double usa encore de quelques balles dans le torse. Certains prétendaient que son surnom provenait de sa capacité à placer deux tirs exactement dans le même trou. D’autres penchaient plutôt pour sa manie de toujours en remettre une dose, quand il tabassait un type. A présent on savait la vérité sur ce point.

Pratiquement simultanément au tir de Vito, l’un des agresseurs était parvenu à forcer la porte côté conducteur du camion. Il fallait être sacrément stupide ou courageux pour s’attaquer avec un pied de biche à un homme brandissant un pistolet. Que son manquement concerne le cerveau ou de l’instinct de survie, en tous cas l’assaillant se rua sur Vito. Quant à Joe il ne fit pas obstacle entre eux. Étant donné qu’il se roula en boule en attendant que l’orage passe.

A l’instar de son ami juif, Vito n’était pas un habitué des fusillades. Il réagit donc à l’attaque en bastonneur. Au lieu d’user une nouvelle fois de son pistolet il bloqua ou plutôt atténua la charge de ses bras. L’élan le plaqua sur la portière et un coup de feu retentit au niveau de son ventre. L’italien comprit au regard vide lui faisant face où avait fini ce tir accidentel.

Et Sal au milieu de tout ça ? Instinctivement face à sa peur il se concentra sur les indications de Double. Peu après la première salve il sortit de la voiture comme un robot, et pointa son arme sur sa cible initiale. Réalisant que l’homme était déjà à terre suite à l’intervention de Vito, Sal décontenancé erra du regard un court instant. Ensuite il distingua l’agresseur, qui n’avait pas pénétré dans l’habitacle du camion.

Il libéra dessus son envie de tirer ou plus exactement sur la portière à côté. L’autre ne demanda pas son reste, et s’enfuit. Sal le coursa en usant de son arme à l’occasion. Ce qui ne présentait pas une stabilité idéale. Double lui gueula de s’arrêter. Le survivant pouvait bien se barrer dans l’obscurité. La priorité était de rassembler le groupe, constater les dégâts, et enfin de quitter l’endroit.

« Merde ! » S’exclama Sal en obéissant à contrecœur à moins que son chargeur ne soit vide.

Laisser s’échapper sa proie sans même savoir s’il l’avait touchée, lui laissait un goût amer.

Puis vint enfin le fameux silence d’après la bataille. Celui qui semble dire à la mort :

« Servez-vous. »


Texte publié par Jules Famas, 2 février 2019 à 12h11
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