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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

« La loi régit la moralité. » Andrew Volstead congressiste et dernier signataire du dix-huitième amendement interdisant le vente, fabrication, et la consommation de boissons alcoolisées sur le territoire américain, que l’on nomma également Volstead Act en son honneur.

« La loi n’appaise pas la soif. » Al Capone

New York octobre 1919

Ils n’étaient qu’une poignée, une trentaine tout au plus à arpenter le pavé new yorkais depuis le nord de Manhattan. Et pourtant aucun obstacle ne s’était dressé devant eux jusqu’à présent. Au contraire tous et tout s’écartaient. Même les voitures leur cédaient le passage. Et Dieu sait qu’elles étaient nombreuses. A titre de comparaison il y en avait plus dans cette ville que dans la France entière.

Dieu justement guidait leur pas. Car ils luttaient contre les boissons maudites, cet alcool démoniaque entrainant la dépravation. Puis leur cheminement connut son premier accroc en la personne de deux gamins d’environ dix-sept ans. Nullement impressionnés par l’aspect solennel de la marche, ils l’observaient d’un air narquois. L’un d’entre eux osa même balancer une réflexion.

« Je vais me mettre à picoler tout de suite. »

Les deux jeunes hilares n’obtinrent aucune réaction. Une femme en tête du cortège murmura juste à l’intention de sa voisine :

« Saletés de youpins. »

Effectivement ils venaient d’entrer dans le Lower East Side. Le sud de Manhattan constituait sa partie ingrate. Situé à l’est le Lower East Side était le quartier des immigrants juifs en provenance d’Europe de l’est et de Russie. A l’instar des autres communautés récentes, les juifs avaient donc hérités de ces clapiers, qu’ils personnalisaient à leur manière avec une étoile de David sur la devanture d’un magasin, quelques inscriptions en hébreux autre part...

La femme demeurait persuadée que cette réaction hostile provenait de leurs croyances impies. Le fait qu’en compagnie d’autres vieilles bigotes à l’air coincé elle brandissait une banderole où on pouvait lire : « Les lèvres qui toucheront de l’alcool, ne toucheront pas les nôtres. », n’était évidemment en rien lié à la remarque de l’adolescent.

La traversée se poursuivit dans l’indifférence des deux cotés. Les visiteurs cherchaient à sauver des âmes. Mais leurs hôtes actuels en avaient-ils une ? Quant à ces derniers lorsque des gens s’amenaient chez eux en brandissant des symboles chrétiens, cela finissait mal pour eux en général. Tout cela à cause d’une vieille histoire de condamnation d’un clochard un peu bizarre remontant à deux mille ans. Sauf qu’à New York il en allait autrement. Pas de pogrom ou de lynchage. Les représentants de la loi eux-même devaient se justifier d’une vraie raison pour s’en rependre à quelqu’un fut-il juif. Quant aux noirs... disons que c’étaient des cas particuliers.

Et puis une anicroche se produisit. L’un des meneurs de cette procession le pasteur Wilford habitait à Washington Heights, l’un des coins les plus cossus de la ville. Oubliez le cliché du new-yorkais ouvert d’esprit, et un peu roublard sur les bords. Cet homme de Dieu en était le parfait contraire.

Il vit alors un échantillon du vrai New York. Une partie de zanzi (un jeu de dé) se déroulait sur un trottoir. C’était comme une maison de jeu installée à même le sol. Les parieurs criaient à tout va, se bousculaient, jetaient ou ramassaient des billets...

Pour Wilford ce spectacle n’était même pas imaginable. Et pourtant personne n’avait l’air de trouver cela choquant ou même étrange.

Selon l’ordre de valeur du pasteur les jeux d’argent constituaient des crimes aussi graves que le meurtre ou les rapports sexuels hors mariage. Alors guidé par son sens du devoir il sortit de la procession, et s’adressa aux joueurs.

« Vous devriez gagner votre argent à la sueur de votre front, et non le laisser entre les mains du hasard. »

Il y eut d’abord un blanc comme lorsqu’une personne débarquait à une soirée sans être invité. La remarque était tellement incongrue au vue de la situation. Vinrent en guise de vraies réactions quelques ricanements avant que les dés roulent de nouveau. Ces joueurs écoutaient déjà à peine les rabbins alors les bondieuseries d’un pasteur. Surtout qu’ils s’étaient dégottés un bien meilleur Dieu. Lui il faisait de vrais miracles. Si votre argent était placé sur la bonne combinaison, il se multipliait. Alléluia !

Le pasteur était habitué à son petit monde composé d’ouailles soumises prononçant un amen servile à chacun de ses paroles. Par conséquent ces quelques rires le déstabilisèrent. Lui un homme de Dieu. Non seulement on osait l’ignorer mais en plus le railler.

« Vous êtes des hérétiques ! Vous... »

Contrairement aux précédents ces mots contenaient plus que de la solennité. On y sentait également de l’hostilité voir de la haine. Étrangement le plus passif du groupe des joueurs réagit. Jusqu’ici il s’était contenté d’observer la partie sans rien dire, ni même parier. Et voilà qu’il se plaçait ostensiblement devant l’élément perturbateur.

Son costume bleu marine sans veston n’était pas forcément rassurant. En ce temps là même les truands s’habillaient ainsi et non avec des vêtements de deux fois leur taille et des casquettes dont ils ne comprenaient pas l’usage de la visière. Comme quoi l’adage « c’était mieux avant », n’était pas toujours faux.

Par contre sa carrure elle était belle et bien inquiétante. Rien à voir avec la musculature triangulaire harmonieuse d’un athlète. Trapu, et épais de partout, le surnommé Double se rapprochait d’un ours les poils en moins... enfin quelques poils en moins.

« Partez. » Dit-il d’une voix dure et assurée.

Ni le physique, ni le ton employé ne portèrent le coup de grâce. Le simple fait qu’on s’oppose à lui suffit à décontenancer Wilford. En tant que wasp (white anglo-saxon protestant), riche, et prêtre de surcroit, il se trouvait au sommet de l’échelle sociale. Il ne lui était même pas concevable qu’un de ces êtres du bas puisse lui adresser la parole pour dire autre chose que : « Oui monsieur » ou « Bien monsieur ».

Face à ce cas de figure à peine croyable le pasteur instinctivement rejoignit le rassurant troupeaux de ses fidèles. Alors que Double le regardait s’éloigner avant de reprendre sa surveillance de la partie, une voix jeune et nerveuse retentit au niveau de son épaule.

« Bien joué. Tu lui as montré, qui est le boss. T’es pas un frum toi. »

Le terme frum désignait le juif pieux, celui portant les habits noirs, et passant son temps à étudier les textes sacrés, et à prier. Le genre que Salomon dit Sal méprisait. Le genre qui gamin se laissait racketter par les morveux de Little Italy sans rien dire. Toujours dans cet état d’esprit le tour de force de Double avait fait oublier à Sal la partie où pourtant il gagnait.

« Ouais tu peux le dire. » Répliqua Double en lui lançant un regard complice comme à un camarade.

Pourtant Sal était loin de le valoir. Il avait approximativement la moitié de son âge à savoir vingt ans, et de son gabarit. L’écart était encore plus élevé dans le domaine de l’expérience criminelle. Double s’était taillé une réputation de dur suite à des années à intimider les jaunes pour le compte des syndicats, à faire cracher les mauvais coucheurs, et comme présentement à défendre le bout de trottoir des organisateurs de parties de zanzi. Sal lui en était encore au stade du trainard, celui qui vole les charrettes à bras des vendeurs de rues ou dépouille les passants rentrant tard le soir.

Alors pourquoi cet intérêt de la part de ce vieux de la vieille envers cet embryon de délinquance ? Il décelait en Sal un avantage et un défaut à la fois : la rage. Lui il en voulait. Il ne comptait pas se résigner dans le statut, qu’on lui imposait. Tôt ou tard il finirait par tenter un gros coup et se faire sa place dans le gangland à moins que se ne soit dans une cellule voir une tombe. En tous cas il aurait une place quelque part.

Les deux hommes observèrent ensemble le groupe s’éloigner dans un sentiment commun mélangeant amusement et scepticisme. Une loi interdisant aux gens de picoler, ça n’arriverait jamais. Ce n’était rien d’autre qu’une blague. Effectivement il s’agissait d’une blague, du genre qui finissait mal. Comme le gamin tendant un fil dans l’escalier juste pour faire tomber le voisin, qu’il n’aime pas. Sauf que le voisin au final se brise le cou. Et là plus personne ne rit.

*********************************

New York mai 1920

Il maintenait exprès son dos quelques centimètres au-dessus du siège afin de ne pas s'assoupir. Le retour depuis le Canada au volant de son camion avait été éreintant. Mais l’heure du repos n’était pas encore arrivé.

« N’oublie pas Joe. Tu dois arriver avant le lever du jour. » Lui avait dit son patron avant son départ de New York.

Pourquoi cette foutue lubie ? Il ne transportait rien d’illégal. En fait si mais qui ça dérangeait cette caisse d’alcool planqué parmi les autres marchandises ? Même les policiers s’en foutaient. Une petite bouteille prélevée suffisait à leur faire fermer les yeux. Après tout lui et son patron ne faisaient de mal à personne. Ils arrondissaient juste leurs fins de mois en vendant aux gens de leur quartier de quoi égailler leur soirée.

Alors quelle raison à cette arrivée nocturne au final ? Sans doute il fallait préserver une minimum les apparences afin que le NYPD ne soit pas obligé de sévir. Joe ne voyait pas d’autre explication, et n’en demandait pas vraiment à vrai dire. Il avait largement eut son lot d’embrouille par le passé, et par conséquent n’en cherchait plus. Ce besoin de tranquillité avait en quelque sorte atrophiée sa méfiance voir son intelligence. Sinon il se serait interrogé sur cet obstacle à la fin de son parcourt.

On ne laissait pas une voiture en panne au milieu de la route. N’importe qui l’aurait au moins poussé sur le bas coté. Joe lui ne se posa pas de question, et descendit afin de déplacer lui-même le véhicule. Aucune autre présence humaine n’était visible dans les environs.

Il laissa les phares allumés de son camion afin de se faciliter la tâche, puis s’approcha. Evidemment des gens surgirent. Les deux hommes attendaient derrière la voiture. Ce qui semblaient être des serviettes, leur dissimulaient le bas du visage. Ils agitaient les bras en poussant des cris comme des gosses voulant en surprendre d’autres. Si l’un d’entre eux ne brandissait pas un démonte-pneu, Joe aurait sûrement explosé de rire.

« Bouges...pas. » Bégaya l’utilisateur de cette arme improvisée.

« OK. » Se contenta de dire Joe plus blasé qu’apeuré.

Il se croyait revenu au temps de son enfance dans Little Italy où on l’appelait encore Joseph. Une jeunesse ponctuée de bagarres et de petits larcins, qui ne rapportaient pas grand chose hormis des coups de ceinturon paternels. Et le pire est que Joe ne pouvait pas y couper. Il fallait faire partie d’une bande. C’était comme à l’école. Le simple fait d’y aller régulièrement suffisait à devenir un sale americano aux yeux des autres.

Foutus ritals ! Il y en avait même qui après plusieurs années en Amérique ne parlaient pas un mot d’anglais. Dès qu’il en eut la possibilité, Joe quitta toute cette bêtise crasse. Et voilà que la crasse en question lui revenait en pleine figure.

« Vas-y. » Gueula l’homme au démonte-pneu à l’attention de son complice.

Ce dernier tressaillit comme suite à un réveil brutal avant de se diriger vers le camion. Joe se retrouva seul à seul avec l’autre assaillant. Ce dernier tenait toujours son arme bien haut comme si c’était sensé être plus inquiétant. Et quelle arme ! Franchement il n’aurait pas pu se dégotter au moins un fusil de chasse. On était aux États-Unis. Se procurer une arme à feu y était tout de même facile.

Comme si ça ne suffisait pas, la tremblotte s’ajoutait à ce tableau déjà peu glorieux. Pourtant Joe ne tenta rien. S’il avait effectué quelques frappes çà et là avec sa bande durant sa jeunesse, c’était pour la forme. Il n’était pas vraiment un bagarreur, et surtout n’avait pas envie de se prendre un mauvais coup. S’il se cassait un bras, il pouvait dire adieu à son boulot de livreur. Soudain un fracas retentit à l’arrière de camion. L’autre idiot essayait de forcer la porte.

« Le trousseau de clés est sur le...» Commença ça dire Joe ne voulant pas que son outil de travail soit trop esquinté.

Puis un craquement annonça que cette aide était devenu inutile. De nouveaux sons indiquaient que l’autre boulet renversait, déplaçait, bref cherchait. Quoi ! L’alcool bien entendu. Prise individuellement la valeur de cette caisse surpassait largement celles des autres. Cette évidence en entraina une autre chez Joe. A vrai dire il eut presque honte de ne pas l’avoir comprit tout de suite.

Les phares du camion éclairaient son visage qu’à moitié dissimulé. Et il avait parlé à deux reprises. L’homme au démonte-pneu se nommait Matthew, un manutentionnaire de l’entreprise où bossait Joe. Probablement avait-il apprit l’existence des livraisons illicites par hasard ? Ensuite lui était venu ce brouillon d’idée.

Ce demeuré aurait pu au moins charger son complice de surveiller Joe pour éviter d’être identifié. Toute cette stupidité agaça Joe au point d’avoir envie de cogner. C’est dire. Et ça continua.

« Hank qu’est-ce tu fous ! » S’écria Matthew à l’intention de son collègue jusque là anonyme.

« Je ne trouve pas. »

« La caisse est au fond. C’est évident. » Aurait dû dire Joe.

Son silence était sa manière de se défouler et donc d’éviter d’en venir aux mains. Quel sinistre con ce Matthew ! Pourquoi s’était-il embarqué dans ce plan foireux ? Il disposait d’un boulot stable, du moins jusqu’à présent.

« On se casse. » Dit soudain Matthew.

A croire qu’il avait lu dans les pensées de Joe. Vraisemblablement il s’agissait de panique du fait que l’opération s’éternisait. Les chances de se faire surprendre étaient pourtant mince. Qui risquait de passer à cette heure là ?

Ce raisonnement comme les autres passa au-dessus des deux apprentis délinquants, qui finirent par déguerpir bredouilles. S’il n’avait pas eu les caisses à remettre en ordre et la porte-arrière à rafistoler, Joe aurait sans doute éclaté de rire. Ne venait-il pas d’assister au hijacking (détournement) le plus pourri de l’histoire ?


Texte publié par Jules Famas, 12 janvier 2019 à 14h58
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