À gâcher son bel avenir
Le groupie du pianiste
Dieu que ce garçon a l'air triste
Amoureux d'un égoïste
Le groupie du pianiste
Naissance, enfance, adolescence, ce ne sont que des passages. Des étapes. Des moments creux avant ses yeux. Son regard. Sa voix. Qui l'a trimballé comme un sachet de chips alors qu'il n'avait que quinze ans. Ses notes, jouées sur un piano qui aurait pu être désaccordé, mais lui s'en fichait pas mal. Ses mélodies donnaient un sens à sa vie. Une famille craquelée, recomposée, légèrement décalée. Une petite sœur aimante, un père très proche, mais rien de toute cela ne comptait plus désormais.
Et toute sa vie c'est pas grand chose
Qu'est-ce qu'il aurait bien pu faire
À part rêver seul dans son lit
Le soir entre ses draps roses
Pourtant lui aussi savait jouer. Il était même très doué. Ses doigts fins caressaient les touches d'ivoire sur le piano familial alors qu'il n'avait même pas encore cinq ans. Un prodige de la musique. Un passionné. Mais tout bascule un jour. Ses yeux bleus et son sourire légèrement mesquin l'ont fait chavirer. Il ne pouvait plus rien faire, autre qu'être transi d'amour devant cet ersatz d'Apollon qui, pourtant, semblait avoir tous les droits sur lui. Il savait qu'il lui était utile seulement pour se détendre, gérer quelques menues affaires entre deux concerts et surtout il savait qu'il ne devait pas lui devenir inutile.
Pour un mot pour un geste tendre
Le groupie du pianiste
Devant l'hôtel dans les coulisses
Il rêve de la vie d'artiste
Le groupie du pianiste
Il le suivrait jusqu'en enfer
Et même l'enfer c'est pas grand chose
À côté d'être seul sur terre
Et il y pense dans son lit
Le soir entre ses draps roses
Il l'aime, il l'adore
Plus que tout il l'aime
C'est beau comme il l'aime
Il l'aime, il l'adore
C'est fou comme il aime
C'est beau comme il l'aime
Lui l'avait fait rêver, lui avait vendu l'Eden. Et il ne disait rien. Il se contentait de dévorer les instants de bonheur, entachés de la froideur du musicien, qu'il pouvait bien gagner au fil de sa sueur. Il était son ombre. Il ne devait pas parler. Il devait juste le suivre, porter son manteau, lui rappeler ses rendez-vous, potentiellement partager quelques repas avec lui et quelques nuits. Mais c'était tout. Et il savait s'en contenter, années après années. Naïf et imprudent damoiseau ballotté pat les flots insoupçonnés d'un amour passionnel qu'il pensait partagé.
Il a des droits sur ses désirs
Le groupie du pianiste
Il sait rester là sans rien dire
Pendant que lui joue ses délires
Le groupie du pianiste
Quand le concert est terminé
Il met ses mains sur le clavier
En rêvant qu'il va l'emmener
Passer le reste de sa vie
Tout simplement à l'écouter
Il se sentait privilégié, d'écouter ses répétitions, de le voir sur scène tous les soirs et de partager son quotidien. Un pseudo bonheur qui étouffait pourtant une tristesse latente. Il ne pouvait pas s'empêcher de jouer lui aussi, seul, sur une scène vide. Loin de ses oreilles à lui. Loin de sa famille. Loin de tout. Dans sa solitude, en se convaincant chaque fois qu'il avait fait le bon choix, celui de partir. Il donnait des nouvelles assez régulièrement à sa famille. Sa sœur ne cessait de lui dire que son idée de le suivre avait été la pire de sa vie. Mais lui, enfermé dans ses désirs, enfermé dans son amour et son admiration, il n'avait vu que ses yeux bleus et son sourire d'ange.
Il sait oublier qu'elle existe
Le groupie du pianiste
Mais Dieu que ce garçon prend des risques
Amoureux d'un égoïste
Le groupie du pianiste
Au bout de quelques années, il finit même pas lui donner des conseils, acceptés par le prestigieux musiciens, sur ses compositions. Il ne se serait cependant jamais permis de lui dire comment jouer, quelle position prendre ou encore quoi choisir comme costume. Si lui était un prodige, son musicien était un archange de la musique. Il voyait bien qu'il ne s'occupait de son avis que lorsqu'il n'avait pas le choix. Il se rendait bien compte qu'il n'était pas le seul dans sa vie. Il sentait bien que souvent, il s'échappait de sa vie pour aller rejoindre une sphère autrement plus importante que celle que le jeune homme lui avait bâti au fil de son amour. Mais son cœur lui hurlait une affection beaucoup trop grande pour qu'il se rende réellement compte de la portée de son égoïsme.
Et toute sa vie c'est pas grand chose
Qu'est-ce qu'il aurait bien pu faire
À part rêver seul dans son lit
Le soir entre ses draps roses
Des fois, il avait l'impression qu'il l'aimait. Qu'ils vivaient tous les deux une idylle des plus romantiques. Des fois, le soir, lorsqu'ils se parlaient, ou plutôt lorsqu'il lui était permis de lui poser des question et de discuter, il s'épancher à croire que son amour était réciproque. Que derrière son égoïsme, son musicien l'aimait sincèrement. Peut-être avait-il tort, peut-être avait-il raison.
Plus que tout il l'aime
C'est beau comme il l'aime
Il l'aime, il l'adore
C'est fou comme il aime
C'est beau comme il l'aime
Vingt-cinq ans. Sept ans de tournée. Sept ans loin de sa famille, et elle débarque. Sa petite sœur. Sa chère et tendre petite sœur. Elle débarque et elle le bouscule, assez violemment il faut bien l'avouer. Ses mots sont rudes, méchants, mais y résonne une sorte de vérité absolue qu'il se refuse de voir. Elle veut qu'il comprenne, que son musicien ne l'aimera jamais réellement, qu'il est juste bien arrangé d'avoir un mec dans son plumard quand il souhaite et un esclave pour porter ses trophées et les nettoyer. Elle lui hurle que lui aussi a du talent, que lui aussi peut aller loin. Alors il va le voir. Le cœur déchiré, il brise son idylle comme une ampoule cramée. Lui ne supporte pas son insubordination, mais étrangement ne lui dit pas d'un ton froid qu'il peut s'en aller. Non. Il lui fait encore plus de mal. Il l'embrasse et lui murmure que s'il veut revenir jouer à ses côtés, il aura toujours une place. Il le laisse partir. Cette marque d'affection, plus intense que toutes celles qu'il a pu lui montrer en sept ans, et celle qu'il attendait et qu'il n'obtient qu'en partant. Il ne peut que l'aimer et le détester pour cela.
Il rentre chez lui. Il se tourne entièrement vers la musique. Il se promet d'être aussi bon que lui, sinon meilleur. Il se promet d'être à la hauteur pour leur prochaine rencontre, gardant contre son cœur la seule photo d'un bonheur, cette fois il le sait, illusoire. Pour échapper un peu à la réalité, à sa solitude amoureuse, il s'enfermer dans la musique et dans un nouveau jeu qu'il découvre avec sa sœur. Deux ans se sont écoulés depuis son retour. Mais il le porte toujours, ce surnom donné au départ comme un jeu, et qui pourtant lui colle à la peau. Le groupie du pianiste.
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