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tome 1, Chapitre 32 tome 1, Chapitre 32

Si fouler de nouveau de leurs pas ce sable si familier avait un côté euphorisant, ce n’était rien comparé à la vue de tous ces visages qui s’éclairaient à leur vue ni à la clameur qui s’en élevait, chaleureuse et enthousiaste.

– C’est bien eux ! Ils sont de retour !

Avec ses camarades, Astérix aida les druides hagards à descendre. Leur état de faiblesse, déjà réduit par les premiers soins effectués par les druidesses, s’était amoindri au cours du voyage en mer. Cependant, certains esprits demeuraient encore très impactés par les effets du Calice mais Panoramix était optimiste : des évolutions étaient observables. S’en remettre complètement réclamerait sans doute beaucoup de temps.

Finalement, ils mirent tous pied à terre et furent aussitôt entourés par les villageois qui criaient leur joie de les retrouver sains et saufs.

– Astérix ! s’exclama une voix que le Gaulois reconnut comme étant celle de sa mère, en même temps que celle d’Obélix hurlait le nom de son fils.

Des silhouettes s’extirpèrent du groupe pour se précipiter vers eux et les enlacer. Astérix tituba sous le choc mais reprit son équilibre. Son cœur se serra à la vue de ses yeux larmoyants, qui le fit tiquer un instant ; ils avaient été si proches que cela fût de tristesse… Il serra sa mère à son tour dans ses bras, ému, pendant qu’Obélix faisait voltiger la sienne, tout en joie de la revoir. Puis leurs pères vinrent se joindre à l’accolade. Cette vision attendrit leurs camarades qui leur accordèrent quelques instants d’intimité pour les laisser à leurs retrouvailles. Ils tournèrent donc leur attention vers leur druide et les deux mages, accompagnés des nombreux autres. Ils furent étonnés en reconnaissant là des confrères du premier.

– Soyez les bienvenus, ô druides, commença Abraracourcix avec emphase en écartant les bras pour appuyer ses propos, bien qu’un soupçon d’incertitude polluât sa voix. Nous sommes heureux de –

– Ne vous fatiguez pas, mon ami, la plupart n’est certes pas en état de vous écouter, l’interrompit Panoramix, amusé par l’effort.

Cependant, il ne souhaitait pas entendre un de ses sempiternels discours comme il aimait si bien le faire, surtout alors que l’auditoire concerné n’y prêtait aucune attention.

– Je crains qu’il ne leur faille surtout de la tranquillité et du repos. Cela ne vous dérange pas s’ils restent quelques temps chez nous avant de les ramener chez eux ?

– Certes, non, bégaya Abraracourcix en se penchant de son bouclier. Avez-vous besoin d’aide pour les transporter ?

– Ce ne sera pas de refus, avoua-t-il avec un soupir.

Le chef héla ses guerriers et plusieurs se hâtèrent d’obéir. Ils vinrent se placer auprès des druides pour les soutenir et les aider à marcher jusqu’au village. Panoramix les en remercia.

– Nous trouverons bien des endroits où les loger, le rassura ensuite Abraracourcix, bien qu’il réfléchît aux personnes susceptibles d’être en mesure d’accueillir une ou plusieurs personnes chez eux. Au fait, d’où viennent-ils ?

– Ils étaient captifs des druidesses, répondit-il tandis que les deux mages s’avançaient dans son dos.

Son interlocuteur hocha la tête en signe de compréhension, tandis que l’attention du restant des villageois se tournait finalement vers eux. Puis il tiqua et fronça les sourcils, comme plusieurs de ses concitoyens.

– Vous avez dit les druidesses ? Alors vous confirmez ? Ces femmes se font réellement appeler ainsi ? Ont-elles réellement à voir avec vous autres druides ou – ?

– En fait, oui, soupira Panoramix. C’est une longue histoire.

Plusieurs regards se croisèrent, incertains.

– Et votre voyage, comment s’est-il déroulé ? Avez-vous réussi à récupérer le Calice ?

Ce fut à cet instant-là qu’Astérix et Obélix se séparèrent de leurs parents pour rejoindre leurs compagnons de voyage en quelques pas.

– Nous l’avons, répondit Astérix, paroles qui furent aussitôt suivies par des clameurs enthousiastes.

Amir sortit brièvement le coffret de son sac pour le montrer à tous avant de l’y remettre.

– Mais nous ne l’avons pas récupéré ; il nous a été remis.

– Remis ? Remis par qui ? s’étonna Bonnemine, coupant ainsi la parole à son mari.

Comme la réponse l’intriguait tout autant que tout le monde, il ne s’en formalisa pas.

– Par les druidesses.

Aussitôt, des hoquets de stupéfaction furent poussés, suivis par des murmures de crainte. Puis la voix d’Ordralphabétix s’éleva entre tous :

– Pourquoi vous l’auraient-elles rendu alors qu’elles comptaient s’en servir ? Si cela se trouve, elles vous ont trompés et ce n’est pas le vrai Calice !

– Elles ont abandonné leur plan, protesta Astérix en se plantant devant eux, déterminé à les défendre. Il ne faisait pas l’unanimité parmi elles, et comme la matriarche souhaitait nous exécuter alors que –

– Vous quoi ? braillèrent de nombreuses voix, dont ceux de ses parents qui s’empressèrent d’apparaître à ses côtés – et ceux d’Obélix ne furent pas en reste.

– Vous avez failli mourir ? insista Praline en se plantant devant lui, ses yeux le suppliant pour qu’il infirmât cette suggestion insoutenable.

Dire que ses pires craintes avaient failli se réaliser… Astérix fut désolée de la voir ainsi, tremblotante et désœuvrée.

– Voyons, Praline, fit Astronomix d’un ton quelque peu amusé, tu sais bien que ce n’est pas notre fils qui –

Sa voix mourut lorsqu’il aperçut l’air gêné d’Astérix et sa difficulté à soutenir son regard. Il pâlit ; son fils avait-il vraiment… ?

Les autres villageois étaient tout aussi choqués. La situation était totalement inédite. Silencieux, leurs visages s’exprimaient pour eux et réclamaient des réponses. Astérix toussota, mal à l’aise, avant de se tourner vers ses amis.

– Mais, Obélix, commença Gélatine d’un ton implorant, presque larmoyant. Tu ne… ce n’est…

Mais son fils se contenta de baisser le regard, désolé.

– Je suis désolé, maman. Nous… nous ne pouvions plus rien faire.

Panoramix vint à son secours pour répondre aux interrogations de tout le monde.

– Malheureusement pour nous, malgré nos précautions, nous n’avons pas tardé à être découverts et capturés. Nous avons tenté de nous enfuir lorsqu’on nous a sortis de notre prison, dans le but de les exécuter – seul moi devait rester en vie pour être gardé plus tard. Cependant, elles ont été rapides à réagir et nous avons été bloqués, sans qu’elles aient cherché à nous tuer. Apparemment, elles n’étaient pas au courant de l’ordre qui avait été donné nous concernant… Puis leur matriarche, Opuntia, est arrivée puis, constatant que nous étions tous encore en vie, elle a réclamé l’application de son ordre.

Un frisson glacial saisit l’auditoire tandis qu’ils commençaient à soupçonner ce que leurs amis avaient risqué. Avaient-ils déjà eu semblable récit d’une de leurs aventures par le passé ? Ils ne s’en souvenaient pas. Le duo revenait toujours de manière héroïque. Pas déconfits, en avouant leur impuissance et la chance qu’ils avaient eue de s’en tirer à si bon compte.

– Si Yucca n’était pas intervenue –

– Yucca ? La femme qui nous a trahis ?

Sa simple évocation suscita des rumeurs courroucées dans la foule, et Astérix serra les poings pour se contrôler. Ces imbéciles ne savaient encore rien de ce qu’il s’était produit et ils se permettaient déjà de juger. Toutefois, il fut surpris d’entendre des murmures acerbes rétorquer à leur encontre et, finalement, cette rumeur mourut. Les regards se reportèrent sur eux, assoiffés de réponses, comme s’ils étaient susceptibles de croire tout ce qu’ils diraient, que ces femmes fussent des monstres ou pas. Il cligna des yeux et balaya un instant la foule du regard. C’était étrange. S’était-il produit quelque chose durant leur absence ?

– Celle-là même, reprit Panoramix. Cependant, elle avait des circonstances atténuantes qui expliquent son acte, que nous vous exposerons par la suite. Cela étant, pour en revenir à ce moment-là, si elle n’était pas intervenue pour s’opposer à cette décision et ainsi trahir les siennes en nous défendant et en nous permettant de nous enfuir, je serais le seul survivant – mais mon sort n’aurait pas été plus désirable pour autant. Il faut le dire : cette fois, ce ne sont ni la force de nos deux guerriers, ni leur courage, leur ingéniosité ou ma sagesse ainsi que celles des deux mages qui nous ont accompagnés qui nous ont permis de vaincre. Nous n’avons même rien vaincu. Cette fin heureuse, nous la devons uniquement à ces femmes qui se sont rétractées dans leurs plans.

De nouveau, le silence accueillit ses paroles. Le constat était dur à avaler pour l’ensemble des villageois. Astérix sentit un poids s’effondrer sur lui, cependant il ne s’agissait plus d’embrassades mais une mère bouleversée qui s’accrochait désespérément à un fils qu’elle avait failli perdre. Obélix eut droit au même traitement. Leurs pères n’étaient pas en reste, bien qu’ils fussent moins démonstratifs.

Les autres non plus, d’ailleurs. Une fois remis de leur stupéfaction et de leur horreur, ce fut le chaos ; si la plupart de leurs paroles demeurèrent indistincts à leurs oreilles, quelques-uns parvinrent à se faire entendre.

– Mais attendez, vous avez dit que les druidesses vous avaient ensuite rendu le Calice ? Mais comment ?

— Et elles comptent faire quoi, alors ?

— Mais pourquoi agissaient-elles ainsi, à la base ?

– Je n’ai rien compris !

Panoramix soupira.

– Je crois qu’il vaut mieux tout reprendre depuis le début.

Alors il leur raconta tout depuis le début de leur voyage et ne lésina surtout pas sur les explications, notamment celles concernant le désir de vengeance des druidesses. S’il y eut quelques tentatives pour intervenir durant son monologue, elles se désagrégèrent presque aussitôt à force d’œillades agacées de la part des autres auditeurs. A la fin, les villageois étaient gênés et songeurs, et les traits de leurs femmes plus sombres que jamais.

– Eh bien, cela donne matière à réfléchir…, avoua Abraracourcix avec un coup d’œil à sa femme, occupée à fusiller le monde du regard.

Il craignit un instant d’avoir droit à des remontrances, même s’il ne comprenait pas pourquoi. Il estima que son inquiétude était sans doute infondée.

– En tout cas, c’était une bonne idée de leur proposer de vous rejoindre à votre prochaine réunion aux Carnutes ! affirma Bonnemine tandis que son visage se détendait, un maigre sourire sur les lèvres. Ce sera un bon début pour régler cette situation. C’est vrai que je ne savais pas que cela pouvait aller jusque-là – la question ne s’est jamais posée au village, non ?

Panoramix secoua la tête en signe de dénégation.

– Pas que je sache, non. Aucun enfant doué de magie n’est né ici depuis que j’y suis. C’est assez étrange, d’ailleurs – c’est rare mais pas à ce point.

– Peut-être ne le savons-nous pas encore mais il y a peut-être des futures druidesses parmi nous ! s’enthousiasma soudain une jeune villageoise prénommée Eglantine.

Cette suggestion provoqua plus de rêveries que de crainte sourde, comme si la possibilité avait déjà fait son chemin dans les esprits. Les hommes les jaugèrent, sceptiques, mais évitèrent d’intervenir. Ce serait au risque d’un retour acerbe de la part de certaines.

– Eh bien, je suppose que si elles passent par ici, elles leur réserveront un accueil plus qu’agréable, maugréa le chef. Enfin ! Voici une affaire bien conclue, finalement. Ceci vaut bien un banquet !

Ceux qui l’entendirent rirent de son commentaire. Sa femme pesta pour la forme au nom de sa ligne mise à mal mais elle ne refusa pas la proposition pour autant. Les circonstances s’y prêtaient bien, surtout s’ils avaient frôlé la mort de si près.

Ils méritaient bien un peu de réconfort, après tout.

– Voudriez-vous vous joindre à nous ? proposa-t-elle même aux deux mages en retrait, qui ne savaient quoi faire d’eux-mêmes.

– Pourquoi pas, répondit Kadir après un bref moment d’hésitation.

Les deux hommes suivirent les villageois joyeux qui obliquèrent en direction du village. Cette pause serait plus que bienvenue, avant de reprendre la route vers leur pays.

Un instant, Astérix demeura en retrait. Ses parents voulurent rester avec lui mais il leur fit signe de suivre les autres, les assurant qu’il les rejoindrait dans quelques minutes. Il se tourna face à la mer et son regard se perdit sur l’horizon en même temps que son esprit vagabondait vers l’île des druidesses, attristé. La reverrait-il un jour ? Même si elle avait insinué le contraire, il en venait à douter. Une main vint se poser sur son épaule, légère et douce, comme pour le soutenir et appliquer du baume sur son cœur. Il tourna la tête et reconnut Valine. Celle-ci observait la mer, le sourire aux lèvres, confiante. Elle croisa son regard et son sourire s’accentua.

— Je suis sûre que nous la reverrons. Peut-être même plus tôt que nous ne le penserions !

Astérix n’en était pas aussi certain mais se prit au jeu et, un instant, il voulut y croire. Après tout, qu’y avait-il de mal à cela ? Il savait que quoi qu’il en fût, son cœur l’attendrait des années s’il le fallait.

Après quelques minutes, ils quittèrent la plage et rejoignirent les autres, déjà rassemblés à la place habituelle.

La fête fut grandiose comme à son habitude, et l’allégresse était à son comble. Hommes et femmes étaient attablés ensemble et tous participaient au service les uns après les autres, si ce n’étaient les héros du jour. Une parfaite image du bonheur simple de l’équilibre retrouvé.

Mais peut-on réellement conclure cette histoire ainsi ?


Texte publié par Ploum, 14 juillet 2022 à 07h37
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