La nuit s’était emparée du village, qui se trouvait désormais plongé dans une obscurité tranquille, à peine troublée par les hululements de quelques chouettes qui demeuraient invisibles. La place n’était éclairée que par quelques lanternes disposées aux quatre coins de sa périphérie, mais elles délivraient une lumière suffisante pour parvenir jusqu’à la cage des prisonniers. La lune, pleine ce soir-là, perdue au milieu d’une voûte d’étoiles scintillantes, y contribuait à sa modeste manière. Le ciel était dégagé et offrait un spectacle magnifique que les prisonniers étaient bien en peine de savourer. La morosité ambiante se chargeait de leur en retirer la moindre envie. Et si le temps était clair et le vent absent, la température était, malgré tout, froide, très froide, de sorte qu’ils frissonnaient malgré les manteaux dont ils étaient pourvus et que leurs geôliers ne leur avaient pas retirés. Ces derniers avaient au moins ce mérite, même s’il était certain que les retrouver le lendemain sous la forme de corps gelés recouverts par le givre du matin ne faisait pas partie de leur programme.
Sur les six, seul Idéfix, protégé par sa fourrure naturelle, avait réussi à s’endormir. Les deux mages s’efforçaient de l’imiter mais leur sommeil était léger et agité, de sorte qu’un rien les réveillait. Leurs visages et parfois le reste de leurs corps étaient secoués de tics nerveux voire de spasmes qui se rajoutaient aux inévitables frissons. Les trois Gaulois se contentaient de grelotter en silence en observant tantôt leurs camarades d’infortune, tantôt les alentours, bien qu’il n’y eût rien à voir ; ils étaient seuls, si ce n’était les quelques hommes en faction chargés de les surveiller, qui étaient demeurés stoïques malgré leurs précédents appels. Ils avaient abandonné depuis plusieurs heures l’espoir d’obtenir une réponse de leur part, et le dernier passage des druidesses remontait au début de cette journée. Rien ne s’était produit depuis, ainsi ils restaient dans l’ignorance de ce qui se tramait autour d’eux ou au-dehors. Étaient-elles en train d’organiser la destruction de leur village ? S’apprêtaient-elles réellement à le faire ? Etaient-elles déjà parties pour cela ? Y étaient-elles déjà ? Yucca avait-elle intégré ce convoi ?
Tant de questions qui demeuraient sans réponse.
Astérix resserra un peu plus les pans de son manteau contre lui et se pressa contre les barreaux de la cage, le regard porté loin vers l’extérieur, au-delà des limites de la place, en direction de la forêt, dont seule la cime des arbres était visible. Des branches craquèrent, et il vit s’envoler une silhouette noire au-dessus des toitures, sans qu’il en vît l’origine ni sût si elle était responsable du bruit – cependant, il en doutait. Il supposa qu’il s’agissait d’un rapace, mais rien n’était moins sûr, surtout à cette distance. La question ne se posa rapidement plus, tout du moins il ne s’y attarda pas davantage ; il baissa les yeux vers un mouvement à la gauche de son champ de vision, pour voir une petite silhouette émerger d’une ruelle. Elle émergea dans la place, sous la lumière des lanternes. Des éclats dorés luirent dans l’abondante chevelure nattée et sur la ceinture d’or qui ceignait la longue toge blanche qui désignait sa propriétaire comme une druidesse. Le petit guerrier la reconnut instantanément : il s’agissait de Yucca. Aussitôt, un immense soulagement l’envahit ; elle se trouvait ici, et non pas en route vers leur village.
Aucun d’entre eux n’avait pas l’ombre d’une idée pour sortir d’ici, aussi c’était bien le seul espoir auquel il se raccrochait, désormais. Que Yucca ne se chargeât pas elle-même de l’exécution des siens, si elle devait avoir lieu. Que, peut-être, elle n’eût pas su comment les choses dégénéreraient en volant ce Calice et, surtout, qu’elle n’adhérât pas à leur plan actuel, bien qu’ils n’en eussent pas les détails. Même si cela ne devait pas changer grand-chose pour eux, finalement, même si elle n’osait pas intervenir et qu’ils devaient mourir là, il priait pour qu’au moins, leur sort ne la laissât pas indifférente. Que les instants passés ensemble n’eussent pas eu si peu de valeur, pour elle.
Yucca commença à traverser la place sans l’ombre d’un regard à leur égard, ce qui le blessa. Cependant, il n’émit pas un mot dans le but de l’interpeller, même s’il s’interrogeait sur la raison de sa présence, à une heure si tardive. Il aimerait tant lui parler, mais le redoutait tout autant. Par peur que la confrontation n’allât pas dans le sens aspiré. Mais un autre le fit.
– Luna ! Je veux dire, Yucca ! s’exclama Obélix en se précipitant vers les barreaux, poussant son ami blond par inadvertance dans le mouvement.
Ce dernier retomba sur le sol dur et se réceptionna sur ses avant-bras. Il grimaça au choc mais il ne protesta pas. Avec surprise, lorsqu’il tourna la tête, il s’aperçut que Yucca s’était figée, dos à eux. Elle se tenait désormais immobile à quelques dizaines de pas d’eux à peine. Obélix répéta ses suppliques, rempli d’espérance. Astérix le jaugea avec un mélange de pitié et de dépit mais ne chercha pas à l’en empêcher. Il attendait, curieux de la réaction de la jeune femme.
Ses cris eurent d’abord pour effet de chasser le faible sommeil que les deux mages avaient réussi à gagner. Ils papillonnèrent des paupières, hébétés. Panoramix ouvrit les yeux sans un mot, attentif à la scène. Au bout de quelques secondes, Yucca finit par céder et se retourna vers eux avant d’approcher la cage d’un pas lent et mesuré. Alors que la distance se réduisait entre eux, Astérix eut davantage le loisir de la contempler ; bien que, selon lui, elle conservât toujours son incroyable beauté, ses traits tirés exsudaient une certaine fatigue, sans doute en partie due à sa blessure encore présente. Cependant, s’y ajoutaient une certaine lassitude et de la gêne ; le sentiment était renforcé par le manque d’éclat de ses yeux, plutôt gris terne qu’argentés à cet instant. Ces derniers points l’étonnèrent un peu. Cependant, il ne s’y attarda pas, car déjà Obélix l’envahissait de questions paniquées à laquelle il répondait lui-même à l’aide d’hypothèses diverses, à la mesure de son incompréhension et de sa crainte.
Yucca mordilla ses lèvres sans répondre, tant le débit de paroles était rapide. Astérix en perdit vite le fil. Son attention était concentrée sur elle, et uniquement sur elle. Il suffisait de la voir pour deviner qu’elle ne les délivrerait pas. C’était un coup dur, mais il s’en était déjà douté. Que penser, pour le reste ? Astérix sentit son cœur battre plus vite, angoissé par l’expectative. Peut-être allait-il bientôt le savoir, et il n’était plus sûr d’en avoir envie.
Le rouquin se tut, autant pour reprendre son souffle que parce que plus rien ne lui venait à l’esprit. A présent, il la contemplait avec un air suppliant, que Yucca ne fut pas en mesure de soutenir. Elle détourna les yeux, désolée pour eux. Elle jeta un coup d’œil au-dessus de son épaule, comme pour constater l’absence de ses consœurs à proximité, avant de prendre la parole :
– Non, ce n’était pas vrai.
De quoi parle-t-elle ? Astérix se rabroua mentalement. Il aurait dû écouter son ami. Cependant, à voir le visage ahuri d’Obélix, il devina que lui-même était incapable de déterminer à quelle question elle apportait sa réponse. Yucca reprit rapidement :
– Nous n’avons envoyé personne détruire votre village et nous ne comptons pas le faire. Vos compagnons n’ont aucun intérêt pour nous ni ne savent rien sur nous, et nous ne les craignons pas. Nous n’avons donc aucune raison de les tuer.
Cette simple phrase enleva aussitôt un poids des épaules des trois Gaulois. Ils soupirèrent de soulagement, rassurés, avant de s’entreregarder, un mince sourire naissant sur leurs lèvres. Amir et Kadir ne réagirent pas, attentifs. Yucca les observa sans un mot, neutre.
– Pourquoi ? demanda Obélix, le seul à espérer suffisamment pour tenter d’entamer une discussion.
Astérix considéra son ami, désolé. Lui aussi avait conscience qu’elle ne les délivrerait pas, comme il l’avait escompté. Il riva ses yeux au sol, triste et résigné. Plus cet échange s’éternisait, plus il en redoutait l’issue, son pessimisme croissant. Entendre la confirmation de ses hypothèses de vive voix était sans doute pire, mais Obélix n’y songeait pas, ou plutôt il s’y refusait. Une forme de besoin, jusqu’au bout. Alors il se tairait, attendrait, et fermerait les yeux lorsque la douleur exploserait.
Yucca fronça les sourcils.
– Ce sont mes consœurs. Vous avez pourtant eu quelques explications ce matin, non ? murmura-t-il. Et puis, votre druide doit suffisamment âgé pour se rappeler de quelques détails de ce que les siens ont fait à notre caste. La suite se devine aisément, non ?
Une certaine perplexité envahit les Gaulois. Non, ils ne soupçonnaient rien. Astérix jeta une œillade à Panoramix, dont l’air demeurait indéchiffrable. Elle accusait les druides, mais de quoi ? Panoramix était-il au courant ? Astérix se mit à douter.
Obélix conservait un air suppliant qui devint insupportable pour la jeune femme, car elle l’évita en se concentrant sur le sol. Finalement, la voix du druide s’éleva.
– Je ne sais pas quel âge tu me donnes ni à quelle période se situeraient les événements que votre aînée nous a décrites mais non, je n’ai aucun souvenir d’une telle chose. J’ai grandi dans un monde où seuls les hommes étaient en mesure de devenir des druides, j’ai appris sous la conduite de l’un d’entre eux, fort de cette certitude, et jamais je ne l’ai remise en question. Je n’ai jamais su que des femmes avaient un jour fait partie de notre Ordre et qu’elles en ont été exclues, alors pour ce qui est de la raison qui a poussé mes anciens confrères à agir de la sorte, je l’ignore. Même en considérant que certaines aient pu commettre une faute grave, cela ne justifie pas de bannir toutes les femmes de notre Ordre et d’en interdire l’entrée aux générations suivantes. Je comprends votre colère à l’égard de notre Ordre, mais nous –
– Vous comprenez ? s’indigna-t-elle en levant ses yeux flamboyants d’une colère vive, avant de prendre une voix agressive : Mais que comprenez-vous ? Vous croyez qu’il s’agit là seulement d’une question de statut et de reconnaissance ? Vous avez effacé notre existence de l’esprit de tous ; imaginez-vous seulement tout ce que cela implique derrière ?
Panoramix garda le silence, stupéfait, de même que les deux Gaulois. Derrière eux, les mages se rembrunirent. Puis il balbutia :
– Effacé ? Comment cela ? Et tu n’as –
– Quoi ? Je n’étais pas là au moment de ces faits-là ? Oui, c’est vrai, je n’étais pas née – vous deux non plus, d’ailleurs, fit-elle à l’adresse des deux trentenaires qui n’avaient pas sourcillé. Vous imaginez peut-être ce que c’est de naître avec des pouvoirs et de devoir les cacher, parce que, pour le reste de la population, cela ne devrait même pas exister ? Qu’aux yeux de tous, il s’agit d’une erreur, voire même d’une hérésie pour certains ?
Astérix déglutit, tandis que le trio prenait la mesure de la douleur de la jeune femme, qui transpirait à travers ses paroles. Ce n’étaient que des questions rhétoriques, mais ils devinaient qu’elles traduisaient une part de vécu ; c’était sa vie-même qu’elle laissait transparaître à travers ses mots.
Et elle n’avait sans doute pas été heureuse.
– Peu d’entre nous sommes originaires de cette île, en vérité. Ma sœur et moi-même ne le sommes pas, bien que notre arrière-grand-mère s’y soit réfugiée – mais notre mère est partie avec la croyance stupide que les temps avaient dû changer sur le continent. Nous n’étions que des enfants lorsque cela s’est su, peu après la mort de notre mère ; cependant, cela ne les a pas arrêtés à nous bannir à cause de cela. Abandonnées dans une forêt pour être plus exacte, dans l’espoir que la faim, le froid ou les loups se chargent de notre sort. D’une certaine façon, nous avons eu de la chance, puisque cette option laisse l’espoir de la survie, d’autant plus qu’ils étaient même venus à nous soupçonner d’être responsables, d’une façon ou d’une autre, de la mort de notre mère. D’autres fillettes ne l’ont pas eue comme nous, lorsque les habitants ne préféraient pas plutôt les tuer, croyant à quelque malédiction, intervention d’une divinité mauvaise ou que sais-je. Calathéa nous a trouvées et nous a recueillies, ainsi nous avons pu nous en sortir, mais combien des nôtres n’ont pas eu cette chance ? Combien sont mortes dans l’ignorance et le désespoir, peut-être elles-mêmes convaincues qu’elles méritaient ce sort en n’ayant rien fait ?
Astérix pâlit, horrifié par ses propos, et il se doutait qu’il n’était pas le seul. Obélix était trop stupéfait pour être en mesure de parler, ses traits étaient figés en un masque effaré. Leur druide, déboussolé, n’avait pas meilleure mine. Mais comment avaient-ils pu en arriver là, à laisser mourir leurs filles pour une telle raison ? Comment les parents avaient-ils pu accepter une telle chose ? Leur avait-on laissé le choix, ou l’avaient-ils fait de leur plein gré ?
Comment avaient-ils pu oublier l’existence des druidesses ?
Cette dernière question dépassa sa pensée et Astérix la posa, la voix rendue rauque par l’affliction tandis qu’il mesurait les nombreuses vies gâchées. La probabilité de croiser une petite fille égarée et perdue mais bien vivante, avant qu’il ne fût trop tard pour elle, était sans doute faible. Combien d’entre elles étaient mortes ainsi ? Des dizaines, des centaines ? Des milliers même ?
L’interrogation arracha un ricanement amer à Yucca.
– Parce que vous croyez réellement que nous sommes les premières à utiliser ce Calice ? Comment croyez-vous que les druides aient fait pour effacer nos existences de l’esprit de tous ? Vous n’avez toujours pas compris, ou vous n’en avez juste pas l'envie ?
– Co-comment ça ? fit Panoramix d’une voix blanche.
Ce dernier commença à nourrir quelques soupçons, car il devint livide. Astérix sentit une crainte sourde serrer davantage sa poitrine ; il avait un mauvais pressentiment.
– Comment croyez-vous que nous ayons su que le Calice se trouvait chez eux ? fit-elle en désignant Amir et Kadir du menton. Nous-mêmes ne le savions pas au départ, pas plus que nos collègues mâles. Mais l’un d’entre eux devait le savoir, ou avait des documents à sa disposition qui lui ont permis de le localiser. Alors ils sont allés le chercher.
– Mais c’est impossible ! Le Calice ne fait pas ça ! s’exclama Panoramix en secouant la tête.
Les révélations dont il supputait l’arrivée lui étaient trop insupportables pour qu’il ne tentât pas de les réfuter. L’idée même l’écœurait. Comment tolérer que les siens eussent pu commettre un tel acte, et même y penser ? Et pour quelle finalité ?
— Vous –
– La Matriarche vous l’a dit, il y a sans doute plusieurs façons d’utiliser le Calice, l’interrompit Yucca d’une voix sèche. En vérité, il n’est pas sûr qu’il ait pour but de conduire à la folie, ce ne peut être qu’un effet dû à un usage inadapté. Il permet de manipuler les esprits, en particulier sur une multitude. Vous, les druides, l’avez utilisé à grande échelle, afin d’effacer notre existence de tous les esprits. Seules quelques rares communautés, dont celle-ci, ne nous ont pas oubliées, grâce à leur isolement et au fait que les nombreuses druidesses alors rassemblées là, parmi les plus puissantes, ont lutté contre son emprise.
– Comment une telle chose est-elle possible ? marmonna Astérix d’une voix basse, davantage pour lui-même. Et pourquoi ?
Si Yucca l’entendit, elle ne répondit pas.
– Cette fois-là, ces hommes eux-mêmes n’avaient pas idée du pouvoir que détenait cette relique, poursuivit-elle en désignant les deux orientaux, qui avaient refermé les yeux, pour évoquer leur peuple. Ce n’était qu’une possession parmi tant d’autres d’un riche dignitaire de leur cité, parmi les plus influents ; la protection autour de cet objet était donc toute relative, et la poursuite qu’ils ont engagée était à la mesure de l’envie de son propriétaire de récupérer son bien – qui était bien grande, cela dit. Ce pourquoi ils ont fini par le récupérer, après avoir observé les dégâts que vos druides ont pu causer avec lui. Et c’est la raison pour laquelle ils l’ont dès lors conservé en un autre endroit, plus secret et bien mieux gardé, afin que personne d’autre ne le récupère – même si, évidemment, la question de sa destruction s’est également posée. Je ne saurais pas dire pourquoi ils ne l’ont pas fait, d’ailleurs. Vous pourrez leur poser la question lorsqu’ils seront réveillés, fit-elle en montrant les deux mages d’un signe du menton. Ils pourront vous confirmer en même temps mes propos à ce sujet.
– Pas besoin d’attendre pour cela, souffla la voix suave d’Amir tandis que ce dernier se redressait pour s’asseoir, les mains de part et d’autre de ses jambes pliées, la mine fatiguée mais les yeux résolument ouverts. C’est vrai. Nous n’avons su la dangerosité de cet objet que lorsque vos collègues l’ont expérimenté. C’est pour cela que nous voulons le récupérer, fit-il ensuite à l’adresse des Gaulois. Ce n’est pas que nous n’avons pas confiance en vous – nous nous doutons que vous auriez déjà cherché à le récupérer pendant son séjour parmi vous, dans ce cas. Mais c’est également pour cela que nous rechignions à vous révéler la réelle portée de ses pouvoirs – et encore, seulement de ce que nous en connaissons.
Le silence s’installa durant quelques secondes, le temps que les Gaulois assimilassent la nouvelle. Puis Yucca reprit :
– C’est pour cela que, lorsqu’il a été décidé de l’utiliser, certaines d’entre nous se sont intégrées à leur société. Au début, nous voulions nous faire passer pour de simples femmes mais un imprévu a conduit l’une des nôtres à utiliser ses pouvoirs, les révélant à leurs yeux.
– Lassa, murmura Amir d’une voix tendre, les yeux perdus dans un souvenir vraisemblablement heureux.
La jeune femme hocha la tête.
– Oui. Mais finalement, l’existence de nos pouvoirs, bien qu’ils aient fait spéculer, ont été plutôt bien acceptés, alors nous ne nous sommes plus cachées à ce sujet. J’avoue qu’à cette époque-là, nous avions hésité à mettre notre plan à exécution ; après n’avoir connu que l’exclusion et la fuite, c’était une impression nouvelle. Nous nous sommes bien intégrées, mieux que nous ne le pensions.
– Mais moins que vous ne l’auriez voulu, compléta-t-il en levant un regard désolé vers elle.
Gênée, elle se tut quelques instants avant d’acquiescer.
– Oui. Si nos pouvoirs ne gênaient pas, là encore, le simple fait d’être une femme nous faisait perdre des droits, plus que le fait d’être des étrangères. A travail égal, nous percevions moins, et nos actes étaient moins valorisés. Et certaines choses nous demeuraient interdites. Cela a duré plusieurs années ; de sorte que certaines en sont venues à y établir des foyers voire à y fonder des familles. Malgré cela, la situation s’enlisait et ne s’améliorait pas. Les plus téméraires d’entre nous nous poussaient à agir au plus vite, mais pour la plupart, nous espérions vraiment que les choses changent et s’améliorent – plus qu’à la vengeance, nous aspirions à une vie normale, où nous pourrions enfin être nous-mêmes et ne plus être discriminées à cause de notre sexe. Mais cette vie ne s’est jamais présentée.
Amir baissa le visage, attristé, tandis que les Gaulois se mordaient les lèvres. Ils étaient parfaitement conscients que cette situation était applicable au sein de leur village. La distinction entre les deux genres était plus que palpable.
– Finalement, comme le temps passait et que rien ne changeait malgré tous nos efforts, nous avons fini par agir. J’ai été chargée de récupérer le Calice avec l’aide de Pilea ; moi-même ai fui avec, pendant que ma sœur se chargeait de détruire les protecteurs de l’Objet qui s’étaient éveillés suite à son extraction. Nous aurions dû nous rejoindre plus loin, hors de la ville ; elle n’est jamais venue mais les troupes à ma poursuite, si. Alors j’ai fui. Je ne pense pas qu’il y ait besoin de détails à ce sujet ; le voyage a été long, et j’ai finalement été blessée peu après avoir quitté Massilia. Je me suis efforcée de remonter vers le nord, dans l’espoir d’atteindre une côte suffisamment éloignée pour prendre un bateau et quitter ce territoire, mais la faiblesse n’aidant pas, et malgré mes pouvoirs, je ne suis parvenue qu’à fuir. Finalement, si j’ai réussi à mettre de la distance entre nous, le temps me manquait ; je suis finalement tombée là où vous m’avez retrouvée.
Elle se tut, perdue dans ces souvenirs désagréables. Les hommes qui la dévisageaient ne pouvaient que ressentir sa peine et y compatir, malgré leur situation plus que précaire ; s’ils étaient honnêtes, il était difficile pour eux de déterminer ce qu’ils auraient fait à leur place. Leur condition était telle qu’ils ne seraient jamais concernés par une telle chose. Qui étaient les réelles victimes dans tout cela, en définitive ?
– Mais notre mort ne résoudra rien, vous savez, chuchota alors Amir avec douceur, et sa voix parut surgir du silence qui les environnait.
– Pourquoi parler de votre mort ? répliqua Yucca en plissant les yeux. Là n’a jamais été la question ; vous ne représentez pas une menace pour nous.
– On nous a pourtant assurés que nous serions tués ; après tout, comme votre aînée l’a dit, nous ne sommes d’aucune utilité, mais le fait de nous relâcher poserait problème, apparemment.
Les yeux de la jeune femme s’agrandirent de surprise et, pendant un instant, ils se demandèrent si les druidesses étaient toutes au courant de la totalité de ce qui se tramait. Chose qui fut confirmée lorsque Yucca secoua la tête, comme pour écarter ces propos.
A moins que ce ne fût, là encore, qu’un mensonge de la part de la Matriarche dans le but de les effrayer ? Mais pour quelle raison ? Cela paraissait plus logique, pourtant ; que feraient-elles d’eux, sinon ?
– Il n’en a jamais été question, assura-t-elle avant de reculer et, sans attendre une quelconque réplique, elle se retourna et partit d’un pas rapide, comme si elle les fuyait soudain.
Et peut-être était-ce réellement le cas.
Stupéfaits, ils l’observèrent pendant quelques secondes tandis qu’elle s’éloignait, avant de reporter leur attention sur le reste du groupe. Songeurs, ils conservèrent le silence. Il était difficile de tirer des conclusions sur certaines choses à partir de cet entretien, et tant d’autres avaient été révélées. Était-il possible d’y entrevoir une lueur d’espoir ? Astérix n’osa y croire, et finit par reprendre place sur sa maigre couche, bientôt rejoint par son ami et par Amir. Il croisa brièvement le regard d’Obélix, et comprit que, plus que jamais, il croyait en Yucca. Il ferma les yeux, refusant de réfléchir davantage à ce sujet. S’il comprenait désormais sa position, il doutait qu’un revirement fût envisageable. Tant de souffrances ne pouvaient être oubliées et demeurer sans réponse.
Alors que les autres s’allongeaient, Panoramix, lui, continuait de fixer le sillage de la jeune femme, ses prunelles sombres brillante d’une lueur vive. Il s’était aperçu d’à quel point la discussion avait ébranlé Yucca. Et il en venait à penser que, peut-être, elle n’était pas aussi vindicative à leur égard qu’elle voulait le croire, et le faire croire.
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