– Voici Atropix, le druide du ridicule petit village de Traedh. Je suppose que vous le connaissez ?
La question n’était destinée qu’à Panoramix mais aucune réponse n’était nécessaire – il n’en fournit d’ailleurs aucune, trop horrifié par ce qu’il voyait. Effectivement, il reconnaissait l’un de ses collègues, qu’il voyait tous les ans à la réunion des Carnutes car il avait l’habitude de s’y rendre. Il avait été absent, cette année-là, et il en comprenait la raison à présent. Son mauvais pressentiment s’était révélé fondé.
Le villageois qui servait habituellement de garde du corps au chef du village était obligé de le tenir par l’épaule tant il était faible. Il n’était pas enchainé ni même attaché par des liens ; son air hagard et son regard absent et vide indiquaient qu’il n’y en avait nul besoin, car pas un seul instant il ne sembla envisager la fuite. En définitive, ce n’étaient pas tant son corps amaigri ni même les nombreuses contusions et fines coupures pour la plupart cicatrisées ou en cours qui choquaient Panoramix et ses amis ; c’était lui. Il ressemblait à… une coquille vide. Une simple marionnette aux mains de la vieille druidesse, qui se délectait à présent de la pâleur qui recouvrait progressivement le visage de leurs prisonniers, un sourire narquois sur les lèvres. La place était presque vide à cette heure, l’aube pointait à peine le bout de son nez. En plus des deux meneurs qui les dévisageaient sans aménité et de la Matriarche, se tenaient devant eux leurs gardes du corps ainsi que deux autres druidesses, deux jeunes femmes blondes qu’ils ne connaissaient pas. Yucca n’était pas parmi elles, mais ils ne se leurraient pas, si ce n’était Obélix qui ne l’envisageait même pas : elle était partie prenante de ces événements.
– Vous qui vouliez savoir ce qui allait vous arriver, en voilà un aperçu, ronronna la plus vieille, ravie du petit effet qu’avait eu sa surprise. Enfin, rassurez-vous, ce sort ne vous est réservé qu’à vous, druide, car après tout, c’est après vous que nous en avons ; nous ne sommes pas si cruelles.
– Et que comptez-vous faire de mes amis, dans ce cas ? marmonna Panoramix d’une voix rauque, encore ému par l’état d’Atropix, qui n’avait même pas conscience de sa présence.
Cependant, il se reprit rapidement.
– Et de nous, par la même occasion ? Vous comptez nous garder dans cet état comme des… trophées ? Ou vous finissez par nous tuer ?
Car en constatant l’état auquel était réduit son camarade et en imaginant ses implications, il préférait la mort à cette sorte de déchéance. Vivre ainsi de longues années… le concevoir lui était impossible, alors le vivre ? Certainement pas. Même s’il devait se donner lui-même la mort pour y échapper.
Les interrogations du druide, que se posaient également ses compagnons inquiets, amusèrent plus qu’ils n’agacèrent la druidesse. Les deux jeunes femmes, elles, s’étaient désintéressées de la conversation et regardaient ailleurs ; à moins qu’elles n’éprouvassent une certaine gêne quant à la situation ?
Se pouvait-il que ce plan ne fît pas l’unanimité parmi ces femmes ?
– Eux ? Ils mourront, assurément, lâcha l’aînée sur un ton négligent, appuyé par un haussement d’épaules dédaigneux et par un geste de la main comme pour balayer la question. Nous ne pouvons pas nous permettre que notre localisation soit divulguée un peu partout, qu’eux le sachent suffit déjà largement, siffla-t-elle d’un ton agacé en fusillant les deux mages du regard. De toute façon, ils ne nous serviraient à rien, et nous ne désirons pas entretenir indéfiniment des prisonniers inutiles.
– Vous pourriez les relâcher, ironisa le druide, même s’il savait que cela était inutile.
Elle ricana.
– Je viens de vous le dire. Nous ne sommes pas idiotes à ce point. Ne vous inquiétez pas, vous aurez le droit d’assister à leur mort, vous y serez même invité. En ce qui vous concerne, susurra-t-elle ensuite, en approchant son visage des barreaux.
Le mouvement la fit se pencher légèrement en avant, les bras croisés contre son buste mais à distance suffisante de la cage pour qu’ils fussent incapables de la toucher.
— Pour répondre à votre question, nous avons finalement décidé que nous avons mieux à vous réserver que la mort.
Le visage de Panoramix devint plus pâle encore que ce qu’il n’était déjà, presque livide, jusqu’à rejoindre celui d’un cadavre. Le sourire de la druidesse s’accentua.
– Vous… vous les gardez vraiment en vie ? Dans cet état ?
– Et pourquoi pas ? Regardez-le ; nous ne risquions déjà pas grand-chose lorsqu’il était en forme mais, à présent, il est incapable d’utiliser ne serait-ce qu’une once de ses pouvoirs. Il ne peut plus rien contre nous, même si nous l’armions d’un couteau.
Cela devait faire office de plaisanterie locale car ses compagnes ricanèrent avec une conviction variable. L’une d’elle prit le temps de traduire et d’expliciter brièvement l’échange à leurs concitoyens sans pouvoirs qui pouffèrent à leur tour. Les prisonniers ne s’en formalisèrent pas ; qu’ils en rissent était le cadet de leurs soucis, et ils étaient encore trop choqués par ses révélations pour s’en préoccuper.
Enfin, ce n’était vrai qu’à moitié.
– Mais comment avez-vous fait ça ? s’exclama Obélix, ulcéré.
Il se précipita vers les barreaux et essaya de les arracher, sans plus de succès que la veille. L’hilarité de leurs geôliers s’accrut, augmentant la colère du rouquin par la même occasion. Astérix lui cria d’arrêter, que ses tentatives étaient inutiles, en vain. Après quelques secondes, comme Obélix avait compris que sa tentative ne donnait rien, il tenta alors une autre approche et passa les bras entre dans le but de saisir leurs interlocuteurs, avec l’espoir de les cogner ou de les étrangler. Il faillit attraper l’un des hommes les plus proches mais les druidesses, plus réactives, les avaient déjà poussés à reculer pour se mettre hors de sa portée. Dans l’élan, Atropix tituba et faillit tomber, mal à l’aise sur ses jambes malingres ; il ne dut sa non-chute qu’aux hommes qui l’encadraient, trop perdu dans son monde pour s’en charger lui-même.
Obélix agita ses bras en vain pendant plusieurs secondes et des moqueries ponctuèrent son échec. Si cela décupla sa rage, Obélix se rendit compte que, même en s’acharnant, il n’obtiendrait rien de plus en s’acharnant et qu’aucune autre alternative ne se proposait à lui pour le moment. Déçu et rageur, Obélix abandonna et recula, tiré par le petit Gaulois, les poings serrés. Se promettant qu’une fois sortis de là, il le leur ferait payer. Tout. Leur enfermement, ce qu’ils avaient fait à ce pauvre homme, même s’il n’y comprenait rien, et les menaces proférées à l’encontre de leur druide. La trahison de Yucca, aussi. Comment son amie pouvait-elle faire partie de cette bande de folles ? C’était tout simplement aberrant. Il y avait forcément quelque chose, c’était sûr. Peut-être du chantage ? Une famille horrible dont elle ne parvenait pas à se désolidariser ?
Les poings du Gaulois se serrèrent davantage, mais ses insultes restèrent dans sa gorge ; le petit coup qu’Astérix venait de lui donner était suffisamment clair à ce sujet. Puis les rires moururent, et la druidesse reprit, comme s’il ne s’était rien produit. Seul l’écart des hommes qui se tenaient à présent à distance respectable de la cage en témoignait.
– Vous croyez réellement que nous allons tout vous révéler ? Même s’il est peu probable que vous réussissiez à vous échapper, nous ne prendrons pas un tel risque, idiot. Vous mourrez sans en connaître la réponse, je le crains, à moins que –
– C’est le Calice, marmonna Amir d’un ton lugubre, ce qui lui valut l’attention de tous les regards. Elles ont utilisé le Calice pour cela.
– Q-Quoi ? s’exclamèrent les deux Gaulois, atterrés.
Cet objet avait un tel pouvoir ? Était-ce donc pour cela que Yucca était partie le voler ?
Les épaules d’Astérix s’affaissèrent, bien qu’une telle nouvelle ne le surprît pas tant. Cette femme était impliquée dans ce qu’il se tramait ; après tout, elle avait forcément su la raison pour laquelle elle devait voler le Calice. Si le blond n’avait eu plus aucun espoir la concernant, l’idée réussit pourtant à assombrir davantage son esprit. Comment pouvait-il encore avoir des sentiments pour elle, aussi forts qu’avant ? Il ne se comprenait même pas.
Obélix ne suivit pas le même cheminement de pensées, et refusa même d’y songer. Pour lui, il y avait forcément une erreur ; Yucca se devait de le leur expliquer et, l’espérait-il, elle n’était pas telle que son ami l’imaginait désormais. Il l’observa à la dérobée, désolé pour lui ; il se rendait parfaitement compte de sa douleur mais il était impuissant face à cela. Seule Yucca serait en mesure de la lui retirer, en apportant son démentir. Alors il fit la seule chose dont il fût capable à cet instant : il prit son ami dans ses bras. Si celui-ci ne réagit d’abord pas, il l’enlaça ensuite à son tour et cacha son visage contre le poitrail puissant de son ami.
Devant cette vision, seule l’aînée des druidesses plissa les lèvres de dégoût. Les autres ne montrèrent qu’indifférence ou gêne.
– Effectivement, confirma-t-elle finalement, ce qui ramena l’attention sur elle. C’est bien grâce au Calice que nous l’avons réduit à cet état. Incroyable, n’est-ce pas ? Ce n’était pas notre idée première mais en effectuant quelques tests sur nos chers homologues masculins, nous avons observé ce résultat, sans doute un effet secondaire ou un effet lié une sorte de surdosage, allez savoir… L’artéfact s’utilise plutôt sur les masses, après tout. Mais quelle importance ?
Sa nonchalance les indigna mais ils se gardèrent de réagir à ce propos. Un certain point les interpellait tous, excepté Obélix.
— Comment cela, ce n’était pas votre idée première ? Quelle était votre idée, à l’origine ?
La druidesse se redressa après quelques secondes, légèrement déçue.
– Honnêtement ? Nous n’étions pas très bien fixées à ce sujet. Annuler les effets du Calice concernant l’oubli de notre Ordre ? Imiter nos homologues masculins et effacer leur existence à eux de l’esprit des gens ? Les deux ? Ou autre chose ? Dans tous les cas, il nous fallait étudier l’objet avant de nous décider, en fonction de ce que nous aurions réussi à obtenir de lui. Nous pourrions rendre toutes les populations des différentes terres amnésiques, mais ce n’était pas tellement notre objectif, et cibler une pensée distincte est un brin plus compliqué.
Un silence hébété accueillit cette explication. Certains n’en furent que plus confus, d’autres se demandèrent s’il n’y avait pas là matière à exploiter. Astérix sentit une braise d’espoir se rallumer en lui. Était-il possible que Yucca eût agi sans penser que les événements prendraient une telle direction ? Qu’il serait question d’aliéner des druides et de tuer quiconque viendrait sur leur territoire dans l’espoir de secourir les leurs ? Il voulut se raccrocher à cette idée.
Les Gaulois se tournèrent vers les deux mages étrangers pour les scruter, attentifs, dans l’attente de quelque chose, une parole ou un signe, qui tendrait à approuver ou à infirmer ces propos. Les concernés se raidirent.
— Eh bien, il est vrai que l’utilisation du Calice n’est pas forcément connue dans ses détails, avoua Kadir, gêné. Cela étant, nous en savons suffisamment pour en connaître les dangers et donc l’importance de le garder hors de portée.
Un reniflement de dédain salua ses propos, qu’il ignora.
— Mais il est vrai qu’il n’est pas accompagné de son mode d’emploi. Je n’ai aucune idée de la façon dont s’y sont pris vos druides, alors qu’elles cherchent à l’étudier d’abord et à réfléchir à leur stratégie exacte ensuite me paraît cohérent.
— Comment cela, la façon dont s’y seraient pris nos druides ?
Kadir afficha une moue interloquée puis troublée. Il jeta une œillade vers Panoramix qui le dévisageait, tout aussi perplexe que ses deux compagnons. Il voulut parler mais la Matriarche frappa alors dans ses mains pour l’interrompre.
— Bien, c’était très intéressant, mais je pense que nous en avons terminé. Au fait, ne vous inquiétez pas pour les membres de votre petit village ; ils ne risquent pas de venir vous chercher. Mes sœurs doivent actuellement s’occuper d’eux. Les Romains seront sans doute ravis d’apprendre prochainement que la fin des Irréductibles Gaulois est finalement arrivée, même si elle n’aura pas été de leur fait, ironisa-t-elle avant de faire volte-face.
Elle adressa un signe de la main aux autres pour leur signifier leur départ.
– Quoi ?
Les exclamations horrifiées, suivies d’injures et d’imprécations à leur encontre, ne les ébranlèrent en rien. Elles ne daignèrent pas même se retourner et quittèrent la place, accompagnées des trois hommes qui les ignorèrent tout autant. Ils se retrouvèrent ainsi seuls et, ébranlés à la suite de tant d’informations malheureuses, ils finirent par s’asseoir, démoralisés.
Astérix avait beau y réfléchir, il ne se souvenait pas d’une aventure aussi éprouvante que celle-ci. Son village n’avait jamais été menacé d’une manière aussi concrète, rien qui eut suscité un tel découragement chez lui ; et encore, peut-être était-il déjà trop tard et qu’il n’existait déjà plus.
– Sont… sont-elles réellement capables de faire cela ? souffla Obélix avec perplexité.
Une note de supplication était perceptible dans sa voix, comme s’il espérait qu’un de ses compagnons contredît ce qu’il avait compris. Comme personne ne s’y dévoua, il continua :
— Je veux dire… ils n’ont rien à voir avec ça ! Et Lu-Yucca ne pourrait pas faire ça !
– Peut-être que si, grinça Astérix, la mine sombre.
Il enlaça ses genoux qu’il serra contre lui comme pour se protéger de cette vérité qui fâchait. Il voulait y croire mais son esprit ressassait d’autres possibilités qui le perdaient dans une mer de doutes. Il ne savait plus. Et la vérité était qu’il ne connaissait pas assez Yucca pour déterminer laquelle était la plus plausible. Il ignorait tout de son passé et de sa nature, après tout. Comment se positionnait-elle vis-à-vis de tout cela ? Qu’avait-elle vécu ? Était-ce de la simple obéissance filiale ou était-elle particulièrement impliquée dans ce désir de vengeance commun ? Jusqu’où était-elle prête à aller ?
— Et même si ce n’était pas le cas, rien ne dit qu’elle ferait quoi que ce soit pour l’en empêcher. D’ailleurs, à moins qu’elles ne possèdent une magie leur permettant de se déplacer d’un point à un autre en un clin d’œil, elle ne doit pas en faire partie, à moins qu’elles soient parties récemment et qu’elles ne soient donc qu’en route.
– Mais –
– Astérix a raison, Obélix, fit Panoramix avec calme.
Son regard s’adoucit devant la détresse évidente du rouquin et il posa sa main sur son épaule, compatissant. Ce dernier avait les yeux écarquillés d’où perlaient des larmes traîtresses, tandis qu’il refusait de partager le pessimisme de ses amis. Il refusait de songer à l’éventualité que la traîtrise de Yucca allât jusque-là ; ce n’était pas l’amie qu’ils avaient connue.
— Nous ne connaissions de Yucca que ce qu’elle nous a montré ; nous ne savons pas qui elle est, en réalité. Après tout, elle a feint l’amnésie pour –
– Vous vous trompez, réfuta Obélix en secouant la tête pour manifester son rejet, bien qu’il sût que les arguments du druide étaient pertinents. Vous vous trompez.
Seule Yucca était en mesure de leur en apporter la réponse – et, l’espérait-il, la preuve qu’ils avaient effectivement tort. Elle ne pouvait pas être comme cela. L’envisager lui était impossible.
Les deux mages étrangers se retinrent d’intervenir, conscients qu’il s’agissait là d’une conversation trop intime. Que celle-ci touchait leur vécu, la confiance qu’ils avaient accordée à la jeune femme en question. Ils le comprenaient parfaitement, d’autant qu’eux-mêmes l’avaient également connue. En particulier Amir, qui l’avait considérée un temps comme son amie.
Cependant, ce dernier, comme Kadir, percevait le désœuvrement des Gaulois sans qu’il fût capable de dire s’il était justifié, ce qui l’incita finalement à se manifester.
– Je ne serai pas en mesure de prétendre distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas.
Le trio d’amis se tourna vers lui, étonnés d’entendre sa voix suave s’élever.
– C’était mon amie aussi, poursuivit-il sous leurs regards attentifs, et sa trahison m’a complètement bouleversé, d’autant que j’étais là lorsqu’elle a volé le Calice. Mais…
Il suspendit ses paroles quelques secondes, hésitant, tandis qu’il se replongeait dans ses souvenirs pour se remémorer la scène avec exactitude, bien que ce fût douloureux. Les Gaulois demeurèrent concentrés sur lui, le regard presque suppliant, comme s’ils espéraient sans espérer quelques mots qui contrediraient leurs pensées – si ce n’était Obélix, qui ne voulait qu’un argument en faveur de sa volonté.
– Elle aurait pu me tuer ce jour-là, murmura-t-il finalement. Elle aurait pu nous tuer, moi et Hazid, c’aurait été plus logique, peut-être. Mais… elle s’est contentée de nous assommer. Elle s’est même excusée, juste avant cela. Je n’avais pas compris sur le moment ce qu’elle s’apprêtait à faire, mais…
– Je pense qu’ils ont compris l’idée, Amir, intervint Kadir, le ton doux, car il sentait la peine que cet aveu causait à son ami.
Ce dernier acquiesça et se tut, sous le regard ému des trois Gaulois. Y avait-il réellement de quoi espérer ?
– Je pense… qu’elle croyait réellement bien faire, continua Kadir, un peu gêné et les yeux plongés dans le vide, songeur. Pour les siens.
Cette dernière phrase les plongea tous dans le désarroi. Qu’était-elle donc capable de faire, finalement ?
Valine serra les pans de son manteau contre elle et frissonna. Un vent fort soufflait sur son corps frêle et la froideur de l’air pénétrait à travers les tissus. Derrière elle, se dressait le bois qui séparait le village de la plage ; au seul coup d’œil qu’elle y jeta, elle vit un cerf disparaître derrière les troncs d’arbres, tâche marron éphémère sur cet environnement vert. A quelques pas de ses pieds, les vagues léchaient le rivage sans s’en émouvoir, comme si le temps n’avait pas de prise sur elles. Elle-même n’en tenait pas compte, le regard perdu vers l’horizon. Cela faisait plusieurs jours qu’ils étaient partis et qu’eux demeuraient sans nouvelles, sans savoir s’ils avaient atteint l’île, sans savoir s’ils avaient rencontré des problèmes, sans savoir s’ils avaient réussi ou échoué. C’était sans doute la première fois que le village tout entier se sentait si peu confiant en l’avenir et en leurs compagnons. Jusque-là, ils avaient réussi à traverser toutes les épreuves, mais peut-être que celle-ci était celle de trop… Valine, elle, se rendait tous les jours sur cette plage, dans l’espoir d’apercevoir le bateau de leurs amis qui annoncerait leur retour. Pratix l’y rejoignait souvent et tous deux y passaient parfois des heures avant que la lumière déclinante ou le temps ne les incitassent à rentrer. Leurs vies à tous demeuraient en suspens et même les rumeurs et les médisances avaient cessé ; l’on retenait son souffle, dans l’expectative. Comment finirait cette histoire ? Qui avait raison et qui avait tort ? Ces magiciennes étaient-elles seulement folles ou leurs actes étaient-ils justifiés, même un peu ?
— Valine, nous devrions rentrer. Cela ne sert vraiment à rien de rester ici et les nuages arrivent. Il va bientôt pleuvoir.
Pratix. Il pouvait être d’un pragmatisme si effrayant mais véridique ; les nuages s’amoncelaient au-dessus de l’eau et de leurs têtes et le ciel s’obscurcissait au fil des minutes. Au loin, une nef se dessinait à l’horizon mais, après quelques secondes, elle vit que le pavillon hissé en haut du mât avait les couleurs d’un peuple étranger. Son espoir s’éteignit à ce constat et elle baissa la tête, déçue. Elle se morigéna. Pour ce qu’ils en savaient, peut-être qu’ils n’avaient même pas encore atteint l’île, alors pour ce qui était de rentrer !
— Tu as raison, soupira-t-elle. Rentrons.
Elle se détourna de la mer dans un mouvement lent et emboîta les pas de son frère, qui veillait à ce qu’elle le suivît. Impuissants ils étaient, impuissants ils le resteraient à leur retour.
Ou jusqu’à l’annonce de leurs morts.
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