Si le trajet jusqu’au campement des hommes d’Ahmet avait été long et court à la fois, à cause de l’attente rendue interminable par l’incertitude, ce fut également le cas du trajet du retour mais les raisons en étaient différentes. Car ils étaient à présent quatre et si leurs deux accompagnateurs étaient doués de magie, ils n’étaient pas les rois de l’endurance. Astérix avait donc dû partager avec eux un peu de potion magique mais la gourde était déjà presque vide. Heureusement pour eux, des fumées coutumières s’élevaient au-dessus de la frondaison des arbres ; le village ne devait plus être très loin. Le fait qu’ils reconnussent cette partie de la forêt les confortait dans cette impression.
Ce constat galvanisa les deux gaulois qui augmentèrent instinctivement l’allure, sans tenir compte des deux mages qui peinaient à les suivre, le souffle court. Idéfix tenta bien de les leur rappeler mais ses aboiements furent sans effet et bientôt, ils disparurent de leur vue. Le petit chien décida donc de rester auprès des deux hommes pour les guider, car dans le cas contraire ils seraient définitivement perdus.
De leur côté, Astérix et Obélix gagnèrent l’entrée du village après de longues minutes, le cœur battant dans leurs oreilles. Ils s’arrêtèrent et le petit blond dut s’y reprendre à plusieurs fois pour recouvrer une respiration certes rapide mais presque normale, appuyé sur ses jambes pliées. Ils furent accueillis par des cris de joie et presque aussitôt, toute une foule s’amassa devant eux. Malgré la fatigue et la crispation qui affectait ses muscles, Astérix se redressa.
– Astérix ! Obélix ! Vous êtes enfin de retour ! s’écria Abraracourcix en écartant les bras, fièrement juché sur son bouclier portatif et le ton presque solennel, mais la bonhomie de son visage rompait avec cette gravité. Cela fait des jours que vous étiez partis et –
– Les avez-vous trouvés ? cria une voix parmi la foule, interrompant net leur chef dans son élan.
Celui-ci se renfrogna, mécontent. Les deux amis affichèrent alors un sourire rassurant, ce qui apporta un premier élément de réponse à leurs multiples interlocuteurs attentifs qui se détendirent.
– Oui nous les avons trouvés, à une certaine distance du village, répondit enfin Astérix après s’être humecté la bouche en vain.
Elle restait irrémédiablement sèche et la soif le tenaillait, ce qui s’entendit par sa voix rendue quelque peu rauque. Tous s’en rendirent compte.
– Décidément, nous manquons à tous nos devoirs ! s’exclama Abraracourcix avant de faire un geste de bras : Qu’on aille leur chercher de l’eau !
Plusieurs silhouettes se détachèrent du groupe quelques instants, et il ne fallut pas longtemps pour que l’on revînt, plusieurs gourdes d’eau en main. Astérix ne se fit pas prier et, après leur avoir adressé quelques remerciements, il but l’ensemble du récipient d’une traite. Obélix, lui, refusa ; cette course l’avait à peine éprouvé. Ce fut durant ce court instant de silence qu’arrivèrent les deux mages précédés par Idéfix.
Leur présence étonna les villageois mais ils n’osèrent pas s’enquérir directement à leur sujet. N’ayant pas connaissance d’un éventuel accord qui avait pu être conclu, ils préférèrent s’abstenir pour éviter un quiproquo susceptible de le rendre caduque. Ils étaient totalement dépendants des informations qu’ils leur apporteraient et de leur coopération.
Ils se turent donc, mais leurs regards interrogatifs portés sur les deux représentants du peuple oriental parlaient pour eux. Ces derniers étaient trop occupés à se remettre du trajet pour s’en tracasser.
– Donc ? demanda finalement Abraracourcix, peinant à masquer l’impatience qui perçait dans sa voix tandis que le druide, qui venait d’arriver, se frayait un chemin jusqu’aux deux amis.
Astérix rendit le récipient à son propriétaire qui hocha la tête avant de reculer. Il s’essuya la bouche et répondit, la main tendue pour présenter les deux nouveaux venus :
– Voici Amir et Kadir ; ils font partie de la troupe d’Ahmet. Ils ont accepté de nous accompagner à la poursuite des druidesses, jusqu’à leur ile s’il le faut, et de nous apporter leur aide en tant que mages.
Sa réponse laissa ses concitoyens perplexes.
— Les poursuivre ?
— Des druidesses ? Ce sont vraiment des druidesses ?
— C’est ridicule !
Un murmure parcourut la foule. D’abord étonné mais réservé et rempli de crainte face à leur fonction, la rumeur enfla et gagna en enthousiasme. Finalement, la nouvelle fut très bien accueillie. Savoir que des êtres doués de magie accompagneraient leurs guerriers qui en étaient dépourvus sur le territoire de femmes qui la manipulaient était, somme toute, plutôt rassurant, et représentait un gain d’espoir quant à la réussite d’une telle entreprise. Toutefois, en quoi était-ce nécessaire ? Ne devaient-ils pas juste déterminer l’identité de ces femmes et leur but ? Qu’en était-il à ce sujet ?
Panoramix fit signe aux autres de se calmer et il dut s’énerver pour obtenir le calme. Puis il intervint, les sourcils froncés :
— Comme tu peux le voir, Astérix, ta réponse nous étonne tous beaucoup. Que s’est-il passé ? Pourquoi devriez-vous les poursuivre ? Même si, à te voir, il semblerait que ce vol ait vraiment eu lieu, cela ne nous dit pas en quoi nous sommes concernés et pourquoi vous devriez les poursuivre vous aussi.
Le visage du petit gaulois se ferma. Il aurait préféré s’entretenir en privé avec leur chef et leur druide et les laisser se charger de clarifier la situation auprès des habitants, mais tous étaient trop empressés pour lui en accorder l’opportunité. Il n’était pas sûr, de ce fait, qu’Abraracourcix accédât à sa requête. Il finit par répondre :
— Ces femmes sont bien des druidesses, du moins se sont-elles présentées ainsi à ces hommes lors de leur rencontre, des années plus tôt. Elles ont vécu plusieurs décennies à leurs côtés, d’après ce que j’ai compris, avant de disparaitre tout à coup et de leur voler le Calice, un objet capable de faire basculer vers la folie même le plus sage des hommes. Avec la troupe d’Ahmet, le chef de ces hommes, nous avons remonté vers le Nord, à la poursuite de Yucca et de ses consœurs. Sur notre chemin, nous avons découvert que plusieurs villages avaient été attaqués… ou plutôt vidés. La destinée de ces disparus nous est inconnue.
Des hoquets d’horreur s’élevèrent tandis que chacun en venait à s’imaginer ce qu’il en était. Ils s’entreregardèrent les uns les autres, partagés entre plusieurs sentiments. Avaient-ils échappé de peu à un tel sort ? Mais pourquoi ?
— Et concernant leur but ?
Astérix secoua la tête en signe de dénégation.
— Nous n’en savons encore rien. Nous n’avons rencontré aucune de leurs représentantes. Cependant, les habitants du dernier village que nous avons rallié ont affirmé qu’elles sont parties vers l’ouest pour prendre le large, après ce que nous suspectons être une première utilisation du Calice.
— Elles sont parties ? s’exclamèrent certains, surpris.
— Mais pourquoi les poursuivre, dans ce cas ? Grand bien leur fasse et bon débarras !
— Pourquoi ce départ précipité ? C’est lié à l’utilisation du Calice ?
Les questions et les mots s’entremêlaient et de fait, Astérix avait du mal à répondre à chacune d’entre elles. Il n’avait qu’une hâte, réclamer un bateau pour se mettre à leur poursuite, ce qui était compromis dans l’immédiat. Une seconde fois, la foule dut être ramenée au calme afin qu’il pût parler.
— Apparemment oui, leur départ serait lié à l’utilisation du Calice ; son effet semble les diviser et refréner certaines d’entre elles à l’utiliser. Cela ne veut pas dire qu’elles ne reviendront pas ; elles doivent être parties rapporter les faits et attendre de nouvelles instructions.
— Mais que fait-il pour susciter une telle réaction ?
— Il semblerait que plusieurs habitants d’un village en sont venus à se massacrer à cause de lui.
Plusieurs exclamations stupéfaites fusèrent. Astérix les stoppa net avant que les questions ne les suivent :
— Ne me demandez pas pourquoi elles ont reculé à ce moment-là ; nous ne le savons pas. Peut-être parce qu’elles n’avaient pas cru que l’effet du Calice porterait si loin. Toutefois, cet événement nous montre la dangerosité de l’objet et la nécessité de le récupérer au cas où elles décideraient de le maintenir dans leurs plans et de le réutiliser sur nos terres. Nous ne pouvons laisser une telle chose se produire. Nous ne serons sans doute pas plus armés face à une telle magie que les villageois qui en ont déjà été victimes.
Les habitants acquiescèrent à ses propos. Rapidement, l’attention revint sur les deux mages qui s’étaient remis de cette marche forcée et qui se tenaient en retrait, tranquilles.
— Pourquoi ne l’ont-ils pas détruit ? fit un gaulois en les pointant du doigt.
— La réponse est évidente ; s’ils ne l’ont pas fait, c’est qu’il n’en existe aucun moyen, du moins aucun qui ne leur soit connu, le rabroua Panoramix avec un geste agacé. C’est un objet magique après tout, cela ne me surprend pas.
Puis il désigna les deux mages du doigt avant de demander d’un ton plus aimable :
– Y en aura-t-il d’autres ?
– Non, hélas, se désola Astérix, et il justifia aussitôt : D’après leur chef, Ahmet, venir avec une troupe armée serait du suicide. Ce sont de puissantes magiciennes et elles seraient en très grand nombre sur leur ile. Ils les ont poursuivies jusque-là dans l’espoir d’intercepter Yucca avant qu’elle ne rejoigne les autres ou qu’elles-mêmes ne repartent sur leur ile. Selon lui, adopter une stratégie bien plus discrète sera plus à même de porter ses fruits.
— Tu parles de t’infiltrer sur leur ile, n’est-ce pas ?
— Oui. Il nous faut une petite équipe discrète, capable de récupérer le Calice en toute discrétion et de repartir, en espérant ne pas se faire remarquer. C’est une mission dangereuse, certes, mais qui a plus de chances d’aboutir que si nous venions avec tous nos guerriers, au risque qu’elles nous abattent tous avant même que nous posions un pied à terre, dès qu’elles nous auraient repérés.
— E-effectivement, cela semble plus sage, marmonna Abraracourcix, peu ravi par la nouvelle. Elles sont si puissantes que cela ?
Astérix acquiesça, de même que les deux mages derrière lui, pris à témoin. Ils en furent davantage consternés.
— Comment avons-nous donc pu ignorer leur existence si longtemps ? chuchota-t-il alors, et ses paroles firent écho aux pensées de ses sujets.
– Merci pour votre venue et pour votre aide, fit Panoramix à l’adresse des deux mages.
Ces derniers demeurèrent de marbre, ce qui provoqua un malaise relatif parmi les gens les plus proches d’eux.
– Il nous faudra un bateau pour le voyage, reprit alors Astérix. Il nous faut également déterminer qui part.
– Pourquoi ? demanda Obélix d’un ton surpris, tandis qu’il se redressait après avoir récupéré Idéfix dans ses mains. Ne serons-nous pas que tous les quatre, avec Idéfix ? Je croyais que nous devions rester un petit groupe !
Astérix jeta un regard exaspéré vers son ami, mais ce fut sans effet ; celui-ci se contentait de le regarder, les yeux largement ouverts, dans l’attente de la réponse à sa question. Il soupira, dépité.
– Oui, Obélix, lui glissa-t-il finalement, mais peut-être que…
– Je viens également avec vous, dit Panoramix en s’avançant d’un pas pour se détacher des autres. Nous ne craignons rien, ici, enfin pas vous, ajouta-t-il à l’adresse des villageois. Après tout, c’est après les druides qu’elles semblent en avoir. Je préparerai et vous laisserai de la potion magique au-cas où et vous saurez vous débrouiller avec.
Savoir que leur druide souhaitait se risquer à une telle entreprise ne les enchanta pas du tout. Aussitôt, des protestations s’élevèrent mais Panoramix les fit taire d’un geste impatient.
– Voyons, n’en faites pas tant ; nous avons déjà été confrontés à des situations délicates et nous nous en sommes toujours sortis. Il en sera de même pour cette fois-ci !
– Mais il s’agissait de personnes normales, sans pouvoirs, argua Ordralphabétix, et tous appuyèrent ses propos par des hochements de tête affirmatifs. Là-bas, vous aurez affaire à des magiciennes que vous décrivez comme très puissantes.
Bien que pertinente – ce qui ne plut pas du tout aux deux compères qui se hérissèrent, pris de doutes –, la remarque fut aussitôt écartée par le druide.
– Je ne suis pas n’importe qui non plus, et nous ne nous apprêtons pas à les affronter. Cependant, nous ne pouvons demeurer sans rien faire. Il nous faut récupérer le Calice, affirma-t-il d’une voix ferme. Et si possible, déterminer ce qu’elles comptent faire. Elles s’en sont déjà prises à d’autres villages et à d’autres druides et sans doute elles ne comptent pas s’arrêter là. Par conséquent, il est nécessaire pour nous d’en mesurer le danger. Attendre ici qu’il vienne jusqu’à nous un jour probable, sans savoir exactement à quoi s’attendre, est encore plus risqué.
A cela, personne n’osa répliquer. La sévérité que démontrait leur druide à cet instant les en dissuadait, malgré l’envie qui les tenaillait. Mais les villageois étaient courageux face à l’adversité, quel qu’il fût – si tant est que ce ne fût pas le ciel lui-même qui se déciderait à tomber – alors quoi qu’il en fût, malgré leur scepticisme et leurs doutes, ils abdiquèrent.
De toute façon, ce n’était pas comme s’ils avaient réellement le choix.
– Bien, fit Panoramix, satisfait. Ainsi soit-il. Nous partirons –
– Je veux venir avec vous ! s’exclama soudain une voix un peu trop aigue parmi la foule, qui s’ouvrit pour céder la place à une jeune femme qu’ils reconnurent sans mal.
Valine.
Son père et son frère furent les premiers à réagir et apparurent aussitôt à ses côtés pour la saisir par le bras, comme pour la ramener à la raison. Elle se débattit.
– Lâchez-moi ! Vous ne m’en dissuaderez pas !
— Valine, ne raconte pas n’importe quoi et ressaisis-toi, enfin !
Sa voix remplie de détresse serra le cœur d’Astérix ainsi qu’à d’autres, car tous devinaient la raison de son intervention. Yucca. Elle avait été son amie durant son séjour. Elle aurait décidément laissé de nombreuses traces derrière son sillage.
– Je connais Yucca, argumenta-t-elle à peine libérée, grâce à ses agitations dignes d’une anguille. Elle –
– Valine.
La voix du druide claqua sèchement dans l’air et fit aussitôt cesser le début du discours que s’apprêtait à leur servir la jeune femme. D’abord surprise, elle se tut et le fixa, avant de se renfrogner. Elle devinait aisément ce que cela signifiait.
Et surtout que quoi qu’elle dît, la réponse était déjà toute trouvée.
Elle fut confortée dans cette idée lorsqu’il reprit la parole :
– Il n’est pas question que tu viennes avec nous.
Cette réponse la fit bondir d’indignation, malgré les tentatives de ses proches pour la calmer. Elle siffla.
– Et je peux savoir pourquoi ? Parce que je suis une femme ? répliqua-t-elle, cynique et véhémente.
Un silence ébahi accueillit ses paroles, devant un tel irrespect démontré envers leur druide. Cependant, elle n’en démordit pas – elle fut même ulcérée —. Elle ne doutait pas que c’était là le nœud du problème.
Cette société patriarcale, qui méjugeait ses filles, les excluait de nombreuses tâches pour les restreindre à la tenue du foyer et à l’enfantement.
– Vous voyez ! C’est exactement cet état d’esprit qui est la cause de ce que –
– Ça suffit, Valine ! aboya sèchement son père en lui agrippant une fois de plus le poignet pour la retourner vers lui. Fais montre de respect, à défaut d’intelligence !
Son frère restait en retrait, silencieux, les yeux rivés vers sa sœur mais perdu dans ses pensées.
– Il n’est pas question de ton sexe, répliqua Panoramix, les sourcils froncés et la voix basse mais ferme, plus menaçante encore ainsi que s’il s’était mis à crier. Il en va de même pour l’essentiel des autres ; comme nous l’avons déjà dit, ces femmes ne sont pas n’importe qui et cette entreprise est risquée. Tu n’as aucune idée du danger qu’elles représentent, et tu prétends vouloir nous accompagner alors que tu n’as aucune compétence à apporter au groupe. Il est hors de question que tu viennes avec nous !
Valine écarquilla les yeux puis, vaincue par l’argument, ses épaules s’affaissèrent. Elle n’osa rien répliquer et se mura dans un silence résigné, ce qui lui valut quelques œillades désolées, même si la plupart la jugeait encore avec sévérité après son éclat. Panoramix la fixa encore quelques secondes avant de soupirer.
Cette situation les irritait tous.
– Bien, reprit-il malgré tout, d’une voix ferme bien qu’il fût soudain gagné par la lassitude. Nous partirons donc tous les six mais pour cela, il faut affréter un bateau.
– Et pour aller où ? demanda Abraracourcix, tandis que la foule commençait à s’éparpiller, ne demeurant que les concernés – dont ceux qui étaient susceptibles d’intervenir dans les préparatifs du départ.
Tous se tournèrent vers les deux mages, qui étaient restés silencieux jusque-là. Ce fut le plus petit qui répondit :
– Prévoyez pour un long voyage, car notre destination est lointaine. Plusieurs jours au moins, si le ciel et la mer restent cléments. Prévoyez aussi de quoi tenir chaud, car nous nous dirigerons vers le nord.
Cette dernière phrase les fit frissonner, comme si un courant d’air froid avait soudain circulé à leur contact à cette simple évocation. Si le but des druidesses demeurait toujours aussi flou, le climat ne jouerait sans doute pas en leur faveur et ce simple constat les déprimait un peu plus encore.
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