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tome 1, Chapitre 12 tome 1, Chapitre 12

L’eau agitée par les vagues faisait écho à l’humeur troublée de Luna. Son regard argenté se perdait sur sa surface qui ondulait de plus en plus violemment tandis qu’elle était assise face à elle, ses pieds nus enfoncés dans le sable humide malgré la fraicheur du liquide qui les léchait à intervalles réguliers. Le ciel s’obscurcissait à mesure que la couverture nuageuse s’épaississait et fonçait, comme si elle se chargeait en humidité. La jeune femme ne doutait pas que la pluie arriverait bientôt mais elle se fichait bien de finir trempée. Le vent forcissait également et malmenait ses cheveux qui lui fouettaient le visage et ses vêtements qui gonflaient et se tendaient sous sa puissance – elle avait failli perdre son châle au moins deux fois. Pourtant, elle ne faisait rien contre cela, ni rien non plus pour y échapper. Elle admirait le paysage devant elle et percevait à peine le sifflement à ses oreilles, perdue dans ses pensées.

Elle était assise ainsi depuis de longues minutes, si longues qu'elle n'en tenait plus le compte. Sa distraction la détournait de son environnement, de sorte qu’elle ne perçût pas l’approche d’une personne dans son dos, et ce même lorsque celle-ci fut à quelques pas d’elle seulement. Il fallut qu’elle s’assît à côté d’elle pour qu’elle l’aperçût du coin de l’œil sans l’entendre toutefois. Pourtant, elle ne fit pas mine de réagir, comme indifférente à sa présence. Plusieurs secondes s’écoulèrent ainsi tandis que devant eux, le fracas des vagues s’accentuait.

— Nous devrions rentrer, tu sais, fit finalement Astérix avant de tourner son visage vers elle. Ça sent la tempête.

— Pas forcément, rétorqua Luna dans un murmure.

Elle leva le regard vers le ciel. Une goutte tomba sur son front et bientôt, une seconde la rejoignit sur sa joue. Elle ferma les yeux. Elle les sentait même si elles étaient petites et qu’elles tombaient encore de manière irrégulière et espacée ; il suffirait pourtant de quelques minutes pour que cela se transformât en pluie torrentielle et à voir le ciel, c’était même plus que probable.

— Peut-être pas, accorda le guerrier tandis que d’une main, il traçait des sillons humides dans le sable.

Il en prit une pelletée et l’observa distraitement, sans réellement réaliser ce qu’il regardait.

— C’est Valine qui t’a dit que j’étais ici, n’est-ce pas ?

Le ton de la jeune femme était neutre et Astérix ne sut pas exactement comment l’interpréter, si elle éprouvait une quelconque rancœur à l’égard de son amie. Il en doutait. Il haussa les épaules ; il ne voyait aucune raison de lui mentir.

— Oui. Je le lui ai demandé après l’avoir vue revenir de la plage. Je me suis douté qu’elle était ici avec toi et que tu avais dû y rester, elle n’a fait que confirmer.

— Oui. Des choses à régler avec ses parents…, souffla Luna, songeuse.

— Tu repenses encore à ce qu’il s’est passé ce matin ?

La fameuse bataille. Enfin, si l’on pouvait appeler cela ainsi. Comment aurait-elle pu l’oublier ? Cela ne datait même pas d’une journée ! Et puis, les regards qui la dévisageaient ne cessaient de le lui rappeler. Celui des femmes surtout. Des regards de défiance, comme si tout à coup, elle était devenue dangereuse. Comme si elle s’était transformée en louve affamée susceptible de tous les dévorer. Elles étaient ridicules. Mais elles n’étaient pas les seules car quelques hommes s’y étaient mis aussi désormais. Et si elle était parvenue à passer outre le snobisme dont elle était victime depuis son arrivée, ce n’était plus exactement la même chose à présent. Avant, ce n’était qu’une réaction de méfiance sans grande conséquence – dès lors qu’elle tâchait de les ignorer – mais à présent, la situation commençait à prendre une toute autre ampleur et leur crainte trouvait un fondement, même fallacieux. Et même si pour le moment, le chef du village, Abraracourcix, avait déclaré réserver aux étrangers le même accueil qu’ils avaient reçu ce jour s’ils réitéraient leurs exigences, elle-même n’en était pas réellement certaine. La peur avait parfois un tel effet sur les gens ; sans doute serait-elle aisément sacrifiée si une émeute éclatait.

Elle haussa vaguement les épaules, comme si l’évocation ne lui faisait aucun effet mais Astérix ne fut pas dupe. Il lâcha le sable et se brossa les mains sur ses braies avant d’en poser une sur le bras de Luna pour la serrer amicalement. Celle-ci tourna son regard brillant vers lui, malgré tout assombri par la luminosité décroissante. Il se perdit dedans et essaya d’identifier les lueurs qui l’illuminaient mais elles demeuraient insaisissables – il n’en devina qu’une partie mais il était certain que ce n’était pas tout. Quelque chose obscurcissait ses pensées, quelque chose qui la faisait douter, mais il ne savait ni quoi, ni pourquoi. Il savait qu’elle ne le lui dirait pas. Pas maintenant.

— Tu ne devrais pas t’en faire autant, tu sais. Nous ne les laisserons pas te récupérer.

Un sourire triste allongea brièvement les lèvres de la jeune femme, fugace mais perceptible. Une fois de plus, Astérix discernait son doute mais n’en comprenait pas l’origine. Ils étaient un peuple juste et droit et tenaient leurs promesses ; quelques rumeurs à son sujet ne feraient pas disparaitre cela.

— Je n’en suis pas si sûre. Certains parmi les tiens semblent donner un peu de crédit aux propos de ces hommes.

Une bouffée d’indignation gonfla la poitrine du guerrier, d’autant plus qu’il savait de qui elle parlait. Lui-même avait vu plusieurs regards se transformer et quelques murmures se répandre. Et pas plus loin que sous sa propre hutte – sa mère avait tenté de convaincre son père qu’elle était sans doute plus dangereuse qu’elle n’y paraissait, mais ce dernier avait heureusement joué la sourde oreille.

— Et comment pourrais-je les détromper, de toute manière ? continua Luna d’une voix ténue et malheureuse. Je ne me rappelle de rien. Juste que ce calice est important pour moi mais je n’ai aucun souvenir remontant à avant notre rencontre. Et puis, nous ne savons toujours pas comment j’ai été blessée ni par qui. Et si –

— Ne dis pas cela, la coupa Astérix en serrant inconsciemment sa prise sur son bras sans aller jusqu’à lui faire mal, et par ce geste il attira sur lui le regard surpris de la jeune femme. Ces hommes racontent n’importe quoi pour t'obtenir, toi ainsi que cet objet, mais cela s’arrête là. Tu n’as rien à te reprocher, tu sais.

— Qu’en sais-tu ? souffla Luna en secouant la tête, perdue et résignée.

Il porta sa main à son menton et le lui redressa pour plonger son regard dans le sien.

— Parce que tu n’es pas comme ça. Tu n’es pas la personne qu’ils ont décrite.

Luna le fixa quelques secondes, interloquée, avant de détourner le visage en soupirant, tout en écartant la main qui bloquait sa tête d’un geste mou. Toutefois, sa main tenait toujours la sienne et Astérix ne chercha pas à changer ce fait. S’il était troublé par ce contact, il l’était davantage par la tristesse qui émanait de la jeune femme. A aucun moment il n’avait réalisé que cette scène avait eu tant d’effet sur elle et à présent, il commençait à s’en vouloir.

— De toute façon, ce n’est pas exactement le problème.

Astérix ne comprit pas du tout son affirmation. Il chercha le regard de la jeune femme dans l’espoir de percer ce mystère, cependant il lui demeura inaccessible. Il finit par abandonner, songeant qu’elle finirait par parler d’elle-même au moment où elle se sentirait enfin prête à se livrer. Elle conserva le silence ; ce serait sans doute pour une autre fois.

Le tonnerre gronda sans qu’aucune lumière ne déchirât le ciel mais le petit guerrier ne put s’empêcher de frissonner. Il n’avait pas réellement peur de l’orage mais cette situation était assez inconfortable pour lui – car après tout, les irréductibles gaulois n’avaient peur que d’une chose, que le ciel leur tombât sur la tête. Il savait, pour en avoir vécu d’innombrables autres, que ce ne serait pas le cas mais ce n’était pas pour autant qu’il appréciait le moment. Les éclairs étaient dangereux et ils ne pouvaient se prémunir d’eux. A part en se réfugiant hors de leur portée.

— Le temps se dégrade, nous devrions vraiment rentrer, insista-t-il alors, le regard appuyé vers elle.

La pluie s’accrut et il ne se releva pas, dans l’attente d’une réaction de la part de la jeune femme. Celle-ci soupira, un air distant peint sur le visage, mais elle finit par se redresser sans prendre la peine d’épousseter sa robe, salie par le sable humide. Il en fit de même et d’un geste distrait, il replaça le châle sur les épaules de la jeune femme, bien qu’il fût plus qu’inutile à présent qu’il était mouillé. Il amorça un premier pas en direction du village mais dut patienter quelques secondes avant qu’elle ne le suivît. Ils quittèrent la plage ensemble. L’averse tombait drue à présent et comme prévu, leurs vêtements furent rapidement détrempés. Astérix ne put qu'observer du coin de l'oeil son amie frissonnante sans être capable de l’aider ; sa propre tunique dégoulinante ne lui serait d’aucun secours.

L’essentiel du trajet se fit en silence. Alors qu’ils remontaient le chemin en direction des habitations, la voix de la jeune femme s’éleva soudain, ce qui le surprit par la même occasion :

— Yucca.

Il lui retourna un regard étonné.

— Pardon ?

Etait-ce le nom d’une plante ? Dans ce cas, il ne comprenait pas du tout la raison pour laquelle elle le prononçait soudain, ni son intérêt. Il se demanda si par hasard ils l’avaient croisée sur leur route. Son air lointain tendait à le détromper.

— Ce nom… il me revient, de temps à autre, reprit-elle d’un ton distrait, comme si elle continuait de parler sans avoir la réelle intention de répondre à son interrogation. Je crois que c’est mon prénom.

Un léger sourire se dessina sur les lèvres du gaulois. Il ne savait pas d’où cette pensée lui venait, comment un tel souvenir lui était revenu, si tant est que c’en fût un, mais c’était certainement encourageant.

Enfin, mieux valait le considérer comme tel.

— C’est génial ! s’enthousiasma-t-il sans se risquer à lui demander si d’autres choses lui revenaient également.

Elle le lui aurait sans doute déjà dit si cela avait été le cas.

Comme Luna était toujours aussi maussade, il se rapprocha d’elle pour lui prendre la main. Elle sursauta à son contact puis se détendit à sa vue. Son air rassurant acheva de l’apaiser.

— Ne t’inquiète pas. Tu finiras bien par récupérer tes souvenirs, tu verras.

Même si, pour lui-même, il n’était pas exactement sûr de le vouloir. Pas si cela signifiait son départ du village et de sa vie.

Luna ne s’en rendit pas compte et se contenta de lui renvoyer un air mystérieux, accentué par un mince sourire à la signification trouble qu’il ne devina pas.

— Tu as raison. Nous verrons.


Texte publié par Ploum, 2 janvier 2019 à 16h18
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