– Ce que vient de dire Bonnemine est réellement préoccupant, tu ne trouves pas ? Qu’une étrangère blessée échoue dans notre village et qu’on l’aide, soit, c’est une chose, mais ce n’est…
Son mari soupira et ne voulut pas en entendre davantage. Sa femme radotait les commérages retransmises par ses quelques anciennes amies qu’ils avaient croisées il y avait de cela quelques minutes déjà et c’était réellement fatiguant. Ils avaient rencontré quelques hommes et certains leur avaient également parlé de cette étrangère mais leurs témoignages différaient totalement de ceux de leurs femmes. Toutefois, Praline s’entêtait à ne considérer que les dires de ses homologues féminines, comme s’ils ne pouvaient donner crédit qu’à ces derniers.
– Tu ne crois pas que tu exagères ? finit-il par protester, las. Tu n’as même pas croisé cette femme. Attends au moins de la rencontrer pour t’en faire ta propre opinion !
– Oh, mais elle est déjà toute faite, lui répondit sa femme en reniflant avec dédain. Et je ne doute pas qu’elle ne changera pas d’ici là !
Astronomix soupira. La mauvaise foi féminine ! Dommage que son ami Obélodalix ne fût plus là, lui et sa femme ayant pris la direction de la carrière où travaillait leur fils. Enfin, ils apercevaient la hutte de leur fils devant eux ; le supplice devrait bientôt se terminer.
Enfin, peut-être pas…, songea-t-il quelques secondes plus tard tandis que deux femmes sortaient de la hutte, suivies d’Astérix, le balai à la main et leur faisant signe d’au revoir tandis qu’elles sortaient. Scène étrange mais il ne s’attarda pas sur ce détail et il préféra plutôt observer les deux femmes en question. Il reconnut la première, une petite brune fine à la chevelure dense ; il lui fallut réfléchir quelques secondes pour cela, ne l’ayant pas vue depuis un moment déjà : Valine, la fille d’Obstétrix. Par contre, la seconde ne lui évoqua rien du tout et il comprit aisément qu’il s’agissait là de la fameuse étrangère. Il comprit également l’origine des rumeurs qui couraient sur elle.
C’était indéniablement une très belle femme. Comme Valine et celle-ci passaient près d’eux avec une salutation polie, il eut le loisir de la voir de plus près un court instant. La robe qu’elle portait, somme toute quelconque, soulignait sa taille et mettait bien en valeur sa silhouette élancée et ses jambes fuselées. Ses longs cheveux blonds tombaient librement sur ses épaules et encadraient un visage fin et pâle aux traits doux. Mais ce qui le marqua le plus furent ses yeux lorsqu’elle les tourna brièvement vers lui. Gris et brillants comme de l’argent. Elle semblait à peine sortir de l’adolescence – Astronomix ne lui donnerait pas plus de vingt ans.
Une très belle femme, se répéta-t-il en pensée en arborant instinctivement un air appréciateur, et il remarqua trop tard le regard furibond que lui renvoya son épouse à son propre sourire. Il tâcha de le faire disparaitre avec un soupir, même s’il estimait que c’était tout à fait inutile.
– Praline, tu sais bien que ce n’est plus de mon âge…
Enfin, ce n’était pas tout à fait vrai, si l’on considérait l’exemple d’Agecanonix et de sa femme. Mais il ne voulut pas s’attarder là-dessus et pria pour que sa femme ne le fît pas non plus.
Heureusement pour lui, elle ne lui en fit pas la remarque tandis qu’ils approchaient de la maison de leur fils. Ce dernier était resté sur le perron à fixer les deux silhouettes qui s’éloignaient et cela n’empêcha pas Praline de glisser d’une voix acerbe à son mari :
– Les rumeurs sont tout à fait fondées, on dirait.
Astronomix décréta qu’il valait mieux pour lui ne pas répondre, même s’il n’était pas du tout d’accord avec elle. Il savait déjà que ce serait inutile car elle s’entêterait à ne pas l’écouter.
Astérix finit par remarquer leur approche et se tourna vers eux, le visage surpris, avant qu’un sourire n’éclairât son visage. Il en lâcha son balai.
– Maman ! Papa !
– Mon chéri !
Puis ce fut le moment des embrassades. Les trois parents remplis d’émotions à ces retrouvailles, elles durèrent quelques minutes, le temps pour eux aussi de prendre de brèves nouvelles de chacun, histoire de savoir comment ils allaient. Astérix se détacha finalement d’eux pour les observer tour à tour, avant de s’étonner :
– Mais qu’est-ce que vous faites ici ?
La dernière fois qu’ils étaient venus, c’était pour son anniversaire, quelques mois plus tôt – retrouvailles un peu pimentées par l’arrivée de Latraviata et leurs aventures qui en avaient découlées. Ils étaient rarement venus au village depuis leur déménagement à Condate mais la ville était loin, ce qui n’était pas évident pour eux, et ils avaient du travail là-bas. Il devrait sans doute leur rendre visite plus souvent, ce qu’il ne faisait quasiment jamais à l’heure actuelle. Il quittait régulièrement le village pour une aventure ou une autre et même lorsqu’il passait à Condate, il ne pensait pas à venir les voir à leur boutique ou chez eux.
– Quoi, il nous faut désormais une raison pour avoir le droit de rendre visite à notre fils chéri ? rétorqua sa mère d’un ton amusé, un sourcil haussé.
– Non, enfin si ! Je ne – Ce n’est pas ce que je voulais dire ! Mais vous…
Astronomix se mit à rigoler et le rassura aussitôt :
– Il n’y a rien de particulier, si ce n’est que le commerce est plutôt calme en ce moment. Nous nous sommes donc dit que c’était l’occasion pour nous d’en profiter !
– Vous avez des problèmes pour faire fonctionner votre commerce ? s’enquit Astérix, intrigué.
La dernière fois qu’ils s’étaient vus, leur boutique de souvenirs avait l’air de très bien fonctionner, du moins de ce qu’ils en avaient dit.
– Non, non. Les impondérables saisonniers, dirons-nous. Ça ne nous pose pas de réelles difficultés – la saison précédente a été très bonne ! Mais ça se calme en ce moment. Il n’y a pas beaucoup de touristes mais ils devraient revenir en masse dès le mois prochain. Que dire d’autre ? Tout se passe bien de notre côté. Il y a bien quelques rumeurs concernant des mouvements en provenance du sud, mais cela ne nous inquiète pas – les quelques voyageurs qui passent ne sont pas inquiets.
– Bah, César s’est peut-être lancé dans une nouvelle conquête, supposa Astérix en agitant la main d’un geste négligent. Je suppose que ça l’occupe.
Il n’y réfléchit pas davantage et n’ajouta rien. Le silence s’installa juste quelques secondes.
– Tu ne nous fais pas entrer ? lui demanda alors sa mère et il s’excusa en bafouillant, ramassant son balai par la même occasion.
– Si si, bien sûr, entrez ! fit-il en leur désignant la porte ouverte, et Praline ne manqua pas de scruter les lieux avec application.
Malgré qu’une présence féminine habitât ces lieux depuis plusieurs jours déjà, la pièce demeurait la même que dans son souvenir, même en ce qui concernait la propreté. Il ne semblait y avoir aucune trace de son passage, si ce n’était la couche que son fils s’était installé pour céder son lit à la jeune femme. Elle fut au moins satisfaite qu’ils fissent lits à part, bien qu’elle ne doutât pas de l’intégrité de son fils, cela dit. Juste de l’influence que cette femme pourrait développer sur lui à l’avenir – ou peut-être même déjà dans le présent.
Et elle n’avait même pas le mérite de s’occuper de la maison, en plus.
– Nous avons entendu parler de la jeune femme que tu loges depuis quelques temps, déclara-t-elle alors sans préambule en tournant un visage sévère vers son fils.
Astronomix grimaça tandis qu’Astérix se tendait. Les yeux de ce dernier se plissèrent. Il devinait sans l’ombre d’un doute ce qu’ils avaient bien pu entendre d’autre.
– C’est exact, confirma-t-il bien qu’il ne voulût en aucun cas glisser sur ce terrain-là. J’héberge Luna depuis que Panoramix me l’a confiée, après avoir soigné ses blessures et alors qu’il partait. Elle avait besoin d’un endroit calme où se reposer et de quelqu’un pour surveiller l’évolution de ses blessures.
– Et elle est toujours là ? Panoramix est pourtant revenu depuis longtemps, non ?
– Praline…, tenta alors son mari pour la dissuader de poursuivre cette conversation.
Ce qui fut bien inutile, de toute façon.
– Oui. Ce n’est pas comme si elle avait foule d’endroits où aller, elle est amnésique en plus, répliqua Astérix d’un ton quelque peu agacé. Et contrairement à ce que certaines doivent penser et à ce qui peut se raconter, nous ne sommes qu’amis ; il ne se passe rien de plus.
– Je n’en doute pas, rétorqua sa mère mais son visage ne transmettait pas le même message ou du moins si c’était le cas, quelque chose d’autre ne lui plaisait pas.
Astérix fronça les sourcils. Il détesta d’autant plus les femmes et leur amour des commérages.
– Luna n’est pas comme ça, fit-il, et il ne put empêcher son ton de devenir agressif.
Lui-même en fut étonné mais ses parents plus encore, et ces derniers lui adressèrent des visages stupéfaits à ses paroles. Jusqu’à ce que Praline ne s’exclamât, catastrophée :
– Ne me dis pas que tu es amoureux de cette femme !
Tous trois se figèrent. Astérix songea dès le début à la démentir mais son regard soudain fuyant et la contraction de ses poings autour du manche en bois inutile trahirent ses pensées. Sa mère pâlit et ouvrit la bouche en même temps mais aucun son n’en sortit. Elle était encore trop abasourdie pour cela. Astronomix, lui, se contenta de cligner des yeux tandis qu’il digérait la nouvelle informulée mais s’en remit bien mieux et plus vite que sa femme.
– Tu as décidément bon goût, Astérix.
Ce dernier se mit à rougir.
– Astronomix ! s’offusqua Praline.
– Quoi ? C’est vrai, tu ne peux pas le nier ! C’est peut-être même, et sans nul doute, le seul problème que vous autres les femmes puissiez lui trouver !
Elle ne répondit pas mais se mordit les lèvres, ce qui était suffisamment révélateur. Elle préféra se retourner vers son fils, les yeux remplis de reproches.
– Tu devrais pourtant savoir qu’il faut te méfier, surtout après ce qu’il s’est passé la dernière fois ! reprit-elle, et les deux hommes comprirent parfaitement à qui elle faisait référence – Latraviata.
Astérix se retint de se frapper le front, tâchant juste de caler le balai contre le mur pour éviter de se cogner la tête contre le manche. Cela ne valait certainement pas la peine de s’ouvrir le crâne pour des choses aussi ridicules.
– Cela n’a strictement rien à voir, rétorqua-t-il finalement, irrité. Latraviata est une comédienne et elle était en mission.
Et il ne lui en voulait pour rien au monde, étant resté en très bons termes avec elle. Même s’il savait que son père aurait préféré qu’ils fussent en de bien meilleurs termes que cela ne l’était à l’heure actuelle, depuis qu’elle les avait quittés.
– Et ça s’est très bien terminé au final, ajouta-t-il alors que sa mère ouvrait la bouche pour protester. Je ne vois pas pourquoi tu en fais encore toute une histoire.
Le visage de sa mère s’assombrit mais elle ne put effectivement s’opposer à ce sujet puisque l’incident s’était clos sans réelles conséquences. Une aventure comme une autre, en somme. Mais elle était sûre qu’il ne fallait tout de même pas prendre les choses avec autant de légèreté comme Astérix avait tendance à le faire. Cela fonctionnait jusqu’à temps que cela ne fonctionnât plus – et même si elle savait leur village puissant, elle redoutait le jour où leur force serait insuffisante et où leur assurance se retournerait contre eux.
Mais peut-être que dans ce cas ne fallait-il pas craindre jusque-là, effectivement.
– On verra ce qu’il en est, conclut-elle comme elle abandonnait la partie.
Mais pas la guerre, comprit Astérix à son air fier et à ses lèvres pincées. Il soupira. Priant pour qu’elle n’insistât pas trop longtemps…
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