– A tout à l’heure !
Après un signe de la main en guise d’au revoir, Luna se retourna et rejoignit Valine sur le chemin qui menait au-dehors du village jusque dans la forêt. Près d’elles, le frère de Valine, qui les attendait en silence, les suivit comme une ombre. La plupart des villageois trouvait cette mesure exagérée puisque les deux jeunes femmes partaient juste à la cueillette et cela faisait bien déjà quelques semaines qu’ils avaient trouvé Luna sans que rien ni personne ne fût venu la leur réclamer. Mais Pratix comprenait l’inquiétude du petit Gaulois et avait accepté de les accompagner – par souci pour sa sœur, également.
Les deux amis étaient heureux que Luna eût finalement réussi à se faire une amie parmi les jeunes femmes du village, et en même temps ils n’étaient pas tant étonnés que cela que ce fût Valine. Cette dernière était partie faire des études à Lutèce pendant quelques années et était revenue quelques jours plus tôt et, contrairement à Falbala, sans aucun futur mari ni même aucune envie de se marier un jour. Cela avait bien fait grimacer son père mais comme ce dernier l’adorait, il ne s’en était pas formalisé ; de toute façon, elle était encore jeune et avait le temps de se trouver un homme qui lui convînt. Et c’était sans doute cela qui les avait rapprochées, entre autres.
Mais cela n’avait pas été sans conséquences, surtout pour Valine. Car elle aussi avait désormais droit à son lot de médisances, surtout à cause de sa corruption par l’Etrangère et ces mois passés hors du village, qui semblaient n’avoir qu’élargi le fossé entre elles, renforçaient cette défiance grandissante à son égard. Mais à présent qu’elles étaient deux, les deux jeunes femmes s’en fichaient bien. C’était toujours ça de pris et les autres finiraient bien par se lasser.
Sans compter qu’elles avaient aussi Pratix, nos deux amis et Panoramix qui les soutenaient du mieux qu’ils le pouvaient.
Les deux guerriers lui rendirent son salut tandis que les trois personnes s’éloignaient. Idéfix aboya en retour, enthousiaste, comme c’était le cas à chaque fois que cette scène avait lieu. Comme l’autre main d’Astérix tenait distraitement son balai, il faillit le lâcher. Le fait de devoir le rattraper eut toutefois le mérite de le ramener au présent et il se retourna vers Obélix.
– Tu vas à ta carrière ?
Le rouquin haussa les épaules.
– Peut-être. J’ai des commandes mais j’ai encore le temps. Je suppose que nous n’irons pas chasser maintenant ?
Même si c’était leur heure habituelle, Astérix n’avait rien du chasseur enthousiaste prêt à partir. Le petit gaulois secoua la tête, dubitatif.
– Non. Les mouvements des animaux perturberaient leur cueillette et pourraient provoquer un accident.
Puis son air se fit hésitant, ce qui lui valut un regard interrogateur de la part de son ami. Astérix avait rarement l’air si peu sûr de lui.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Est-ce que je peux te parler quelques minutes ? demanda alors le petit guerrier d’une voix soudain plus basse, ce qui fit froncer les sourcils de son ami.
Des cachotteries ? Un secret ? Mais pourquoi ?
De nouveau, Obélix haussa les épaules. De fait, Astérix ne paraissait pas angoissé, il n’y avait donc rien à craindre ; il était juste gêné et jetait quelques œillades autour d’eux, bien que les quelques personnes présentes se trouvaient à bonne distance d’eux. Ce petit manège accentua la curiosité du rouquin.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
Sa question traduisait bien sa réponse, non ? En tout cas, Astérix comprit et lui adressa un petit sourire de remerciement. Qui disparut bien vite pour être remplacé par une mine soucieuse. Le guerrier se mit à balayer les alentours du regard une nouvelle fois et même si peu de gens circulaient tandis qu’ils vaquaient à leurs occupations, il estima que c’était trop.
– Pas ici, fit-il en lui désignant sa porte ouverte du manche du balai dont il avait presque oublié l’existence au cours des secondes précédentes.
Mais il s’était rapidement rappelé à lui alors qu’il avait failli le lâcher par négligence. La question fut rapidement réglée lorsqu’il le posa contre le mur avant de faire signe à son ami.
Sans un mot, Obélix hocha la tête et ils rentrèrent à l’intérieur de la hutte. Astérix prit soin de fermer la porte derrière eux tandis que son ami se calait contre le mur. Idéfix, lui, se coucha près de la cheminée éteinte et lui-même s’installa sur une chaise, soudain mal à l’aise. Il serait bien allé fermer les fenêtres mais elles l’étaient déjà. Au début, Astérix garda le silence tandis qu’il cherchait ses mots, mais cela ne fit qu’inquiéter son ami. Il l’interpella une première fois, sans résultat ; Astérix était trop perdu dans ses pensées pour l’entendre.
– Astérix, qu’est-ce qu’il se passe à la fin ? Réponds-moi ! s’écria-t-il alors en quittant son support pour venir à ses côtés.
Son éclat fit sursauter le blond et lui fit soudain réaliser la méprise de son ami. Il secoua la tête, légèrement amusé.
– Rien d’inquiétant Obélix, rassure-toi…
Puis il se troubla de nouveau et Obélix eut la surprise de découvrir une rougeur commencer à colorer les joues de son ami. Il ne comprit pas.
– C’est à propos de Luna.
Les sourcils du rouquin se redressèrent à la mesure de son incompréhension grandissante.
– Euh…, fut-il tout juste capable de dire, essayant de deviner la suite sans y parvenir.
Car si ce n’était rien d’inquiétant, pourquoi tant de cérémonies pour parler de Luna et pourquoi en rougir ? Les jours passant, une certaine complicité s’était créée entre eux trois, tandis qu’ils l’accompagnaient à ses cueillettes avant qu’elle ne rencontrât Valine. La jeune femme était devenue leur amie. Alors pourquoi attendre son départ pour se cacher dans sa hutte seulement tous les deux – enfin, trois en comptant Idéfix – et discuter à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes au sujet de leur amie ?
Mais Astérix ne le remarqua pas tandis que de nouveau, il s’efforçait de trouver une tournure adéquate pour le lui avouer. Finalement, il soupira d’un air désabusé comme s’il se trouvait lui-même ridicule. Puis il se lança :
– Je crois que je suis amoureux d’elle.
Et là, Obélix ne comprit toujours pas.
– Hein ?
Tant de cachotteries pour ça ? La chose en soi ne l’étonnait pas outre mesure même s’il n’avait rien remarqué, mais ils n’en avaient pas tant fait quand ils avaient découvert son amour pour Falbala, quand même !
– Je sais ce que tu te dis, poursuivit rapidement Astérix tandis qu’il observait l’air stupéfait d’Obélix qui n’était pas près de s’effacer, l’interprétant à sa façon de manière précipitée. Je devrais sans doute suivre mes propres conseils que je t’ai donnés lorsque Falbala –
Ah non, raté, il n’était pas encore si loin dans le fil de ses pensées. Mais à présent qu’il le disait, tout bien considéré, il était vrai que ce n’était pas logique qu’il –
– Mais il n’y a pas que nous. Je crains que, d’une manière ou d’une autre, cela puisse lui retomber dessus. Les femmes ne l’acceptent toujours pas – même si à présent, elles préfèrent l’ignorer – mais j’ai peur que si quelqu’un venait à l’apprendre, cela puisse relancer les choses. Voire surtout les aggraver. Elles imaginent déjà certainement que nous couchons ensemble, alors si tous apprenaient mes sentiments pour elle… !
Obélix l’observa les yeux ronds, l’air encore plus perdu que précédemment. A ce moment-là Astérix secoua la tête, dépité, et ne le réalisa donc que trop tard.
– Mais vous ne dormez pas ensemble !… Et puis pourquoi cela poserait tant problème ?
– Nous ne sommes pas mariés, Obélix, et nous – Enfin peu importe, fit-il en écartant cette question délicate d’un geste de la main – car de ces choses-là, Obélix en était resté aux petites fleurs ; il reprit donc. Elle n’a rien demandé et ne mérite pas ça. Elle est amnésique aussi, mais qu’en sera-t-il lorsqu’elle aura recouvré la mémoire ? Elle voudra très certainement retrouver sa famille et… et son mari aussi, souffla-t-il d’une voix douloureuse, comme si ces derniers mots avaient eu du mal à sortir. Et puis de toute façon, je doute qu’elle ait les mêmes sentiments pour moi, acheva-t-il légèrement abattu avant de baisser son regard vers le sol.
Obélix ne sut alors quoi lui répondre et se laissa retomber sur la première chaise qu’il parvint à attraper. Il n’était certainement pas doué pour consoler les gens et d’après ce que son ami venait de dire, il doutait que l’encourager comme Astérix l’avait fait pour lui ne l’aidât d’une quelconque manière. Il avait déjà balayé les arguments qu’il aurait pu avoir et même ceux auxquels il n’aurait de toute manière pas songé. Alors il ne sut pas quoi répliquer même si intérieurement, il savait qu’Astérix ne devait pas se laisser aller. C’était tellement contraire à son tempérament en plus.
– Mais… tu comptes faire quoi ?
Après tout, peut-être Astérix avait-il pensé à quelque chose pour se tirer de cette impasse ? Pourtant, son air sombre semblait vouloir tuer tous ses espoirs.
– Rien du tout, pourquoi ?
Et de nouveau, le guerrier blond baissa le regard vers le sol, comme une ultime échappatoire à sa peine. La gorge d’Obélix se serra et quelques larmes traitresses gagnèrent ses yeux. Il était trop sensible. Mais son meilleur ami était malheureux et il ne pouvait pas y être insensible. Mais que pouvait-il y faire ? En parler à Luna ? Il n’était pas sûr qu’Astérix appréciât ; il semblait vouloir garder le secret entre ces murs. Arranger les choses avec les autres femmes ? Là encore, il risquait d’empirer la situation, ne sachant pas comment la résoudre – il ne comprenait même pas d’où venait le problème, alors cela n’aidait pas. Mais alors quoi ? Il y avait bien quelque chose à faire, non ?
– Merci de m’avoir écouté, Obélix.
Il se redressa et la chaise racla sinistrement contre la terre froide et battue du sol. Son visage était à présent fermé, comme s’il s’évertuait à contenir les émotions qui l’agitaient.
– Tu… tu comptes réellement abandonner comme ça ? hoqueta finalement Obélix, tandis qu’Idéfix se mit finalement à gémir doucement, en écho à l’affliction du petit guerrier.
Si Astérix était bien connu pour quelque chose, c’était pour son courage et son entêtement. Or là, ils semblaient l’avoir déserté. Quelque chose devait lui échapper – mais il ne comprenait déjà pas la gravité qu’il accordait à ses arguments. Car si elle l’aimait en retour, alors qu’importaient les ragots et les avis des femmes du village ? Et sa famille ne pourrait pas y être un obstacle, non ? Etrangement, il doutait qu’elle fût mariée – mais il serait incapable de dire si c’était parce qu’il ne voulait pas qu’elle le fût. Car ce fait résoudrait le problème de manière définitive, mais pas dans le sens qu’ils voudraient.
– Que veux-tu que j’y fasse ? J’avais juste besoin d’en parler à quelqu’un, tu sais, continua-t-il, la mine fermée mais fissurée, laissant ainsi transparaitre ce qu’il ressentait contre sa volonté. Ne t’inquiète pas, ça finira bien par passer, fit-il alors en lui adressant un pauvre sourire, espérant ainsi clore le sujet.
Après tout, Obélix avait bien réussi à se remettre de son amour à jamais à sens unique pour la jolie blonde, alors pourquoi pas lui ? D’autant plus que lui-même n’espérait pas comme cela avait été le cas d’Obélix – jusqu’à ce que son cœur ne se brisât lorsqu’ils avaient découvert ses fiançailles avec Tragicomix. Ce serait d’autant plus rapide pour lui, n’est-ce pas ?
Etrangement, il n’était pas aussi optimiste mais il espérait que c’était juste dû à sa morosité actuelle.
Mais Obélix n’était pas dupe, le visage de son ami laissait trop bien voir son état à cet instant. Ses yeux se plissèrent et il ne put empêcher de grosses larmes de s’écouler sur ses joues.
– Oh, Astérix ! s’exclama-t-il en se précipitant vers lui pour le prendre dans ses bras et le serrer contre lui en pleurant, pleurant pour Astérix qui se refusait de céder à sa propre tristesse.
Ce dernier lutta bien contre cela, mais la peine partagée par son ami et ses sanglots eurent finalement raison des barrières qu’il avait tenté d’ériger ; quelques gouttes traitresses glissèrent entre ses paupières malgré qu’il les eût fermées pour éviter cela. Cependant Obélix ne le vit pas.
Il répondit finalement à l’étreinte de son ami et se laissa aller contre lui, malgré lui.
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