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tome 1, Chapitre 6 tome 1, Chapitre 6

Le jour se levait à grande peine, le soleil timide caché derrière de lourds nuages gris, si épais que malgré l’heure tardive, il faisait particulièrement sombre. Un seul coup d’œil avait suffi à Astérix pour le convaincre de davantage se concentrer sur le chemin qu’il empruntait, l’humeur un peu plus maussade. Le ciel semblait bien bas, comme s’il était sur le point de leur tomber dessus. C’était bien la seule chose qu’ils craignissent dans ce vaste monde.

Près de lui, Obélix marchait en silence, la tête basse et la mine pensive, et Idéfix trottait à ses pieds, tout aussi silencieux. Le petit Gaulois ne savait qu’en penser. Jusque-là, son ami s’était montré enthousiaste, surtout depuis leur chasse matinale qui s’était révélée fructueuse ; six sangliers attendaient sagement l’heure du repas chez le tailleur de menhirs. Pourtant, alors qu’ils se dirigeaient vers la hutte du druide, ce dernier s’était peu à peu enfoncé dans un mutisme songeur et son chien l’y avait suivi et n’avait plus émis un son depuis de nombreuses minutes. Etait-ce bon ou mauvais signe ? Difficile à dire. L’air du rouquin était indéchiffrable.

Il n’eut cependant pas l’occasion de s’enquérir auprès de lui de ses soucis car leur destination s’éleva soudain devant eux. Ils surent rapidement qu’il n’y avait nul besoin de toquer à la porte ; des râles agacés, marmonnés d’une voix basse, s’élevaient de l’arbre dont la frondaison surplombait la petite maison. Une échelle en bois reposait contre le tronc mais le druide demeurait hors de vue.

— Bien le bonjour, Ô druide ! s’exclama-t-il en s’en approchant et en levant la tête, accompagné de ses deux compagnons.

Les feuilles s’agitèrent et les murmures se turent. Quelques secondes plus tard, une tête blanche apparut entre les branchages.

— Astérix ? Obélix ? Mais que faites-vous ici ?

Panoramix n’attendit cependant pas la réponse avant de disparaitre de nouveau. Ses pieds réapparurent bientôt sur les derniers barreaux de l’échelle et en moins d’une minute, le vieil homme se dressa devant eux, les cheveux un peu emmêlés et agrémentés de quelques feuilles mortes. Il tenait sa serpe d’or à la main, qu’il glissa rapidement à sa ceinture, et portait un sac en bandoulière, dont émergeaient quelques feuilles de gui, mais pas seulement.

Astérix se mordit la lèvre, contrit, lorsqu’il réalisa pleinement sa précédente activité – surtout lorsqu’il songea à son lien possible avec leur invitée.

— Vous étiez occupé à la cueillette ? Je suis désolé de vous avoir dérangé, mais je –

Panoramix l’interrompit d’un simple geste de la main, lui signifiant qu’il n’y avait là rien de grave.

— Peu importe. Je reprendrai tout à l’heure. Que vouliez-vous ? Un souci ?

Depuis quelques temps, le druide se montrait plus que soucieux. C’était le cas depuis la réunion dans la forêt des Carnutes mais l’arrivée de la jeune femme avait aggravé son anxiété, en quelque sorte. Régulièrement, lorsque le duo venait, cette même question était posée : un problème ? Comme si pour lui, du fait des récents événements, cette finalité était inéluctable.

— Non, aucun. Enfin, à part le temps qui se gâte. Et vous, de votre côté ? Comment va notre invitée ?

Un léger sourire se dessina sur le visage du druide. L’inquiétude du guerrier était palpable – Obélix l’était sans doute aussi, mais à sa manière du moins. Le petit Gaulois se sentait particulièrement concerné par l’évolution de l’état de la jeune femme, d’autant plus que c’était lui qui l’avait trouvée. Enfin, c’était Idéfix, mais l’idée était là.

Cependant, le druide le perdit bien vite en repensant à celle-ci, puis il haussa les épaules.

— Un peu mieux depuis hier soir. J’ai bon espoir qu’elle se rétablisse, mais cela lui prendra du temps. Je préférerais la garder avec moi au moins une semaine pour surveiller son état et vérifier qu’elle se repose, mais même après cela, il lui faudra éviter des efforts trop importants pendant un moment.

— A-t-elle dit d’où elle venait ? Nous pourrions en profiter pour contacter ses proches, surtout s’ils sont loin, et –

Le soupir affligé et la grimace que tenta de masquer le druide le réduisirent au silence et lui firent bien comprendre que le problème ne se posait même pas à l’heure actuelle.

— Non, répondit tout de même Panoramix en s’éloignant un peu de l’arbre, suivi des deux guerriers. En vérité, Luna n’a pas dit grand-chose pour le moment. Elle –

— C’est son nom ? s’enthousiasma Obélix, sentiment que partageait pleinement le petit blond.

Ce nom allait bien avec les reflets argentés de ses yeux gris. Ses parents avaient bien su le lui choisir.

— Non, fit le druide, et la joie d’Astérix disparut comme feuille au vent tandis que le rouquin le dévisageait, assez déconcerté.

Panoramix soupira, désolé d’avoir causé tant de faux espoirs.

— C’est moi qui ai fini par le lui donner. Cela devenait compliqué de communiquer et je me sens mal de toujours la désigner par « notre invitée ». C’est une personne, elle mérite un nom, même s’il doit être provisoire. Et puis de toute façon, elle ne se rappelle de rien pour le moment. A part de sa fixation sur ses affaires, qu’elle tient à conserver toujours près d’elle. Mais rien sur sa vie, sur ses proches ou sur la raison pour laquelle elle s’est retrouvée dans cet état. J’ai bien peur qu’elle ne soit réellement amnésique, conclut-il dans un souffle.

Il déposa son sac sur le banc accolé à sa hutte et se laissa choir près de lui, avant de se frotter le visage à l’aide de ses mains. Les deux amis s’entreregardèrent, gênés, et conservèrent le silence. Ils ne savaient pas quoi dire d’autre. Ils avaient espéré de bien meilleures nouvelles.

— Mais dans ce cas… qu’allons-nous faire, Ô druide ?

Celui-ci écarta les mains de son visage pour les reposer sur ses genoux. Les deux hommes et le petit canidé se tenaient juste en face de lui, l’air de ne savoir que faire d’eux-mêmes – et surtout, où se placer en l’occurrence.

— Que veux-tu que nous fassions ? Nous ne pouvons pas l’abandonner à son sort, ce n’est pas dans nos principes. Et comme nous ne savons pas qui sont les responsables de ses blessures ni pourquoi, nous ne pouvons donc nous risquer à chercher à la confier à quelqu’un d’autre. Elle restera chez moi au moins jusqu’à ce qu’elle soit en état de sortir, puis jusqu’à ce que… eh bien… jusqu’à ce que nous ayons une autre solution. En espérant qu’elle recouvre la mémoire dans les jours qui viennent.

Quelques secondes passèrent, avant que le Gaulois n’hochât faiblement la tête, incertain. Mais de toute façon, ni lui ni le druide ne se pétrissaient d’optimisme. Rien ne permettait de prévoir quand l’amnésie se lèverait. Si tant est qu’elle le fît un jour.

**

Astérix toussota tandis que d’épais nuages de poussière l’entouraient, et il cessa de frapper le vieux matelas durant plusieurs secondes jusqu’à temps qu’il se dissipât un peu. Heureusement, une brise légère soufflait ; ce fut donc relativement rapide. Il le secoua encore rapidement, jusqu’à ce qu’il estimât l’avoir suffisamment épousseté – enfin, du moins jusqu’à ce que sa patience l’estimât, ainsi que la paille qui en formait le rembourrage et qui commençait à vouloir se faire la malle.

Il remit les fibres en place, jaugea pendant quelques secondes les coutures qu’il lui faudrait refermer avec une moue ennuyée, puis il cala la large couche sur son dos pour la réintroduire dans sa hutte. Il dut batailler un peu avec l’entrée car l’angle d’inclinaison était mauvais, mais il y parvint assez facilement. Il le plaça ensuite dans un recoin du salon, près de la cheminée, et ramassa la boule de draps posée sur une chaise pour la déplier et y dresser un semblant de lit. Il aurait bien dormi chez Obélix comme il l’avait fait avec Maestria lorsqu’elle s’était installée chez lui, mais ce n’était pas possible cette fois-ci. Les blessures de la nouvelle venue nécessitaient une présence régulière, même de nuit, au moins durant les premiers temps. Même si à cause de cela, il devrait subir de nombreux commérages – et il savait qu’il y en aurait. A n’en pas douter, il commençait déjà à en circuler.

Il se redressa une fois sa tâche réalisée et frotta distraitement ses vêtements froissés pour les aplanir. Des agitations au-dehors l’attirèrent et il se glissa hors de chez lui. De toute façon, le lit était déjà apprêté et le ménage effectué ; il avait beau réfléchir, il n’y avait rien à faire de plus. Il lui semblait n’avoir rien oublié si ce n’était le souci de la nourriture, mais il s’en préoccuperait plus tard.

C’était véritablement une belle journée. En ce début d’après-midi, le village était particulièrement vivant, et tous ses habitants ou presque se trouvaient dehors et vaquaient à leurs occupations. Un peu plus loin sur l’allée de terre, quelques femmes circulaient, un panier au bras, et chuchotaient entre elles en le fixant avec insistance lorsqu’elles l’aperçurent. Cependant, elles détournèrent outrageusement le visage de lui lorsqu’elles remarquèrent son attention sur elles. Un rictus se dessina sur les lèvres du Gaulois. C’en était presque risible – comme s’il n’avait pas repéré leur petit manège depuis longtemps. D’autant plus que vu le nombre de fois que cela s’était déjà produit, il en avait malheureusement plus que l’habitude – et c’en était triste. Malgré tout ce qu’il avait fait pour le village, il suffisait parfois de pas grand-chose voire d’un rien pour qu’on en vînt à le considérer avec défiance – et son éternel célibat en était l’une des principales causes. Fallait-il donc être obligatoirement marié à son âge pour mériter une meilleure considération de la part de ses pairs ? Il ne put retenir un soupir désespéré. Vraisemblablement oui, au moins pour une bonne partie d’entre eux.

Il tourna son visage vers sa droite et repéra aussitôt le druide, vêtu de sa longue tunique blanche. Ce dernier calquait le rythme de ses pas sur celui de la jeune femme à qui il avait offert son bras, présentement vêtue d’une longue robe bleue qu’il avait dû lui acheter, le sac de celle-ci porté sur son épaule. Toutes engoncées dans leur attitude méprisante, aucune femme n’avait accepté de lui prêter de vêtements, sous prétexte qu’elles n’avaient pas la même corpulence ni la même taille qu’elle. C’était peut-être vrai pour la plupart d’entre elles, mais pas pour toutes. Aucune n’en avait démordu. Panoramix n’avait pas voulu s’embarrasser davantage de leur mauvaise volonté ni les confronter devant leur jalousie, sans conteste due à la jeunesse et à la beauté de cette inconnue venue d’ils-ne-savaient-où. Il avait ainsi préféré utiliser une partie de ses économies pour lui offrir une garde-robe. Pas très fournie, certes, mais la jeune femme avait désormais de quoi se couvrir quel que fût le temps.

Astérix eut l’impression que les médisances se galvanisaient à leur lente progression, et il se doutait qu’il n’avait pas tout à fait tort. La mâchoire serrée, il estima toutefois qu’il valait mieux pour tout le monde qu’il les ignorât, malgré son envie de s’en indigner à haute voix. Il marcha d’un bon pas pour les rejoindre et soutenir la jeune femme à son tour. Car même si elle était capable de se déplacer, elle était encore trop faible pour parcourir seule de trop longues distances.

D’autant plus que c’était la première fois qu’elle sortait véritablement depuis le début de sa convalescence.

— Les soins à appliquer sont dans ses affaires, expliqua Panoramix tandis que Luna lâchait son bras pour récupérer celui d’Astérix, ce qui lui permit de reculer de quelques pas. As-tu bien retenu tout ce que je t’ai dit à ce sujet ?

— Oui, Ô druide ; j’ai même préféré tout noter pour ne rien oublier.

Malgré son pragmatisme, il fut troublé par le contact de la peau de Luna contre la sienne. Pâle, elle était également douce, et ses longs doigts fins pressaient à peine la peau de son avant-bras, tout juste posés dessus. La jeune femme ne réagit en aucune façon et demeura silencieuse, le regard porté loin au-delà des huttes dressées devant elle.

— Bien, fit le druide avec un hochement de tête satisfait. Bien. Tu as quelques heures devant toi avant les prochains soins, tu n’as pas à t’en faire pour cela.

— Pendant combien de temps pensez-vous partir ? demanda le guerrier d’une voix un peu inquiète.

Habituellement, il accompagnait le druide avec Obélix et Idéfix mais cette fois-ci, celui-ci avait tenu à lui confier Luna, l’obligeant à rester confiné au village. C’étaient d’autres guerriers qui partiraient avec lui. Mais même s’ils étaient indéniablement doués – il les connaissait – et même s’ils ne craignaient pas grand-chose grâce à la potion magique, cela lui faisait tout de même un petit quelque chose, comme un pincement au cœur. C’aurait dû être eux. Mais son ami en avait décidé autrement.

— Ce ne sera que l’affaire de quelques jours. Une semaine, tout au plus, l’assura Panoramix d’une voix tranquille, bien que ce fût sans doute la troisième fois, au moins, qu’il répondait à cette question, toujours posée par le même homme. Ne t’inquiète pas ; nous rentrerons bien vite et je sais que tu sauras gérer cette situation. Je te fais confiance pour cela.

— Je suis confiant, rétorqua Astérix d’un ton ferme, bien qu’en son âme et conscience, il savait que ce n’était pas tout à fait vrai.

Après tout, que pourrait-il faire si tout à coup, pour une raison ou une autre, Luna faisait une rechute ? Si elle développait soudain une infection quelconque ? Il n’avait aucune notion en médecine, lui ! Il pouvait bien appliquer des traitements à la lettre comme on les lui indiquait, mais il était incapable de juger leur pertinence ou de réfléchir lui-même à la façon de procéder au cas où la situation changerait. Ce n’était pas du tout son domaine.

Le druide lui adressa un petit sourire mystérieux que le guerrier fut bien en peine d’interpréter.

— Je n’en doute pas.

Sur ces mots, il salua ses deux vis-à-vis et prit congé pour préparer son départ imminent. La gorge du guerrier se serra tandis que la silhouette de son ami se réduisait jusqu’à disparaitre à l’angle d’une maison.

Une pression sur son bras attira cependant son attention, et il se rendit compte que la jeune femme tremblait légèrement. Sa voix basse et mélodieuse s’éleva pour murmurer :

— Je suis désolée de vous importuner ainsi mais je me sens faible, et je…

— Je suis désolé, rétorqua-t-il à son tour en se retournant, amenant la jeune femme à en faire de même, pour se diriger lentement vers la maison. J’ai été distrait et j’ai oublié par la même occasion que votre état ne me le permettait pas.

Ils gagnèrent rapidement l’intérieur de la hutte. Après l’avoir aidée à rejoindre le lit et à s’y allonger, ses affaires posées au sol, il la recouvrit de couvertures et ramena un baquet d’eau auprès d’elle. Après quelques minutes, tandis qu’elle semblait s’assoupir, il quitta son chevet et descendit pour quitter la chaumière et gagner la carrière de son ami. Il s’agissait à présent de se soucier de ce qu’ils pourraient bien manger au souper.

Quelques minutes après son départ cependant, Luna se redressa sur la couche pour se mettre assise, ses pieds nus reposant sur le plancher, mais cela se fit non sans douleur. Elle porta une main sur sa principale blessure, se mordant les joues pour ne pas gémir. Respirant lentement et expirant puissamment dans l’espoir de faire disparaitre les élancements qui la touchaient, elle attendit de nombreuses secondes avant de se pencher pour saisir le baquet d’eau et le poser sur ses jambes, malgré les protestations de son corps qui revinrent aussitôt et qui la firent grimacer. Ses yeux fixèrent les ondulations de l’eau qui, d’abord violentes, se réduisirent à de simples troubles, et ses faibles chuchotements n’eurent aucun effet là-dessus. Toutefois, son reflet finit par disparaitre au profit d’un autre visage, semblable au sien mais au teint moins blafard et au regard plus nuancé, dont les traits étaient tirés par l’inquiétude. Le silence persista encore quelques instants avant qu’elle ne l’interrompît elle-même en prononçant ces quelques mots :

— Je l’ai. Mais nous avons un problème.


Texte publié par Ploum, 1er janvier 2019 à 23h20
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