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tome 1, Chapitre 5 tome 1, Chapitre 5

Le soleil était déjà bien bas dans le ciel et se tenait presque couché sur l’horizon. De ce fait, la pénombre avait déjà commencé à recouvrir le petit village gaulois. La hutte du druide, malgré qu’elle fût un peu excentrée, n’y faisait pas exception. Un feu avait été allumé et brûlait dans l’âtre, mais il ne suffisait pas à illuminer la pièce – il ne dispersait ses rayons que sur quelques mètres autour de lui. Ses flammes léchaient le fond de la marmite que touillait le vieil homme en soupirant. Il était seul. Enfin, pas tout à fait seul, se rappela-t-il tandis qu’il jetait un coup d’œil sur son lit, sur lequel il avait allongé la jeune femme inconsciente. Il reporta son attention sur la potion qui mijotait doucement. Il tapota sa cuillère en bois pour en chasser de grosses gouttes avant de la reposer et de replacer le couvercle sur le chaudron. Il s’en écarta ensuite pour s’asseoir sur une chaise tandis que la fatigue le gagnait et devenait soudain pesante. Ce n’était pas la première potion qu’il réalisait dans la journée – il en avait préparé plusieurs en début d’après-midi, pour l’organisation de la battue notamment. Pour ce qu’il en savait, les hommes n’étaient pas encore rentrés, et il s’en inquiétait. Il ne savait pas si cela signifiait seulement qu’ils s’étaient un peu dissipés – entendez par là, une rencontre surprise avec des Romains qui avait dégénéré pour ces derniers – ou s’il s’était produit quelque chose de réellement grave. Mais il ne pouvait faire que cela : attendre.

La chaise grinça tandis qu’il pressait son dos contre le dossier, et il ferma brièvement les yeux. Un faible gémissement lui parvint en provenance du canapé, pourtant il ne réagit pas. Cela lui arrivait de temps à autre depuis quelques heures. Cela durait quelques secondes à peine, puis le son disparaissait. Jusqu’à présent, il n’avait cessé d’espérer qu’il précédât un futur réveil. Il le fallait. Sans quoi, pour le moment, il ne pouvait établir aucun pronostic sur ses chances de survie. Et il ne pouvait rien y faire. Pourquoi ne s’était-il pas davantage penché sur les potions de soins durant ses études auprès de son maitre ? Y avait-il un druide à sa connaissance et pas trop loin du village, qui fût susceptible de faire quelque chose ? Avaient-ils seulement le temps d’aller le quérir, si c’était le cas ?

Cette fois pourtant, non seulement la plainte persista, mais elle gagna en intensité, comme si elle traduisait un certain inconfort. Il ouvrit les yeux tandis que le sommier se mit à grincer et le matelas à émettre quelques bruits. Il vit alors la jeune femme s’agiter un peu, la peau luisante de sueur et la respiration saccadée. Une de ses jambes avait glissé hors des couvertures, dévoilant un pied et un mollet nus. Panoramix se leva pour remplir un baquet d’eau, saisir un torchon et ramener le tout auprès de sa patiente. Les gestes de cette dernière étaient un peu trop vifs et violents, tant qu’il craignit qu’elle ne rouvrît sa blessure, et des tremblements affectaient son corps entier. Aussitôt, il saisit sa jambe pour la remettre en place puis il plongea le tissu dans l’eau froide, l’essora et se mit à éponger la sueur qui dégoulinait le long de son visage, tout en murmurant des paroles d’apaisement. Au début, elles furent sans effet, puis les mouvements perdirent de l’amplitude, pour cesser peu à peu ; les tremblements, eux, continuaient toujours de manière sporadique, et l’un de ses poings serrait le drap sous elle comme si sa vie en dépendait.

C’était tandis qu’il lui rinçait le front qu’il remarqua ses efforts pour ouvrir les yeux ; les paupières tremblotaient, et il commençait à apercevoir le blanc de l’œil, réduit à un trait fin. Il poursuivit sa tâche, le cœur soudain rempli d’espoir. A cet instant, la fatigue l’avait complètement déserté.

— Encore un petit effort…, l’encouragea-t-il dans un souffle, bien qu’il fût conscient que la jeune femme devait sans doute user de toutes les maigres forces qui lui restaient pour tenter d’exécuter ce simple geste.

A sa plus grande joie, cela finit par payer, car des yeux gris embrumés par une longue convalescence et par la faiblesse de leur propriétaire lui firent alors face. Au début, elle semblait ne pas le voir, alors qu’il retirait le tissu mouillé contre sa peau pour le jeter négligemment dans le baquet d’eau, son attention rivée sur elle. Mais au bout de quelques minutes et malgré ses tentatives pour la rassurer, elle tenta de se redresser violemment. Il l’en empêcha aisément et la força à se recoucher. Le regard de la jeune femme, rempli de crainte, alterna alors entre lui et leur environnement, comme si elle cherchait une porte de sortie. Mais bien qu’elle la trouvât assez facilement, la rejoindre s’avérerait un peu plus compliqué. Elle s’agita avec désespoir.

— Oh, calmez-vous, répéta-t-il en plaquant une seconde fois ses mains sur ses épaules pour la repousser sur le lit. Vous êtes très affaiblie, je ne sais pas depuis quand ni comment vous êtes blessée, mais vous êtes restée inconsciente pendant de longues heures. Il vous faut vous reposer à présent.

Les sourcils de la jeune femme se froncèrent, d’interrogation cette fois – le druide se rendit parfaitement compte de la nuance, car il sentait les muscles de la jeune femme se détendre légèrement sous ses paumes, même si lui-même avait relâché son emprise sur elle, et sa respiration se faisait progressivement plus calme et plus lente. Elle jeta encore quelques brefs coups d’œil autour d’eux, mais son regard se concentrait davantage sur lui.

— Q-Qui êtes-vous ? Et où suis-je ?

La voix de la jeune femme était basse et éraillée, mais l’entendre parler rasséréna davantage le druide. La perspective de sa mort s’éloignait à grands pas – mais il se devait d’être méfiant, afin qu’elle ne succombât pas à une potentielle rechute. Il était encore trop tôt pour crier victoire.

Il lui adressa un léger sourire mais s’abstint de tout geste envers elle pour le moment, malgré qu’il fût tenté de lui retirer cette mèche qui était venue se glisser sur sa joue gauche, détrempée après les passages répétés du torchon. Elle était déjà suffisamment confuse comme cela, et elle ne savait pas qui il était – quoi de plus normal que de se méfier ? Il savait que tout le monde n’avait pas le même savoir-vivre que ses villageois. Bien au contraire.

— Je suis Panoramix. Je suis un druide, c’est moi qui t’ai soignée.

Il la vit se tendre légèrement à la mention de son titre, et il se tut quelques secondes, intrigué. Connaissait-elle un autre druide, ce qui aurait pu expliquer sa légère réaction ? Si légère en vérité que dans le fond, il n’était plus si sûr qu’elle eût réellement été.

— Deux de mes compagnons t’ont retrouvée dans la forêt qui jouxte notre village et t’ont ramenée ici, reprit-il, alors qu’aucune réponse ne lui venait – mais cela n’avait pas de réelle importance. Tu étais déjà inconsciente à ce moment-là.

Il fit quelques secondes de pause, le temps de laisser la jeune femme digérer ses paroles.

— Lorsque l’un d’eux t’a retrouvée, tu étais encore consciente. T’en souviens-tu ? lui souffla-t-il alors.

La jeune femme cligna des yeux puis elle commença à vouloir se redresser, lentement cette fois, et secouait la tête en même temps. Panoramix l’aida à se mettre assise, changeant la position des oreillers pour lui constituer un dossier sur lequel elle pressa son dos. Ceci fait, et après qu’elle eût soufflé un bref instant, il insista :

— En es-tu sûr ? Un homme petit, blond. Avec une grosse moustache, des braies rouges et une tunique –

Mais la jeune femme continuait de secouer négativement la tête, de plus en plus ébranlée et distraite, cherchant sans doute quelque chose dans sa mémoire.

— N-non, je… je ne m’en souviens pas.

Panoramix se mordit les lèvres tandis qu’une mauvaise impression l’envahissait. Il pria pour que ses pensées ne se concrétisent pas, car cela compliquerait grandement les choses. Elle seule pouvait leur apporter les réponses qu’ils espéraient.

Les mouvements de la jeune femme se faisaient de plus en plus paniqués, ce qui fut loin de réfréner cette sombre perspective. Il retint une grimace.

— De quoi vous souvenez-vous ? demanda-t-il alors sans détour, espérant une réponse, même si elle devait dater de quelques jours.

Enfin, il serait tout de même mieux qu’elle fût en mesure de leur raconter ce qu’il lui était arrivé. Tout du moins, l’essentiel était tout de même de savoir d’où elle venait pour l’aider à retrouver les siens. S’ils n’étaient pas eux-mêmes responsables de son état.

Là encore, elle ne fit que secouer la tête, désemparée. Il leva les mains en signe d’apaisement pour l’inciter à se calmer.

— Vous ne vous rappelez de rien ? En êtes-vous sûre ? Peut-être êtes-vous seulement fatiguée mais que –

— Où-où sont mes affaires ? J’ai des affaires, non ? Où sont-elles ? le coupa-t-elle d’un ton précipité, en jetant des coups d’œil dans toute la pièce.

Il eut un regain d’espoir. Après tout, si elle se souvenait de son sac, peut-être se souviendrait-elle du reste ? De sa famille, de ses amis ?

Il hocha la tête en signe d’assentiment, puis il se leva pour aller les chercher. Le sac se trouvait encore sous la table sur laquelle il l’avait soignée. Il revint avec et le posa au pied du lit. Cependant, comme la femme se penchait, il préféra le lui remettre entre les mains. Elle l’ouvrit et regarda à l’intérieur, comme pour vérifier que tout était en place. Ce devait être le cas, car elle se détendit soudain et souffla, soulagée, en reposant son dos sur son dossier de fortune.

— Vous souvenez-vous d’autre chose ?

Un long moment s’écoula dans le plus grand silence avant qu’elle ne secouât la tête, plus tranquille cependant qu’elle ne l’avait été quelques secondes plus tôt. Panoramix serra les dents mais refusa de se laisser envahir par le pessimisme : cela ne présageait strictement rien, elle n’était pas forcément amnésique. Peut-être étaient-ce seulement sa faiblesse et son réveil récent qui l’empêchaient de mobiliser correctement ses souvenirs. Après tout, elle s’était bien souvenue de ses affaires.

Mais était-ce seulement un souvenir ou une vague impression, un stress qui lui signalait un manque ?

Il n’entendit pas des coups frapper à la porte, pas plus que la jeune femme qui venait de fermer les yeux. Il soupira avant de murmurer :

— Vous rappelez-vous au moins de votre prénom ?

Il perçut à peine les coups se renforcer, sa concentration rivée sur elle. Elle ne bougea pas, mais elle finit par lâcher dans un souffle :

— Non…

Il ne se rendit pas compte que quelqu’un avait finalement pénétré chez lui de prime abord, et ne le sut que lorsqu’il vit la jeune femme se raidir, les yeux agrandis fixés en un point derrière lui. Il se retourna, les sourcils froncés, pour faire face aux deux habituels compères. Le plus proche, Astérix, oscillait entre inquiétude, gêne et stupéfaction, tandis que le second, Obélix, marquait seulement son étonnement. A leurs pieds, Idéfix poussa quelques aboiements joyeux, bien qu’aucun n’en sût la raison.

— Nous sommes désolés, Ô druide, nous avions cru que…, commença à bégayer Astérix, mais son regard rivé sur la jeune femme lui faisait perdre le fil de ses mots. Elle est réveillée ? ajouta-t-il finalement puis il pinça des lèvres, maudissant sa question qu’il estimait totalement stupide.

Le druide lui adressa un mince sourire amusé qu’il ne vit pas. La jeune femme se ramassa un peu sur elle-même, et ce seul geste, ainsi que sa posture et ses yeux grand ouverts, suffisaient à lui apporter une réponse.

— Comme tu peux le voir, lui confirma-t-il. Elle s’est réveillée il y a seulement quelques minutes. Mais elle ne se souvient de rien pour le moment. Ce peut être le choc.

— Mais pourquoi ? Elle est apésique ? Amphésique ? demanda alors Obélix sans aucun tact tout en cherchant le mot qui lui échappait.

Le guerrier blond le fusilla du regard.

Amnésique, le corrigea-t-il avant de poursuivre, pour le contredire : Et non, pas forcément ; nous ne sommes pas encore en mesure de l’affirmer.

Il se retourna ensuite vers le druide, les yeux remplis d’espoir.

— N’est-ce pas ?

— Non, c’est vrai. Nous verrons ce qu’il en est demain mais pour le moment elle doit se reposer. Au fait, pourquoi vous êtes-vous invités dans ma hutte aussi précipitamment ?

Les deux guerriers rougirent, mais son air amusé les assura que le druide ne leur en tenait aucunement rigueur. Il se doutait déjà de la réponse, de toute manière. Obélix préféra garder le silence et Astérix dut se débrouiller pour les justifier tous les deux.

— Vous ne répondiez pas, et comme nous n’étions pas là depuis plusieurs heures, et puis, hum hum…

Il toussota pour masquer sa gêne et marqua un temps de pause, en profitant pour chercher des mots qui refusaient de lui venir. Cependant, un signe de Panoramix le dissuada rapidement de continuer ses efforts. De toute façon, il avait parfaitement compris l’idée que le Gaulois s’évertuait à lui transmettre.

— Et cette battue ? s’enquit-il, curieux, tout en jetant un bref coup d’œil à la jeune femme.

Cette dernière fixait les trois hommes avec méfiance, figée en une posture crispée. Astérix secoua la tête, partagé entre le soulagement et le désappointement.

— Rien du tout. Nous n’avons trouvé personne.

— Comment s’appelle-t-elle ? demanda alors le rouquin.

Il se tenait désormais près du lit et de la jeune femme dont les yeux papillonnaient, alors qu’elle luttait contre le sommeil qui cherchait à l’engloutir, surtout depuis qu’il s’était approché. Elle était encore assise et serrait son sac contre elle. Panoramix s’en aperçut et, comme il avait remarqué des objets durs à l’intérieur, il préféra l’extraire de ses bras pour le reposer au sol, au pied du lit. Auquel cas, l’un d’eux serait susceptible de rouvrir l’une de ses blessures. Un bref sursaut ébranla la jeune femme à cette soudaine absence, mais elle ne put faire davantage ; sa tête oscilla puis son menton se pressa contre sa cage thoracique. Malgré ses efforts, elle s’assoupissait.

— Elle n’a pas pu me le donner non plus, répondit Panoramix une fois ceci fait. Là aussi, il faudra attendre demain.

— Et si elle ne sait toujours pas ?

Le druide soupira. Il avait déjà pensé à cette éventualité et espérait qu’elle ne se réaliserait pas. Ce serait problématique pour tout le monde. Surtout pour elle.

Il secoua la tête en signe de dénégation, sous le regard interrogateur des deux amis et du chien.

— Je ne sais pas…, avoua-t-il.

Il voulut ajouter quelque chose mais ne sut pas quoi, alors il se tut. Le regard rivé sur l’intéressée, personne ne parla davantage tandis qu’au dehors, l’obscurité prenait possession des lieux.


Texte publié par Ploum, 1er janvier 2019 à 23h17
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