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tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

– Hé, vous deux ! Ce n’est pas souvent que vous revenez si tôt ! Mais que –

– Où est Panoramix ? l’interrompit Astérix, le souffle un peu court.

L’effet de la potion s’était estompé depuis de nombreuses minutes et la jeune femme pesait de plus en plus lourd dans ses bras à mesure que le temps passait. Obélix avait proposé de la porter au bout de quelques minutes mais le petit Gaulois avait refusé. Son ami avait déjà les bras encombrés de quatre larges sangliers, et puis lui-même était assez grand et fort pour le faire. Même si c’était un peu plus compliqué à présent. Non seulement pour la jeune femme, dont la gravité de la blessure était difficilement évaluable – mais indéniablement présente – mais il serait dommageable pour elle qu’il la lâchât au plus mauvais moment.

Les deux gardes postés à l’entrée du village, venus à leur rencontre, s’entreregardèrent avant de reporter leur regard sur la blessée et ils acquiescèrent. Le grand blond costaud, celui qui les avait interpellés, leur désigna l’intérieur du village.

– Aux dernières nouvelles, il est chez lui. Il avait dit vouloir s’isoler pour une affaire de –

– Ok, merci, fit Astérix en hochant la tête, puis il s’agita un peu pour mieux caler la jeune femme dans ses bras.

La hutte du druide se trouvait à l’autre bout du village, ce qui représentait tout de même une certaine distance.

– Vous voudriez bien me garder ceci, s’il vous plait ?

Sans réelle surprise, Obélix abandonna ses trophées sans attendre aux gardes abasourdis pour récupérer la blessée et la charger dans ses bras comme s’il s’agissait d’un tas de plumes, avant de se mettre à courir. Astérix les remercia une nouvelle fois avant de le suivre avec un Idéfix essoufflé ; il savait que de toute façon, les gardes tiendraient leur promesse même s’ils n’avaient pas eu le temps de la formuler – par habitude aussi, ce n’était pas comme s’il s’agissait de la première fois. Et puis, c’était le genre de choses avec lesquelles il ne fallait surtout pas plaisanter avec son ami. Ce dernier savait montrer son mécontentement quand il le voulait, et tous étaient parfaitement au courant.

La traversée du village fut plus rapide que celle de la forêt, et pas seulement grâce à Obélix mais aussi parce que le trajet était plus court. De fait, la hutte du druide se dressa bientôt devant eux, et ils ne tergiversèrent pas davantage pour toquer à la porte. Au début, ils n’eurent pour seule réponse que des bruits étouffés au travers de la porte, accompagnés de quelques grognements. Malgré tout son respect pour le vieil homme et sa patience, Astérix insista au bout de quelques secondes seulement. Il commençait à avoir mal à la main à force de frapper lorsqu’enfin, la porte s’ouvrit, laissant apparaitre un druide échevelé et fâché.

– Mais que se passe-t-il, enfin ? Astérix ? Mais que te prend-il pour frapper comme ça cette malheureuse porte ? Vous croyez que je –

Puis il vit le paquet dans les bras du plus grand et se tut. Après un bref instant, il s’en approcha pour soulever le bandage de fortune et examiner brièvement la plaie. Le silence perdura encore quelques secondes, jusqu’à ce qu’il relâchât le pan de tissu et fît un signe de tête en direction de l’intérieur de sa hutte pour les inciter à entrer, les précédant. Ils s’exécutèrent. Bien que les occasions eussent été rares, aucun ne s’attarda à le contempler – cela ne revêtait aucune forme d’importance. Obélix allongea la blessée sur la longue table que lui désigna Panoramix, après qu’Astérix l’eût dégagée des nombreuses fioles et autres choses plus ou moins identifiables qui l’encombraient et après que ce dernier eût recouvert sa surface d’une couverture. Il posa ensuite le sac en tissu au sol, sous la table, ce qui fit tinter les objets qu’il contenait au passage. Près d’eux, Panoramix circulait entre son armoire et ses étagères, déterminant et réunissant tout ce dont il aurait besoin. Ceci fait, il revint auprès d’eux et leur fit signe de s’écarter. Ils obtempérèrent. La suite ne se fit pas attendre.

– Pour le moment, je n’ai pas besoin de vous, précisa-t-il distraitement en commençant à ouvrir quelques pots, après avoir posé quelques instruments à leurs côtés. Je vous enjoins donc à partir.

Obélix faillit protester, mais Astérix l’en empêcha.

– Bien, Ô druide. Préférez-vous que nous restions à proximité, au cas où ?

Au début, Panoramix haussa vaguement les épaules. Puis il réfléchit et finit par concéder :

– Ce serait sans doute mieux, en effet.

Une fois qu’il estima ses préparatifs achevés, il retroussa ses manches.

– Je pense que d’ici une heure, nous serons fixés. Et pas besoin de rester tous les deux – quelqu’un doit avertir le chef du village de la présence de cette étrangère en ces lieux. Savez-vous ce qui –

Les deux hommes secouèrent la tête, et Astérix ajouta :

– Non, Ô druide. Nous l’avons retrouvée ainsi, si ce n’est qu’elle était consciente. Elle s’est évanouie peu de temps après qu’Idéfix et moi l’ayons trouvée.

Le petit chien aboya en réponse mais personne ne réagit. De nouveau, le druide leur fit signe de sortir, avant de se pencher de nouveau sur la blessure. Astérix sortit et dut pousser son ami pour qu’il en fasse de même.

– Mais pourquoi sommes-nous obligés de sortir mais de rester ici ? râla ce dernier d’un ton bougon tandis qu’Idéfix trottait à ses pieds. C’est complètement stupide !

– C’est une femme, Obélix, soupira le petit blond en levant les yeux vers les feuilles de l’arbre le plus proche. Elle a besoin de garder un minimum d’intimité.

La réponse fit froncer les sourcils du rouquin.

– Et alors ? Je ne vois pas en quoi –

– Nous n’avons vu que cette blessure, mais rien ne dit qu’elle n’en a pas d’autres, expliqua Astérix en donnant un coup de pied à un galet qui ricocha sur l’allée caillouteuse avant de retomber dans l’herbe. Notre druide sera sans doute obligé de la déshabiller, et il n’est pas nécessaire que nous restions là-bas juste pour le regarder faire.

A ces mots, tandis que lui-même rosissait en lui-même à cette pensée, le rouquin ne se gêna pas pour marquer son étonnement et ses lèvres formèrent un O parfait. Puis ses joues rougirent à la gêne et il écarta le visage comme pour le lui cacher, un peu secoué. Mais l’un comme l’autre savait que cette tentative était vaine.

– … Je vois, se contenta-t-il de répondre, et aucun des deux hommes ne voulut poursuivre cette conversation.

Le silence flotta entre eux pendant quelques instants, avant que le petit Gaulois ne se rappelât qu’il leur fallait avertir le chef du village de l’introduction d’une étrangère dans son enceinte.

– Obélix, tu veux bien rester ici quelques instants avec Idéfix, le temps que j’aille prévenir Abraracourcix ?

Obélix leva des yeux étonnés vers lui.

– Pourquoi faire ? Les gardes l’ont vue, non ? Ils ont déjà dû lui en parler !

Astérix arqua un sourcil. C’était tout à fait possible, mais il en doutait. Ils ne pouvaient quitter leur poste pour n’importe quel prétexte, et la nouvelle n’avait aucun caractère urgent. La jeune femme ne représentait nullement un danger – et ce, d’où qu’elle vînt. Elle n’était tout simplement pas en état pour l’être.

Il secoua alors négativement la tête pour montrer son désaccord. Les probabilités étaient trop faibles.

– Je ne pense pas que ce soit le cas.

Puis il se baissa pour gratter la tête d’Idéfix, qui jappa joyeusement en réponse.

– Et puis, tu as Idéfix avec toi, mmh ? Tout ira bien. Ce sera juste l’affaire de quelques minutes.

Obélix roula des yeux.

– Je ne m’inquiète pas.

Astérix se redressa pour lui adresser un sourire rassurant. Il se retourna et amorça un pas en direction du centre du village lorsque son ami l’interpella, le ton anxieux :

– Et tu pourras vérifier au passage pour les sangliers ? Ce n’est pas que –

– Mais oui, ne t’inquiète pas pour eux ! Je suis sûr qu’ils t’attendent toujours ! répondit le petit Gaulois avec un léger rire.

Cependant, il ne s’attarda pas même pour observer la réaction d’Obélix à ses propos et emprunta le sentier dans le sens inverse à celui utilisé quelques instants plus tôt. Il parvint à la hutte du chef en quelques minutes et n’eut pas besoin de toquer. La porte était déjà ouverte. Malheureusement pour lui, des cris s’en échappaient. Il grimaça. Apparemment, lui et son épouse étaient en pleine scène de ménage. Encore une chose qu’il n’enviait pas du tout aux hommes mariés – et qui l’incitait à conserver son statut d’éternel célibataire. Il n’était définitivement pas prêt pour le mariage. Il doutait qu’il le fût vraiment un jour.

Quoique, il avait encore l’espoir de trouver –

– ASSEZ !

– Mais Mimine…

– J’en ai ASSEZ de tes beuveries jusqu’à pas d’heure ! Regarde-moi ça ! Non ! Ça, LA ! insista lourdement une voix suraiguë qui massacra les oreilles du pauvre auditeur involontaire qui ne savait que faire.

Etait-il plus judicieux de revenir plus tard pour annoncer la nouvelle à leur chef ? Il était vraisemblablement assez occupé et il ne savait pas s’il était en droit d’interrompre une telle scène pour cela – d’autant que cela nécessiterait sans doute son intrusion chez eux, qui plus est.

Il n’eut pas à réfléchir longtemps sur la question car, étant suffisamment proche de l’encadrement de la porte, il fut repéré par le mari incriminé, qui vit en lui une échappatoire au sermon qu’il subissait. En quelques pas, il fut près de lui et l’accueillit avec un enthousiasme redoublé par le soulagement qui l’étreignait à sa simple vue.

– Astérix ! Quel plaisir de te voir !

Le Gaulois n’en douta pas une seconde. Il lui adressa un petit sourire de soutien tacite tandis que Bonnemine apparaissait à son tour, un rouleau à pâtisserie à la main, l’air mécontente. Elle le salua poliment mais fronça les sourcils quant à sa présence. Comme elle le connaissait, elle le savait incapable de voyeurisme – chose tout à fait inutile, au demeurant, car tous savaient pour leurs disputes et préféraient plutôt les fuir, d’ailleurs. En fait, ce n’était pas souvent qu’il venait jusqu’à leur porte, seul, et… Enfin, quelque chose lui disait qu’il venait pour un but bien précis. Intuition féminine, sans doute.

– Que nous vaut l’honneur de ta visite ? Je suis désolé de ne pas te proposer d’entrer, mais, euh, il y a, comme qui dirait, quelques petits soucis

– Ça, je ne te le fais pas dire, cracha Bonnemine d’un ton amer, et son mari sembla rapetisser de quelques centimètres.

Une vague curiosité agita brièvement l’esprit du Gaulois, mais il l’oublia bien vite. Il y avait plus important, et il se doutait que lesdits soucis étaient responsables de la dispute qu’il avait interrompue. Et il ne souhaitait pas le moins du monde se retrouver entre deux feux si elle venait à reprendre. Il préférait être loin, à ce moment-là.

Et puis, il y avait des choses qui ne se demandaient pas. Question de vie privée, tout de même. Surtout qu’il s’agissait de leur chef.

– Je viens seulement vous informer de la présence d’une étrangère au village. Elle est gravement blessée et inconsciente, et notre druide est actuellement en train d’essayer de la soigner.

Comme les deux époux le fixaient avec surprise, il leur raconta tout, depuis le moment où il l’avait trouvée dans la forêt durant leur chasse, jusqu’à son arrivée devant chez eux. Cela ne lui prit que quelques minutes. Car après tout, malgré le questionnement d’Abraracourcix à ce sujet, ils ne savaient rien sur la jeune femme, la raison de sa présence dans leur forêt ou de cette blessure. Ni même ce qui pouvait en être à l’origine – était-elle volontaire ? Quelle arme avait été utilisée ? Mais leur druide serait sans doute en mesure de leur apporter quelques éléments de réponse. Après tout, il aurait examiné la ou les blessures avec bien plus de précision que lui-même.

Abraracourcix hocha alors la tête, la mine grave.

– Bien. Dis au druide que j’attends de lui qu’il nous apporte des nouvelles concernant cette jeune femme. Il nous faudra nous réunir pour discuter de quoi faire en cette situation inédite, lorsque son état permettra au druide de la quitter quelques instants.

– Je lui transmettrai votre volonté, répondit Astérix avec un hochement de tête respectueux avant de les quitter.

De nouveau, il emprunta le même chemin pour retourner auprès de son ami. Et au bout du chemin, que l’attendait-il ? Une bonne ou une mauvaise nouvelle ?


Texte publié par Ploum, 1er janvier 2019 à 23h14
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