– Dépêche-toi un peu, Astérix ! Il ne faut pas le rater celui-là !
– Mais c’est ce que je fais, Obélix ! répondit Astérix dans un rire.
Cela ne l’empêcha pas pour autant d’accélérer et il calqua son allure sur celle de son ami, dont les yeux étaient entièrement rivés sur le sanglier qui tentait de leur échapper. L’animal slalomait entre les arbres et n’hésitait pas à plonger derrière des buissons, ce qui compliquait leur traque.
Deux jours s’étaient écoulés depuis leur retour des Carnutes et rien d’étrange n’était arrivé depuis lors. Pourtant, Panoramix demeurait inquiet et pensif et se bornait à s’isoler des autres villageois – plus qu’à l’accoutumée, en vérité. Au début, le petit Gaulois n’avait pas su dire si cela était annonciateur de mauvaises nouvelles. Mais le temps était passé de la même façon que d’habitude et à présent, il n’y pensait presque plus. Il espérait seulement que leur druide en ferait bientôt de même ; finalement, il se faisait un sang d’encre pour pas grand-chose, mais il ne savait pas comment apaiser sa crainte. Et eux-mêmes ne savaient comment l’aider – car après tout, ils ne voyaient pas vraiment où était le problème.
Le porcidé piétina un tas de fougères et bifurqua derrière un arbuste volumineux et chargé de baies, mais l’obstacle ralentit à peine son ami. Celui-ci sauta agilement par-dessus et continua sa route, malgré les trois autres sangliers dont il était déjà chargé. Astérix, lui, préféra le contourner, lui faisant ainsi perdre quelques secondes qu’il rattrapa aisément. Cependant, la fatigue commençait déjà à se faire sentir.
– Tiens, aurais-je oublié de prendre de la potion magique, cette fois ? marmonna-t-il en saisissant sa gourde, tandis que ses jambes se faisaient lourdes.
Pourtant, il lui semblait que non ; c’était une habitude qu’il prenait à chaque fois, et il courrait présentement plus vite que ce dont il serait capable en temps normal, sans la potion de force. Et cela faisait bien une heure qu’ils chassaient, or il imaginait que sans, il aurait été épuisé bien plus tôt. Le banquet de la veille, dans ce cas ? Il était vrai qu’il avait pas mal bu, plus que ce dont il avait l’habitude – chose pas réellement difficile puisque généralement, il préférait se limiter à du lait de chèvre pour conserver ses moyens en toutes circonstances. Mais la fête avait été célébrée en l’honneur du chef pour le jour de son anniversaire et il avait fallu trinquer, d’où le premier verre. Mais les suivants ? Combien en avait-il bu, au juste ? Ses souvenirs de la soirée étaient assez brouillés. Obélix était loin de l’avoir aidé car lui-même s’était écroulé sous l’alcool ingurgité – il se rappelait assez bien l’avoir lui-même ramené chez lui. Cependant, aucune réelle gueule de bois ne l’avait accueilli au réveil ; tout juste un léger malaise, et un vertige qui l’avait saisi au lever durant quelques secondes. Il avait dû se montrer relativement raisonnable, du moins par rapport à l’ensemble de ses concitoyens. Car vis-à-vis de lui-même, il estimait qu’il avait très certainement exagéré.
Il avala une gorgée et en ressentit aussitôt l’effet : la fatigue qui commençait à l’engourdir fut aussitôt chassée. Il referma la gourde et la remit à sa ceinture avant de se hâter pour revenir au niveau d’Obélix. Celui-ci ne se lassait pas de courir, sans prêter attention à ce détail – seul le sanglier s’en était rendu compte, à son plus grand désespoir.
Il se laissa également griser par la sensation de liberté que lui conférait la course et par l’excitation de la traque, jusqu’à ce qu’un jappement interrompit son euphorie. Il tourna la tête et vit Idéfix qui trainait la patte, un peu fatigué et haletant, et il pesta intérieurement contre eux-mêmes.
– Obélix ! cria-t-il en ralentissant, avant de faire demi-tour pour rejoindre le malheureux chien dont les oreilles étaient basses.
Ce dernier ne l’entendit cependant pas et Astérix secoua la tête, à moitié amusé. Il disparut bientôt dans son dos accompagné par les bruits de la végétation qu’il écrasait ou écartait, toujours à la poursuite du suidé, mais le petit Gaulois ne l’appela pas davantage. Après tout, ce n’était pas plus mal – Obélix était parfaitement capable de l’attraper seul et s’ils s’en détournaient tous deux, ils le perdraient de vue. L’animal était suffisamment habile pour y parvenir.
Quelques dizaines de mètres le séparaient d’Idéfix. Mais alors qu’il en avait parcouru seulement la moitié, le chien se redressa, les oreilles soudain droites, et il tourna la tête sur le côté. Il se raidissait à mesure que les secondes passaient, et lorsqu’Astérix parvint à sa hauteur et posa sa main sur son pelage, il sursauta mais conserva sa position statique.
– Eh bien, Idéfix ? Que se passe-t-il ?
Le chien n’émit aucun bruit et ne bougea pas davantage, si ce n’était pour renifler. Curieux, Astérix tourna son regard dans la même direction et aperçut un éclat doré entre les feuilles, ce qui l’interpella. Quelqu’un avait-il laissé là un objet précieux ? Etait-il perdu ? Toutefois, cela n’expliquait en rien la réaction de son compagnon.
– Qu’as-tu senti, Idéfix ? C’est par là ? fit-il en désignant le point et en amorçant un pas.
Le petit chien se ragaillardit soudain et se mit à aboyer tout en avançant de quelques petits bonds alertes. Astérix hocha la tête.
– Ok, mon gars, allons-y dans ce cas. Ne tardons pas trop.
Après tout, ils étaient censés chasser, et Obélix finirait par se demander ce qu’ils pouvaient bien fabriquer, une fois qu’il se serait aperçu de leur absence.
Il suivit donc Idéfix. Ce dernier était redevenu silencieux mais avançait par bonds, et comme le Gaulois l’avait pensé, ils prirent bien la direction de l’éclat. Un énorme buisson lui barra la route au bout d’une centaine de mètres, mais ce n’était pas la raison pour laquelle il se mit soudain à grimacer. Il posa sa main sur la garde de son épée qu’il commença à dégainer. Du sang. Une odeur de sang flottait dans l’air, pas très forte mais bien présente. Avec de la chance, ce n’était qu’un animal mort. Pourtant, des bruissements d’herbe semblaient lui indiquer qu’un individu bien vivant s’agitait au-delà du feuillage, même s’il espérait que ce n’était qu’Idéfix ou n’importe quelle autre petite créature. Et puis, aucune autre odeur ne laissait suggérer la présence d’un cadavre.
Idéfix passa sous le buisson entre ses racines et son maigre tronc, mais il était si touffu qu’Astérix ne s’y essaya même pas. Il préféra contourner. Son épée était entièrement sortie et bien calée dans sa main lorsqu’il se dressa devant la silhouette sanguinolente en question, près de laquelle se tenait Idéfix. Celle-ci effectua un léger mouvement, ce qui le crispa, et il faillit ordonner au petit chien de s’écarter, méfiant. Mais comme il réalisait ce qu’il avait devant lui, il se figea juste alors qu’il ouvrait la bouche pour cela.
Une femme. C’était une femme. Seule. C’était indéniable, malgré la fine tunique d’homme et le pantalon sombre qu’elle revêtait. La tunique, trop large, était maintenue par une large ceinture à sa taille et soulignait par la même occasion l’amplitude de sa poitrine. Le vêtement devait être clair à l’origine mais l’essentiel du tissu était à présent rouge à cause du liquide qui l’imbibait et qui devait provenir de la blessure que la jeune femme comprimait d’une main, son autre bras occupé à serrer un sac en tissu contre elle. Parce qu’elle était jeune. Bien plus jeune que lui, cela ne faisait aucun doute. Elle avait dû sortir de l’adolescence depuis quelques années seulement. Ses traits fins et délicats étaient contractés en une moue dure et douloureuse et la raison en était évidente. Ses cheveux blonds étaient réunis en une natte sommaire et reposaient sur son épaule, et leurs pointes étaient détrempées de sang. Ses yeux d’un gris presque argenté s’étaient posés sur lui à son arrivée et n’avaient cessé de le fixer lui, les sourcils froncés et une lueur de défi brillant dans son regard, et son souffle devenait un peu plus bruyant à mesure que le temps passait. Elle était belle, mais la pensée s’échappa aussitôt apparue. C’était un constat si dérisoire en de telles circonstances.
Le moment de stupeur n’avait duré que quelques secondes et Astérix ne se ressaisit que lorsqu’il faillit lâcher son épée, qu’il rengaina. Il était ridicule, et la jeune femme était incontestablement blessée. Il fit un pas vers elle et vit qu’elle se raidit plus qu’elle ne l’était déjà, bloquant le sac sous sa poitrine. Ce dernier était entrouvert et, même s’il ne pouvait en voir le contenu, il aperçut le même éclat doré et réalisa qu’il provenait de là.
– Je veux seulement vous aider…, tenta-t-il de la rassurer d’une voix apaisante, priant pour qu’elle parlât leur langue, en même temps qu’il levait les mains en signe de paix. Qui vous a fait cela ?
Les traces, sous forme de gouttes et de petites trainées déposées sur le sol et la végétation, laissaient entendre qu’elle n’avait pas été blessée à cet endroit mais qu’elle s’était seulement réfugiée là. Sans doute était-elle poursuivie, ce qui expliquerait sans mal son comportement craintif et l’origine de ses blessures. Mais pour quelle raison ? En tout cas, ses poursuivants ne devaient pas se trouver à proximité – ce qu’il vérifia d’un coup d’œil pour balayer les alentours. Ils étaient seuls dans cette forêt, ou tout du moins dans cette partie où Obélix et lui avaient l’habitude de chasser, et ils n’étaient pas très loin du village qui plus est.
Il ne savait pas si elle l’avait seulement compris mais de toute façon, elle s’affaiblissait – son teint pâlissait à vue d’œil, sa respiration devenait plus laborieuse et sa prise sur son sac se desserrait. Il devinait qu’elle ne tarderait pas à s’évanouir, d’où qu’il s’en approcha. A raison, et ce malgré l’air mécontent de la jeune femme : elle s’affaissa soudain mais le petit Gaulois l’intercepta avant qu’elle ne rencontrât le sol. Il soupira et observa ses traits à présent détendus.
– Les réponses ne seront pas pour tout de suite…, regretta-t-il, mais plus encore, c’était son inconscience qui l’inquiétait.
Il lui fallait agir vite car il était incapable d’estimer combien de temps elle tiendrait dans ces conditions et s’il aurait seulement le temps de l’emmener avec lui au village. S’il était réellement possible de lui apporter son aide d’une quelconque manière.
Il la cala mieux contre le tronc d’arbre derrière elle pour qu’elle y tînt seule et se pencha pour examiner la blessure que reniflait Idéfix. Celui-ci se mit à gémir tandis que lui-même écartait la boule de tissu imprégnée de sang que la jeune femme avait posée dessus. Il ne put l’étudier que quelques secondes avant que du sang n’en ressurgît. Tout ce qu’Astérix put en déduire était qu’elle était sans doute profonde et potentiellement grave. Il replaça la boule et déchira un autre pan de tissu pour la maintenir en place, mais il savait que ce n’était que temporaire. Il lui fallait des soins de toute urgence, et seul le druide serait en mesure de les lui apporter.
Un cri interrompit là ses réflexions et il redressa la tête pour apercevoir Obélix revenir auprès de lui avec quatre sangliers dans les bras, un air fier et satisfait peint sur son visage. Mais Astérix n’y prêta pas davantage attention et il se retourna vers la jeune femme, tout en se questionnant brièvement sur la meilleure façon de la porter afin d’éviter d’aggraver ses blessures. Et il lui fallait prendre son sac, aussi. Elle avait l’air d’y tenir, ce qu’il pouvait comprendre – surtout si c’était là tout ce qui lui restait.
– Astérix, te voilà enfin ! Je me demandais où tu étais passé ! Mais pourquoi t’es-tu arrêté ? Bon, le sanglier que nous poursuivions m’a finalement échappé, mais –
Il se stoppa à quelques pas de son ami et se tut lorsqu’il aperçut son ami agenouillé près d’une jeune femme ensanglantée que ce dernier s’apprêtait à porter. Il ne songea pas à lui proposer de le remplacer, puisqu’il était lui-même chargé.
– Mais-Que s’est-il passé ?
Il dut attendre quelques secondes avant qu’Astérix ne secouât la tête pour lui signifier qu’il n’en savait rien. Il n’ajouta rien tandis que le petit Gaulois soulevait la jeune femme. Il n’avait pas besoin d’explications pour comprendre son intention. A vrai dire, peu de possibilités s’offraient à eux s’ils souhaitaient la sauver.
– Nous rentrons au village.
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