J’ai du pain sur la planche, ou plutôt des biscuits : les mortels sont en pleine liesse avec les festivités de fin d’année et il est hors de question que l’Effrayante Cornélie’Maille laisse passer une occasion pareille de démontrer tout son art. Si Halloween reste la période la plus chargée, je ne me repose pas sur mes lauriers pour autant ! Les échos de musiques qui grimpent du village jusqu’à ma chaumière sont des plus inspirants. J’avais déjà ensorcelé toutes les piles des pères noël synthétiques qui s’époumonaient sur leurs chants pour les lancer dans des concertos bien plus dissonants, et au combien plus amusants ! La fête du vieux barbu passée, les mélodies se font désormais plus variées, mais toutes porteuses d’allégresse et d’espoir. J’ai encore besoin d’y réfléchir un peu, toutefois je trouverai bien comment rendre ces musiques bien plus inquiétantes. C’est mon travail après tout : transformer le mignon en glauque, le rassurant en effrayant !
J’éternue soudain, le nez plein de farine et de cette odeur de ciboulette qui émane de la pâte étalée sous mes mains. J’aurais pu choisir tant d’autres saveurs, pourtant celle-ci me suit depuis mes années d’école, alors que tous se moquaient de moi en m’appelant Ciboulette. S’ils me voyaient aujourd’hui ! J’aime à penser que ma réputation s’est suffisamment étendue pour que mes anciens camarades aient eu vent de mes exploits, où qu’ils soient à présent. Ces adorables biscuits en forme de sapin, étoiles et autres traîneaux auront donc une saveur des plus marquées en ciboulette. Toute la subtilité de la supercherie repose sur la délicieuse odeur de citron qu’ils dégageront après cuisson... et un léger sort de rien du tout... Je n’aurai plus qu’à les échanger avec ceux offerts par les commerçants du village et hop, ni vu ni connu, je serai blanche comme neige, insoupçonnable ! Bien entendu, les habitants se douteront que c’est encore moi qui leur joue un tour, mais ils n’auront aucune preuve... ou aucun courage pour venir me confronter sur le palier de ma porte !
Emmitouflée dans mon grand manteau, ma longue écharpe et mon gros bonnet, je me promène incognito dans les ruelles pour collecter les bons biscuits et distribuer les miens. Au passage, je ne peux m’empêcher de ralentir à l’extrême le jukebox qui répand sa musique joyeuse sur la place du marché. Ce n’est guère original, mais tant pis. De l’allégresse, son répertoire sombre dans une mélancolie dérangeante qui fait se retourner plus d’un badaud. Toute à mon amusement, je m’arrête soudain à quelques pas d’un étal. Voilà qui sera parfait ! Le clou de ces festivités ! Dans la large manche de mon manteau, je secoue ma baguette dans un murmure. Il y a quelques années, je me serais désespérée de voir que mes fruits de mers avariés avaient l’air encore plus appétissant qu’avant. Pourtant, je sais désormais que l’apparence de mes sorts n’en change pas pour autant leur efficacité, bien au contraire ! Combien de villageois seront malades grâce à mes fruits de mer pourtant alléchants ?
En quittant la bourgade, je ris sous cape à l’idée des mortels au teint verdâtre, décomptant la nouvelle année en tête à tête avec leurs latrines. « Joyeux Noël et bonne année ! » annonce une banderole tendue entre les deux dernières maisonnées. Oui, pas de doute, cette année s’annonce encore très bien pour la terrible Effrayante que je suis !
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