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Sous la lumière pâle de la lune, je ne peux que deviner la délicate rougeur qui pare ses traits de porcelaine. Quand sa main se pose sur ma manche, les légères callosités de ses doigts accrochent les brandebourgs chamarrés de mon habit. J’ai peine à comprendre l’attrait qu’elle suscite en moi : elle ne ressemble en rien à mes conquêtes habituelles, si ce n’est par cette aura de féminité qui met mes sens en émoi. Ses yeux immenses dans son visage encore enfantin se noient dans les miens, avec incrédulité et admiration elle semble respirer à peine.

La musique nous parvient de la salle de bal, délicatement lointaine, se mêlant au son de la brise légère dans les frondaisons. Elle frissonne un peu sans hésitation, j’ôte ma veste pour l’en envelopper, laissant mes mains frôler plus que nécessaire ses épaules nues.

« Je dois partir... on va m’attendre », murmura-t-elle nerveusement.

Je souris, légèrement prédateur :

« Nous avons encore le temps... »

Elle prend une respiration chancelante :

« Vous êtes... si différent. Vos yeux... »

Elle hésite, puis reprend :

« Ils semblent... briller dans la nuit. »

J’ai peine à décrire le sentiment que suscite en moi cette délicate approche : le mélange de fascination et d’appréhension qui émane d’elle m’attire délicieusement... Son parfum envahit mes sens.

Dong...

L’air s’emplit subitement de vibrations : comme l’horloge du palais sonne le premier coup. Je m’écarte brutalement d’elle, la laissant tremblante dans ses habits de soubrette.

Dong...

Je me lève d’un bond, arrache la veste de ses épaules ; je n’ai pas même le temps de nourrir quelques regrets d’agir si cavalièrement...

Dong...

Sans prendre le temps de me retourner, ma veste à la main, je file vers une allée que le couvert des arbres protège de l’éclat trop révélateur de la lune...

Dong...

Pendant que je cours entre les bancs et les bosquets, mes vêtements se désagrègent en une fine poussière argent qui s’évanouit dans la fraîcheur nocturne...

Dong...

Je sens mon corps changer je tombe à quatre pattes, sans vraiment ralentir ma course. Un fin pelage surgit sur mon corps, le recouvrant d’un sombre velours...

Dong...

Je poursuis ma fuite à travers les buissons, sans prendre garde aux branches qui fouettent mon corps, aux mille odeurs qui assaillent mes sens...

Dong... dong... dong...

Enfin, le portail est en vue, déjà refermé je bondis entre deux barreaux, faufilant mon corps souple dans l’interstice.

Dong... dong...

Je bondis sur la route, et enfin, je l’aperçois : une jeune fille dans une robe en lambeaux, assise à côté d’une citrouille fendillée, d’une poignée de lézards et de souris. A son pied droit, une chaussure délicate brille encore, contrastant avec sa robe rapiécée. Je cours à sa rencontre, une forme furtive parmi les autres. A mon approche, les souris détalent en couinant. Les lézards font de même, avec plus de dignité.

Dong...

Au douzième coup de minuit, je saute sur les genoux de la jeune fille, accrochant de mes griffes l’étoffe râpée. Elle enfonce une main pensive dans ma fourrure :

« Ah, voilà enfin mon laquais ! Je commençais à m’inquiéter...

― Miawww...ow. »


Texte publié par Beatrix, 4 octobre 2013 à 18h09
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