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tome 1, Chapitre 21 « L’accident » tome 1, Chapitre 21

Mickolas

Il fut finalement décidé de placer la dépouille du sanglier sur le cheval de Mickolas, qui poursuivit à pied. La réussite de l’équipée les avait tous mis de joyeuse humeur, et des liens de camaraderie commençaient à se nouer entre les deux sympathiques frères Lockhart, Grey et Mickolas. Ce dernier appréciait la noblesse de l’attitude des deux chevaliers du Bief, tout autant que leur franche bonhommie et leur énergie communicative. Agés d’un peu plus de vingt ans, les deux jeunes hommes feraient de très bons modèles pour Ser Grey, si celui-ci pouvait avoir l’occasion de les côtoyer davantage.

Expliquant les origines de leur présence au tournoi si loin de leurs terres, les Lockhart révélèrent que leur mère était l’une des deux sœurs de Lord Jakob Wight, qui avait quitté Château-Brillant près d’un quart de siècle plus tôt lorsqu’elle avait été mariée à un seigneur du Bief. Cela faisait donc d’eux les cousins d’Alleister, Seth, Lindzy et Connor Wight. Les deux familles se rendaient visite de loin en loin, à l’occasion d’événements comme celui organisé par Lord Alleister. Ser Talbar, l’aîné, était désormais suffisamment aguerri pour conduire seul sa fratrie et les quelques serviteurs qui les accompagnaient sur les routes du royaume, malgré l’encore jeune âge de leur sœur Melinda qui les avait suivis cette fois-ci.

Des éclats de voix interrompirent leur conversation animée : il semblait y avoir de l’agitation un peu plus loin sur le chemin qui les ramenait au château, mais sous le couvert des arbres il n’était pas possible de déterminer ce dont il s’agissait.

Ce fut Edoyn, parti comme toujours en éclaireur bien que la chasse soit terminée, qui vint leur exposer la situation.

« ‘Y a eu un accident : le chemin là-bas passe sous une sorte d’à-pic rocheux d’une dizaine de mètres de haut, et un bloc se s’rait détaché au passage d’un groupe de chasseurs. »

« Y a-t-il des blessés ? », interrogèrent-ils tous en chœur.

« De qui s’agit-il ? » questionna pour sa part Ser Grey.

« C’est le groupe des Palamede. Apparemment, c’est l’un des gardes qui s’est pris la pierraille en protégeant sa seigneurie. »

Tout le groupe accéléra le pas d’un même élan pour s’approcher du lieu de l’accident et offrir leur aide si cela était possible. Une centaine de mètres plus loin, une douzaine d’hommes en armure et en tenue de chasse s’étalait de part et d’autre d’un passage sur lequel le chemin s’étranglait en un goulot de deux mètres de large, au pied d’un court à-pic rocheux.

Au milieu d’hommes portant la livrée de la maison Wight, Mickolas reconnut les Nordiens Logan et Wallace Fingal, Ser Dalton et Lord Hasgard Sewell, puis Lord Elias Palamede et son cadet Demetrios. Plus étonnant, se tenait auprès de ces derniers une femme rousse du même âge que Lord Elias, en tenue de chasse elle aussi, qui seyait particulièrement à sa silhouette menue mais athlétique. Il était surprenant de trouver une femme ainsi vêtue, car les femmes se joignaient rarement aux parties de chasse. Malgré cette étrangeté -à cause d’elle peut-être- Mickolas sentit un trouble diffus le traverser.

Son regard revint rapidement à l’homme allongé à terre, un colosse massif : un coup d’œil suffit à identifier Ser Amyntas, l’impressionnant garde du corps de Lord Elias qu’ils avaient rencontré la veille au temple des Sept. Il avait été tiré hors du passage dangereux et allongé sur le dos plus loin au milieu du chemin : du sang était visible sur son visage et sur le métal de son épaisse armure, à laquelle il devait sans doute de respirer encore, bien que péniblement.

« Notre septa serait utile ici », remarqua Grey.

Edoyn était leur meilleur cavalier. Mickolas s’apprêta à lui confier son destrier pour l’envoyer chercher la septa, mais il s’aperçut alors que le chasseur leur avait faussé compagnie sans prévenir, et ne se trouvait nulle part alentour.

« Je me charge de la ramener », offrit Ser Marlon avant même que Mickolas ait eu le temps de s’étonner de cette disparition. D’un coup de talon et d’une traction énergique sur les rênes, il mit son cheval en route sans attendre de réponse.

Grey approuva l’initiative d’un hochement de tête. Il s’approcha ensuite des Sewell, avec lesquels ils avaient déjà sympathisé la veille.

« Vous portez-vous tous bien ? », s’enquit-il. « Que s’est-il passé ? »

« Nous n’avons pas assisté à l’incident, et nous avons trouvé la situation à peu près dans l’état dans lequel vous la voyez là », expliqua Lord Hasgard. Le seigneur, singulièrement élancé, portait comme lors du banquet une tenue grise, austère, qui seyait parfaitement à son tempérament d’ascète. « Il semble qu’un pan de roche se soit détaché de là-haut au passage de l’équipée de Lord Elias, et que celui-ci ne doive la vie sauve qu’à la réaction du capitaine de sa garde, qui a poussé sa monture pour le mettre à l’abri, et s’est trouvé pris sous l’éboulis à sa place. »

« Un authentique héros », salua Mickolas, appréciateur.

Grey semblait moins impressionné. Il se déplaça pour rejoindre le groupe formé par les Palamede et leur mystérieuse accompagnatrice. Mickolas le suivit.

« Comment vous portez-vous Messers ? Ma Dame ? », s’enquit-il avec une expression d’inquiétude sincère sur le visage. La femme et Ser Demetrios lui sourirent avec reconnaissance. Les traits durs, tendus de Lord Elias, exprimaient bien davantage la colère.

« Nous allons tous bien Messer. Un seul d’entre nous était après tout visé par cet « accident », et les autres n’ont eu à subir que la frayeur de ce qui aurait pu se passer. Nous avons envoyé des gens de Lord Alleister quérir de l’aide au château pour Ser Amyntas, qui m’a sauvé la vie au péril de la sienne. Ce sera un miracle s’il en réchappe, et j’aime autant vous dire que si c’était moi qui m’étais trouvé sous ces rochers, on parlerait déjà de moi au passé. »

Mickolas s’apprêtait à faire un commentaire encourageant sur la force de la nature qu’était le capitaine de la garde des Palamede et sur l’espoir qu’il s’en remette, mais il réalisa en regardant à nouveau l’homme à terre, l’importance de ses blessures : tout un côté de sa face paraissait comme enfoncé, comme si l’os de son crâne s’était pulvérisé en une multitude d’esquilles, trop fines et désolidarisées pour pouvoir maintenir la forme de son visage. Il avait déjà vu ce genre de blessures à la guerre, et son avis rejoignit finalement celui de Lord Elias : seules des circonstances invraisemblables lui permettraient de s’en remettre -et s’il avait cette chance, il resterait en partie défiguré. Aussi s’abstint-il de tout commentaire, pour ne pas paraître malhonnête.

« Notre septa accomplit des miracles », répondit en revanche Grey. « Je la mets entièrement à votre service pour donner à votre homme les meilleures chances de survivre. Il racontera lui-même son exploit à votre retour sur vos terres. »

Grey se montrait souriant et de bonne volonté comme toujours : c’était ce qui lui valait l’amitié presque immédiate de la plupart des gens qui l’approchaient. Mais Lord Elias accueillit sa proposition avec froideur.

« Nous ne sommes pas encore partis, Ser. On souhaite peut-être m’encourager à quitter Château-Brillant, mais j’entends bien m’imposer -dans tous les sens du terme, s’il le faut- dans ce tournoi, et je ne repartirai qu’avec la main de Dame Lindzy. »

Il avait prononcé cette dernière phrase d’une voix intentionnellement plus forte, à destination bien sûr de Ser Wallace Fingal, dont même Mickolas avait bien perçu l’intérêt qu’il portait à Lindzy Wight.

Lui-même trouvait Lindzy Wight très à son goût. A vrai dire, il lui était difficile d’imaginer un homme qui ne puisse pas trouver une femme du charme de Lindzy Wight très à son goût : son corps avait les courbes qu’on dessinerait pour illustrer le concept de la femme à un homme qui n’en aurait jamais vu.

Wallace Fingal eut le bon goût de ne répondre que par un sourire poli. Son demi-frère Logan en revanche, répliqua d’une pique moqueuse :

« Votre chambre au château est-elle à votre goût, Milord ? Si vous ne prévoyez de partir qu’avec la main de Lindzy, il sera bon d’avertir Lord Alleister qu’il lui faudra vous attribuer cette chambre à demeure. »

Un voile sombre passa dans le regard d’Elias Palamede. Une envie de tuer, ou de lancer un défi pour défendre son honneur. Etant donnée la réputation d’escrimeur de Lord Elias, l’un et l’autre auraient les mêmes conséquences. Lui et son frère Demetrios se raidirent, leurs mains se posèrent sur le pommeau de leur épée : l’orgueil et l’ambition des Palamede les rendait nécessairement sensibles à ce genre de provocations. Mickolas, lui, avait toujours su faire la distinction entre le fait de se comporter de façon honorable, et le fait de se considérer comme un homme honorable : pour lui, les faits l’emportaient sur les mots, et si son honneur était mis en question, il savait pouvoir le défendre par la seule force de ses actes.

Vouloir défendre sa réputation était à ses yeux davantage une question d’orgueil que d’honneur : Lord Elias n’était pas ici sensible à la protection de son honneur propre, mais à la défense des honneurs qu’on lui devait.

Ser Talbar Lockhart tenta de dissiper la tension en s’interposant entre les deux hommes avec diplomatie.

« La main de Lindzy Wight a été promise au plus valeureux d’entre nous. Cette question se décidera sur le champ de lice, et que le meilleur l’emporte ! »

En cela, il rejoignait la philosophie de Mickolas, et montait encore d’un cran dans son estime. C’était en revanche oublier que Lord Elias et Ser Wallace s’étaient déjà affrontés dans le tournoi, et que le premier avait éliminé le dernier : son intervention revenait à appuyer la revendication du seigneur du Val, et à disqualifier celle du Nordien. Les deux intéressés en eurent parfaitement conscience, Elias arborant un sourire de triomphe méprisant, tandis que Ser Wallace se contentait d’un mouvement des épaules qui disait « …on verra bien ! ».

Mickolas se demanda jusqu’où iraient les choses entre ces deux-là, et redouta que tout ne finisse de façon tragique.

Le dernier groupe de chasseurs, formé des chevaliers des maisons Royce et Corbray, rejoignit à cet instant le lieu de l’altercation : derrière Lord Yohn Royce allaient son fils Robar, et les deux frères Lyonel et Lyn Corbray.

« Que se passe-t-il ici ? », interrogea Lord Yohn d’une voix autoritaire qui acheva de dissiper les velléités de dispute. L’effet produit fut le même que celui que provoquait l’arrivée de Mickolas dans la cour à Carapace, à l’heure de l’entraînement.

Lord Elias se redressa avec fierté sur son destrier.

« Il parait justifié de dire qu’on a tenté de m’assassiner », commenta-t-il simplement.

Les sourcils broussailleux de Lord Yohn se froncèrent.

« Assassiner ? »

« Comment qualifier ceci autrement ? Des rochers ont chu de ce pan rocheux au moment de mon passage, et il s’en est fallu d’un rien qu’ils m’écrasent le crâne comme ils ont écrasé celui du capitaine de ma garde. »

Les Nordiens levèrent les yeux au ciel.

« La nature se joindrait donc au vaste complot visant à vous éliminer du tournoi, Milord ? », s’esclaffa Logan Snow. « Peut-on imaginer que votre existence soit si désagréable à la nature qu’elle ait choisi de faire ce que vos pairs ne peuvent qu’espérer ? »

Les yeux d’Elias s’étrécirent.

« Qu’ils osent essayer, messer. Que ceux qui ne m’aiment pas tirent donc leur lame pour me le faire savoir, plutôt que de jouer de leur langue grossière. »

Le bâtard haussa les épaules.

« Eh, je ne fais qu’exprimer des hypothèses, Milord. J’évoquais les sentiments de vos semblables, et je n’ai pas prétendu être de ceux-là. »

Elias Palamede lui répondit en hochant une fois la tête, tous les traits de son visage plissés par la morgue.

« Vous ne l’êtes pas, en effet. »

Le son d’une cavalcade approchant interrompit à nouveau l’échange. Un groupe d’hommes portant la livrée de la maison Wight escortait Lord Alleister, Theodora Palamede et la septa Eleanne. Ser Marlon se trouvait également parmi eux : il avait dû les croiser en chemin et constater qu’il n’était plus utile d’aller jusqu’au château.

Lady Theodora descendit de son palefroi avec la dignité d’une princesse en dépit de sa robe élégante, tout à fait inappropriée pour l’équitation. Elle s’approcha de son frère, auquel elle s’adressa en le vouvoyant, à la surprise de Mickolas.

« Vous portez-vous bien, mon seigneur ? »

« Je suis sain et sauf », confirma Lord Elias. « Mais je n’ai réchappé de cet attentat que par l’exploit de Ser Amyntas qui m’en a écarté. » Eleanne s’était déjà précipitée auprès du blessé.

« Un attentat ? » interrogèrent simultanément Alleister et Theodora, incrédules l’un comme l’autre.

« ‘faut reconnaître que ces trente pas de rocaille sont un passage obligé entre la zone de chasse et l’château », lança une voix, surgie de nulle part. Toutes les têtes se tournèrent en tous sens, à la recherche de celui qui venait de prendre la parole : c’était Edoyn, qui avait dû trouver une façon de gravir la pente plus qu’abrupte qui conduisait au promontoire rocheux, au-dessus du chemin.

C’était de là que la roche s’était détachée pour faucher Ser Amyntas -ou Lord Elias, à en croire son récit.

Edoyn s’y trouvait à présent, accroupi, une dizaine de mètres plus haut qu’eux. « C’t’endroit est l’coin parfait pour tendre une embuscade : on pouvait être sûr que tous les participants à la chasse passeraient par là. Ça a pas manqué. »

Quinze arcs s’étaient brandis dans sa direction, mais Edoyn ne s’en était pas ému. Il lui suffisait après tout d’un seul pas en arrière pour se mettre à l’abri de toutes ces flèches. Il se tourna à demi pour regarder au sol, derrière lui.

« Et de c’que j’vois là-haut, y avait quelqu’un là où j’me trouve, et jusqu’à y a pas longtemps. ‘m’a l’air de tout sauf d’un accident, c’t’histoire. »

« Peut-on savoir qui vous êtes ? », interrogea la voix forte et assurée de Lord Alleister.

« C’est Edoyn, notre maître-chasseur », répondit Grey plus doucement.

Alleister se tourna vers lui en haussant les sourcils, avant de reporter son regard sur la septa qui s’affairait sur le grand corps blessé de Ser Amyntas.

« Les gens de votre maison sont décidément pleins de ressources » commenta-t-il avec étonnement.

Grey lui sourit en retour.

« Assurément. Et leurs talents sont à votre disposition pour tout ce en quoi ils pourront vous être utiles, Milord. »

Le seigneur hocha simplement la tête, songeur.

Lord Elias Palamede avait croisé les bras sur sa poitrine, l’œil animé d’une lueur de défi à présent que son accusation était confortée par les observations d’Edoyn. Tous, autour, étaient circonspects.

Le regard de Mickolas dériva vers les équipages des différents groupes de chasseurs : pas de cerf, et pas de plus belle prise que celle qu’eux-mêmes ramenaient au château. Il y aurait eu de quoi se réjouir, mais ce sinistre incident jetait un voile sombre sur les divertissements de la matinée, et il y avait fort à parier que la saveur du festin qui serait fait de ces prises en serait irrémédiablement gâchée.


Texte publié par Akodostef, 8 novembre 2018 à 01h05
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