Les Sewell s’étaient avérés à la fois amènes et très pieux : après que le seigneur Hasgard, son frère Dalton et son fils Leik leur aient été présentés par Lady Lydia, leur groupe s’était joint à celui d’Eleanne pour effectuer le tour des autels du septuaire, accordant à chaque dieu un instant de prière qui avait paru à la septa parfaitement sincère. C’était ensuite ensemble qu’ils s’étaient rendus à la salle de banquet pour participer au diner.
Eleanne avait été impressionnée par la vision des murs scintillants de blancheur du château à leur arrivée. Elle n’aurait su dire si c’était la lueur des torches qui ne leur rendait pas justice, mais les pièces d’habitation qu’elle avait visitées depuis frappaient plutôt par la modestie de leurs dimensions et la banalité de leur construction. Elle imagina que c’était un revêtement particulier qui avait été appliqué sur les pierres des murs extérieurs qui leur donnaient leur aspect étonnant, et non la nature propre des matériaux, en réalité plus ternes au naturel.
Des tapisseries étaient disposées aux murs, représentant toutes des figures montées où la fougue de la monture le disputait à l’héroïsme du cavalier. Eleanne se souvint que Lord Hayden avait mentionné avant leur départ de Carapace que la maison Wight était de richesse comparable à celle des Archelon, mais que leur écurie était réputée, à l’échelle du Val : durant la Rébellion de Robert, les Wight s’étaient engagés sans hésitation au côté de leur suzerain, et leur cavalerie avait contribué à sa modeste mesure à la puissance militaire de Lord Arryn. Eleanne se demanda distraitement si, depuis neuf ans que cette guerre avait pris fin, les chevaux des écuries Wight piaffaient tous dans leur stalle comme ces destriers furieux qui ornaient les murs de la salle à manger.
Les invités avaient été séparés en deux catégories.
Sur l’estrade se tenaient les plus nobles familles du Val, autour des Wight. Une dizaine de tables y avait été disposée en fer à cheval : plus on était proche des extrémités, et moins on était en faveur. En l’absence des Arryn -Lord Jon étant naturellement retenu à Port-Réal par ses fonctions de Main du Roi Robert- les Royce et les Corbray étaient les deux plus anciennes maisons représentées. Mais s’il avait globalement respecté le décorum en accueillant ces dernières aux tables des plus hauts dignitaires, c’était néanmoins aux Palamede que Lord Alleister avait décidé d’accorder les places d’honneur centrales : il avait à sa gauche la délicate Theodora, indiscutablement resplendissante… et se donnant toujours autant de mal pour que chacun en ait bien conscience. Son port, sa tenue, et sa façon d’accaparer le seigneur traduisaient assez sa ferme intention d’être traitée comme la plus importante personnalité présente.
A sa droite, Lord Alleister avait assis l’une des deux jeunes femmes rousses qu’Eleanne avait remarquées dans la cour en arrivant à Château-Brillant : celle, plantureuse, dont l’impressionnante générosité des formes était encore davantage mise en valeur par sa robe émeraude corsetée. Eleanne supposa qu’il s’agissait de la sœur du Lord, celle dont la main était plus ou moins implicitement mise en jeu à l’occasion du tournoi. Leurs traits, leur teint et jusqu’à la couleur de leurs yeux et de leurs cheveux différaient pourtant en tous points. A la familiarité avec laquelle la belle posait sa main sur celle du seigneur, à la façon dont elle accolait son épaule à la sienne pour lui chuchoter à l’oreille, on aurait aussi bien pu les croire époux. Lord Alleister semblait loin de trouver ces contacts désagréables, les recherchant même lui aussi, au grand dam de sa voisine Theodora qui leur jetait régulièrement des regards discrets mais furieux.
L’accorte rouquine attirait en tous cas bien des regards, au point que l’un des convives avait quitté sa place, sans doute trop éloignée à son goût, pour se percher à ses côtés. Un bras nonchalamment posé sur le dossier de son siège, il badinait avec elle, provoquant l’irritation manifeste de son second voisin.
Eleanne reconnut cet intrus qui se tenait debout, cherchant sans vergogne à se glisser entre la belle et l’homme à sa droite : c’était l’un des deux fils Fingal rencontrés plus tôt, le plus distingué des deux et sans doute l’héritier de la maison. A ce titre, il n’était pas tout à fait étonnant qu’il considère la jeune femme comme un parti intéressant, même si la méthode qu’il adoptait pour s’attirer ses faveurs était, elle, plus inattendue -voire inconvenante. Cela semblait être également l’avis du seigneur assis à la droite de la damoiselle, un trentenaire au visage avenant mais dur, séduisant mais hautain. On lisait facilement à son expression outragée qu’il n’appréciait guère l’attitude du Nordien.
Aux couleurs bordeaux et or de son riche costume, à la couleur de ses cheveux châtain clair, à ses traits et à son attitude, Eleanne supposa qu’il s’agissait du frère de Theodora Palamede, le fameux Lord Elias. Le chevalier invincible auquel la victoire au tournoi était promise, selon sa sœur, n’était apparemment pas venu remporter que le tournoi.
Voir l’agacement produit sur son visage arrogant par l’intrusion inopportune du Nordien, lui, totalement décontracté, avait quelque chose de comique. La jeune beauté semblait d’ailleurs tout à fait apprécier cette compagnie, accordant rires et sourires au fâcheux, qui n’étaient clairement pas du goût de l’autre… Eleanne eut le ferme pressentiment que les choses n’en resteraient pas là entre ces deux hommes.
Elle chercha Grey du regard. Assis lui aussi à la table d’honneur, il avait été relégué en bout de table avec les notables de second rang. Comme toujours, il affichait néanmoins un masque de parfaite décontraction, comme si cette situation le satisfaisait tout à fait. En l’occurrence, il était parfaitement normal que les Archelon, lointains voisins, sans relation ni intérêt direct pour les Wight, doivent céder la place aux invités plus prestigieux ou aux contacts stratégiquement plus capitaux pour Lord Alleister, qui construisait là les fondations de son jeune pouvoir ; mais Eleanne connaissait suffisamment la vraie nature de Grey, celle qu’il cachait derrière ce visage de toujours bonne composition, pour deviner que celui-ci était en réalité en train de réfléchir à la façon dont il pourrait gagner en faveur auprès des personnalités qui comptaient à cette table. Froidement calculateur sous ses dehors amènes, le jeune Grey était à l’instar de sa sœur Lexus un réel manipulateur, jouant de son charme pour s’attirer la sympathie de tous, au cas où leur sympathie pourrait lui valoir un service au moment où il en aurait besoin. Mais après tout, jugeait Eleanne, même si son apparente affabilité était en réalité parfaitement insincère, il y avait des façons infiniment plus désagréables d’obtenir l’amour de ses proches, la loyauté de ses serviteurs, et la bienveillance des tiers.
Eleanne, Mickolas et Edoyn, eux, devaient se contenter de siéger sur des bancs, autour des longues tables ordinaires, où se côtoyaient les chevaliers sans fief et les serviteurs de haut rang tels que les mestres et les septons. En face d’eux se tenait le second fils Fingal, Logan, dont ils apprirent ainsi qu’il était le bâtard du Lord : Logan Snow, se présentait-il en effet à ceux qui partageaient son repas. De belle figure, les yeux clairs comme son père et des cheveux bruns courts mais moins bouclés que ceux de son frère, il se montrait particulièrement volubile, hâbleur, et avait même engagé ses voisins dans des paris sur les résultats des joutes qui se livreraient le lendemain. Si d’autres à la table s’étaient laissés aller à miser contre lui, Ser Mickolas s’était montré plus prudent, jugeant probablement comme elle que le bonhomme était sans doute aussi un coquin, à la façon qu’il avait de pousser les autres au jeu, et à l’étincelle qui brillait dans son regard lorsqu’il y parvenait. Edoyn, fidèle à sa nature, se contentait de manger son repas en silence, sans accorder d’importance aux conversations alentour.
Un jeune chevalier assis à la table des invités d’honneur se leva soudain, et fit tonner sa voix pour capter l’attention de ses voisins, parvenant à faire progressivement taire la quasi-totalité de l’assemblée.
« Miladies, Milords, mesdames et messers, vous tous chers amis, j’aimerais lever mon verre pour remercier nos hôtes de nous faire si bon accueil, et pour me réjouir par avance des festivités qui nous attendent. Je fais le vœu de faire honneur à la plus belle des cousines en livrant mes combats avec au cœur la noblesse et la vaillance qu’elle m’inspire ! » Il leva sa coupe d’une main énergique, comme s’il s’agissait déjà d’un trophée. « A Lord Alleister ! A la belle Lindzy ! A un beau tournoi et à d’héroïques joutes ! »
Son toast enthousiaste lui valut des acclamations et des martèlements d’approbation sur les tables de l’ensemble de la salle. Le chevalier qui avait ainsi pris la parole était un garçon fringant à la puissante silhouette, dont les cheveux brun clair et lisses tombaient noblement sur de larges épaules. Un sourire franc illumina son visage lorsqu’il salua la sœur d’Alleister Wight d’un clin d’œil complice. Il se rassit ensuite à côté d’un homme qui ne pouvait être que son frère ainé, qui partageait les mêmes traits de visage et jusqu’à la barbe finement taillée en bouclier. Ils se congratulèrent mutuellement par d’affectueuses tapes sur les épaules tandis qu’autour d’eux les conversations reprenaient.
« Hé ! Et vous, messer ? », interpela brutalement un chevalier au bout de l’estrade, s’adressant à Mickolas, au milieu du brouhaha. « Participerez-vous au tournoi ? »
Mickolas se tourna vers lui en levant un sourcil de surprise.
« Nous connaissons-nous, messer ? », l’interrogea-t-il en retour.
« Ser Barthelme Senjak, des Terres de l’Ouest, pour vous servir, Ser », répliqua l’autre, moitié connivent, moitié provocateur. Ses yeux étaient noirs, tout comme ses cheveux rassemblés en un chignon hâtif sur son occiput. « Vous êtes bien le maître d’armes de la maison Archelon ? Je vous ai vus arriver, votre seigneur et vous, avec une unique armure de joute… La partagerez-vous avec lui ? Ou bien livrerez-vous compétition dans votre simple armure de voyage ? »
Eleanne se demanda comment cet homme savait qui était Mickolas, et pourquoi il avait porté autant d’attention à l’équipement avec lequel ils avaient voyagé. Son regard moqueur aux yeux plissés et son mince sourire carnassier inspirèrent à Eleanne une réaction de méfiance viscérale.
« Il n’est pas prévu que je participe, Ser Barthelme. Les compétiteurs sont déjà nombreux, dont certains sont renommés et méritent davantage cette place que moi », répartit le maître d’armes avec modestie. « Mon rôle se bornera à guider mon élève pour son premier tournoi, et à lui permettre de faire honneur à notre maison. »
Ser Barthelme se laissa retomber contre le dos de sa chaise, approchant sa coupe de ses fines lèvres moqueuses.
« Un maître d’armes, absent de la compétition ? Ce serait bien dommage… » Il reposa sa coupe à côté de son tranchoir et haussa les épaules avec désinvolture. « Enfin, il arrivera ce qu’il arrivera. »
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