Hayden Archelon vint accueillir son fils à la porte de sa salle d'audience privée, pour le conduire vers le haut buffet de marbre blanc veiné de bleu qui lui servait de bureau. Tout autour d'eux s'étendaient des rangées de livres aux reliures de cuir brisées, qui attestaient du goût du seigneur pour la culture, goût qui lui avait été communiqué par sa défunte épouse et qu'il tentait d'inculquer à son tour à ses enfants : seul Sigvard, le plus jeune, se montrait pour l'instant rétif, préférant visiblement les entraînements martiaux dispensés par le maître d'armes aux heures de lecture aux côtés de ses frère et sœur plus âgés.
« Prend place, mon fils », l'invita son père d'une voix affectueuse mais teintée de l'autorité d'un homme habitué au commandement.
Grey contourna l'épais fauteuil rembourré et cousu de soie rouge qui faisait face à celui de son père, et s'y installa confortablement. Lord Hayden, plus grand et plus massif que son fils, gagna son propre fauteuil, dont la trame était marquée par les heures passées dans cette pièce depuis des années, et s'y assit à son tour. Il laissa un instant s'écouler, accordant à chacun le temps de s'acclimater à l'ambiance plus solennelle qu’il voulait pour l'entretien.
Qu'est-il arrivé qui lui fasse m'imposer toute cette mise en scène ?, se demanda Grey, qui n'était guère habitué à ce que son père l'accueille ainsi. Le jeune homme fut pris de l'envie de changer de position dans son fauteuil, mais s'en abstint pour feindre le détachement.
« Les occasions de modifier le cours de notre existence ne sont pas fréquentes », finit par annoncer le seigneur, « et il s'en présente peut-être une. »
Il saisit entre ses longs doigts une feuille posée sur son bureau, et en souleva très légèrement la partie supérieure, comme s'il s'apprêtait à la lire.
« Nous avons reçu un courrier, de l'un de nos voisins du Val, à l'est, sur les côtes. Lord Alleister Wight, a-t-il signé. Sa lettre nous informe qu'il se trouve désormais à la tête de sa maison, et qu'il organise un tournoi rassemblant tous ses voisins du Val et d'au-delà, pour faire connaître la nouvelle. »
Lord Hayden reposa la feuille, y déposa machinalement son index.
« Nous sommes restés de longues années à l'écart des autres maisons du Val », reconnut-il, et à son ton, Grey comprit subitement que cette réclusion n'avait pas été le choix de son père. Le cheveu et la barbe blanche, Lord Hayden conservait un physique puissant, et restait capable encore aujourd'hui de tenir tête l’épée à la main à son maître d'armes de dix ans plus jeune que lui.
Est-ce ma mère, éprise de paix et de culture, qui l’a encouragé à se tenir à distance ?, s'interrogea-t-il. Est-ce elle qui aurait fait d'un homme taillé pour la guerre un partisan de la neutralité et du repli sur soi ?
C'était oublier que cette attitude était ancrée depuis des générations dans les traditions des Archelon.
Son père aurait-il pu être celui qui aurait apporté le changement ? Aurait-il pris les armes lors de la Rébellion de Robert Baratheon ? Et si oui, en faveur de quel parti ? Le roi fou ? Ou le prétendant, celui qui avait eu l'ambition insensée de mettre un terme à une dynastie trois fois centenaire, avec à ses côtés plus de la moitié des Sept Couronnes ?
Quelle aurait alors été la destinée de la maison Archelon ? Aurait-elle été écrasée avec les perdants, dépossédée de ses terres ou de ses droits, ou aurait-elle gagné en faveur auprès du nouvel occupant du Trône de Fer, et crû en prestige dans le Val pour émerger enfin de sa position de famille plus que mineure ?
La seule perspective des révolutions possibles grisait le jeune homme et mettait son imaginaire en ébullition.
« Ceci est l'opportunité de rompre notre isolement. De renouer avec les maisons qui nous entourent et de mieux les connaître. »
Le coup de force de Robert Baratheon avait ouvert l'horizon des possibles. Après une guerre comme celle-ci, il n'y avait plus vraiment de paix du roi, et de nouveaux conflits devenaient envisageables. Son père disait « connaître », mais Grey pensait « évaluer ». Peser les forces de leurs voisins, mesurer la solidité des alliances. Pour pourquoi pas, les affronter, et conquérir leurs terres. S'emparer de leurs ressources stratégiques. Devenir l'une des plus puissantes maisons du Val.
« Je n'imagine pas que Lord Jon Arryn sera présent aux festivités. La place de la Main n'est pas à un tournoi mineur organisé par une maison de moindre importance, quand bien même cette Main se trouve être le suzerain du seigneur qui l'organise.
Mais les Royce sont amateurs de joutes, et je gage qu'ils seront présents, au moins pour partie d'entre eux. Lord Lyonel Corbray également, et sans doute d'autres familles importantes du Val. »
Lyonel Corbray ?, s'étonna Grey. S’il comptait sur cet événement pour faire gagner du prestige à sa maison, il serait vraisemblablement accompagné de son cadet, Lyn, dont la réputation de combattant s'était faite lors de la bataille du Trident. C’était lors de cette bataille que Ser Lyn avait hérité de la fameuse Dame Affliction, l'épée ancestrale en acier valyrien de la famille Corbray.
Son père se saisit à nouveau de la lettre.
« Lord Alleister évoque également sa sœur Lindzy, qui sera présente au tournoi et dont il mentionne expressément que sa main pourrait être offerte à cette occasion... C'est peut-être là l'opportunité d'une alliance, dont il nous faudra alors mesurer les avantages -et les risques. »
Les épais sourcils blancs de son père se froncèrent, en même temps que son front.
« Je suis assez étonné que Lord Alleister ne fasse pas part du décès de son père Jakob en préambule des nouvelles concernant sa prise du titre, et ainsi que le veut habituellement l'usage. Il y a dans cette omission quelque chose d'inhabituel et que je sens dissimuler peut-être une anomalie dans la succession -or, Alleister a un frère, Seth, dont il ne fait pas non plus mention.
Il nous faut clairement déterminer s'il y a eu une irrégularité dans ce processus, pour pouvoir estimer comme il se doit ce nouveau jeune seigneur. »
Hayden aplatît la lettre sur son bureau en y abattant sa main d'un geste mesuré.
« Tu es un homme fait, aujourd'hui, Grey. A 17 ans révolus, il est temps que tu vives ces expériences, qu'elles te grandissent et te rendent plus fort et plus sage. C'est toi qui nous représenteras là-bas. »
Ce fut au tour de Grey de froncer les sourcils.
Est-ce qu'il veut dire seul ?, s'inquiéta-t-il.
« Les gens du Val ne connaissent rien de toi, et tu incarneras ainsi le renouveau de notre maison. Je sais ton intelligence et ta subtilité. Et Ser Mickolas m'a confirmé qu'il te jugeait capable de combattre contre des adversaires réels. La langue et l’épée : tu as toutes les armes pour affronter ces gens-là, et montrer ce que valent les fils d’Archelon. »
Grey fit discrètement glisser sa main de son menton à sa gorge pour dissimuler sa déglutition. Oui, il était entraîné pour le combat ; le duel, la mêlée, et même la joute. Ceux-là ne lui faisaient pas peur. La lice voyait les chevaliers s'affronter avec des lances conçues pour se briser au contact, afin d'éviter les blessures ; mais le moindre faux pas dans une conversation avec un seigneur ou une dame pouvait causer des dommages bien plus conséquents à l'image et à l'honneur d'un homme ou de sa maison.
Se retrouver seul, pour la première fois, au milieu de toutes les personnalités du Val, plus accoutumées que lui à la discussion et aux jeux de cour, c'était là le véritable danger.
Et aucun entraînement ne lui permettrait de se préparer à ce qui se jouerait là-bas.
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