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Les nuages semblaient immobiles, figés sur un ciel d’un bleu pâle. Dans toute la vallée, c’était comme si le temps était suspendu. Cela faisait des décennies qu’il en était ainsi, dans cette région du Val.

Depuis les remparts arrondis de la forteresse de Carapace, le jeune Grey Archelon observait la montagne au pied de laquelle la forteresse avait été construite, et qui la protégeait sur ses flancs nord et ouest.

La montagne s’étirait en hauteur sur plus de trois mille mètres. Après un large tiers de pentes herbeuses et boisées, de vastes pans de roche aux teintes riches, grises, brunes et ocres n’étaient plus parsemés que de maigres îlots de verdure, là où la végétation parvenait à se nourrir de ce sol chiche.

Des ruisseaux descendaient des hauteurs, certains se rejoignant pour former des torrents, d’autres s’asséchant avant d’avoir rejoint le pied de la montagne, d’autres encore disparaissant sous la roche pour former des rivières souterraines et rejaillir pour certaines plusieurs centaines de mètres plus bas, ou plus loin encore.

Les ruisseaux naissaient des glaciers qui s’élevaient dans les plus grandes hauteurs, au-delà même des nappes de neiges éternelles, là où les nuages s’accrochaient souvent pour faire disparaître les blancs sommets dans leurs vapeurs cotonneuses.

En ce début d’après-midi, les plus hautes roches se découpaient dans le contrejour comme les silhouettes massives de géants inquiétants.

Depuis la fondation de Carapace, des siècles plus tôt, ils étaient la seule menace qui ait jamais pesé sur la forteresse.

Les clans barbares venus des montagnes ne s’étaient jamais approchés de ses défenses imprenables ; aucune maison ne convoitait les terres de sa voisine depuis que le Val avait pris le nom d’Arryn et que la noble famille y assurait la paix et la stabilité.

Quand le chaos était venu d’au-delà des frontières du Val, lorsque Robert Baratheon avait entamé sa Rébellion contre le roi Aegon Targaryen près de neuf ans plus tôt, il avait fallu choisir entre la loyauté au Roi et la fidélité au seigneur du Val, qui s’était rangé au côté de son filleul contre le Roi fou. Même alors, le seigneur Hayden Archelon était prudemment resté sur sa réserve, refusant de se prononcer pour l’une ou l’autre partie et n’envoyant ses forces en soutien ni de l’une, ni de l’autre.

La tortue était l’emblème de la maison.

Comme l’animal, elle restait fermée à son environnement même le plus direct, ignorant les relations avec les maisons voisines et ne s’occupant que de la bonne gestion de son domaine. Dans ce contexte de sécurité et de stabilité, la maison avait pu tranquillement se maintenir dans un état de relative prospérité.

Un jour, tout ceci serait à lui : les terres, le château, les gens. Grey en avait conscience.

Mais bien qu’il se sentît plus d’ambition que son père, l’aîné de la maison Archelon n’était pas pressé. Apprendre d’abord, établir des fondations solides avant toute entreprise, avancer pas à pas, n’étaient pas seulement des prescriptions héritées d’une longue tradition familiale : c’étaient aussi des principes de bon sens et de bonne gestion qu’il avait faits siens non par automatisme mais par choix.

Un mouvement attira l’œil vif de Grey. Depuis la large fenêtre donnant sur la bibliothèque qui constituait à la fois sa pièce de travail et sa salle d’audience privée, le seigneur Hayden, son père, lui faisait signe. Sobrement, presque discrètement, il l’invitait d’un geste de la main à venir le rejoindre.

Grey jeta un dernier regard à la vallée immobile en contrebas.

Puis il se mit en mouvement.