Apriès et Olina étaient confortablement installés, chacun dans son fauteuil favori du salon. Ils sirotaient leur thé en dégustant le contenu d'une petite assiette de mignardises.
– J'aimerais tellement pouvoir faire quelque chose pour elle, soupira Olina pour la énième fois.
– Tu sais bien que, quoi que tu fasses, Horn ne t'écouteras pas. Elle est vexée, ça lui passera.
Son époux prenait le problème de leur fille aînée bien mieux qu'elle. Certainement parce qu'il était un homme et ne percevait pas la détresse que l'abandon subi par leur fille ne l'avait pas simplement vexée. Non, elle était terriblement malheureuse.
– Apriès, Alwin aurait dû la demander en mariage. Il ne l'a pas fait, malgré ses promesses. Ils avaient même répété plusieurs scénarios possibles.
– Ma chérie, il s'est dégonflé, c'est tout... Face à l'échéance, il a pris peur et a tourné les talons.
Apriès sirota une gorgée de café noir. Olina savait que son mari n'avait pas fini et qu'il réfléchissait à ses mots pour lui expliquer son point de vue d'homme quant à la réaction d'un autre.
– Alwin aime Horn, c'est évident. Nous le savons, tout Mérovie le sait. Alors oui, ce revirement fera un peu jaser, et quand tous deux y repenseront dans vingt ou trente ans, ce sera avec nostalgie. Horn le traitera gentiment de trouillard et lui rougira toujours un peu de sa couardise en évoquant les mêmes excuses à chaque fois : trop de monde, trop officiel, trop belle pour lui, trop de trop. Puis ils en riront et leur romantisme fera envie à leurs enfants.
Olina ne savait qu'en penser. Si elle était confiante dans ce qu'Apriès imaginait pour l'amoureux de leur fille, elle doutait que celle-ci lui pardonne si facilement. Alwin lui avait brisé le cœur en disparaissant pendant le Festival de la Longue Nuit. Horn l'avait cherché, aidée de son amie Darmyse, l'apprentie-prêtresse déchue. Elle avait fait partie des derniers festivaliers à quitter la fête, même si, pour elle, le plaisir avait depuis longtemps laissé place à l'inquiétude, puis au chagrin.
– Horn finira par lui pardonner, poursuivit Apriès d'un ton docte. Elle le fera patienter, d'abord sans artifices, puis par coquetterie, quand elle aura compris qu'il pensera réellement toutes ses excuses, les raisons et les suggestions pour se racheter qu'il avancera. Il se pourrait même qu'elle le fasse pleurer ; je n'en serai pas surpris, connaissant notre fille. Et finalement, tout rentrera dans l'ordre.
Olina esquissa un sourire, sachant parfaitement où son mari voulait en venir.
– Parce que tu supposes qu'Alwin réagiras comme tu l'as fait en notre temps ? demanda-t-elle d'un ton taquin.
Apriès regarda son épouse avec un sourire où se mêlait tendresse et humour.
– Il ne pourra en être autrement : c'est quelqu'un de bien...
– Alors il ne reste plus qu'à espérer qu'aucun autre homme ne vienne s’immiscer entre eux pendant la réconciliation, poursuivit-elle sur le même ton.
Apriès émit un rire léger.
– Comme si un autre homme avait la moindre chance... Ça donnera une motivation supplémentaire à Alwin.
Olina joua un moment avec le petit napperon blanc sur le guéridon, perdue dans ses souvenirs. Elle espéra de tout cœur que les prédictions amusées de son mari se réaliseront, pour que les troubles sentimentaux de sa fille aînée connaissent un dénouement heureux. Mais Horn n'était pas comme sa mère. Elle vivait pleinement ses émotions, se laissait très souvent dépasser par elles et ne contrôlaient pas encore bien ses réactions. Elle avait progressé dans ce sens, mais rien n'était encore stable. Et puis, c'était sans compter le dédain qu'elle ne manquerait pas de manifester envers le jeune homme, attitude qu'elle avait adopté récemment, Olina ne savait où. Apparemment, prendre les gens de haut était une marque d'appartenance à la bonne société. Comme si la famille Adre avait besoin de se genre de comportement...
– À ton avis, combien de temps ce petit manège terriblement prévisible durera-t-il ? demanda Apriès, amusé d'ouvrir les paris.
Olina secoua la tête en levant les yeux au ciel face à la facétie du père de ses enfants. Il était parfois bien plus puéril qu'eux.
– Deux mois, quelque chose comme ça, proposa-t-elle.
Apriès hocha la tête, apparemment d'accord.
– Et comment réagiront Rayane et Riméon ? reprit-il avec autant de malice.
Les jumeaux, plus jeunes et âgés de treize ans, avaient des caractères très dissemblables.
– Je dirais que Riméon prendrait un ton docte et se lancerait dans un de ses monologues actuels dont il a le secret pour peser le pour et le contre...
Olina ne put s'empêcher de laisser s'échapper un petit rire avant de reprendre.
– J'espère que cette nouveauté de sa part cessera relativement rapidement, c'est plutôt désagréable. Et Rayane... Ma foi, comme Rayane... En cherchant la part de tord d'Horn, j'imagine, puisque son grand jeu est de faire culpabiliser sa sœur le moindre événement.
– Je crains d'être d'accord, approuva Apriès au sujet de sa plus jeune fille. Rayane est devenue tellement peste qu'elle pourrait facilement accentuer le chagrin de sa sœur et y prendre un certain plaisir, sans en concevoir les conséquences. Il faudra la surveiller, beaucoup plus que Riméon qui ne risquera de recevoir qu'un coussin dans le nez.
Les deux parents furent interrompus par un grincement de porte provenant de l'étage des chambres, suivi de pas traînants.
– Je crois que notre petite éplorée descend prendre son petit-déjeuner, supposa Apriès en tournant la page de son journal.
– Soit gentil avec elle, le rabroua doucement son épouse en se levant.
– Ne t'inquiète pas, ma douce. Il n'y aura qu'un seul requin dans la maison.
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