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tome 1, Chapitre 3 « Solidarité bien ordonnée commence par soi-même » tome 1, Chapitre 3

Le double-canon court du fuseur était braqué sur le front de Destuiz. La gueule d’acier pouvait lui cracher sa mort au visage d’un instant à l’autre. L’homme qui tenait l’arme était petit et trapu. Une fine moustache noire soulignait des traits acérés, striés de cicatrices de maladies et batailles diverses. Il souriait en coin, comme s’il profitait avec plaisir de la terreur qu’il inspirait à sa victime.

Destuiz se risqua à jeter un coup d’œil à la passerelle, espérant que quelqu’un, envoyé de la providence, le sortirait de ce faux-pas.

– Pose ton personateur par terre, pécore !

Destuiz s’exécuta lentement.

– Vous commettez une grave erreur, monsieur, dit-il en essayant de contrôler le tremblement de sa voix.

– Ta gueule, troufion.

– Ce personateur représente le dernier espoir d’une planète aux abois.

L’autre éclata de rire.

– Je vous en conjure…

– Conjure-moi plutôt de te laisser en vie, imbécile !

Destuiz sentit la sueur ruisseler froidement dans son dos. Il était le témoin impuissant d’une fatalité qui dépassait ses pires cauchemars. Je rêve, je vais me réveiller… Pitié, ne me faites pas ça à moi !

– Recule, suceur de queues d’varan d’Alkaïd.

Le truand se baissa pour ramasser l’objet. Le canon de son arme n’avait pas quitté de vue l’arcade sourcilière de Destuiz. Alors qu’il reculait, un large sourire en travers du visage, un projectile fit exploser la verrière de la passerelle. Le bras gauche du gangster éclata en pluie carmin. Alors qu’il toupillait en hurlant de douleur, son fuseur lâcha une double salve. Destuiz reçut comme un coup de marteau dans l’épaule. L’onde de choc le jeta au sol, où il resta effondré alors que la mitraille commençait à voler de toutes parts dans un vacarme du tonnerre. L’atmosphère se chargea d’odeurs âcres de métal brûlé, d’ozone et de plastique fondu.

– Shoote, shoote, Franky !

– Je lui ai brûlé le caisson, à cet enculé !

Un cri. Destuiz ferma les yeux, se mordit la lèvre. Son corps était agité de convulsions qu’il ne pouvait refréner. Il ne sentait presque pas la douleur dans son épaule brisée tant la peur lui nouait l’estomac.

Combien de temps ? Une éternité sûrement avant que les sirènes ne retentissent. Quelqu’un posa sa main sur lui.

– Ça va monsieur ? Tout est fini maintenant.

On le souleva précautionneusement.

– Le… le personateur… réussit-il à murmurer.

Un homme en blanc se pencha au-dessus de lui : un infirmier.

– Oui monsieur, ne vous fatiguez pas.

– Le personateur, c’est une affaire de vie ou de mort.

L’infirmier se retourna. À quelques pas du corps du truand, baignant dans une rigole de sang, l’appareil gisait en morceaux. Deux policiers contemplaient le cadavre.

– Tu l’as bien bousillé Franky ! Ils auront du mal à récupérer les organes, les blanc-becs !

– La TZ97 rotative ! J’te l’avais dit ! Elle a pas son pareil dans tout l’univers !

L’infirmier se pencha à nouveau au-dessus de Destuiz. Un officier de police souriant passa à côté de lui.

– Il est détruit, monsieur.

*

Destuiz sortit difficilement du sommeil dans lequel l’anesthésie l’avait plongé. Son cerveau fonctionnait à nouveau mais ses membres lui semblaient peser des tonnes. Si lourd qu’il abandonna l’idée de soulever ne serait-ce que la tête. Il roulait dans des couloirs aux lumières tamisées, conduit par un robot-lit sur coussin d’air.

– Depuis combien de temps… Quelle heure est-il ? parvint-il à articuler.

– Il est neuf heures du soir, monsieur, répondit la voix féminine du robot-lit. J’ai une heureuse nouvelle pour vous, monsieur : les soins de votre jambe droite seront remboursés par la police si vous acceptez de ne pas porter plainte. Il va sans dire que c’est une offre généreuse, étant donné que les réparations osseuses dont vous avez été l’objet reviennent à environ 55.000 écus.

– Pourquoi… Quelle jambe ?

– La droite, monsieur. Vous avez reçu trois projectiles. Nos experts ont affirmé qu’il s’agissait de balles policières. Quant à votre clavicule, vous n’en aurez que pour 250 écus, il s’agit d’une simple fracture. À votre demande, nous avons effectué une réparation préparatoire au tarif A.

Destuiz ne se souvenait de rien…

– Quelle guigne, souffla-t-il avant de refermer les yeux.

Soudain, la terrible vision du pistolet crachant les flammes lui revint en mémoire. Le bras de l’homme crevé par l’impact. Le sang qui éclaboussait la verrière… Il en eut mal au crâne. Grand Dieu Cosmique… Reverrai-je Venturi ? Je ne serai jamais un aventurier, rendez-moi ma maison sur la colline, les doux rayons du soleil reflétés sur le lac… Et je vais rater le rendez-vous avec Arnest. Je ne verrai pas la jeune femme de Wenigassy.

Le taxi qui le ramenait à l’hôtel lui factura 150 écus. Destuiz savait qu’il l’avait fait tourner en rond dans la ville… Mais tant qu’il n’aurait pas racheté de personateur, il resterait aveugle et à la merci des arnaqueurs de la cité.

Il était midi passé, et les rayons du soleil tombaient en cascade à travers la baie vitrée de la tour. Destuiz se laissa porter par l’escalator jusqu’à la réception. La teinture de son visage avait tenu. Il boitilla jusqu’au comptoir, aidé par l’exo-squelette métallique fixé à sa jambe droite.

– Oh, très agréable monsieur, quelle terrible épreuve l’impitoyable hasard a-t-il placé sur votre route ? s’indigna le réceptionniste.

– Un bien impitoyable hasard, comme vous dites… Monsieur Arnest Dawampa est-il là, s’il vous plaît ?

– Oui, monsieur Dawampa a laissé une clé de son appartement pour vous.

– C’est un homme délicieusement remarquable, d’un altruisme rare.

– Vous parlez avec la voix de la sagesse, messire représentant.

Destuiz eut un sourire désabusé. Les représentants pacitains avaient une tâche bien rude à accomplir : supporter les turpitudes des mondes humains et terrastructeurs afin de préserver la cohésion de leurs demi-frères pacitains… Un tel reniement était une chose qui dépassait l’entendement humain. Mais, il en était sûr, tous les hommes n’étaient pas comme ceux de Téluxa… Il poussa un soupir et prit le chemin des ascenseurs, clopinant entre d’immenses colonnades sur lesquelles couraient des plantes grimpantes. Arrivé près des ascenseurs, une musique merveilleuse attira son attention. Une mélodie douce et délicate, comme on savait si bien en jouer sur Venturi, mêlée d’accords joyeux et mélancoliques à la fois. Captivé, il alla jusqu’à la rambarde qui dominait le salon. Dans un coin de la pièce, quasiment vide, quelqu’un jouait sur grand clavier de touches blanches et noires. Les sonorités étaient claires et longues. Le cœur de Destuiz se mit à battre plus fort quand, se déplaçant sur la gauche, il reconnut la jeune femme du vaisseau. Il resta là, transporté par les notes. Une autre femme s’installa à côté de la première. Elle commença à fredonner une chanson, doucement, dans une langue étrangère.

– Comme je suis heureux de te revoir, Johan, lança la voix légèrement caverneuse d’Arnest.

Destuiz sursauta et se retourna, en oubliant que sa jambe n’était plus aussi agile qu’avant. Il grimaça de douleur.

– Ce qui t’est arrivé est fâcheux. Fulberyl, le réceptionniste, m’a dit que tu avais eu un accident.

– En effet. J’ai bien cru que j’allais mourir.

– Viens, allons boire quelque chose, tu me raconteras tout cela en détails. Je vais en profiter pour te présenter la jeune femme qui t’a attiré ici.

Ils prirent l’ascenseur et ressortirent un étage plus bas, dans le salon.

– Une chose, fit Arnest en pointant un doigt devant son visage, quoi qu’il te soit arrivé, tu devras dire que c’était un accident fortuit dont tu étais le seul responsable. Elles te poseront la question. Tu ne dois surtout pas sous-entendre que quiconque a pu agir de manière malveillante ou inconsciente et provoquer ton malheur, comprends-tu ? N’aborde aucun sujet grave ou touchant à l’immoralité de certains humains ou des Terrastructeurs. Et ne parle pas de souffrance ouvertement. Promis ?

– Euh… ça va être dur, dans mon état.

– Invente quelque chose de gai.

– Pourquoi ?

– La femme la plus âgée est une Pacitaine immaculée. La jeune est probablement encore très sensible elle aussi… Elles ne connaissent pas la dure réalité de l’univers qui nous entoure. Ils essaient de les rapatrier vers Pacita.

– Mais qu’est-ce qu’elles font par ici ? chuchota Destuiz alors qu’ils approchaient de l’instrument de musique.

– Elles ont survécu, miraculeusement, à l’accident du vaisseau qui les avait évacuées de Wenigassy. Maintenant, attendons la fin du morceau.

**

La plus jeune s’appelait Talwène, l’aînée Nandorine. Destuiz ne comprit pas les autres noms composés qu’Arnest récita avec cérémonie.

– Je vous présente Johan Destuiz, un ami.

L’intéressé s’inclina pompeusement, troublé. Les deux femmes sourirent avec grâce, mais ne prononcèrent aucun mot. Destuiz inventa un accident malencontreux pour expliquer son bras en écharpe et sa jambe en réparation osseuse. La jeune Talwène, dont les cheveux bleutés tombaient librement dans le dos, prit un air contrit. Destuiz osait à peine la regarder, de peur de dévoiler sa fascination. Il observa à la dérobée les traits fins de son visage, sa nuque gracile, ses yeux sombres qui contrastaient avec le teint clair de sa peau.

Après quelques minutes, dame Nandorine prit congé, suivie par la demoiselle Talwène. Arnest vida d’un trait son verre de Djamby et fixa ses yeux brillants sur Destuiz.

– Je pense que ta passion ne te mènera pas au bonheur, mon ami, dit-il gravement.

Destuiz, encore sous le charme de la belle Pacitaine, le regarda d’un air interdit. Le représentant secoua la tête avec fatalité.

– Non, reprit-il, trop d’années lumières séparent nos deux cultures…

– Je ne crois pas. Les représentants sont la preuve vivante du contraire, fit remarquer Destuiz.

– Les représentants ont été sacrifiés pour sauver les Immaculés.

– Un représentant ne peut-il pas être heureux ?

La question prit l’autre au dépourvu.

– Ss… Si, bien sûr.

– Quelqu’un qui affronte le malheur n’en est que plus heureux de trouver le bonheur. Pour lui, des choses toutes simples acquièrent une valeur démesurée.

Dawampa eut un sourire indulgent.

– Tu aurais pu faire un bon représentant, mon ami.

***

Destuiz avait très mal dormi. La peur d’échouer, de ne jamais revoir son monde natal, lui avait interdit l’accès aux portes du sommeil. Il se leva de bonne heure et décida qu’il en finirait le jour même avec la tâche qui l’avait amené jusqu’ici. Il descendit au salon et déjeuna d’un buffet de fruits exotiques et d’œufs brouillés agrémentés de saucisses de synthèse. Puis il enfonça sa magnifique casquette de Commandeur sur son crâne, seul élément conservé de son costume de départ, et sortit sur la passerelle. Il profita un instant des rayons du soleil matinal, puis commanda un taxi. Il lui fallait à tout prix un nouveau personateur. Pour cela, il serait contraint d’utiliser l’un des jetons de la banque Omnirace. Il ne lui en resterait que deux pour acheter le matériel électronique du bouclier.

– Où allons-nous, Majoral ? questionna le chauffeur, un gros gars à moitié chauve dont le visage replet n’inspirait pas confiance.

Destuiz prit un air assuré.

– Tour commerciale de J&M Electronique, je suis pressé.

Le taxi le déposa à l’endroit requis et Destuiz régla la course. Il entra dans la tour où se côtoyaient des centaines de magasins d’électronique, en apparence similaires. Après un rapide tour des vitrines, il entra dans l’une des boutiques. Le vendeur lui parla d’abord en Tassanarien, avant de comprendre que Destuiz n’était pas du coin. Il lui fit alors un grand sourire, découvrant une rangée de dents jaunes. Rajustant son costume, il passa une main dans sa touffe de cheveux bruns et fixa ses yeux bleus sur son client.

– Combien, ce personateur ? demanda Destuiz en indiquant un appareil dans la vitrine derrière le vendeur.

L’homme sortit le modèle et le posa contre le comptoir. L’étiquette bien en vue indiquait 1 550 000 écus.

– Pour vous, dit-il en Unidiome, seulement un million.

Il inscrivit les chiffres sur un bout de papier, comme si Destuiz n’avait pas compris l’Unidiome.

– Très bon modèle, un choix judicieux. C’est le dernier que nous ayons reçu : ils partent comme des petits pains.

– Est-ce qu’on peut effectuer des transactions avec, trouver son chemin et…

– Bien sûr, bien sûr ! Vous pouvez visionner des films virtuels, faire des jeux interactifs, correspondre par réseau interposé, entrer dans les matrices informatiques, etc.

Destuiz parut hésiter.

– Et ce modèle-là, dit-il en indiquant un autre appareil dans la vitrine.

– Oh, bien plus cher.

– Qu’est-ce qu’il a de plus ?

– La marque.

– Bon, je prends celui-ci, fit-il en mettant le doigt sur le premier.

– Bien. D’où venez-vous, j’ai cru entendre un accent qui m’est familier ?

– De Venturi.

– Ah oui ? Vraiment, drôle de coïncidence ! Ma femme est née là-bas !

Le vendeur se dirigea vers sa caisse et imprima la note. Tandis que l’imprimante déroulait le ruban, il se pencha pour souffler une question à voix basse à son terminal.

– Ah bon ? D’où est-elle ? demanda Destuiz, intrigué.

– De Granistage, répondit le vendeur après un rapide coup d’œil à son écran.

– Oh ! C’est une ville merveilleuse, s’enthousiasma Destuiz.

Rencontrer un compatriote était vraiment un hasard incroyable, mais si agréable dans une ville telle que Tassanarive. Il regarda la note.

– Un million sept cent mille ? Ça n’est pas ce que vous m’avez dit tout à l’heure, s’indigna-t-il.

Le vendeur reprit la note, qu’il détailla.

– Ça, c’est l’appareil : un million; ça c’est le transcodeur pour Venturi : 50 000 E; ça c’est le raccord casque : 150 000E; voilà le raccord matriciel : 300 000E; et l’unité virtuelle : 200 000 E.

– Je ne payerai pas une telle somme !

Le vendeur raya le prix du transcodeur.

– Voilà, gratuit, pour vous, fit-il avec un sourire de réconciliation.

– Certainement pas, je ne payerai pas plus d’un million d’écus pour cette machine !

– Bon, voilà, le casque gratuit, 1 500 000 E !

Destuiz fit mine de partir. Le vendeur le rattrapa par-dessus le comptoir.

– Aah, vous êtes dur en affaires, dit-il d’un air chagriné mais résolu. Un million deux cent mille.

Et il lui mit l’appareil dans la main. Destuiz hésita. Finalement, il sortit le jeton de sa poche. Le vendeur écarquilla les yeux.

– Dix millions d’écus de la banque Omnirace !

– Ne vous leurrez pas. Je représente la défense planétaire de Venturi. Cet argent appartient à mes compatriotes.

La machine encaissa et rendit la monnaie en carte de crédit. Destuiz quitta la boutique satisfait de son achat.

En marchandant un peu, et en expliquant la situation de Venturi, les vendeurs me feront certainement un rabais sur les pièces du bouclier, songeait-il bien naïvement, en parcourant la passerelle vers le fournisseur indiqué par son nouveau personateur.

Arrivé à la boutique, il vérifia sa sacoche afin de s’assurer de la présence du jeton suivant. La sacoche avait disparu ! Il sentit un frisson glacial lui parcourir l’échine, ses cheveux se dresser sur sa tête, tandis que son cœur semblait s’arrêter de battre. Le sang afflua dans ses tempes alors que son cerveau tentait désespérément de retracer son itinéraire afin de localiser l’endroit et le moment de la perte. Après quelques instants de recherche affolée, il en conclut avec effroi qu’il l’avait oubliée dans le taxi. Heureusement, songea-t-il, un jeton de la banque Omnirace ne pouvait être dépensé que par son possesseur légal, enregistré sur Terre.

****

Toute la journée, Destuiz avait fait des pieds et des mains pour retrouver le taxi et la sacoche. Il était allé au commissariat, puis à l’ambassade Terrienne, qui l’avait envoyé à la banque Omnirace où il avait échoué dans le bureau d’un petit fonctionnaire rondouillard.

Destuiz était affalé sur le fauteuil, la mine défaite, les cheveux en bataille et la casquette froissée entre ses mains crispées. Le petit homme chauve au visage porcin examinait le terminal de son ordinateur. Il se tourna finalement vers Destuiz, avec un regard triste.

– Je regrette Messire Destuiz. La banque ne m’autorise pas à vous verser la somme requise tant que la PIG n’a pas enregistré le vol.

– Combien de temps cela prendra-t-il ? l’interrogation de Destuiz s’était muée en supplique.

– Je comprends l’inconfort de votre situation, Messire, mais le mieux que je puisse faire est de vous accorder un prêt au nom de votre ambassade sur Téluxa II. Cinq millions d’écus, remboursables automatiquement dès réception de l’avis de la police.

– Vous n’avez pas répondu à ma question ! Et je crois que vous ne comprenez pas entièrement la situation dans laquelle je me trouve actuellement !

– Restons calmes Messire Destuiz. Vous devez comprendre que la Police Inter Galactique et la banque Omnirace, en tant qu’organismes affiliés à la Charte, ont des responsabilités universelles. Cela représente des millions de milliards de données à la seconde, rien que pour notre système solaire. Les affaires prioritaires sont légions ! Plus de dix systèmes solaires disparaissent chaque jour. Les cas d’urgence se comptent par milliards… C’est pourquoi un délai d’un mois est considéré comme rapide pour une simple affaire de vol de sacoche sur un monde de la bordure extrême de la ceinture, qui n’est même pas affilié à la Charte.

– Je vous remercie, monsieur Daltimore, avait lâché Destuiz avec un regard de profond dégoût.

Il avait aussitôt contacté l’ambassade de Venturi, sur Téluxa II. L’ambassadeur eut du mal à reconnaître son hologramme. Il crut d’abord avoir affaire à un représentant pacitain.

– Très Honoré Commandeur ! Que vous arrive-t-il ?

– Ce qui se passe ? J’ai égaré un des jetons de la banque Omnirace à Tassanarive et j’ai dépensé une partie du premier dans l’achat d’un personateur neuf. Le représentant de la banque terrienne veut bien m’accorder un prêt de cinq millions à votre nom… mais avec un délai de paiement d’un mois !

– Quel désastre ! J’ai toujours su qu’il fallait aller chercher ces pièces sur Gigantis IV ! Mon pauvre ami ! Et c’est sur vous que retombe le poids de cette cruelle tragédie… Eh bien, je vais m’occuper de ce prêt avec ce rat de Daltimore, ne vous en faites pas. Allez vous reposer et ne vous tracassez plus, je vous ferai parvenir un crédit dématérialisé dès demain.

– Dieu Cosmique, vous m’êtes d’un secours inespéré.

– Nous sommes tous jusqu’au cou dans cette affaire. Croyez-moi, j’admire votre dévouement pour avoir accepté une telle mission.

Destuiz s’était senti quelque peu soulagé, sachant qu’il pouvait encore compter sur des gens honnêtes et compréhensifs. Malgré ça, il souffrait du poids de la honte. Se retrouver dans une situation aussi pathétique, réduit à mendier le soutien des autres, à la merci du premier brigand venu, était indigne de la responsabilité qu’il avait acceptée.

De retour à l’hôtel pacitain, il alla directement au salon et se cacha dans un coin, enfoncé dans un fauteuil de cuir vert. Il commanda un sandwich et une bouteille de Torzyl. Un mal de crâne vint subitement lui vriller la cervelle et se propagea pernicieusement jusque dans sa nuque. Il se rendit compte que sa jambe le faisait atrocement souffrir et qu’il en avait trop demandé à son membre endommagé.

– Vous ne vous sentez pas bien, aimable monsieur ? demanda la serveuse.

– Ça va aller. J’ai besoin d’un bon repas et d’un peu d’alcool.

– Je vais appeler un médecin.

– Ne vous donnez pas cette peine. J’ai besoin d’un peu de repos.

Il s’affala malgré lui, terrassé de fatigue nerveuse et physique. La serveuse posa la main sur son front et s’écria :

– Vous êtes bouillant de fièvre !

Évidemment, car la température normale d’un pacitain excédait rarement 30 °C. Et Destuiz devait bien chauffer à 40 °C ce soir-là.

*****

Il s’était rapidement trouvé entouré de représentants attentionnés qui l’avaient monté sur une civière dans la suite d’Arnest. Lorsque ce dernier arriva, un médecin l’attendait près du lit où dormait son protégé, assommé par les calmants.

– Vous connaissez cet homme ? demanda le médecin en désignant Destuiz.

– Oui, bien sûr ! C’est un ami à moi…

– Bien. Je suis obligé de briser le secret médical dans cette situation bien particulière. Car je suis persuadé que je ne nuirai aucunement à mon patient en soumettant à votre attention un léger détail.

– Oui ? répondit l’autre, de plus en plus intrigué.

– Cet homme est humain.

– Ah… Vous m’avez fait peur !

Le médecin parut intrigué à son tour.

– Vous le saviez ?

– Bien entendu !

– Je l’ignorais. C’est pourquoi j’ai tenu à clarifier cette situation. Vous comprenez, 39,6° pour un représentant… c’est une température limite.

– Qu’est-ce qui s’est passé ?

– Rien de grave. Je pense qu’il s’agit d’une trop forte tension émotionnelle ; ajoutez à cela deux blessures en phase de restructuration…

– C’est navrant… Voilà où mène la passion.

– La passion ?

– Les femmes, mon ami…

– Ah… Je croyais qu’il s’agissait d’autre chose. Voyez-vous, il n’a pas cessé de gémir dans son sommeil, avant que les calmants ne fassent vraiment effet.

Le médecin s’installa de nouveau, à l’invite de Dawampa, tandis que celui-ci sortait des verres.

– Et qu’a-t-il dit ?

– Il parlait d’une planète dont le bouclier allait exploser.

– Ah oui. C’est encore en rapport avec cette jeune femme dont je vous parlais. C’est une réfugiée de Wenigassy.

– Ah ! Je comprends mieux maintenant.

Et ils avaient bu en silence, tandis que dans son sommeil forcé, Destuiz n’avait plus de place pour le repos.


Texte publié par Joe Cornellas, 1er août 2018 à 18h17
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