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L'Art des Fouilles

– Tu as trouvé quelque chose ?

L'adolescente interpellée leva à contre-cœur le nez du trou qu'elle contemplait.

– Oui, marmonna-t-elle avant d'être bousculée par son professeur.

– Voilà qui me parait une bien jolie découverte, rugit ce-dernier de plaisir anticipé.

Le professeur Estre enseignait l'Art des Fouilles à Armi depuis seulement quelques mois et, si tout se déroulait bien, pour encore cinq ans. C'était un homme imbu de sa notoriété qui n'éprouvait aucun scrupule à exploiter ses apprentis. Ceux-ci payaient pour bénéficier de la meilleure formation d'artiste des Fouilles qui puisse être dispensée, tout pays confondu, et lui devaient donc une reconnaissance éternelle pour le temps qu'il leur dédiait. De plus, il n'hésitait pas à s'octroyer les découvertes que ses apprentis pouvaient faire, sans même les mentionner dans ses articles. Et cela, en toute légalité.

Armi regarda son mentor procéder, consciente que le fragment de bois qu'elle venait de dénicher lui glissait entre les doigts. Foutu égocentrisme !

– C'est un gros morceau, tout de même, remarqua l'autre élève, un jeune homme en fin d'apprentissage qui tentait à chaque instant de prouver sa valeur à son maitre, sans jamais récolter davantage qu'un regard agacé, méprisant ou, pire, aucune réaction.

– Trente-deux centimètres, arrondi le professeur Estre après l'avoir mesuré sans le toucher. Nous allons le ramener au laboratoire.

Sans tarir d'explications ni de précautions, il sortit l'artefact du trou, l'emballa et le déposa dans le coffre renforcé sur le chariot. Puis, tout trois reprirent le travail.

– J'en ai un autre ! s'exclama le compagnon d'Armi une petite demi-heure plus tard.

Son carré était occupé par un joli bout de bois orné d'un élément métallique gris aux reflets bleus, finement ouvragé. Lui aussi était assez long, peut-être même un peu plus que l'autre, et tout aussi rectiligne si l'on omettait l'élément en forme de boucle.

– Ah ! rugit le professeur Estre. Je le savais !

Armi retint à grand peine un soupir d'exaspération.

– Je pense que cette pièce-ci et l'autre découverte tout-à-l'heure font partie d'un même objet.

Armi haussa les épaules, pas convaincue par la grandiloquence de son maitre.

– Il pourrait aussi s'agir de deux fragments d'objets similaires, suggéra-t-elle en tâchant de se montrer respectueuse.

Mais bien entendu, Estre balaya son hypothèse d'un geste de la main, comme s'il était embêté par un insecte.

– Impossible, le bois est exactement de la même couleur, répondit l'autre apprenti dans une nouvelle tentative pour impressionner le professeur.

Armi ne prit même pas la peine de manifester une quelconque réaction, tant cette affirmation était stupide. Tant de paramètres pouvaient jouer sur les couleurs, sans parler des jeux de lumière au cours de l'extraction, ou encore tout simplement des tours que peut jouer la mémoire. L'adolescente n'arrivait pas à éprouver la moindre compassion pour son partenaire, malgré son désespoir apparent de ne pas réussir à s'attirer les bonnes grâces de son mentor.

– Ce sont des morceaux de fusils, conclut Estre avec emphase.

Armi garda pour elle la satisfaction qu'elle ressentit à être parvenue à la même conclusion que l'homme.

– C'étaient des armes à feu. Elles datent de la conquête de notre bonne planète Pän par les astronautes et explorateurs de l'ère industrielle terrienne. C'est en l'an 1908 de la période que les historiens Terriens appellent « temps modernes » que leurs premières conquêtes spatiales ont eu lieu. Bien des milliers d'années et un ou deux cataclysmes plus tard, nous nous voyons contraints de ne plus utiliser d'armes à feu ; la poudre est simplement inconnue sur ce monde, et les contacts avec notre monde originel sont rompus.

Armi connaissait ses leçons d'histoire, mais éprouvait toujours beaucoup de plaisir à la réécouter. C'est d'ailleurs cette passion pour le passé qui l'avait, très jeune déjà, orientée naturellement vers l'Art des Fouilles, dénomination plus sensible et... et bien artistique... de l'ancien métier d'archéologue. Une vision plus nostalgique d'une époque ou les plus grands rêves d'exploration pouvaient devenir réalité sans trop de barrières technologiques. Cet âge d'or avait très peu duré, et comme tout passé sublimé, il faisait l'objet d'un incroyable nombre de romans, pièces de théâtre et autres créations.

Alors que son imagination voguait vers de lointains rivages, le professeur Estre et son laquais – quel autre terme aurait pu s'appliquer à son collègue ? – avaient soigneusement rangé la pièce de bois et s'étaient même installés sur la charrette, prêts à partir. Armi eut juste le temps de sauter à l'arrière avant qu'elle ne se mette en route.


Texte publié par Lunar Eclipse, 22 juillet 2018 à 08h36
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