El-Nemira était la plus petite des grandes cités du sultanat. Elle s'érigeait sur un plateau, entre la colline aux mirages et la plaine des montagnes. Lorsqu'on s'en approchait, on devait passer un rempart et des portes bien gardées, puis on entrait dans un jardin luxuriant, dont les plantes étaient magnifiques et colorées ; la richesse du lieu était évidente et tapait dans l'œil de celui qui n'y était pas habitué : entre plantations exotiques et pilier majestueusement décorés de fresques et de feuille d'or, il y avait de quoi tomber des nues. Le jardin était séparé en deux par une route qui menait à un second rempart, la vraie porte d'entrée de la ville.
Là, lorsque vous passiez le poste de garde, vous découvriez une grande rue qui montait vers la tour de Bab-Makta. Elle était connue pour être le centre nerveux historique et scientifique du sultanat. La tour de Bab-Makta était une bibliothèque aux nombreux étages, renfermant des rangées de livres datant de centaines d'années, les plus anciens étaient sous haute garde afin que personne ne puisse en altérer les pages si précieuses ; d'autres salles abritaient des laboratoires où théories et tentatives pratiques se rencontraient, des lieux où les plus grands philosophes venaient réfléchir sur des questions de bon sens et des idées nouvelles. Et c'était dans l'une de ces pièces qu'avait élu quartier général le projet « Fin du Désert ».
La sultane avait trouvé ce lieu plus propice à l'observation et au classement des informations, elle avait donc déplacé une partie de sa cour dans les plus hautes tours d'El-Nemira afin de superviser le projet dans ses premiers essais. La sultane de 38 ans était coriace, vive d'esprit et désintéressée des jeux de cours depuis que ses scientifiques lui avaient rapporté la mauvaise nouvelle à propos de l'avancée du sable dans ses territoires.
Nasime, sur son deux-roues à moteur, filait dans l'air humide sur la route de terre qui rejoignait les portes de la ville. Ses tresses lui fouettaient les yeux, mais pas tant que le vent lui sifflait aux oreilles. Elle décéléra l'allure de son engin, s'engageant entre les voitures et quelques passants. Le poste de garde se profilait, bien gardé par une petite troupe de sentinelles. La jeune femme ralentit encore avant de s'arrêter sur le bas-côté. Là, elle présenta ses plaques à une sentinelle dont le visage imberbe ne lui était pas familier, respectant la procédure à la lettre. Une fois cette corvée achevée, elle repartit sur les chapeaux de roue et emprunta l'une des rues qui partait de la voie principale, croisant marchands, valets, enfants et parfois quelques bourgeois en train de faire leurs emplettes du jour avec des domestiques pour les assister dans leur tâche.
La terre sèche de cette rue rendait l'atmosphère poussiéreuse, obligeant les travailleurs de la cité à relever un voile sur leur visage pour se protéger de cette gêne. Pour les plus favorisés, ils en portaient de bonne qualité et taillé dans des tissus doux et soyeux, pour les autres il s'agissait en fait d'un ancien torchon reconverti et sale. La lieutenante, quant à elle, se sermonna intérieurement d'avoir négligé de se couvrir, mais elle n'y songea que brièvement avant de se concentrer sur ce qui l'attendait ; elle se mêla à la population et salua quelques connaissances d'un signe de la tête avant de parvenir à l'entrée des garages réservés aux soldats. Là, on s'occupa de son compagnon de route métallique et on lui offrit une gourde pour s'hydrater. Le chemin entre le village et la ville s'était fait sous un soleil de plomb, qui assécherait sans doute la plupart des terres entre le désert et la civilisation. Encore du terrain perdu au profit du sable envahissant.
— Merci Azir, dit-elle d'une voix rocailleuse.
Elle se racla la gorge, toussa puis vida la gourde d'une traite. Cela commençait à devenir dérangeant. Elle avait choisi de vivre à El-Nemira pour son climat chaud, ses beaux terrains et sa petite population ; la plupart des gens étaient enthousiastes et chaleureux, mais ceux qu'elle côtoyait lui ressemblaient : taiseux, solitaires, prêts à faire leur travail sans demander à bavarder constamment – sauf quelques exceptions. Mais si pour tout cela elle devait payer le prix d'une chaleur plus qu'écrasante avec l'avancée du désert, peut-être finirait-elle par se réfugier à Bellanem, la ville côtière du sultanat. Là-bas, elle trouverait vent frais, pêcheurs, commerçants, crapules, bois et terre meuble ; mais les gens y étaient beaucoup plus bavards.
Se secouant, Nasime quitta les stalles pour rejoindre ses supérieurs au quatrième étage de la tour de Bab-Makta ; pour cela, elle dut traverser le grand hagard, appeler le monte-charge et patienter. Dans l'air du matin, l'odeur entêtante du fuel se mêlait à celle de la transpiration des ouvriers qui se chargeaient de garder les deux-roues et les voitures militaires en état de fonctionnement.
Après de longues minutes de patience, un valet écarta deux grilles de métal et invita la jeune femme à entrer.
— Quatrième étage s'il vous plait, demanda-t-elle du bout des lèvres.
Le jeune homme en sarouel rouge – la couleur de la cité – actionna une série de bouton sur l'interface, puis une multitude d'engrenages s'actionnèrent et remontèrent le monte-charge vers les étages supérieurs. La petite cabine était faite d'une structure en acier et était refermée par des panneaux de bois épais qui contenaient un peu les bruits de la machine. Le trajet jusqu'au niveau quatre ne fut pas très long, juste le temps pour Nasime de vérifier qu'elle avait tout sur elle ;, bourse, holster, arme de poing et collier, tout était là.
Une secousse attira son attention, lui signalant leur arrivée. Le jeune valet ouvrit les grilles et fit un signe à la jeune femme lorsqu'elle quitta le monte-charge.
— Qu'Aakif guide vos pas, la salua-t-il.
— De même, fit-elle en lui adressant un signe de la main.
Elle ne pesait pas ses mots, y réfléchissait à peine, mais cherchait à en faire le moins possible dès qu'elle le pouvait. Malheureusement, là où elle allait, il y aurait beaucoup trop de choses qui se diraient à son goût et elle serait fatalement obligée d'y prendre part. Dans les couloirs, de belles tentures coloraient les murs ternes de la tour, de hauts chandeliers éclairaient sa route puisqu'il n'y avait pas de fenêtre dans cette portion de l'étage, des alcôves abritaient des sièges où quelques personnalités patientaient entre deux réunions. Nasime ne prenait pas le temps de les saluer, n'y faisant même plus attention avec le temps. Elle préférait largement se fondre dans la masse, même si ici elle devait plutôt se fondre dans les murs et les tentures.
Elle prit une intersection, traversa une grande salle et en rejoignit une autre dont les grandes fenêtres baignaient la pièce d'une lumière chaleureuse. L'été n'arriverait pas avant six mois et il faisait aussi chaud qu'à la fin du printemps, des oiseaux se posaient sur les battants des volets, des fleurs poussaient en contre-bas, et les gens portaient leurs tenues de mi-saison. Nasime se défit de sa veste, la jeta sur un dossier de chaise et claqua la porte derrière elle.
— Bonjour lieutenante. Toujours aussi rayonnante ! lui lança son homologue Ashraf avec un sourire éclatant.
— Pourquoi avons-nous été convoqués ici, demanda-t-elle en allant se servir un verre d'eau dans un coin de la pièce.
— Aucune idée, je n'ai pas eu plus d'information que toi lorsque j'ai reçu le coursier. À mon avis, on va nous faire un rapport détaillé de la mission et nous assigner nos équipiers.
La lieutenante inspira profondément. Elle n'avait rien contre les scientifiques, mais elle conservait le souvenir d'un père souvent absent et lointain alors qu'ils étaient dans la même pièce. Elle préféra effacer cette image de son esprit et se concentrer sur l'objet de leur entrevue avec leurs supérieurs.
La porte à l'opposé de celle qui l'avait menée ici s'ouvrit en silence et laissa entrer une douzaine de personnes, suivies elles-mêmes par le Commandant Jaffar et le Colonel Daris. Ce dernier était en charge des équipes et tenait la sultane au courant de toutes les avancées faites. Il était grand et large de carrure, son cou épais supportait un visage rond et ridé ; la cinquantaine largement passée, sa peau se flétrissait par endroit et rendait son teint olive plutôt cendreux. Ces derniers temps on disait qu'il était en passe de prendre sa retraire, mais manifestement, ses supérieurs ne lui en avaient pas laissé le temps. Dans ses habits traditionnels : un pantalon droit rouge, une tunique beige surmontée de ses grades et une paire de bottines noires ; le Colonel Daris se positionna face à l'assemblée. Il la toisa, l'examina en silence, puis il croisa les mains dans son dos, faisant ressortir son ventre bedonnant, puis s'exclama avec force :
— Mesdames et messieurs, militaires et scientifiques, je vous ai réunis aujourd'hui parce que vos confrères ont fait de nouvelles découvertes concernant le désert, mais aussi parce que notre Sultane Riya II s'impatiente. Je vous présente donc vos équipes, lieutenants. Ils savent qui est leur supérieur, ne vous en faites pas. De plus, ils vous renseigneront sur les informations que nous a révélées le désert, ainsi que sur les spécificités de vos missions respectives. Je n'ai donc pas grand-chose à vous dire, si ce n'est qu'il faut impérativement découvrir ce qui ne va pas avec ce maudit sable, avant que nous ne finissions ensevelis, fit-il avant d'être pris par une quinte de toux qui l'obligea à sortir accompagné du Commandant Jaffar.
Un silence de plomb s'installa dans la grande pièce. Les gens se regardaient en chien de faïence, attendant que l'un d'eux prennent la parole. Seulement, les scientifiques et les militaires n'étaient pas connus pour leur amabilité les uns envers les autres, loin de là ; et pourtant ils se voyaient obligés de travailler main dans la main afin de mener cette expédition à bien. Les seules personnes à l'aise avec cette absence de discussion n'étaient autre que la lieutenante Nasime et le professeur Omar ; ils se jetèrent un coup d'œil furtif et s'adressèrent mutuellement un signe de tête. Les taiseux se reconnaissaient entre eux, restant ensemble par souci de facilité. Malheureusement pour eux, le lieutenant Ashraf brisa cet instant agréable.
— Bien, je suis le lieutenant Ashraf, chef de groupe. Qui vient avec moi pour cette joyeuse petite aventure ? s'enquit-il en posant les mains sur ses hanches.
Deux jeunes scientifiques levèrent la main, suivis par trois soldats en tenue de travail, ils furent tous accueillis avec sympathie par leur supérieur, avant qu'un dernier géographe se joigne en silence à leur groupe. Les autres fixèrent alors Nasime qui leur tournait ostensiblement le dos pendant qu'elle remplissait son verre d'eau.
— Je veux tout savoir, avec le moins de mots possible. Soyez clair et concis, je n'aime pas devoir poser des questions inutiles parce que vous vous êtes emballés dans vos idées, lâcha-t-elle en leur présentant son profil gauche.
À l'hélix de son oreille étaient suspendus trois anneaux en or, tandis que ses tresses étaient relevées afin de dégager son cou. Elle avala une grande gorgée d'eau, patientant calmement.
Ce fut Samiha Zarihan qui fit les présentations.
— Je suis Samiha, géographe. Voici Omar, mon collègue, et Isis notre historien et linguiste, fit-elle en souriant. Nous avons fait la rencontre de Issa, votre sous-lieutenant, et Hashem un...
— Je connais Issa et Hachem, merci Samiha, coupa Nasime. Passons aux informations sur le désert voulez-vous ? Nous avons besoin de savoir ce qui nécessite votre protection.
La distance émotionnelle imposée par leur cheffe mit les scientifiques mal à l'aise. Plus personne n'osa prendre la parole, jusqu'à ce qu'Omar sorte de son mutisme.
— Le désert est aride, nous avons besoin d'emporter beaucoup d'eau, les vivres sont moins importants parce que sans eau, vos vivres ne vous maintiendront qu'à peine. Les nuits y sont très froides contrairement aux jours, je conseille donc d'emporter un bon matériel de nuit. Pour le jour, des vêtements légers suffiront, mais je pense que vos supérieurs veulent imposer un sarouel bleu foncé pour nous protéger du soleil, mais ce n'est pas mon rayon. Cependant, aucune vie n'a été détectée jusqu'à maintenant, alors je crois que vous êtes seulement là pour rappeler à certains scientifiques pour qui ils travaillent et pour nous protéger au cas où nous découvririons une nouvelle civilisation. Quant à nous, nous devons cartographier les terres le long du littoral. Isis est là pour consigner tout ce qui aurait trait à une civilisation passée ou actuelle.
Le silence retomba et donna à Nasime le loisir de réfléchir aux propos de son nouvel équipier. Elle prit un temps pour penser aux éléments qu'ils embarqueraient, mais se doutait que des paquetages avaient surement déjà du être préparés, ainsi qu'un moyen de locomotion appropriés. Elle vida son verre d'eau, le posa sur la table puis se tourna vers son équipe. Elle constata que le lieutenant Ashraf avait emmené la sienne en dehors de cette salle, leur permettant ainsi de travailler chacun à leur manière.
— Bien, dans ce cas, quand partons-nous ?
— Dans deux jours, lieutenant, souffla le jeune Isis.
Le remerciant d'un hochement de tête, elle se dirigea vers la chaise où elle avait laissé sa veste, puis lança à son équipe :
— Soyez prêts dès l'aube, nous partirons tôt. D'ici-là, je connaitrai la zone que nous explorerons. Evitez de vous surcharger, ne prenez que le strict minimum et soyez en forme ; ce sont les trainards qui meurent chez nous, alors dans le désert, je n'ose imaginer.
Elle quitta la salle d'un pas assuré, laissant derrière elle un peloton d'ahuris. Ils connaissaient tous sa réputation, mais voir en vrai qu'elle pouvait se montrer froide et distante, c'était autre chose ! Pourtant, beaucoup de femme dans le sultanat – autant que des hommes – étaient détachés, surtout dans les armées de la Sultane Riya II. La rumeur justifiait cela en colportant que la sultane n'était pas une femme facile, mais qu'en détenant le pouvoir, elle inspirait d'autres femmes à se montrer dures. Pourtant, Nasime agissait ainsi parce qu'elle avait déjà perdus des amis lorsqu'elle n'était encore qu'une cadette – deux bastions s'étaient affrontés suite à des conflits de territoires respectifs, obligeant les cadets à défendre les terres de la sultane. Depuis, la lieutenante avait fait preuve de sang-froid, de distance et avait pu monter les échelons sans trop de difficultés, laissant ainsi derrière elle une rumeur glaciale.
— Elle n'a pas tort. Et je ne trainerai pas vos carcasses brûlées, cracha Omar en suivant l'exemple de Nasime.
— Elle est froide comme ça, mais elle vous traitera toujours avec respect si vous faites ce qu'elle demande et si vous la laissez tranquille, dit Issa en leur souriant.
Dans le couloir, la jeune femme marchait d'un pas assuré, pensant au succès de son entreprise. Qu'Aakif guide nos pas dans cette folle aventure, pensa-t-elle au détour d'un couloir, une expression ironique s'esquissant sur les traits lisses de son visage.
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