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tome 1, Chapitre 14 tome 1, Chapitre 14

– Hey ! Je suis de retour ! s’écria Kreya avec enthousiasme.

– Nous n’avions pas remarqué, ironisa Moriss alors que son regard était posé sur son entolon personnel.

Près de lui, Lionel se pencha pour mieux voir l’écran holographique sans ajouter un mot. Même si, du point de vue de la theris, l’image était inversée, elle comprit aussitôt qu’ils étaient loin d’être penchés sur du travail ; et le bruit qu’émit alors l’écran lui apprit qu’effectivement, les deux hommes étaient occupés sur un jeu vidéo. Les jeux, films et séries vidéo, lectures et autres fichiers immatériels étaient les seuls loisirs qu’ils avaient été en mesure d’emporter avec eux, pour une question de place et de limitation de chargement. Comme ils n’avaient plus accès au réseau universel d’Argos, il était désormais difficile pour eux d’en importer ou d’y avoir accès et celui interne à la colonie, trop jeune encore, ne comportait pas ce type de logiciels et se réservait uniquement au travail. Seul le vaisseau spatial en orbite autour de la planète permettait de relayer les transmissions entre les deux planètes et pouvait donc profiter en partie de ce que le réseau de la planète-mère leur offrait mais ne l’étendait pas à la colonie.

– Ton amie va mieux ? s’inquiéta Lionel en quittant des yeux les silhouettes qui se battaient dans l’écran pour les reporter sur elle.

Kreya secoua la tête en signe de dénégation avant de soupirer.

– Pas vraiment, non. Enfin ça peut se comprendre.

Ils savaient pourtant qu’ils n’en avaient pas le droit, ils avaient même signé une décharge avant de venir et celle-ci stipulait bien les conséquences si une telle chose venait à se produire. Ils savaient qu’ils devraient les assumer. Car la politique de restriction des naissances sur Argos était plus que valable sur Argaphylion, et même pire encore : comme ils n’étaient pas en mesure, pour le moment, de pourvoir aux besoins d’une population en forte croissance, ni d’offrir les conditions nécessaires à l’éducation d’enfants, il était tout simplement interdit d’en faire à l’heure actuelle. Dans le cas où une grossesse aurait lieu, pour les femmes humaines et les theris, espèce ovovivipare, un avortement était automatiquement effectué pour en éliminer le ou les produits quel que fût le stade, avec ou sans le consentement de la mère. Pour les darniennes, qui pondaient des œufs, ces derniers étaient brûlés la plupart du temps car c’était généralement après la ponte que l’on découvrait leur existence. Car dans tous les cas, Argos ne souhaitait pas s’encombrer de tels enfants quand ils en avaient eux-mêmes déjà trop.

– Et du coup… tous ses œufs… ?

– Oui, souffla Kreya en s’affalant sur le canapé. Les trois ont été trouvés et récupérés peu après la ponte apparemment. C’est sans doute mieux ainsi ; elle n’avait pas prévu leur venue mais, malgré tout, on dirait qu’elle avait déjà commencé à s’y attacher.

– Ah, mince.

Kreya était désolée pour elle mais elle ne la comprenait pas. Ils avaient signé en toute connaissance de cause alors pourquoi retarder l’inéluctable ? Car à continuer ce genre d’imbécillités, les autorités finiraient par les forcer à se castrer ! Certes, il existait des techniques réversibles mais elles comportaient quelques risques, même infimes, de recouvrer une fertilité moindre voire nulle… Et si, pour le moment, la theris ne désirait pas d’enfants, elle préférait cependant conserver son appareil génital fonctionnel. Au cas où cela finirait par l’intéresser, un jour.

Le rouquin secoua la tête, désolé.

– C’est sûr que ce ne doit pas être évident. Elle… elle comptait vraiment les garder ? Et le père ?

Elle haussa les épaules, incertaine.

– C’était bien parti pour, en tout cas. Pour le père, je n’en sais strictement rien. Si cela se trouve, il ne sait même pas pour leurs œufs. Il est d’un autre département.

Elle connaissait ce dernier et doutait que celui-ci aurait soutenu sa compagne dans sa volonté de les cacher. Elle était à peu près sûre qu’il ne souhaitait pas de petits, de toute façon, comme ce devait être le cas de l’essentiel des habitants jeunes de la colonie. Les administrés préféraient embaucher ce genre de cas.

Mais les perspectives changeaient avec le temps, n’est-ce pas ?

Lionel hocha la tête en signe d’assentiment tandis que, de son côté, Moriss venait de mettre son jeu en pause et s’efforçait d’enregistrer sa partie pour la quitter. S’il les écoutait, ce n’était que d’une oreille distraite.

– Eh bien, ce n’est pas une chose qui risque de m’arriver, en tout cas, souffla le rouquin, rassuré en lui-même de ce fait.

Il riva son regard sur le tapis qui recouvrait le sol aux pieds du canapé et adopta un air songeur. Kreya ricana.

– Ça, c’est sûr. Tu es un mâle et tu es stérilisé. Le problème est résolu.

Lionel haussa un sourcil mais ne répondit rien. C’était quelque chose dont il n’avait pas honte de parler : il avait subi une vasectomie de manière totalement délibérée et ce, très tôt, à l’âge de vingt-deux ans. Si la pratique était courante, il recevait régulièrement des remarques sur la précocité de son choix qu’il assumait pleinement ; même ses amis ne le comprenaient pas. Ne risquait-il pas de le regretter ensuite ? Il retint un soupir à cette pensée. Cette question ne cessait de l’agacer – pourquoi devrait-il toujours se justifier à ce sujet ? De toute façon, cela ne concernait que lui et ses regrets éventuels étaient son problème à lui seul, pas aux autres.

– Pourquoi le fait que je sois un homme ? Perdre son enfant peut être douloureux pour le père aussi, même s’il ne subit pas lui-même l’avortement ou qu’il n’a pas pondu ses œufs et à l’inverse, une mère peut n’en avoir rien à faire. C’est surtout un aspect d’attachement.

– Pas faux, fit Kreya, pensive, avant de reprendre : Enfin, ce n’est pas comme s’il y avait forcément besoin d’être stérilisé pour l’éviter. N’est-ce pas Moriss ?

– Hmm ? fit ce dernier en relevant la tête.

Le tout éteint, il roula son entolon éteint et le reposa sur sa gauche, sur un gros coussin, avant de s’excuser :

– Je n’ai pas tout suivi, désolé.

– Que ça ne risque pas de t’arriver non plus, ce genre d’histoires, même si tu n’es pas stérilisé toi aussi, répéta-t-elle, amusée.

– Ah ! Effectivement, non, fit-il dans un rire.

Lionel fronça les sourcils, perplexe par l’affirmation. Moriss s’en aperçut et s’empressa de lui rappeler, avec un clin d’œil :

– Je suis homosexuel.

– Ah oui, c’est vrai…

C’était une des premières choses qu’il avait apprises à son sujet, peu après leur rencontre, après une plaisanterie de Kreya sur leur possible couple. Moriss avait alors déclaré que le jeune homme était peut-être un peu trop maigre pour lui et lui, qu’il n’était pas intéressé par une relation tout court.

– De toute façon, ce n’est pas comme si avoir des enfants m’intéressait, même sans compter ma sexualité ! ajouta le darnien avec paresse, en se calant plus confortablement contre le dossier du canapé.

– Ce n’est pas comme si tu en avais besoin, tu es un grand enfant toi-même ! plaisanta la theris, et Lionel surenchérit aussitôt :

– Ce qui est dommage pour eux, d’ailleurs, ils auraient été tellement heureux avec un père comme toi !

Kreya pouffa et Moriss roula des yeux de manière exagérée.

– Au fait, on ne devrait pas se mettre à bosser ? La question de ma maturité n’a aucun intérêt à être abordée, fit-il remarquer, amusé.

– Comment tu essaies de détourner le sujet ! s’indigna faussement la theris en continuant de ricaner.

– Effectivement, il serait peut-être temps de s’y mettre, intervint Lionel avec un regain d’anxiété.

Les deux hommes avaient hésité à commencer en l’absence de la theris mais le désir de jouer du darnien avait eu raison de leur manque de motivation commune, liée au stress en ce qui concernait Lionel. Ce serait la première fois qu’il leur partagerait ses observations sur son algue avec autrui et il était autant excité qu’inquiet ; et s’ils décidaient de revoir leur position, une fois ceci fait ? Il n’eut pas le temps d’y penser davantage que Moriss lui attrapa le bras et ensemble, ils se rendirent dans la chambre de Lionel. Malgré l’absence de Mara, ils préféraient ne pas prendre le risque de parler trop au risque d’être surpris, sans compter les caméras de surveillance que la salle commune comportait. Seules les chambres en étaient exemptées.

— Première chose : comprendre la relation entre l’algue rouge et ces mini-machins oranges ! s’écria Kreya d’un ton exalté en se laissant tomber sur le matelas, qui rebondit sous elle. Après tout, si, comme tu l’as dit, ils ont poussé alors qu’il n’y avait pas de spores sur l’algue, ils doivent bien sortir de quelque part. Et les mini-trucs qui étaient présents autour de l’algue, dans la fosse, sont morts maintenant. Cela a forcément à voir avec le lien qu’il semble exister entre eux !

— Ta suggestion est loin d’être bête, ironisa Moriss en l’imitant, avant de s’appliquer à prendre le plus de place possible.

La position de l’étoile lui sembla idéale, mais elle dégagea suffisamment d’espace entre ses jambes pour que Kreya s’y installât, ce dont elle ne se gêna pas. Le darnien râla pour la forme mais personne n’y prêta attention.

— C’est bien ce que je souhaitais faire, mais comment ? J’ai pensé à une relation symbiotique entre les deux plantes, et –

— Pourquoi, c’est sûr que ce sont deux espèces de plantes séparées ? marmonna Moriss en se frottant les yeux, avant de bailler.

Sa suggestion lui valut d’attirer l’attention des deux autres.

— Attends, tu penses qu’il s’agirait de la même plante ? La grosse algue rouge et ces mini-trucs oranges ? s’écria Kreya, intriguée.

— Je n’ai pas dit cela, mais pourquoi pas ? Je connais quelques plantes qui font ça et pour lesquelles leurs pousses ne ressemblent pas du tout à la plante-mère d’origine. Et puis, cela expliquerait leur apparition : ce serait tout simplement l’algue qui se serait développé !

— Et pour les morts…, commença Lionel, tandis que l’idée faisait son chemin dans son esprit.

— Ce serait tout simplement dû au fait que la plante-mère n’étant plus là, le stress occasionné aura fini par avoir raison d’eux, termina Moriss, étendant un bras sur son visage. Ou alors ils étaient trop jeunes pour vivre sans elle. Ou alors –

— C’est bon Moriss, on a compris l’idée, l’interrompit Kreya, avant que le darnien ne s’épanchât sur toutes les idées qui lui venaient à l’esprit.

Il gloussa mais ne répliqua pas.

— De toute façon, dans tous les cas, il nous faut délimiter la plante de manière générale, reprit Kreya en s’étirant.

Tentée de se coucher, elle s’en abstint, à cause de la proximité de Moriss. Le darnien était loin d’être confortable.

– Tu as accès aux clichés scanigraphiques de la première expédition ?

— Pardon ? s’étonna Lionel, qui devina que c’était à lui que la jeune femme s’adressait.

Deux paires d’yeux, attentifs et scrutateurs, venaient de se poser sur lui et confirmaient cette impression.

— Les clichés de la première expédition, insista-t-elle avant de s’expliquer : Vu la taille de la plante et la nature de nos échantillons, je pense que c’est la partie de l’étude qui sera le plus informative pour nous, dans un premier temps.

— Oh. Oui, tu as raison, fit Lionel avant de se replonger dans ses réflexions. J’ai dû les emmener ici pour les étudier un peu, hors du laboratoire, fit-il en se levant avant de chercher dans ses dossiers les données en question.

Il saisit le rouleau noir bleuté et s’assit sur le lit avant de le poser sur ses cuisses. Ses deux collègues se redressèrent pour prendre place près de lui, les yeux rivés vers l’image holographique qui venait d’apparaitre à l’activation de l’écran. L’entolon, comme tout appareil professionnel, était connecté au réseau du laboratoire, ce qui lui permettait d’accéder aux informations disposées dessus. Comme le système était toujours en cours de mise en place, peu de données y avaient déjà été déposées. Ce n’était pas encore le cas des clichés scanigraphiques et de l’imagerie en général, raison pour laquelle il avait réalisé les transferts lui-même au fur et à mesure. Il était normal dans le complexe qu’un scientifique récupérât ses données pour les étudier dans ses appartements, tant qu’elles n’étaient pas sensibles, et comme le complexe fonctionnait presque en milieu clos, le risque était considéré comme minime. Seules les éventuelles sorties étaient surveillées de manière plus étroite.

Après quelques minutes de silence, il trouva le fichier concerné et l’ouvrit : une série de très nombreux clichés défila devant ses yeux, triés et réunis en sous-groupes. Il identifia aisément ceux qui étaient les plus prometteurs et en sélectionna un premier.

— Alors ? Tu as trouvé ?

— J’ai, oui, répondit distraitement Lionel, les yeux rivés sur l’écran.

Il commença à faire défiler lentement les clichés, avant de s’arrêter sur ceux centrés sur l’algue en question. Il lui fallut plusieurs minutes pour en réunir plusieurs de cette même plante selon des points de vue différents, dans l’espoir d’en apercevoir le rendu en trois dimensions. Malgré cela, l’enchevêtrement de racines restait difficile à déchiffrer, ainsi ils y passèrent du temps.

Après de nombreuses minutes à essayer de déterminer un lien possible entre les plantes, Moriss soupira.

— Bon, clairement, les deux plantes sont connectées d’une manière ou une autre – symbiose ? Lien entre plante-mère et plante-fille ? Je pencherais peut-être pour la seconde option, elles sont vraiment difficiles à séparer… Il faudrait réussir à confirmer cela avec ton algue. Comme tu l’as dit, cela expliquerait sans doute la forte mortalité observée dans la fosse et consécutive au départ de notre algue rouge, du moins pour ces mini-plants qui dépendaient encore d’elle au moment de son extraction.

Lionel se mordit les lèvres mais ne répliqua pas. C’était un mauvais point pour lui qui ne faisait qu’exacerber son angoisse à ce sujet. Et si cette algue faisait partie de tout un réseau qu’il avait rompu, causant les dégâts observés ? Jusqu’où porteraient les conséquences de son geste ?

Les deux autres s’aperçurent de sa morosité soudaine et comprirent aussitôt ce qu’il en était. Ils s’efforcèrent de le rassurer.

— Ça ne veut strictement rien dire, tu sais, fit Kreya d’une voix douce. Ces plants oranges sont peut-être morts suite à l’arrachage de cette algue par l’impact qu’elle aura eu sur la colonie, mais cela n’explique en rien le reste. Ne te prends pas la tête pour ça.

Ni la remarque ni son air rassurant n’eurent raison de l’abattement du jeune homme. Résigné et fataliste, il haussa les épaules.

— Je suppose que la suite nous le dira.

Kreya soupira à son tour.

— Je doute qu’une seule colonie, si tant est que c’en soit une, ait autant d’impact sur toute la flore de la fosse, et même la faune – je te rappelle qu’il y a eu des observations étranges à ce sujet, aussi. Et tout cela n’explique pas la baisse des températures de l’eau observée.

— Quelle baisse des températures observée ? s’étonna Lionel.

Dès lors qu’il avait découvert la catastrophe sur la flore de la fosse, il ne s’était préoccupé de rien d’autre. Il se rappelait bien avoir aperçu quelques cadavres d’animaux et d’autres détails un peu étranges comme Kreya l’avait avancé, mais il avait relégué cela dans un coin de son esprit. Déjà tenaillé par leurs propres observations, il n’avait pas cherché à savoir ce qu’il en était pour les autres aspects étudiés par les autres équipes. Il n’en avait jamais entendu parler ou alors, il n’y avait pas prêté attention.

Ou alors… ça commençait à lui dire vaguement quelque chose, à présent qu’il y songeait…

Contrit et incapable de remettre le doigt sur les souvenirs en question, il attendit la réponse qui ne tarda pas à arriver.

— Une baisse importante de la température a été observée dans la fosse, sans qu’on ne l’explique – en fait, elle tend à gagner les températures normales de nos propres fosses, sur Argos. Certains ont avancé l’idée que cela explique sans doute, au moins en partie, les observations sur les comportements des animaux, les quelques mortalités et surtout, dans notre cas, la flore qui ne peut pas se déplacer, elle.

Lionel entrouvrit les lèvres, hébété. Cette annonce le laissait incrédule et en même temps, cette hypothèse avait une plausibilité plus importante que la sienne. Mais pourquoi un tel phénomène, aussi rapide qui plus est ? C’était étrange d’y penser. Les cycles naturels du climat n’étaient pas aussi rapides et ne concernaient pas que le milieu aquatique.

— Il y a eu des mesures de flux thermiques d’effectués dans la fosse ? demanda-t-il soudain.

Ses deux collègues haussèrent les sourcils et s’entreregardèrent, songeurs. Cependant, il fut rapidement évident pour Lionel qu’ils n’en avaient aucune idée.

— Faudrait demander ça aux géologues, lâcha Kreya d’une voix incertaine. De toute façon, ce n’est pas comme si ce ne serait pas pertinent de le demander, puisque nous pensons qu’il y a possiblement un lien entre ces brusques changements de température et les dégâts occasionnés – or ceux concernant les algues rouges et les mini-plants, ajouta-t-elle en désignant le cliché toujours face à eux.

— Ce n’est pas sur le réseau ? essaya le darnien, mais il devina aussitôt le problème alors même que la réponse fusa :

— Si, sur le leur, certainement. Nous n’avons que notre code d’accès et il ne fonctionne pas chez eux, évidemment.

— Et les dossiers de partage ? tenta-t-il, ce que Lionel lui infirma aussitôt, penché sur l’écran holographique tandis qu’il visualisait les dossiers :

— Ca n’y est pas. Alors soit Mara ou Untrill l’ont demandé récemment et les données n’ont toujours pas été envoyées, soit il faut encore le leur demander.

— Faudra penser à le dire à Mara, fit Kreya en baillant. C’est bien elle qui gère ça, non ? En plus, c’était son ancienne équipe, il me semble ; ça devrait aller vite.

— Ce n’est pas plutôt à Kylio ?

— Je crois, oui.

– Et puis, Mara n’était pas plutôt affectée au service chargé de la vidéosurveillance ? Il me semble qu’elle a été transférée justement parce que le service est passé dans les mains des militaires.

La suggestion jeta un blanc dans le trio et les regards se firent incertains.

– Euh… c’est possible.

– Peu importe, écarta finalement Kreya d’un geste de la main. De toute façon, quoiqu’il en soit, cela ne l’empêche pas de les contacter pour leur faire part de notre demande.

— Et nos propres clichés n’indiquent rien à ce sujet ? fit le darnien en se penchant dessus, mais il comprit aux nuances de couleur que ce n’était pas le cas, tout du moins pas pour les clichés affichés – Lionel était retourné à leur occupation précédente et les faisait défiler dans un mouvement plus rapide.

— Non, ça ne fait pas partie des premières analyses que nous étudions – ce n’est pas comme si les plantes exothermes étaient légion, et puis dans un ensemble aussi global, ce n’est pas très indicatif.

— On devrait peut-être essayer de le faire sur notre algue, non ? Essayer de déterminer si elle-même réalise des échanges de ce style.

— Je ne suis pas sûre que –

— Maintenant que j’y pense, intervint soudain Lionel d’un air distrait, sans se rendre compte qu’il venait de couper Kreya sans le vouloir. Lors de l’entretien du bac, je constate souvent des élévations anormales de température et je suis régulièrement obligé de l’ajuster. J’ai même baissé la température appliquée par le radiateur pour éviter d’atteindre des températures trop hautes, et je l’ai réglé de sorte à ce qu’il n’intervienne que lorsque la température a besoin d’être ajustée. Je pensais à un problème au niveau de l’appareil mais si la plante est exotherme, cela pourrait s’expliquer.

Il lui fallut quelques secondes pour établir le lien possible qu’il ne souhaitait pas voir à jour. La plante serait-elle potentiellement responsable de la température de l’eau anormalement chaude qu’ils avaient notée dès leur arrivée ? La mort de l’ensemble aurait-elle été suffisante pour entrainer ces chutes de température ? Cela paraissait improbable – qu’un seul pied fût à l’origine d’un phénomène d’une telle ampleur – mais là encore, Lionel fut incapable de s’en départir. Les grimaces des deux autres lui montrèrent qu’ils avaient suivi le même cheminement de pensées. Moriss s’empressa d’intervenir :

— Même si c’est le cas, elle ne peut pas être responsable à elle seule de tout ce qui se produit. Parce qu’en ce qui concerne cette question des températures, ça touche une grande partie de la planète !

— Merci, Moriss, je me sens tellement plus rassuré grâce à toi, maugréa Lionel, alors que sa crainte avait fait un sacré bond en avant.

A présent, ils parlaient d’un impact à l’échelle planétaire, rien de moins. Juste de quoi se sentir encore plus coupable et se maudire encore plus.

— Eh, on n’en est pas encore là ! intervint Kreya.

Elle ne chercha pas à argumenter davantage dans l’espoir d’extirper Lionel de sa morosité, puisqu’il semblait tenir à y rester. Lui et son anxiété se révélaient très butés. Seules des preuves permettraient de le rassurer à ce sujet et de tourner sa crainte en dérision.

– Faudrait déjà le prouver, il se peut tout aussi bien que, comme tu le pensais initialement, ce soit ton appareil qui ait un problème. Le phénomène est trop global pour n’être imputable qu’à une colonie !

— Peut-être, fit Lionel, peu convaincu, bien que sa conscience scientifique lui soufflât la même chose. Et comment procédons-nous ? Nous n’avons pas ce type d’appareils à notre disposition, que ce soit ici ou au sein de notre laboratoire. Alors comment faire ? En récupérer un frauduleusement chez une équipe qui en possède ?

Bien que la plupart de ces appareils fût de taille conséquente et donc impossible pour eux de le transporter discrètement jusque dans leurs appartements, il existait des versions miniaturisées pour permettre l’étude de ces flux sur le terrain et sur des organismes de petite taille. S’ils devaient en récupérer un, ce serait de ceux-là.

Cependant, la question du vol n’ayant jusque-là jamais effleuré leurs esprits, les deux autres demeurèrent silencieux quelques instants, stupéfaits, pendant que Lionel continuait de les observer, mal à l’aise. Même s’ils savaient que faire leurs recherches en cachette n’était pas correct, jamais ils n’auraient pensé en arriver jusque-là. Que pouvaient-ils faire d’autre, dans ce cas, s’ils ne détenaient même pas le matériel nécessaire ? Et puis, même si les autres ignoraient tout de cette étude, elle se révèlerait sans doute capitale pour la suite !

Cependant, malgré toute leur bonne volonté, ils restaient des scientifiques et pas des voleurs, même amateurs.

— Eh bien, je suppose qu’il n’y a que cela à faire, bégaya Kreya, avant de secouer nerveusement la tête : Mais ne pourrions-nous pas attendre les clichés des géologues avant de se décider à ce sujet ? Parce que je ne veux pas dire mais c’est… risqué, et… bah, c’est du vol, quoi.

Les deux hommes acquiescèrent, surtout qu’ils partageaient le même malaise que la theris. S’ils pouvaient éviter de recourir à une telle méthode, ce serait mieux…

Cependant, ils ne pouvaient pas écarter cette possibilité et ils le savaient.

— Et sinon, si on y est amené… qui connait bien l’équipe de géologues ?


Texte publié par Ploum, 1er septembre 2020 à 19h21
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