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tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4

Quelques minutes suffirent pour achever définitivement l’embarquement du personnel et entamer le processus de démarrage. Une fois le protocole prêt, des signaux lumineux indiquèrent la transmission de l’information au poste de commandes en charge du remplissage et de la vidange des salles et donc de la mise en immersion du sous-marin. Dehors, les passerelles se vidèrent et il n’y eut bientôt plus personne se tenant hors des infrastructures. Puis le niveau de l’eau monta progressivement, même si le sas qui en permettait l’entrée demeurait invisible. Au bout de quelques minutes à peine, le sous-marin était complètement immergé ainsi que les autres appareils, car la salle était désormais totalement comblée. Le sous-marin se dégagea de son stationnement dans un lent mouvement de recul puis il effectua une rotation d’un quart de tour jusqu’à se positionner face à l’ouverture. De large taille et de forme circulaire, elle suffisait largement à son passage. Les panneaux qui fermaient habituellement son accès avaient disparu mais seule une faible portion du boyau souterrain était visible, étant plongé dans l’obscurité dans sa continuité. Deux trainées lumineuses apparurent devant eux à l’allumage des phares ; le sous-marin amorça alors son avancée et ils quittèrent la salle. Le trajet dans les galeries fut relativement court et se fit dans une obscurité relative seulement interrompue par l’éclairage apporté par l’appareil. Les irrégularités de la paroi laissaient comprendre son origine naturelle dont avaient profité les nouveaux habitants de la planète ; les aménagements avaient été les plus limitées possibles et aucun des couloirs empruntés n’avait été concerné par de tels travaux.

Et ensuite, ils gagnèrent l’océan. Le changement de décor fut drastique : d’un boyau relativement resserré, ils passèrent à un environnement immense, sans sol ni plafond, et bien plus clair – mais ce n’était que passager et ne durerait pas une fois qu’ils auraient pris de la profondeur. Cependant les phares furent éteints. Autant perturber le moins possible l’écosystème ambiant par l’apport d’un éclairage insolite et inutile.

A partir de là, le protocole d’enfoncement fut enclenché et le sous-marin plongea lentement vers les profondeurs. Jusqu’à présent, l’équipe se tenait toujours devant la vitrine panoramique et profitait de leur ennui pour admirer les fonds qu’ils n’avaient fait que rêver pour la plupart – même si pour le moment, ils longeaient le talus continental à la pente raide et n’étaient pas encore très loin de la surface. Mais cela viendrait.

Si jusque-là ils avaient observé le silence le plus total dans une déférence émerveillée, le temps qui s’étirait eut finalement raison de celle-ci ; et l’enthousiasme de partager leurs impressions sur cette première plongée les émoustillait tant qu’il précipita également leur prise de parole. Derrière eux, les bruissements indiquaient que les autres n’étaient pas en reste.

– Eh, vous savez si nous passerons juste à côté de – Mara, mais que fais-tu ?

Eux-mêmes se trouvaient à l’extrémité de la vitrine, de sorte qu’ils se trouvaient assez proches des premiers postes – pas des plus importants cependant, ils servaient généralement aux scientifiques pour l’affichage de leurs données directement dans la salle de commandes, chose utile en certaines circonstances. Et c’était le cas de celui-ci. La jeune femme en question, penchée sur un opérateur inoccupé, semblait en pleine découverte des logiciels présents – chose étrange puisqu’elle les avait déjà utilisés et en avait l’habitude – mais jetait régulièrement des œillades peu amènes en direction de la paroi grise métallique, rendue presque bleue par les reflets de l’eau. Son nez plissé traduisait comme un dégoût qui étonna ses collègues.

– Quoi ? aboya-t-elle sèchement lorsqu’elle réalisa la question de Lionel, et surtout sa soudaine proximité qui la fit reculer instinctivement – son siège glissa avec elle sur le sol.

Mara se tourna vers eux, l’air courroucé et le dos raide, et Lionel eut la vague impression que ses poils étaient hérissés, sans doute à cause de sa position qui lui faisait penser à un hife en colère. Puis elle les ignora bientôt sans plus attendre une quelconque réponse de leur part pour loucher de nouveau sur les jointures des plaques qui constituaient la coque du bâtiment. Ce fut Moriss qui, le premier, commença à entrapercevoir la possible origine du problème.

– Attends, ne me dis pas que tu as peur que la paroi ne cède et que l’eau ne s’écoule dans le sous-marin ?

Son ton, d’abord étonné, se fit plus moqueur à mesure que le visage de Mara s’assombrissait, ce qui confirmait silencieusement ses paroles. A cette vue, le sourire du darnien s’élargit jusqu’à se faire goguenard. Les autres étaient encore trop stupéfaits pour réagir d’une quelconque façon.

– Alors c’est réellement ça ? Tu as peur ? De quoi ? De l’eau ? De la pression ?

– Je n’ai pas peur, j’ai une certaine appréhension, nuance, protesta la jeune femme en grinçant, l’air fâché.

– Mais pourquoi travailler dans un secteur qui t’effraie ? s’étonna naïvement Lionel après avoir repris ses esprits.

Mara se tourna vers lui pour lui adresser un sourire ironique.

– Je suis technicienne de recherche, orientée dans le secteur botanique, lui rappela-t-elle, et il fronça d’abord les sourcils, jugeant son commentaire inutile puisqu’il le savait déjà – c’était un peu pour cela qu’elle était là, d’ailleurs. Concernant mon affectation, j’ai surtout pris ce qu’il y avait, rétorqua-t-elle ensuite d’un ton acide. Et là où on m’a placée.

Lionel préféra ne pas répondre et se contenta de grimacer de manière discrète, toutefois assez surpris. D’eux tous, c’était celle qui était présente depuis le plus longtemps, ayant occupé un poste dans une autre équipe sur la planète – alors pourquoi sa mutation, si ce n’était pas de son fait ?

Mara remarqua la grimace et renifla dédaigneusement en réponse avant de se retourner vers son poste de travail et de se reconcentrer dessus – dans la mesure du possible puisqu’elle continuait de jeter de fréquents coups d’œil à la paroi au-dessus de sa tête. Malgré ses assertions, sa crainte était désormais évidente aux yeux de ses collègues. Cependant, personne ne voulut continuer la discussion à ce sujet – Kreya dissuada Moriss de le faire d’un coup bien placé dans la jambe – et ils se détournèrent d’elle pour observer l’extérieur au travers de l’immense baie.

Pendant un moment, il n’y eut presque rien à voir. Les animaux étaient rares, percevant certainement leur approche à une certaine distance et les évitant. Ils croisèrent essentiellement des bancs de petits poissons qui se scindèrent à leur traversée pour se réunir plus loin et rarement des animaux plus gros, à l’avancée plus indolente. Toutefois, à leur extrême gauche, la paroi rocheuse demeurait encore visible ; la pente y était raide et parfois de larges anfractuosités et des stries creusaient le flanc de la falaise et rompaient son homogénéité – sièges de vie de crustacés, de moisissures et de coraux ; tout était prétexte à les remplir et l’ensemble offrait une palette de couleurs diverses et variées. La flore n’était pas en reste et n’avait rien à leur envier bien qu’elle fût plus rare et espacée, et ce malgré leur enfoncement. Toutefois, les effets de la baisse de luminosité et de l’augmentation de la pression étaient évidents sur leur développement – même après deux cents mètres, les observer ainsi était déjà exceptionnel en soi. Et elle persistait tandis que le compteur défilait : d’abord milles mètres, mille cinq cents, puis deux milles… elle était toujours là. Changeante, différente, plus dure et compacte, mais toujours présente. La photosynthèse ne pouvait plus se faire mais plusieurs espèces végétales subsistaient encore dans ces profondeurs ténébreuses et faisaient plus que survivre ; elles s’intégraient à leur environnement comme s’il était naturel qu’elles fussent là. Tous les scientifiques présents en étaient tout simplement estomaqués – même si tous le savaient déjà puisque c’était là la raison de la création d’une nouvelle équipe et de sa présence à bord.

Le paysage changea radicalement lorsqu’ils parvinrent au niveau des plaines abyssales : c’étaient de larges étendues de terre grise ou noire, percées de nombreux reliefs peu marqués mais assez planes dans leur globalité. Elles étaient recouvertes d’une végétation abondante mais compacte qui laissait de larges bandes plus dégarnies, comme des sillons tracés entre ces bosquets de plantes qui ressemblaient à des algues et à des coraux. Au milieu de ce décor était construite une cité-bulle, une cité sous-marine protégée de l’océan par une épaisse barrière transparente qui laissait voir les constructions au travers. Elle avait été imaginée sur le même principe que le complexe : le but en était de minimiser leur empreinte environnementale tout en optimisant l’utilisation et la répartition des ressources et l’aménagement du territoire. De ce fait, les bâtiments étaient bas et n’avaient rien à envier à leurs homologues terrestres. De là où ils se trouvaient, les larges allées herbeuses et arborées qui séparaient les édifices étaient parfaitement visibles, de même que les plantations qui entouraient sa périphérie, encore protégées sous le dôme. Au-dehors, sur une certaine distance, il était évident que le champ d’algues était relativement entretenu, de sorte à assurer également une certaine quantité de ressources alimentaires disponibles et espérer ainsi avoir une relative auto-suffisance. Tout était étudié afin d’éviter qu’une telle exploitation ne fût délétère pour les espèces concernées, quitte à l’abandonner si cela était le cas ; mais pour l’heure, le problème ne s’était pas encore posé.

Toutefois, cette cité n’était qu’un prototype à échelle réduite et en cours d’amélioration : ils étudiaient essentiellement les matériaux compatibles, l’étanchéité de la barrière et les procédures à appliquer pour son entretien car un accident serait désastreux. Tout cela en limitant l’impact sur la faune et la flore pour ne pas entrainer de déséquilibres – des biologistes étaient donc associés à cette étude – et l’inverse était aussi vrai : il ne s’agissait pas non plus de favoriser la prolifération de certaines plantes, d’algues ou de moisissures, au détriment des autres. Et bien d’autres choses encore étaient à prendre en considération avant de songer à développer ces structures de manière plus large et à les construire en plus grand nombre – car si elle avait été la première, il en existait quelques autres à différentes latitudes du globe.

La cité était source d’émerveillement et de curiosité pour la plupart des colons et l’équipe n’était pas en reste à ce sujet. Lionel et Moriss observaient la cité avec envie sous l’œil amusé de Kreya. Untrill, lui, avait quitté son poste d’observation pour rejoindre Mara, avec qui il s’était mis à discuter.

– Tu crois que nous pourrons aller la visiter ? demanda Lionel au darnien, qui haussa distraitement les épaules sans même le regarder.

– Normalement non, puisque nous ne sommes pas censés travailler là-bas, fit ce dernier d’un ton un peu désolé, lui-même déçu par ses propres propos. Pour le moment, les transferts sont très restreints. Mais il arrive que certaines équipes interviennent brièvement dans d’autres secteurs que ceux qui leur sont affectés, et sachant que nous dépendons des possibilités d’expéditions dans les profondeurs, il se peut que l’on nous affecte parfois sur de courtes missions.

– Rien n’est moins sûr, nous ne sommes qu’une petite équipe, rétorqua Kreya en s’étirant les bras, détournant son regard ennuyé de la cité. Nous mettrons plus de temps à effectuer nos recherches que la plupart des autres unités. Alors sauf si nous avons un temps mort assez conséquent, ce n’est pas près d’arriver.

Lionel adopta une moue dépitée et s’écarta finalement de la vitrine en soupirant, s’éloignant volontairement de la vue qui le faisait rêver. C’était pourtant difficile car gagnant en profondeur, la cité prenait de plus en plus de place dans leur champ de vision.

Elle eut pourtant tôt fait d’être remisée dans un coin de leur esprit car apparut à leur vue une immense fissure sombre qui striait la plaine grisâtre et qui ne cessait de s’élargir. Son contenu demeurait encore inconnu et obscur et ils n’en devinaient que les parois dissymétriques et inclinées, pourtant ils ne doutèrent pas de son identité. En même temps, il s’agissait de la seule fosse présente aussi près du complexe – l’emplacement avait été choisi pour son intérêt géologique et géographique, mais aussi parce qu’il s’agissait d’une des fosses les moins actives, d’après les données sismographiques que les chercheurs avaient relevées avant même la création du complexe.

Et c’était dans les profondeurs de cette dernière qu’ils comptaient se rendre.

L’excitation étreignit aussitôt Lionel à cette pensée tout comme ses autres collègues qui ne l’avaient encore jamais aperçue. Par les ténèbres qui l’habitaient, la fosse dégageait une aura de mystère qui les attirait irrésistiblement. C’était en partie pour cela qu’il avait accepté ce poste : les abysses étaient très peu connus même sur leur planète d’origine et il y avait tant de choses à découvrir que c’en était déstabilisant et enivrant. Car du peu qu’ils en savaient, du moins sur Argaphylion, la vie y était bien plus riche que tous ne le supposaient de prime abord, et ce malgré les conditions défavorables à l’essentiel des formes de vie – et cela, ils ne l’avaient soupçonné que pour la biodiversité animale car jusqu’alors, aucune végétation n’avait pu y être mis en évidence. Et s’ils avaient créé leur équipe d’après les observations des autres chercheurs, c’était qu’il devait y avoir matière à étudier.

– Lionel ? Lionel !

– Quoi ?

Il sursauta lorsqu’on lui prit le bras dans l’intention de le secouer et il se tourna vers la personne concernée tout en se défaisant de cette prise. Il s’agissait de Moriss, dont la main était en suspens près de son bras. Il s’écarta sans que le darnien ne proteste et l’observa en fronçant les sourcils, agacé en lui-même par cette interruption bien qu’il n’en dît rien. Il n’eut pas l’occasion de demander des explications puisqu’il les eut directement en la présence pure et simple du Docteur Rocombell qui arriva vers eux, accompagnée de Valène. Leur supérieure les invita à la suivre d’un geste de la main et elle n’eut pas besoin d’insister pour se faire obéir de toute l’équipe. Mara dut ainsi abandonner son logiciel et ses graphiques sortis de nulle part, tracés à partir de données dont ils ne connaissaient ni la teneur ni l’origine. Ils ne se virent donc pas s’enfoncer dans les ténèbres de la fosse et Lionel en fut attristé.

Le moment avait été bien mal choisi.

Elle les fit entrer dans une salle de conférence vide munie d’une longue table entourée de sièges. Elle les invita ensuite à s’asseoir tandis qu’elle-même prenait place. L’entretien n’avait rien de formel ; il ne s’agissait que de rappels des consignes juste avant le début des plongées. Mais parmi eux, seul Untill fut réellement détendu puisqu’eux-mêmes étaient toujours impressionnés par la figure historique qu’elle représentait, bien qu’elle-même n’eût rien fait pour entretenir cette image. Sa réputation la précédait.

– Nous la ferons plutôt courte puisqu’il ne s’agit que de rappels, commença aussitôt Bérénice en croisant les mains sur la longue table. Cette première expédition, ainsi que les suivantes, selon ce que vous trouverez et ce dont vous aurez besoin, a plutôt un but général dans un premier temps afin de déterminer la diversité floristique et les différentes classes de plantes présentes. Comme vous le savez déjà, nous nous appuierons essentiellement sur les techniques d’imagerie. Leur impact étant inconnu, et plus encore dans notre cas, ce que vous concevez parfaitement, les prélèvements sont soumis à la réglementation restrictive habituelle dans ce genre de cas ; seront seulement réalisés des échantillons d’eau et des calques, et vous pourrez éventuellement récupérer des carottes du support et des fragments de plants, mais seulement sur l’appui de clichés scanigraphiques et avec l’assentiment de l’équipe de géologues avec qui vous les entreprendrez. Aucun prélèvement de plants entiers n’est autorisé jusqu’à nouvel ordre, fit Bérénice sur un ton insistant.

Personne ne réagit car ces règles étaient connues de tous ; mais de fait, le passé avait démontré que répéter ce genre de choses n’était pas du luxe, au risque qu’ils fussent plus facilement oubliés, ce qui pouvait les conduire à des situations non souhaitées. Ils le savaient mais cela ne les empêcha pas de tomber lentement dans l’ennui, même s’ils s’efforcèrent de ne pas le montrer.

Bérénice poursuivit ensuite sur les détails des opérations des trois jours qui allaient suivre, sachant que leur travail était pour l’heure étroitement lié à celui des géologues, ainsi que des jours qui suivraient dans le complexe. Cette partie concerna surtout Untrill, car c’était lui notamment qui assurerait le transfert des données et des exploitations de résultats entre les deux équipes, et éventuellement de Mara aussi, dans ce même but. Les premiers mois les verraient s’associer fortement avec eux tant que leurs études demeureraient assez générales pour faire un balayage d’ensemble et une étude comparative à la faune existante en surface et sur leur propre planète, avant d’étudier plus spécifiquement certaines plantes d’intérêt, selon les informations dégagées – celles dont le rôle majeur dans l’équilibre de l’écosystème abyssal aurait été démontré. Là encore, ils disposaient déjà de l’essentiel de ces informations.

L’entretien s’acheva sur les dernières recommandations d’usage et sur l’application de la procédure de sortie du sous-marin. Ils quittèrent la salle de conférences et comme la profondeur souhaitée, celle qui avait été fixée pour leur étude, ne serait pas atteinte avant quelques heures, ils gagnèrent leurs propres quartiers où se trouvaient déjà leurs paquetages.

Lesdits quartiers étaient en fait constitués d’un ensemble de cabines comportant chacune quatre couchettes, déjà attribuées pour chacun d’entre eux. Le trio avait été satisfait de constater qu’ils dormaient ensemble et la quatrième personne se trouvait être Mara. Untrill dormait dans la cabine adjacente avec des membres de l’équipe de géologues qu’heureusement pour lui, il connaissait. Des hublots découpaient les murs et leur permettaient de suivre tranquillement leur descente, mais l’environnement était si sombre qu’ils ne virent pas grand-chose, si ce n’était les contours vagues des pentes escarpées. Ils passèrent les heures suivantes à s’occuper comme ils le pouvaient, tantôt discutant, tantôt somnolant, tantôt observant les murs avec ennui. Même les crochets effectués dans les laboratoires ne les tirèrent pas de leur ennui puisqu’il n’y avait rien à y faire, la vue sur les fonds était désormais restreinte même dans la baie d’observation, limitant leur intérêt à son sujet, et l’excitation des recherches qui allaient suivre les empêchaient de se concentrer sur une quelconque autre tâche. Ils ne purent donc que prendre leur mal en patience et attendre.

Ils bondirent de leurs lits lorsque le signal sonore se déclencha, signifiant que le sous-marin avait atteint leur destination. Ils gagnèrent hâtivement la salle de commandement pour se placer devant la vitrine panoramique tandis qu’autour d’eux, de nombreux techniciens s’affairaient.

– Mais qu’est-ce qu’ils font ? Le sous-marin n’est pas déjà immobilisé ? demanda Lionel, dépité de ce nouveau temps mort.

Le sous-marin se trouvait pour le moment à l’arrêt mais l’effervescence générale était bien présente. Au-dehors, tout était plongé dans l’obscurité de sorte que là encore, ils ne voyaient pas grand-chose. A peine apercevaient-ils tardivement des silhouettes d’animaux qui frôlèrent l’appareil et certains étaient si gros qu’ils craignirent qu’ils n’effleurent la coque et ne la brisent. Leur existence même les étonna.

– Ce n’est que temporaire, répondit Mara. Comme nous restons trois jours sous l’eau, le sous-marin a besoin d’être stabilisé et ne pas être soumis aux courants marins, ils sont donc en train de scanner les lieux pour chercher un endroit où le placer. Et vérifier autant que possible qu’il est possible de sortir du sous-marin sans danger.

Ils ne savaient depuis combien de temps ils s’attelaient à cette tâche mais elle porta bientôt ses fruits ; une large concavité de deux fois la taille du sous-marin et bien plus profonde fut repérée. Le sous-marin se remit en branle pour se positionner à l’intérieur, les sas de sortie des futurs plongeurs vers l’avant de la caverne abyssale – elle était si large que les manœuvres y étaient aisées, ce qui ne leur poserait aucun souci pour leur futur départ.

Malgré l’impatience des concernés, ils durent attendre pour lancer la première exploration que les dernières analyses fussent effectuées, notamment des contrôles des paramètres physiques de l’eau comme la température, ainsi que la présence d’animaux, leur nature et leur attitude car la sécurité était plus difficile à assurer en ces lieux. Tous furent une nouvelle fois étonnés par la température incroyablement chaude de l’eau, presque similaire à une température de surface dans certaines régions froides ; même ceux qui l’avaient constaté à plusieurs reprises.

Ceux qui devaient plonger furent invités à gagner les sas. Tout avait déjà été préparé ; pour cette première sortie, peu de matériel serait emporté car le but n’était pas de prélever mais de repérer. Ne restait plus pour eux que de s’habiller en conséquence. Leurs combinaisons revêtues, les cloisons isolèrent la salle du reste de l’appareil et ceci fait, des trappes s’ouvrirent et l’eau commença à s’écouler à l’intérieur. Ils attendirent que la pièce fût totalement remplie, serrant les quelques mallettes qui devaient les suivre contre eux pour éviter qu’elles ne leur échappassent, puis la trappe d’accès devant eux s’ouvrit dans le vide. Alors ils se retrouvèrent dehors dans l’eau pour la première fois.

Tous avaient conscience qu’il s’agissait là presque d’une première : ne plus avoir à dépendre entièrement des appareils pour leur survie et de tenues épaisses et peu souples qui limitaient grandement leurs possibilités comme c’était encore le cas quelques mois plus tôt. La sensation était tout simplement incroyable. Ils ressentaient à peine la pression de l’eau sur leur corps alors qu’elle était plusieurs fois supérieure à celle de l’atmosphère, ainsi que la douceur de la température de l’eau. La combinaison était si fine qu’elle n’entravait en aucun cas leurs mouvements, tant que pendant quelques instants, des cabrioles ponctuèrent leur maigre avancée à mesure que plusieurs des scientifiques présents testaient toutes les possibilités qu’elle leur offrait ou en profitaient bien qu’ils y fussent déjà accoutumés. Et comme les concepteurs l’avaient prédit, malgré la façon dont ils l’éprouvaient, elles résistèrent parfaitement bien. Cela n’empêchait pas les nouveaux venus de ne pas être très confiants.

Dans la combinaison était intégré un système de communication leur permettant d’interagir directement avec leurs collègues. Il disposait d’une portée assez conséquente compte tenu de leurs recherches et d’un système d’éclairage individuel qu’ils activèrent à l’approche de la paroi rocheuse. Ils traversèrent le volume d’eau jusqu’à cette dernière où ils observèrent avec surprise une flore très diverse que l’on pouvait associer d’une certaine façon à celle des plaines abyssales. Elle était très colorée mais visuellement, dominaient très largement de grandes algues rouge violacé à l’aspect frisé et aux tiges recouvertes de petites épines et dures, séparées par de larges tapis à l’aspect mousseux, rose-orangé. Ce n’étaient pas véritablement des algues puisqu’elles ne pouvaient réaliser de photosynthèse mais à leur vue et à leur aspect, ce terme s’imposait à eux par habitude, même si cette vulgarisation était sans doute malencontreuse. D’autres plantes de couleurs variées, roses, bleues ou vertes, ponctuaient cette plaque quasi uniforme, car elles étaient pour la plupart de très petite taille et collées au plateau rocheux. Ils ne doutaient pas que beaucoup se trouvaient également sous forme microscopique, en suspension ou accrochées à la paroi. Cette algue rouge se révélait être la plante la plus grande et Lionel la regarda de plus près, particulièrement intrigué ; il aperçut ainsi une structure semblable à une écorce épaissie et dure mais parfaitement lisse, sans qu’il ne sût exactement de quoi il était question. Seules les feuilles se mouvaient au rythme de l’eau et de fait elles ressemblaient ainsi à des petits arbres entourés d’herbe orange, tout du moins était-ce l’impression qu’elles lui donnaient. Mais il ne pouvait s’attarder sur elle en particulier.

L’étude de toute une flore les attendait.


Texte publié par Ploum, 1er septembre 2018 à 13h00
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